COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section AO1
ARRÊT DU 8 AVRIL 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 07 / 4130
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 MAI 2007
TRIBUNAL D'INSTANCE DE MILLAU
No RG 06 / 069
APPELANTE :
COMMUNE DE CURAN,
représentée par son Maire en exercice, domicilié ès qualités
Hôtel de Ville
12410 CURAN
représentée par la SCP ARGELLIES- WATREMET, avoués à la Cour
assistée de Me Jean- Marie BISMES, avocat au barreau de MILLAU
INTIMES :
Monsieur Paul Y...
né le 28 Juillet 1930 à CURAN (12410)
de nationalité française
...
...
représenté par la SCP TOUZERY- COTTALORDA, avoués à la Cour
assisté de Me AIMONETTI, avocat de la SCP AIMONETTI- BLANC- BRINGER- MAZARS, avocats au barreau de MILLAU
Monsieur Didier Y...
né le 1er Novembre 1959 à PARIS (75001)
de nationalité française
...
...
représenté par la SCP TOUZERY- COTTALORDA, avoués à la Cour
assisté de Me AIMONETTI, avocat de la SCP AIMONETTI- BLANC- BRINGER- MAZARS, avocats au barreau de MILLAU
INTERVENANTE :
Madame Aimée Z... épouse Y...
née le 9 Mai 1933 à SAINT SATURNIN DE LENNE (12560)
de nationalité française
...
...
représentée par la SCP TOUZERY- COTTALORDA, avoués à la Cour
assisté de Me AIMONETTI, avocat de la SCP AIMONETTI- BLANC- BRINGER- MAZARS, avocats au barreau de MILLAU
ORDONNANCE de CLÔTURE du 7 MARS 2008
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le MARDI 11 MARS 2008 à 14H, en audience publique, Monsieur Claude ANDRIEUX, Conseiller ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
Madame Nicole FOSSORIER, Président
Madame Sylvie CASTANIÉ, Conseiller
Monsieur Claude ANDRIEUX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Melle Marie- Françoise COMTE
LE MINISTERE PUBLIC,
après communication de la procédure, a apposé son visa.
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par Madame Nicole FOSSORIER, Président,
- signé par Madame Nicole FOSSORIER, Président, et par Melle Marie- Françoise COMTE, Greffier présent lors du prononcé.
* * *
* *
Vu le jugement rendu le 29 mai 2007 par le Tribunal d'Instance de MILLAU qui a débouté la commune de CURAN de ses demandes, dit que Monsieur Paul Y... est bien propriétaire de la bande de terrain de 250 mètres de long au droit des parcelles 66, 67, 141 et 47 de la section D, dit que si la commune de CURAN entend mettre en place une servitude de canalisation sur les biens de Paul Y..., elle devra mettre en œ uvre la procédure prévue par l'article L. 152. 1 du code rural,
Vu l'appel interjeté par la Commune de CURAN le 19 juin 2007,
Vu les dernières conclusions de l'appelante notifiées le 12 novembre 2007, qui conclut au débouté des demandes de Paul Y..., à sa condamnation à l'enlèvement de tout obstacle sur les accès à l'ancien chemin rural reliant les hameaux de SALLELES ET TREBONS au regard de leurs parcelles no 66 et 141 de la section D de la commune de CURAN et ceci sous astreinte de 500 euros par jour à compter du huitième jour de la signification, sollicite la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Soutenant que :
- le chemin existe matériellement et il peut être parcouru, ayant été utilisé par une ronde VTT en 1994, 1995 et 1997, il est affecté à usage du public, ce qui est incompatible avec les critères de la possession tels que définis par l'article 2229 du code civil, à savoir une possession continue, non interrompue, paisible, publique et à titre de propriétaire,
- les consorts Y..., père et fils, n'ont pas utilisé le chemin pour leur propre usage, ne l'ont pas cultivé, ne se comportant pas en propriétaires, ils ne l'ont même pas débroussaillé,
- ils ont souhaité l'acquérir ce qui équivaut à une reconnaissance de la propriété de la commune, l'ancien maire de la commune, assermenté, ayant porté cette demande sur un registre communal,
- le chemin rural même désaffecté reste la propriété de la commune,
- ce n'est que pour des raisons de facilité que la commune a proposé la signature d'une convention de passage, le chemin étant plus sinueux, mais elle n'a pas cédé aux demandes exorbitantes posées en contrepartie par les Y...,
- c'est à tort que le premier juge a considéré qu'il avait perdu sa vocation initiale, qu'il n'était pas débroussaillé, qu'il était obstrué, que la pose de barbelés marquait la possession,
- l'indication dans la convention de l'autorisation d'effectuer des travaux de débroussaillage et d'abattage ne signifie nullement que cela visait le chemin, cette convention étant une convention type proposée à tous les propriétaires dont les consorts Y... dont les parcelles 141 et 47 section D étaient visées,
- si la convention n'a pas été signée c'est que Monsieur Y... se prétendait propriétaire d'une autre portion du chemin,
Vu les dernières conclusions notifiées par les consorts Y... le 6 mars 2008 qui demandent de confirmer le jugement, de condamner la commune de CURAN à payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, celle de 2 000 euros par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Soutenant que :
l'ordonnance du juge de la mise en état qui dit que le chemin est affecté à l'usage du public n'a pas l'autorité de la chose jugée,
le plan cadastral, les constatations d'un huissier de justice, les attestations de tiers et les écrits de la commune démontrent qu'ils sont propriétaires,
ils ont prescrit par la mise en place de clôtures,
le chemin est obstrué par des broussailles, des ronces et des chênes verts ayant a minima 50 ans d'âge,
la propriété est démontrée par la demande de la commune d'établir une convention de servitude de passage de la canalisation, qui prévoit des travaux de débroussaillement, d'abattage d'arbres et de dessouchages, ce qui ne peut viser que le chemin, leurs parcelles étant cultivées,
leur souhait d'acquérir le chemin n'est démontré par aucun document portant leur signature, le document de la DDA étant tronqué,
le fait de vouloir aliéner démontre l'absence d'utilisation du chemin, en outre il est possible que les rondes VTT soient passées sur la partie du chemin de 750 mètres mais pas sur les 250 mètres au droit de leurs parcelles, les Vététistes passant sur leurs champs,
les vues aériennes ne permettent pas de soutenir la thèse de la commune relative à l'existence du chemin,
si la commune entend mettre en œ uvre la procédure de servitude de canalisation elle doit respecter la procédure adéquate qui prévoit une indemnisation,
SUR QUOI :
La revendication porte sur la partie de chemin située au droit de la parcelle cadastrée Commune de CURAN section D no 66 appartenant aux consorts Y... également propriétaires de la parcelle cadastrée no 141 sise sur l'autre côté du chemin, étant précisé qu'il n'est pas soutenu qu'il existerait, au delà des limites de la parcelle N o 66, des contestations sur la propriété de la commune de CURAN sur ce chemin.
La propriété se démontre par titre. En l'espèce les consorts Y... ne soutiennent pas que la propriété de ce qu'ils qualifient d'« ancien chemin rural », leur aurait été transférée par titre.
Il soutiennent qu'ils auraient acquis la propriété de ce chemin par l'effet de la prescription trentenaire.
Il leur appartient donc de démontrer que les conditions posées par l'article 2228 et 2229 du code civil sont réunies, c'est à dire qu'ils ont détenu ou joui de la chose, en l'espèce le chemin litigieux, de façon continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire.
L'essentiel de leur argumentation consiste à soutenir que la commune aurait abandonné toute occupation du chemin qui aurait été laissé en friche.
Or la question n'est pas de faire constater une sorte d'abandon de jouissance de ce chemin par la commune, le non usage par le propriétaire légitime ne démontrant pas l'usucapion, mais de rapporter la preuve qu'ils en ont possédé l'assiette au sens des articles précités, étant observé que le premier juge a conclu à l'usucapion du chemin par des éléments de fait qui ne permettraient, s'ils étaient retenus, que de conclure à une non occupation du chemin par la commune de CURAN, le seul élément matériel de possession retenu par le premier juge étant l'existence d'une clôture aux deux extrémités.
Or les deux seules attestations faisant état de la clôture du chemin sont celles de Messieurs A... et C.... Le premier ne donne aucun élément quant aux circonstances qui lui ont permis d'observer
précités, étant observé que le premier juge a conclu à l'usucapion du chemin par des éléments de fait qui ne permettraient, s'ils étaient retenus, que de conclure à une non occupation du chemin par la commune de CURAN, le seul élément matériel de possession retenu par le premier juge étant l'existence d'une clôture aux deux extrémités.
cet état de clôture, pas plus que sur les caractéristiques physiques de cette clôture, le second n'est pas plus précis puisqu'il fait état sans autre détail d'une clôture « aux deux extrémités sur une longueur de 250 mètres … », ce qui en soi comporte une contradiction, étant précisé qu'il mentionne avoir travaillé depuis 1970 chez Paul Y... sans que l'on sache s'il y travaille toujours et qu'en l'état de ce lien de subordination ayant existé ou existant encore, ses affirmations sont sujettes à caution.
De plus la seule existence d'un clôture ne saurait suffire à démontrer que les usagers ne pouvait la franchir et que les consorts Y... auraient été les seuls utilisateurs du chemin.
En effet il ressort des documents produits aux débats que l'assiette du chemin litigieux a été empruntée par des coureurs vététistes entre les années 1995 et 1997 dans le cadre de diverses Rondes organisées par le Comité des Fêtes de CURAN, la description du circuit mentionnant expressément le passage par le chemin reliant la commune au Puech de ..., ce qui est confirmé par les cartes des circuits.
Il ressort par ailleurs d'un document émanant de la Chambre d'Agriculture de l'AVEYRON transmis au Maire de CURAN le 23 décembre 1999, que les consorts Y... ne se considéraient pas comme propriétaires à cette date puisqu'il y ait mentionné qu'ils avaient fait la demande auprès du Maire d'acquérir le chemin rural bordant leurs parcelles dont la no 66, dans le cadre d'un projet de modification des chemins ruraux décidé par le conseil Municipal, ce dernier n'ayant manifestement pas abouti, étant précisé que l'authenticité de ce document de la Chambre d'agriculture n'est pas contestée.
Les consorts Y... se prévalent d'une proposition de convention de la Commune pour faire passer le réseau d'adduction d'eau sur leurs parcelles, ce qui démontrerait a contrario que la Commune ne pouvait pas passer par le chemin.
Or il ressort de l'attestation de Monsieur B... chauffeur à la SAT qui a procédé aux travaux d'adduction que la convention a été proposée aux consorts Y... pour faciliter le tracé en passant pas la parcelle no 141 plus rectiligne et que ce n'est que par suite du refus des consorts Y... de signer cette convention que la commune a décidé d'utiliser le tracé par le chemin rural.
Il ne saurait être tiré de la mention prévue à l'article 3 de cette convention relative aux droits du Maître d'ouvrage : « procéder sur toute la largeur nécessaire à tous les travaux de débroussaillement, d'abattage d'arbres et de déssouchages reconnus indispensables pour permettre la pose des canalisations » qu'elle démontrerait la propriété des consorts Y... sur le chemin dans la mesure où il serait embroussaillé, dès lors que cette convention, qui apparaît être une convention type se doit dans un secteur de campagne de prévoir la possibilité de rencontre d'obstacles liés à la végétation et leur suppression.
Là encore le moyen est inopérant.
Il sera enfin observé que l'absence de débroussaillage du chemin constitue en fait un moyen qui démontre que les consorts Y... n'ont jamais occupé ce chemin. Ils reconnaissent en effet que les parcelles qu'ils possèdent de part et d'autre sont cultivées. Dès lors q'ils s'étaient considéré propriétaires il est légitime de penser qu'ils auraient cultivé ce chemin ou pour le moins favoriser le passage entre leurs parcelles, ce qu'ils n'ont pas fait.
Il sera ajouté que les photos aériennes ne démontrent pas l'inexistence du chemin, ce dernier apparaissant sous la végétation.
De l'ensemble de ce qui précède il convient de conclure que les consorts Y... n'ont pas prescrit la propriété du chemin rural propriété de la commune de CURAN jouxtant les parcelles 66 et 141 appartenant aux intimés pour n'avoir nullement démontré que les critères de la possession acquisitive étaient réunis.
Le jugement sera réformé en toutes ses dispositions, les consorts Y... étant déboutés de leur revendication et condamnés sous astreinte à laisser le libre passage du chemin litigieux.
La Commune ne rapporte aucun élément relatif au préjudice qu'elle aurait subi du fait de la résistance des consorts Y... de telle sorte qu'il ne peut être fait droit à sa demande à titre de dommages et intérêts.
Il est par contre équitable de faire droit à sa demande par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
EN LA FORME :
Déclare l'appel recevable,
AU FOND :
Réformant la décision déférée en toutes ses dispositions,
Dit que la Commune de CURAN est propriétaire de la partie du chemin reliant TREBONS à SALLELES située aux droits des parcelles cadastrées sur cette commune section D no 66 et 141 et appartenant à Paul Y...,
Rejette en conséquence la revendication par Paul Y... Paul de la propriété de cette partie du chemin par prescription,
Condamne Paul et Didier Y... à enlever tout obstacle interdisant les accès ou l'usage de la partie de chemin précitée sous astreinte de 300 euros par jour de retard courant dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt,
Déboute la Commune de CURAN de sa demande à titre de dommages et intérêts,
Condamne Paul et Didier Y... à payer la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne Paul et Didier Y... aux dépens dont distraction au profit de la SCP ARGELLIES, Avoué, par application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.