N° RG 21/00016 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PEIG
Minute N° : 21/16
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre de l'expropriation
ARRET DU 16 SEPTEMBRE 2022
Débats du 17 Juin 2022
APPELANTS :
d'un jugement du juge de l'expropriation du département de [Localité 10] en date du 26 Juillet 2021
Monsieur [B] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Monsieur [L] [R]
[Adresse 2]
[Adresse 2] - ROYAUME-UNI
Madame [W] [R]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentés par la SCP SVA, avocats au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Charles BORKOWSKI, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE
Société VIATERRA société anonyme d'économie mixte dont le siège social est situé [Adresse 9], dû
ment représentée par son Président en exercice,
[Adresse 9]
[Adresse 9]
Représentée par Maître Jean-Pierre BROC, avocat au barreau de NARBONNE
EN PRESENCE DE :
Monsieur LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT
DDFIP DE [Localité 10]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Corinne SOUBEYRAN, inspectrice divisionnaire, déléguée par Monsieur le directeur département des finances publiques de [Localité 10], aux fonctions de commissaire du gouvernement,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame FERRANET, conseiller, faisant fonction de président, a entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame FERRANET, conseiller, faisant fonction de président de chambre,
Madame BOURDON, conseiller,
Madame ROCHETTE, conseiller,
GREFFIER :
Mme Sophie SPINELLA, greffier, lors des débats et du prononcé.
DEBATS :
A l'audience publique du 17 Juin 2022 où l'affaire a été mise en délibéré à l'audience publique du 16 Septembre 2022.
ARRET :
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Florence FERRANET, conseiller, faisant fonction de président de chambre et Sophie SPINELLA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Les parties ont été régulièrement convoquées par lettres recommandées avec accusés de réception.
Le président entendu en son rapport, les conseils des parties et le commissaire du gouvernement entendus en leurs observations,
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EXPOSE DU LITIGE :
Par arrêté préfectoral du 12 novembre 2009, modifié par arrêté du 15 décembre 2009, les opérations d'acquisitions foncières nécessaires à la réalisation d'une zone d'aménagement concerté (ZAC [Localité 11]) sur la commune de [Localité 5] étaient déclarées d'utilité publique, cette déclaration d'utilité publique était prorogée par arrêté du 14 octobre 2014.
L'enquête parcellaire était ouverte le 15 octobre 2018 et le 20 septembre 2019 le préfet de [Localité 10] déclarait cessibles pour cause d'utilité publique les biens compris dans le périmètre de l'opération au profit de l'aménageur, la société Viaterra.
Parmi les parcelles à exproprier figure la parcelle appartenant à [B], [L] et [W] [R] (indivision [R]), située sur la commune de [Localité 5] lieudit [Localité 11], cadastrée [Cadastre 7], d'une superficie de 22112 m², faisant l'objet d'une emprise totale.
Le 6 novembre 2019, l'ordonnance d'expropriation a été rendue.
Le 26 novembre 2020 la société Viaterra a saisi le juge de l'expropriation du département de [Localité 10] aux fins de fixation de l'indemnité judiciaire, faisant une offre de 7,5 € €/m².
Le transport sur les lieux, auquel la partie expropriée était représentée par son conseil, a eu lieu le 16 février 2021.
Par jugement rendu le 26 juillet 2021 le juge de l'expropriation a :
Fixé la date de référence 25 février 2008 ;
Alloué à l'indivision [R] pour l'expropriation de la parcelle située commune de [Localité 5] lieudit [Localité 11] cadastrée [Cadastre 7] une indemnité globale de dépossession de 195 586 € ;
Condamné la société Viaterra à payer à la partie expropriée la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
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L'indivision [R] a interjeté appel de ce jugement le 12 septembre 2021.
Dans son mémoire déposé au greffe le 30 novembre 2021 elle demande à la cour de réformer le jugement et de :
Retenir l'intention dolosive ;
Fixer le montant des indemnités de dépossession à la somme de 463 141 € ;
Condamner la société Viaterra à leur verser une somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- La date de référence doit être fixée au 25 novembre 2009 ;
- La parcelle est dans une situation privilégiée ;
- Dans l'hypothèse de la reconnaissance de l'intention dolosive il y a lieu de retenir une indemnité principale de dépossession d'un montant de 19 €/m² ;
- Si par extraordinaire l'intention dolosive était rejetée, elle produit des éléments de comparaison qui permettent de retenir la même valeur.
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Dans son mémoire déposé au greffe le 3 février 2022 la société Viaterra demande à la cour :
De fixer la date de référence au 25 février 2008 et à titre subsidiaire au 4 mai 2008 ;
D'écarter le moyen de l'intention dolosive ;
De fixer les indemnités dues à la somme de 183 324 € dont 165 840 € à titre d'indemnité principale ;
De condamner l'indivision appelante à leur verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- Il y a lieu de rejeter les termes de comparaison fournis par les appelants ;
- Il y a lieu de statuer en tenant compte des caractéristiques propres de la parcelle qui est située en dehors de la ZAC dans une zone OAU non constructible à la date de référence et désormais en zone A du plan local d'urbanisme ;
- La parcelle ne présente pas la qualification juridique de terrain à bâtir et aucun caractère privilégié.
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Le commissaire du gouvernement dans son mémoire déposé au greffe le 1er mars 2022 demande à la cour de fixer la date de référence au 25 février 2008, de dire que la parcelle ne peut être considérée comme un terrain à bâtir et qu'elle ne bénéficie pas d'une situation très privilégiée et de retenir une évaluation de la parcelle à 8 €/m².
MOTIFS :
Sur la date de référence :
La date de référence est la date à laquelle est appréhendé, soit l'usage effectif du bien s'il ne s'agit pas d'un terrain à bâtir au sens du code de l'expropriation, soit la constructibilité légale et effective de bien s'il s'agit d'un terrain à bâtir.
L'article L.322-2 du code de l'expropriation prévoit que sous réserve de l'application des dispositions des articles L.322-3 à L.322-6, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L.1 ou, dans le cas prévu à l'article L.122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique ....... ou, lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté mentionnée à l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme, à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d' au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.
Toutefois en application des dispositions de l'article L.213-6 du code de l'urbanisme, lorsque le bien est soumis au droit de préemption et fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique, la date de référence prévue à l'article L.322-2 du code de l'expropriation est celle prévue au a in fine l'article L.213-4 du code de l'urbanisme.
L'article L.213-4 du code de l'urbanisme prévoit que la date de référence prévue à l'article L.322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est pour les biens soumis au droit de préemption, non compris dans la zone d'aménagement différé, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
En l'espèce la parcelle en cause n'est pas située dans le périmètre d'une zone d'aménagement différé mais est située dans le périmètre où s'applique le droit de préemption urbain.
Les expropriées soutiennent que la délibération du 25 novembre 2009 a nettement modifié les caractéristiques de la réglementation du secteur AUO, toutefois il ressort de la lecture comparative des deux délibérations (25 février 2018 et 25 novembre 2019) d'une part qu'il n'y a pas eu de modification notable des caractéristiques de la zone AUO et d'autre part que le périmètre de la zone n'a pas été modifié.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu comme date de référence le 25 février 2008.
Sur la qualification de la parcelle :
La qualification de terrains à bâtir, au sens du code de l'expropriation, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L.1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :
1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune ;
2° Effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone.
Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l'article L. 322-2.
L'indivision [R] ne conteste pas que les conditions posées ci-dessus ne sont pas réunies, que par conséquent la parcelle ne peut être considérée comme un terrain à bâtir, mais soutient par contre qu'elle bénéficie d'une situation privilégiée dès lors qu'elle est desservie par la voie communale n° 11 dite chemin de Badonnes, qui accueille les réseaux électricité et télécom et se situe à 300 m d'une zone commerciale.
La société Viaterra soutient qu'il n'y a aucune situation privilégiée dès lors que la parcelle est très éloignée de la voie principale, non exploitée et à l'abandon, et est surplombée par une ligne électrique haute tension.
Il ressort des deux photographies annexées dans les conclusions de l'indivision [R] que la parcelle est effectivement desservie par un chemin, mais qu'elle est toutefois éloignée de la voie d'accès principale et de la zone commerciale. Elle bénéficie à proximité des réseaux électricité et Télécom. Il sera tenu compte de ces éléments pour le calcul de l'indemnité.
Sur l'indemnité de dépossession :
Sur l'intention dolosive :
L'article 322-2 du code de l'expropriation prévoit en son alinéa 3 qu'il est tenu compte pour l'estimation des biens des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.
L'indivision [R] soutient que la parcelle a été maintenue en zone AUO du PLU à la date de référence alors que les ouvrages qu'elle doit accueillir (bassin de rétention) figurent dans la déclaration d'utilité publique et dans le programme des équipements publics de la ZAC, qui est connu et arrêté depuis 10 ans, que par conséquent il y a lieu de considérer que la parcelle doit être considérée comme étant classées en zone AUz correspondant au zonage de l'opération d'aménagement.
Toutefois d'une part il n'est pas établi que la parcelle a été déclassée, et que c'est, soit la société Viaterra, soit la commune d'agglomération de [Localité 5], qui est à l'initiative de la création de la ZAC, qui sont donc intervenues pour obtenir une modification du PLU qui est de la compétence de la commune de Béziers.
En outre rien ne permet d'affirmer que la parcelle aurait dû être placée dans une zone ouverte à l'urbanisation eu égard à son caractère isolé et non équipé, tel qu'il a pu être constaté lors du transport sur les lieux qui a fait apparaître une exploitation agricole de la zone, ce qui permet de comprendre la logique de la collectivité publique de ne pas faire évoluer l'ensemble des parcelles en zonage de type AU ouvert.
Il n'est donc pas démontré d'intention dolosive.
Sur l 'évaluation :
La commissaire du gouvernement se référant à la méthode dite de comparaison, propose comme termes de comparaison des ventes de parcelles situées dans la ZAC [Localité 11] classées en zone AUz dans le fourchette basse, en raison de la proximité de ces parcelles avec la parcelle expropriée. Il ressort de son tableau une valeur médiane de 7,70 €/m² et une valeur arithmétique de 8,77 €/m².
Elle produit aussi les quatre termes de comparaison correspondant à des ventes de parcelles classées en zone OAU, dont deux très proches de la zone urbanisée, qui font ressortir un prix au m² médian de 8,75 €/m² et une moyenne arithmétique 8,87 €/m².
Faisant observer que la parcelle à évaluer est située dans un environnement plus rural et moins urbanisé que les parcelles classées en zone OAU, excepté la parcelle cadastrée [Cadastre 8] qui a été cédée au prix de 6,40 €/m² et qui est très comparable, elle propose de fixer le prix unitaire à 8€/m².
La société Viaterra propose 7,5 €/m² se basant sur 7 des éléments de comparaison retenus par la commissaire du gouvernement et deux autres actes authentiques du 4 novembre 2019 et du 19 décembre 2019, ainsi qu'un traité d'adhésion à ordonnance notarié du 24-25 mai 2021, faisant valoir que le prix de cession des parcelles situées à proximité immédiate de la parcelle [Cadastre 7] varie de 7,5 à 8 €/m², et que la parcelle [Cadastre 8] qui est très similaire à celle objet du présent litige a été évaluée le 24 mai 2021 à 6,4 €/m².
L'indivision [R] fait valoir qu'il y a lieu de retenir l'existence d'un marché captif monopolistique, car depuis le 18 novembre 2002 le secteur fait l'objet d'une zone d'aménagement différé, que par conséquent les biens visés par l'autorité expropriante ne sont pas négociables sur le marché libre, que d'ailleurs la seule vente réalisée sur le marché libre des terrains situés en zone AUO à proximité de la ZAC de [Localité 11] (vente [Localité 6]-domaine des Garigues) intervenue le 28 mars 2019 révèle un prix de 17 €/m².
Toutefois comme le fait observer la société Viaterra ce terrain était planté de vignes et exploité et ne peut donc être considéré comme un élément de comparaison identique.
En outre, même s'il est exact que la quasi-totalité des éléments de comparaison correspondent à des cessions au profit de l'aménageur, ces acquisitions ont été précédées de l'avis du service des domaines dont les évaluateurs sont des fonctionnaires de la direction générale des finances publiques soumis à des règles de déontologie et à une obligation de désintéressement et de discrétion professionnelle. L'avis ainsi donné porte sur la valeur vénale du bien constitué par le prix qui pourrait être retenu par le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel compte tenu de l'état dans lequel il se trouve avant la mutation et des clauses de l'acte de vente.
Les expropriées font valoir que les offres de l'expropriant ne reflètent pas la tension foncière sur le marché actuel des terrains à urbaniser sur [Localité 5], notamment depuis la révision du PLU le 6 avril 2021.
En l'état de l'ensemble de ces éléments, il convient de fixer la valeur de la parcelle à 9 €/m², l'indemnité de dépossession sera donc égale à la somme de :
22112 m² x 9 €/m² = 199 008 €, le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'indemnité de remploi :
L'indemnité sera calculée selon le barème proposé par Madame la commissaire du gouvernement non contesté et sera donc égale à la somme suivante :
0 à 5000 € x 20 % = 1 000 €
5001 à 15 000 € x 15 % = 1 500 €
15 001 à 199 008 € x 10 % = 18 400 €
Total := 20 900 €
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les autres demandes :
La société Viaterra qui succombe sera tenue aux dépens d'appel et condamnée en équité à verser à l'indivision [R] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour ;
Infirme le jugement rendu par le juge de l'expropriation de [Localité 10] le 16 juin 2021 en ce qu'il a alloué à l'indivision [R] pour l'expropriation de la parcelle située sur la commune de [Localité 5] lieudit [Localité 11] cadastrée section [Cadastre 7] une indemnité globale de dépossession de 195 586 € et le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
Fixe le montant de l'indemnité globale de dépossession due à l'indivision [R] pour l'expropriation de la parcelle située sur la commune de [Localité 5] lieudit [Localité 11] cadastrée section [Cadastre 7] à la somme de 219 908 € ;
Y ajoutant ;
Condamne la société Viaterra à verser à l'indivision [R] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Viaterra aux dépens d'appel.
Le greffier, Le président,