SD/ PDGCOUR D'APPEL DE MONTPELLIER 4o chambre sociale
ARRÊT DU 20 Octobre 2010
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/ 08880
ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 DECEMBRE 2009 CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE MONTPELLIER No RGF 08/ 557
APPELANTE :
SAS COMPTOIR ELECTRIQUE DE FRANCE prise en la personne de son représentant légal M. FAULCONNIER, Directeur Régional 385, rue du Grand Gigognan ZI Courtine 84000 AVIGNON Représentant : Me GAUTIER de la SELAFA CAPSTAN RHONE ALPES (avocats au barreau de LYON)
INTIME :
Monsieur Jean-Marc Y...... 34400 SAINT CHRISTOL Représentant : Me ISSERT de la SELARL FIDAL (MONTPELLIER) (avocats au barreau de MONTPELLIER)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 945-1 du Code de Procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 SEPTEMBRE 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Richard BOUGON, Conseiller et Monsieur Philippe DE GUARDIA, Vice-Président placé, chargés d'instruire l'affaire, Monsieur Richard BOUGON, Conseiller ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Pierre D'HERVE, Président de Chambre Monsieur Richard BOUGON, Conseiller Monsieur Philippe DE GUARDIA, Vice-Président placé
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sylvie DAHURON
ARRÊT :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;
- signé par Monsieur Pierre D'HERVE, Président de Chambre, et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Jean-Marc Y... a été engagé par la S. A., devenue la S. A. S. COMPTOIR ELECTRIQUE FRANÇAIS à compter du 2 janvier 1989. Il exerçait en dernier lieu la fonction de directeur d'agence, avec un salaire moyen brut de 7. 490, 91 € en 2007. Le 8 janvier 2008, il était convoqué en vue d'un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave, fixé au 16 janvier suivant, et mis à pied simultanément à titre conservatoire. Ce courrier a été annulé par lettre du 9 janvier 2008. Le 18 janvier 2008, il était à nouveau convoqué à un entretien préalable au licenciement puis, encore, le 23 janvier 2008, avec mise à pied conservatoire. Il a été licencié par lettre du 11 février 2008 pour les motifs suivants, qualifiés de faute grave : " La direction a constaté des anomalies graves qui révèlent que vous avez profité de votre qualité de directeur d'agence pour faire prendre en charge par la société des opérations sans lien avec notre activité, effectuées dans votre intérêt personnel... En outre, il ressort de notre analyse que vous avez augmenté de manière virtuelle le stock, ce qui a pu participer à masquer vos agissements... Vous avez également et en toute connaissance de cause violé nos règles élémentaires de fonctionnement... "
Estimant son licenciement injustifié, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier qui, par décision en date du 14 décembre 2009, a condamné la société COMPTOIR ELECTRIQUE FRANÇAIS au paiement des sommes de :- indemnité compensatrice de préavis : 22. 475, 73 €- congés payés sur préavis : 2. 247, 37 €- indemnité de licenciement : 50. 420, 55 €- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 90. 000, 00 €- article 700 du code de procédure civile : 900, 00 €, l'a condamnée à la remise d'un bulletin de paie et d'une attestation destinée au Pôle emploi rectifiés ainsi qu'au remboursement des indemnités de chômage perçues dans la limite d'un mois et a ordonné une expertise afin de déterminer le montant des primes dues.
La S. A. S. COMPTOIR ELECTRIQUE FRANÇAIS a régulièrement interjeté appel. Elle conclut à l'infirmation, au rejet des prétentions adverses et à l'octroi de la somme de 5. 000, 00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Jean-Marc Y... demande à la cour de confirmer le jugement sauf à lui allouer les sommes de :- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 179. 805, 84 €- dommages et intérêts pour préjudice moral : 44. 951, 46 €, avec intérêts au taux légal depuis la demande introductive d'instance,- article 700 du code de procédure civile : 5. 000, 00 €.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions déposées, oralement reprises.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I-SUR L'EPUISEMENT DU POUVOIR DISCIPLINAIRE :
Attendu que le salarié fait valoir que l'annulation des procédures engagées les 8 janvier puis 18 janvier 2008 aurait épuisé le pouvoir disciplinaire de l'employeur et enlèverait tout fondement à la notification ultérieure du licenciement ;
Attendu, cependant, que l'application de la règle non bis in idem selon laquelle un même fait ne peut donner lieu à deux sanctions suppose soit que l'employeur ait déjà prononcé une sanction disciplinaire, soit qu'il ait renoncé de manière claire et sans équivoque à en infliger une, ce qui ne résulte ni de la lettre de la S. A. S. COMPTOIR ELECTRIQUE FRANÇAIS du 9 janvier 2008, annulant le courrier de convocation à l'entretien préalable du 8 janvier 2008, ni du fait que la lettre du 18 janvier 2008 convoquant Jean-Marc Y... à un nouvel entretien préalable au licenciement soit restée sans conséquence, le salarié ayant ensuite reçu une troisième convocation datée du 23 janvier 2008 ;
II-SUR LA PRESCRIPTION DES FAITS FAUTIFS :
Attendu que, selon l'article L. 122-44, devenu l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ;
Attendu que la S. A. S. COMPTOIR ELECTRIQUE FRANÇAIS produit l'attestation de Monsieur B..., responsable des achats, selon laquelle " le 23 novembre 2007, en présence de ses collaborateurs, il a alerté Monsieur C..., directeur régional, des pratiques frauduleuses de Monsieur Y... " ; Qu'à la suite de ces révélations, elle a fait réaliser un inventaire intermédiaire, le 1er décembre 2007, afin d'établir l'existence des manquements reprochés au salarié, en sorte qu'elle n'avait pas eu connaissance de ces faits plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement par lettre du 8 janvier 2008 ;
Attendu que le moyen tiré de la prescription n'est pas fondé ;
III-SUR LES MANQUEMENTS REPROCHES :
Attendu que c'est à l'employeur et à lui seul d'apporter la preuve de la faute grave invoquée par lui pour justifier le licenciement ;
Attendu que les pièces produites par l'employeur établissent que Jean-Marc Y... a, à plusieurs reprises, usé de ses fonctions de directeur d'agence pour faire jouer à la société COMPTOIR ELECTRIQUE FRANÇAIS le rôle d'intermédiaire dans des opérations frauduleuses visant à permettre à certains de ses clients d'acquérir pour leur usage personnel des biens sans rapport avec son activité de commerce de gros de matériel électrique ; qu'à cet effet, il lui a fait facturer divers biens, notamment trois quads, des dalles de teck, des grilles d'acier et du matériel d'arrosage, sous de fausses appellations, ce qui permettait à la fois d'échapper au contrôle de comptabilité mis en place puis de les revendre à ses clients, sous la même appellation fiscalement déductible ; Que, bien que n'ignorant pas qu'elle n'en était pas la destinataire, il a fait facturer deux quads à la société GALERIES LAFAYETTE sous la fausse appellation de " sources lumineuses " ; Qu'il est également attesté par Messieurs B..., D..., E... et F... qu'un des quads était resté emballé et qu'il l'a fait livrer à son domicile pour l'offrir à son fils comme cadeau de Noël ;
Attendu qu'il importe peu que la société ait pu ou non réaliser " sur ces opérations une marge confortable " ; Qu'il n'est pas davantage démontré qu'elles auraient été effectuées " sous les directives de Monsieur C... ", directeur régional ou avec son accord ; qu'en effet, ni la demande d'accord préalable du 14 novembre 2003, qui fait état de " promotion éclairage ", ni l'attestation de Monsieur G..., se bornant à relater ce que lui avait indiqué Jean-Marc Y..., ne suffisent à rapporter une telle preuve ; Qu'au demeurant, à supposer établi, le fait que son supérieur hiérarchique se livre à des manoeuvres douteuses n'autoriserait pas le salarié, tenu d'exécuter son contrat de travail de bonne foi, à couvrir ces agissements et à agir de même ;
Attendu que, dans sa lettre du 1er février 2008, Jean-Marc Y... a reconnu avoir consenti indûment des contreparties à Monsieur H..., gérant de la société ROBERT ET PY, pour son " usage personnel ", en l'espèce, des dalles, des caniveaux, du matériel d'arrosage et un coffret de piscine ; Qu'il est donc malvenu de prétendre désormais qu'il s'agissait de " matériel pour finir des chantiers ", sachant que ces marchandises n'ont aucun lien avec l'activité d'installateur électrique de la société ROBERT ET PY ;
Attendu que, non sans une certaine audace, Jean-Marc Y... admet également, voire revendique, avoir bénéficié personnellement de lames de teck et d'huile de protection, d'un montant de 3. 866, 65 €, payés par la S. A. S. COMPTOIR ELECTRIQUE FRANÇAIS et qu'il a reçu " en cadeau " ; Qu'il soutient sans en apporter la preuve qu'il lui était demandé " d'accepter des cadeaux pour mieux avoir son emprise sur l'acheteur des GALERIES LAFAYETTE " et " l'arroser " (sic) (p. 23) ; qu'il n'hésite pas à décrire les facturations des " produits fictifs, car non livrés " qu'il faisait lui-même effectuer (p. 24, 25) ;
Attendu qu'ensuite, l'avenant au contrat de travail signé entre parties les 2 janvier et 30 janvier 2002 précise que le chef d'agence " s'assure de la cohérence de la gestion des stocks de l'agence " ; Qu'il résulte des attestations de Messieurs B..., D..., I... et A..., dont la circonstance qu'ils soient salariés de la société n'autorise pas à présumer leur caractère servile ou mensonger, que Jean-Marc Y... " falsifiait le compte rendu final ", faisait " compter du matériel alors qu'il avait été débité au client avant l'inventaire ", leur demandait " d'augmenter fictivement le stock afin de falsifier la marge réelle réalisée " ou leur demandait de " comptabiliser dans les résultats des articles qui n'étaient pas en stock " ;
Attendu qu'enfin, il est attesté par Monsieur J... que, contrevenant aux règles de comptabilité de l'entreprise, Jean-Marc Y... a reçu en espèces le paiement d'une facture de 300, 03 €, étant observé que celui-ci n'avait aucune raison d'éditer un avoir pour une vente réalisée et dont le matériel n'avait pas été retourné par l'acheteur ;
Attendu qu'il résulte de ces tous ces éléments que le comportement de Jean-Marc Y..., d'autant plus inadmissible qu'il s'agit d'un directeur d'agence doté de la confiance de son employeur, a rendu impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et constitue une faute grave ;
Attendu que ses demandes à titre d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent donc être rejetées ;
Attendu que ne démontrant pas l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, justifiée par une faute grave, le salarié doit également être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
IV-SUR LES PRIMES RECLAMEES :
Attendu que le droit au paiement prorata temporis d'une somme dite prime sur le bénéfice ou prime de rotation du stock à un membre du personnel ayant quitté l'entreprise, quel qu'en soit le motif, avant la date de son versement ne peut résulter que d'une convention ou d'un usage dont il appartient au salarié de rapporter la preuve ;
Attendu qu'à défaut pour Jean-Marc Y... d'apporter une telle démonstration, il y a lieu de le débouter de sa demande d'expertise chargée de chiffrer le montant de ces primes ;
* * *
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirmant le jugement et statuant à nouveau,
Déboute Jean-Marc Y... de ses demandes ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne Jean-Marc Y... aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président