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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1ère Chambre A
ARRET DU 04 JUILLET 2019
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03632 - N° Portalis DBVK-V-B7C-NXYE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 NOVEMBRE 2015
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'[Localité 1]
N° RG 15/00301
DEMANDEURS A LA SAISINE ET APPELANTS :
Madame [M] [P] [J] épouse [S]
née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 2] (30410)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représentée par Me Jean Noël SARRAZIN de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
et assisté de Me Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
Madame [Y] [T] [J] veuve [X]
née le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 2] (30410)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Représentée par Me Jean Noël SARRAZIN de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
et assisté de Me Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
Monsieur [V] [O] [I] [J]
né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 2] (30410)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 6]
Représentée par Me Jean Noël SARRAZIN de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
et assisté de Me Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
Monsieur [D] [N] [P]
né le [Date naissance 4] 1967 à [Localité 1] ([Localité 1])
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Adresse 8]
Représentée par Me Jean Noël SARRAZIN de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
et assisté de Me Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
DEFENDERESSES A LA SAISINE ET INTIMEES :
Madame [B] [T] veuve [J]
née le [Date naissance 5] 1932 à [Localité 2] (30410)
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Adresse 10]
Représentée par Me Emily APOLLIS de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assistée de Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
ASSOCIATION TUTELAIRE DE GESTION représentant :
- Mlle [Z] [P], née le [Date naissance 6] à [Localité 1] ([Localité 1])
- Mlle [E] [P] née le [Date naissance 7] 2010 à [Localité 3] ([Localité 4]),
selon ordonnance de désignation d'un administrateur ad hoc rendue par le Juge des Tutelles près le du tribunal de grande Instance d'[Localité 1] en date du 28 février 2013 ;
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité
[Adresse 11]
[Localité 5]
Représentée par Me Alice LASTRA DE NATIAS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assisté de Me Marjorie ETIENNE, avocat au barreau de MONTPELLIER,
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/002607 du 27/03/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 10 Avril 2019
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le Mercredi 17 Avril 2019,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Brigitte DEVILLE, Conseiller, faisant fonction de Président, chargé du rapport, et Monsieur Thierry CARLIER, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Caroline CHICLET, Conseiller, faisant fonction de Président
Madame Brigitte DEVILLE, Conseiller
Monsieur Thierry CARLIER, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Marie-José TEYSSIER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
- signé par Madame Brigitte DEVILLE, Conseiller, faisant fonction de Président, le Président étant empêché et par Madame Nadine CAGNOLATI , Greffier
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FAITS ET PROCEDURE
[A] [J] est décédé le [Date décès 1] 2002 laissant pour lui succéder sa seconde épouse [B] [T], ses trois enfants [M], [Y] et [V], son petit-fils [D] [P] venant représentation de [U] pré décédée et ses arrière-petites-filles [Z] et [E] [P].
Les descendants d'[A] [J], ci-après désignés les consorts [J], ont fait valoir que [B] [T] avait prélevé sur le compte commun des époux, pour son usage personnel, des sommes dont il devait être tenu compte dans la succession.
Par jugement du 19 novembre 2003, confirmé par arrêt de la cour d'appel de [Localité 3] du 14 février 2006, les consorts [J] ont été déboutés de leur demande au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve que les retraits avaient été effectués par Madame [T] seule et qu'ils auraient excédé les charges courantes d'entretien du ménage.
Par exploit du 5 juillet 2008 Madame [T] a assigné les consorts [J] devant le tribunal de grande instance d'Alès pour voir ordonner le partage et la liquidation de la succession d'[A] [J].
Par jugement du 27 mars 2009 ce tribunal a ordonné l'ouverture du partage judiciaire et a ordonné une mesure d'expertise.
Un procès-verbal de difficultés a été dressé par le notaire liquidateur, Madame [T] s'opposant à l'intégration dans la masse partageable d'une somme constituée par le montant d'une rente professionnelle servie au défunt depuis 1974 jusqu'à son décès.
Par exploits des 15 mai, 4 juin et 22 juillet 2013 [B] [T] a assigné les consorts [J] ainsi que l'association tutélaire de gestion en sa qualité d'administrateur ad hoc des enfants mineurs [Z] et [E] [P] afin que lui soit attribuer préférentiellement un immeuble indivis.
Les consorts [J] ont demandé au tribunal de dire que la rente maladie professionnelle versée par la sécurité sociale des mines à [A] [J] était un bien propre dont la communauté avait tiré profit et qui devait donc être reversée à la succession.
Par jugement du 24 novembre 2015 le tribunal de grande instance d'Alès a:
' rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et soulevée par Madame [T]
'dit que la rente maladie professionnelle silicose constitue un bien commun
' débouté les consorts [J] de leur demande visant à voir [B] [T] condamnée à rembourser à la succession en tout ou partie les sommes correspondant à la rente maladie professionnelle silicose
'homologué le projet de liquidation partage établi par Maître [L] le 10 octobre 2012 qui prévoit notamment l'attribution de l'immeuble situé commune de [Adresse 12]
'dit en tant que de besoin que lors des opérations de comptes, le notaire devra prendre en considération les dépens, dommages et intérêts et article 700 des procédures antérieures auxquels les défendeurs ont été condamnés
'dit que l'homologation du projet de liquidation partage sera publiée à l'initiative du notaire à la conservation des hypothèques
'débouté [B] [T] de sa demande d'indemnisation formée sur le fondement de l'article 1382 du code civil
'dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
'dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
'dit que les dépens seront pris en frais privilégiés de partage.
Sur appel des consorts [J], la cour d'appel de Nîmes, par arrêt du 16 mars 2017, a :
'infirmé le jugement déféré en ses dispositions ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée soulevée par Madame [T]
'déclaré irrecevables les demandes des consorts [J] tendant au remboursement à la succession par Madame [T] des sommes correspondant à la rente maladie professionnelle silicose
'confirmé le jugement déféré pour le surplus
'condamné les consorts [J] à payer à Madame [T] la somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi que les dépens de l'appel.
Sur pourvoi formé par les consorts [J] la Cour de cassation, par arrêt du 28 juin 2018, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes, a remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt au motif suivant : «alors que dans l'instance initiale la demande des consorts [J] avait pour objet de dire que le conjoint survivant devait récompense à la communauté du profit personnel qu'il avait tiré de celle-ci et que dans l'instance ultérieure leurs demandes avaient pour objet de dire que la communauté était redevable envers la succession d'une somme propre du défunt et de condamner corrélativement Madame [T] à verser à cette succession la moitié de cette somme», la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil en déclarant irrecevable la demande comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le jugement du 10 novembre 2003.
La cour d'appel de Montpellier a été régulièrement saisie le 12 juillet 2018 par les consorts [J].
Par ordonnance du 28 février 2009 le conseiller de la mise en état a prononcé l'irrecevabilité des conclusions remises le 31 janvier 2019 par l'association tutélaire de gestion représentant [Z] et [E] [P].
Vu les conclusions des consorts [J] remises au greffe le 9 octobre 2018,
Vu les conclusions de [B] [T] remises au greffe le 7 décembre 2018,
Vu l'ordonnance de clôture du 10 avril 2019,
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes des consorts [J]:
[B] [T] veuve [J], soulevant une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, conclut à l'irrecevabilité des demandes des consorts [J].
Dans la première instance ayant opposé les parties, les consorts [J] demandaient la restitution à la communauté par Madame [T] des sommes correspondant aux retraits qu'elle avait effectués sur le compte joint dans les 10 dernières années avant le décès de son époux.
Par jugement du 19 novembre 2003, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 14 février 2006 , ils avaient été déboutés de leur demande.
Dans la présente instance les consorts [J] demandent la restitution au profit de la succession par la communauté du montant de la rente silicose perçue par le défunt du 26 novembre 1974 jusqu'à son décès.
La Cour de cassation, par arrêt du 28 juin 2018, a dit que la cour d'appel de Nîmes, dans son arrêt du 16 mars 2017, avait violé l'article 1355 du code civil en déclarant irrecevable cette demande comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le jugement du 10 novembre 2003.
En effet il y a lieu de constater que l'instance initiale avait pour objet de dire que le conjoint survivant devait récompense à la communauté du profit personnel qu'il avait tiré de celle-ci mais que l'instance ultérieure a pour objet de dire que la communauté est redevable envers la succession d'une somme propre du défunt.
En conséquence le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'[Localité 1] le 24 novembre 2015 doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.
Madame [T] soutient également qu'il appartenait aux consorts [J] de présenter dès la première instance l'ensemble des moyens qu'ils estimaient de nature à la fonder.
Mais les consorts [J] ne présentent pas des moyens nouveaux à l'appui d'une demande tendant aux mêmes fins que la précédente déjà rejetée par arrêt de la cour d'appel de [Localité 3] en date du 14 février 2006. Ils formulent une demande nouvelle ayant un objet différent et sont donc recevables à agir.
Sur la nature de la rente silicose versée au défunt par la sécurité sociale des mines :
La sécurité sociale des mines a versé à [A] [J] la somme de 540 325,66 € pour la période du 26 novembre 1974 au jour de son décès, le [Date décès 1] 2002, au titre de « la rente maladie professionnelle silicose indemnisée à 100 % ».
Aux termes de l'article 1404 du code civil forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, notamment les créances et pensions incessibles et plus généralement tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
Ainsi ,s'il s'agit d'une indemnité compensatrice d'un préjudice personnel, corporel ou moral, l'indemnité constitue un propre par nature tandis que s'il s'agit d'une indemnité compensatrice de la perte de revenus consécutive à l'incapacité du bénéficiaire, elle constitue un substitut de salaire et donc un bien commun.
Le sort d'une indemnité dépend donc de la nature du dommage qu'elle a pour objet de réparer : bien propre si elle compense un état d'invalidité ou bien commun si elle équivaut à un revenu de remplacement.
En l'espèce [A] [J] a cessé son activité professionnelle le 30 juin 1962 et a perçu la rente silicose à compter de 1974 alors qu'il était retraité.
Cette rente n'a pas remplacé un revenu professionnel puisque le défunt, à partir de 1974, l'a perçue en même temps que sa retraite.
Un médecin pneumologue qui l'a examiné en 1962 après sa mise à la retraite le 1er juillet de cette même année, indique qu'il est très vite essoufflé ce qui rend difficiles de nombreuses activités quotidiennes.
Son état s'est aggravé et en 1974 la rente litigieuse lui a été attribuée en raison d'un taux d'incapacité permanente de 100 %.
Ainsi cette rente lui a été octroyée en raison d'une altération de sa capacité respiratoire dont les retentissements sur sa vie personnelle étaient majeurs.
Cette rente a toujours été perçue en même temps que le montant de sa retraite à laquelle elle ne s'est donc pas substituée.
Elle avait pour objet de réparer le dommage corporel de [A] [J] et constitue donc un propre par nature.
Le fait que Madame [T] perçoive, à titre de réversion, la moitié de cette rente silicose ne modifie pas sa nature de bien propre. En effet cette rente lui a été servie puisque son époux est décédé à la suite d'une maladie professionnelle « silicose » (pièce E9 du dossier de l'intimée) ayant provoqué son incapacité permanente.
Il convient donc de dire que la rente silicose versée à [A] [J] par la sécurité sociale des mines constitue un bien propre et que la communauté de biens ayant existé entre les époux [Y] est redevable envers la succession du montant de cette rente, soit la somme de 540 325,66 €.
Le jugement sera par conséquent infirmé de ce chef.
La cour ayant fait droit à la demande principale des consorts [J], il n'y a pas lieu de statuer sur leurs demandes subsidiaires.
La demande de Madame [T] en homologation du projet d'acte de partage et en attribution préférentielle de l'immeuble sis à [Adresse 10] sera écartée compte tenu de la somme dont la communauté de biens est redevable envers la succession.
Les parties doivent être renvoyées devant le notaire liquidateur afin que celui-ci dresse un acte de partage de la succession d'[A] [J] en tenant compte de la présente décision.
La demande de dommages et intérêts de Madame [T] en indemnisation d'un préjudice moral sera écartée et le jugement confirmé sur ce point dans la mesure où les appelants n'ont pas fait preuve de fautes ou de mauvaise foi en agissant à son encontre pour faire reconnaître leurs droits.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant sur renvoi de cassation , publiquement, contradictoirement et par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et en ce qu'il a débouté Madame [T] de sa demande d'indemnisation fondée sur l'article 1382 du code civil,
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Dit que la rente silicose versée par la sécurité sociale des mines constitue un bien propre d'[A] [J].
Dit que la communauté de biens ayant existé entre [A] [J] et [B] [T] est redevable envers la succession d'[A] [J] du montant de cette rente, soit la somme de 540 325,66 €.
Déboute Madame [T] de ses demandes d'homologation du projet d'acte de partage et d'attribution préférentielle de l'immeuble sis à [Adresse 10] .
Renvoie les parties devant le notaire liquidateur afin qu'il dresse l'acte de partage de la succession d'[A] [J] au regard de la présente décision.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties.
Fait masse des dépens de la procédure de l'arrêt cassé et de la présente procédure, les déclare frais privilégiés de partage et dit qu'ils seront recouvrés par les avocats de la cause conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
NC/ BD