BR/YR COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 4o chambre sociale
ARRÊT DU 26 Octobre 2011
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/07255
ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 JUILLET 2010 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER No RG09/01245
APPELANT :
Monsieur Fabrice X... ... 34170 CASTELNAU LE LEZ Représentant : Me Frédéric MORA (avocat au barreau de MONTPELLIER)
INTIMEE :
SA LEVI STRAUSS CONTINANTAL prise en la personne de son représentant légal 13 avenue Morane Saulnier Immeuble SANTOS DUMONT 78141 VELIZY VILLACOUBLAY CEDEX Représentant : Me TROMAS Valérie substituant la SCP LMT Avocats (avocats au barreau de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 SEPTEMBRE 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre Madame Gisèle BRESDIN, Conseiller Madame Mireille VALLEIX, Vice-Présidente Placée
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Brigitte ROGER ARRÊT :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;
- signé par Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre, et par Mme Brigitte ROGER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
M. Fabrice X... travaillait au service de la société Levi Strauss continentale SA (la société) à compter du 19 janvier 1996, initialement en qualité de VRP puis, après signature d'un avenant au contrat de travail en date du 2 juin 1999, en qualité de délégué commercial coefficient 325 moyennant une rémunération annuelle de « 280 000 F(42 685,72 € ) sur 13 mois pour 169 heures mensuelles plus primes».
Il exerçait en dernier lieu depuis le 1er novembre 2003 les fonctions de «délégué commercial chef de section, statut cadre, coefficient 350 » et percevait une rémunération mensuelle moyenne brute de 5881,77 € au cours des 12 derniers mois, 13e mois inclus.
À la suite de négociations entamées en janvier 2008,était signé dans l'entreprise un « Avenant de révision à l'accord du 22 mai 2001 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail (accord autonome du 27 novembre 2008) » dont l'objectif annoncé était de " Rafraîchir l'organisation de la durée du travail en vigueur au sein de l'entreprise de manière à l'adapter aux évolutions des méthodes de travail, nées notamment du développement des nouvelles technologies, et à mettre en pratique les avancées apportées par la législation intervenue en la matière".
Ce document, applicable à l'ensemble des salariés de l'entreprise à l'exception des cadres dirigeants, distingue deux catégories de personnel selon le poste occupé auxquelles s'appliquent deux régimes différents de calcul du temps de travail :
d'une part les « cadres autonomes » dont la durée quotidienne de travail ne peut être prédéterminée ou contrôlée du fait du degré d'autonomie dont ils bénéficient dans l'organisation de leur temps de travail et "qui sont appelés à conclure des conventions de forfait annuel en jours"; d'autre part les « autres salariées » dont le temps de travail s'établit à 35 heures hebdomadaires ou 35 heures en moyenne sur l'année avec l'attribution de jours RTT sur l'année selon la date d'embauche.
M. X... relevant de la catégorie des "cadres autonomes" se voyait proposer le 17 décembre 2008 un avenant à son contrat travail.
En l'absence de renvoi dans le délai de cet avenant signé, à l'instar de cinq autres salariés de la société sur une soixantaine concernés, la société lui indiquait par courrier du 7 janvier 2009 que, ressortissant de ce fait de la catégorie des « autres salariés » il lui appartenait de déclarer son horaire hebdomadaire de travail tout en lui rappelant qu'en application des dispositions de l'article 6-4 de l'accord du 27 novembre 2008 " la réalisation d'heures supplémentaires ne peut s'inscrire que dans le cadre d'un projet particulier identifié en comité de direction comme l'autorisant".
M. X... ayant expressément refusé par courrier du 29 janvier 2009 de déférer à cette demande, la société lui faisait savoir le 30 janvier 2009 que faute d'avoir trouvé un consensus et à titre provisoire dans l'attente de la fixation d'un horaire collectif après consultation des représentants du personnel, son horaire hebdomadaire serait le suivant : « de 9h00 à 18h00 avec 1h de pause déjeuner du lundi au jeudi, et de 9h00 à 17h00 avec 1h de pause déjeuner le vendredi ».
Le salarié persistant à adresser à la société des relevés horaires sans rapport avec celui fixé, cette dernière lui notifiait dans un premier temps le 6 mars 2009 une mise à pied disciplinaire de trois jours du 16 au 18 mars 2009 puis le convoquait dans un second temps le 20 avril à un entretien préalable fixé au 29 avril en lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire et le licenciait par lettre recommandée avec AR du 5 mai 2009 rédigée en ces termes :
".../... Nous sommes amenés à procéder à votre licenciement pour faute grave au motif suivant :
Refus persistant de vous conformer aux dispositions vous étant applicable de l'accord d'entreprise du 27 novembre 2008 sur la durée du travail et à nos instructions consécutives, emportant violation délibérée de l'horaire hebdomadaire de travail qui vous a été fixé et non respect du planning des jours RTT (...)
La société ne peut tolérer la déclaration d'horaires dépassant les limites hebdomadaire légales sans s'exposer à voir sa responsabilité civile et même pénale recherchée.
La poursuite de votre collaboration dans de telles conditions d'insubordination s'avère donc impossible, y compris pendant la durée du préavis.../...".
Estimant cette rupture abusive M. X... saisissait le conseil de prud'hommes de Montpellier qui, par jugement rendu le 26 juillet 2010, le déboutait de toutes ses demandes.
Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 2 septembre 2010, M. X... interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 18 août 2010.
Il conclut à son infirmation et demande à la cour de juger qu'il a accompli tout au long de la relation contractuelle des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées, que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, que la sanction disciplinaire est nulle et de condamner la société à lui payer :
• 132 909 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; • 15 820 € d'indemnité de licenciement ; • 18 987 €d'indemnité compensatrice de préavis ; • 1898 € de congés payés sur préavis ; • 2164 €de rappel de salaires pendant la période de mise pied conservatoire ; • 216 € au titre des congés payés correspondants ; • 10 000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral du fait de l'attitude vexatoire de l'employeur ; • 487 € de rappel de salaires pendant la période de mise à pied de trois jours ; • 48 € au titre des congés payés correspondants ; • 78 496 € de rappel d'heures supplémentaires ; • 7849 € de congés payés correspondants ; • 19 581 € de dommages-intérêts pour repos compensateurs non pris (demande figurant dans les motifs mais non dans le dispositif des conclusions écrites) ; • 43 340 € de dommages-intérêts pour travail dissimulé ; • 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il demande en outre la remise sous astreinte des documents sociaux et bulletins de salaire rectifiés.
Il fait valoir en substance à l'appui de ses demandes que :
- comme il en justifie, il a toujours réalisé des heures supplémentaires pour pouvoir remplir les objectifs qui lui étaient assignés, en pleine connaissance de cause de la société ; -en effet il était tenu dans le cadre de son activité d'« account manager » de suivre le calendrier commercial imposé par la société et notamment les périodes « prébook » et « hors prébook » outre les formations et la gestion d'un portefeuille client, soit une activité continue qui ne pouvait pas être réalisée en 39 heures hebdomadaires ; - l'accord d'entreprise du 27 novembre 2008, qui ne vise qu'à permettre à la société d'échapper à ses responsabilités en matière d'heures supplémentaires, ne lui permettait plus de réaliser ses objectifs et entraînait donc une modification substantielle de son contrat de travail qui ne pouvait lui être imposé ; - il ne pouvait pas réduire son horaire de travail et faire des déclarations hebdomadaires à 39 heures puisque cet horaire ne correspondait pas à son temps de travail effectif et ne tenait pas compte des dépassements horaires que lui imposait son activité ; - il n'a donc commis aucune faute en refusant de signer un avenant qui lui imposait un horaire de travail en contradiction avec les objectifs et le contenu même de ses fonctions qui n'avait été ni modifiées ni aménagées de telle sorte que la pression liée à l'activité était identique ou pire.
La société conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré et à la condamnation de l'appelant à lui payer 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient en substance que :
- sur les heures supplémentaires prétendues :
pour la période antérieure au 1er janvier 2009 M. X... organisait son temps de travail en toute autonomie et elle n'a jamais été informé de dépassements de la durée légale du travail ni a fortiori donné son accord à de tels dépassement de la durée légale, les éléments produits a posteriori et pour les besoins de la cause apparaissant au surplus incohérents et dénués de pertinence ; pour la période postérieure au 1er janvier 2009, elle a expressément et systématiquement refusé que l'appelant accomplissent des heures supplémentaires ; à titre infiniment subsidiaire, elle ne s'est jamais prêtée à du travail dissimulé en l'absence d'une quelconque volonté de sa part de dissimuler une situation dont elle ignorait tout jusqu'à fin 2008 et à laquelle elle s'est ensuite expressément opposée ;
- sur le licenciement :
faute d'avoir signé l'avenant portant convention de forfait en jours qui lui était proposé, M. X..., bien que cadre autonome, était soumis aux dispositions de l'article 6 de l'accord autonome du 27 novembre 2008 prévoyant une durée moyenne hebdomadaire du travail de 35 heures en moyenne sur l'année ; M. X... a systématiquement et délibérément refusé de se conformer aux dispositions de cet accord et aux directives concernant son temps de travail qui lui ont été données en application de ce texte ; en agissant ainsi il s'est placé en situation d'insubordination caractérisée, justifiant dans un premier temps sa mise à pied disciplinaire puis, dans un second temps son licenciement pour faute grave précédée d'une mise à pied conservatoire, alors même que le régime des horaires individualisés résultant de l'accord du 27 novembre 2008 n'a aucune incidence sur le contrat de travail lui-même.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions écrites auxquelles elles se sont expressément rapportées lors des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les heures supplémentaires.
En application de l'article L3121-1 du code du travail " la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la dispositions de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles".
L'organisation du travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur, seules les heures supplémentaires effectuées à sa demande ou à tout le moins avec son accord implicite ouvrent droit à rémunération.
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié au regard notamment des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du dit code.
Sur la période antérieure au 1er janvier 2009.
Pour justifier son horaire de travail effectif et les dépassements allégués, l'appelant verse aux débats la photocopie des calendriers des années 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008 avec mention en regard de chaque jour ouvrable d'un chiffre dont il faut comprendre qu'il représente la durée du travail journalier, celle-ci faisant l'objet d'un total hebdomadaire, sans aucune indication ni sur les heures d'arrivée et de départ, ni sur l' activité correspondante.
Si le salarié produit 10 attestations pour corroborer ses dires, force est de constater que six d'entre elles ne concernent pas cette période et que les quatre autres ne comportent aucune indication sur la durée du travail mais se contente de souligner son professionnalisme et sa disponibilité.
Quant aux états hebdomadaires de frais et aux justificatifs produits sur les formations dispensées par M. X..., ils ne corroborent pas les indications horaires portées sur les calendriers en ce qu'ils établissent qu'il s'agissait d'événements peu fréquents insusceptibles en eux-mêmes de justifier des dépassements quotidiens de la durée légale du travail.
Il s'en déduit que ces indications établies a posteriori en une fois et non au fur et à mesure ne sont pas suffisamment précises quant aux horaires allégués pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments, d'autant que le salarié n'a cessé de revendiquer la plus complète autonomie dans la fixation de ses horaires de travail et dans l'organisation de son activité professionnelle.
Ce chef de demande doit être rejeté.
Sur la période postérieure au 1er janvier 2009.
Il n'est pas contestable que l'employeur a toujours refusé de valider les emplois du temps que lui présentait M. X... car le temps de travail excédait 39 heures hebdomadaires.
Le seul fait que son "manager" ait accepté à une occasion de fixer un rendez-vous à 8h00 à l'occasion d'un déplacement à Aix-en -provence, alors que l'horaire fixé débutait à 8h30, est en lui-même insusceptible de contredire ce désaccord exprès, écrit et réitéré.
L'intéressé ne peut donc réclamer le paiement d'heures supplémentaires à l'accomplissement desquelles l'employeur s'est expressément opposé.
Ce chef de demande doit être rejeté.
Ce double rejet entraîne nécessairement celui de la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Sur les sanctions disciplinaires.
La faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur et à lui seul, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits qui constituent une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, y compris pendant la durée limitée du préavis.
Il est constant que M. X..., qui relevait du dispositif prévu par l'accord d'entreprise du 27 novembre 2008 pour les « cadres autonomes », a refusé d'adhérer à ce dispositif comme à celui prévu pour les « autres salariés » et revendiqué de pouvoir fixer librement ses horaires de travail sans adhérer à une convention de forfait annuel en jours ni adapter la durée de son travail à 35 h hebdomadaire sauf demande d'heures supplémentaires soumise à autorisation expresse.
Il n'est pas sérieusement discutable que ce faisant, l'intéressé s'est systématiquement et délibérément opposé à la direction, remettant en cause par son comportement individuel un accord collectif dont il n'a jamais contesté par ailleurs qu'il s'appliquait à lui comme aux autres salariés de l'entreprise.
Le motif tiré de la nécessité de travailler plus que la durée légale du travail pour pouvoir assurer les objectifs qui lui étaient fixés manque de pertinence dans la mesure où l'organisation du travail ressortit du pouvoir de direction du chef d'entreprise, sauf à porter le débat sur la cohérence entre les objectifs prévus et l'horaire imposé s'il l'estimait nécessaire.
En toute hypothèse il n'établit pas et n'offre pas de prouver que la mise en place des dispositifs prévus par l'accord du 27 novembre 2008 sur la durée du travail selon le poste occupé avait une incidence sur le montant de sa rémunération et constituait donc une modification de son contrat de travail.
Il se déduit de ces éléments que l'insubordination relevée pour motiver tant la sanction disciplinaire que le licenciement est caractérisée et qu'elle constitue bien une faute justifiant d'une part la mise à pied disciplinaire, d'autre part la rupture du contrat de travail en regard de la réitération du comportement fautif.
Pour autant il n'est pas discuté que M. X... a continué à travailler de façon satisfaisante jusqu'à la notification de sa mise à pied à titre conservatoire et que son comportement n'interdisait pas son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans que cela remette en cause la décision prise par l'employeur de refuser de régler les heures supplémentaires.
Compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise (13 ans) et sur la base d'une rémunération mensuelle moyenne brute de 5881,77 €, l'appelant est en droit de prétendre à :
• 17 645,31 € d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois) outre 1764,53 € au titre des congés payés, en brut ;
• 20 586,19 € d'indemnité conventionnelle de licenciement, en net ;
• 3 480 € de rappel de salaires pendant la période de mise à pied conservatoire, y compris l'incidence des congés payés, en brut ;
En revanche les demandes en dommages-intérêts doivent être rejetées, y compris en ce qu'elle se rapporte aux conditions vexatoires de la rupture qui ne sont nullement établies ni même caractérisées dans la demande.
PAR CES MOTIFS
La cour ;
Infirme le jugement rendu par la section encadrement du conseil de prud'hommes de Montpellier le 26 juillet 2010 en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une faute grave ;
Et statuant à nouveau dans cette limite ;
Dit que le licenciement a une cause réelle et sérieuse et que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'une faute grave ;
Condamne la société Lévi Strauss continental SA à payer à M. Fabrice X..., outre les intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2009, date de réception de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation valant demande en justice :
• 17 645,31 € d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois) outre 1764,53 € au titre des congés payés, en brut ;
• 20 586,19 € d'indemnité conventionnelle de licenciement, en net ;
• 3 480 € de rappel de salaires pendant la période de mise à pied conservatoire, y compris l'incidence des congés payés, en brut ;
Ordonne à la société de remettre au salarié le certificat travail rectifié ainsi que les bulletins de salaire correspondant à la période de préavis ;
Le confirme pour le surplus ;
Condamne la société intimée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à l'appelant 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT