Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 04 OCTOBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/03170 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OUSQ
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 21 JUILLET 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2020j88
APPELANTES :
Madame Maître [X] [M] ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la société EL LLURIA, domicilié en cette qualité
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE - GIL, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES substitué par Me Ouiçal MOUFADIL, avocat au barreau de MONTPELLIER
S.A.S. EL LLURIA, immatriculée au RCS de PERPIGNAN, sous le numéro 830.261.004, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE - GIL, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES substitué par Me Ouiçal MOUFADIL, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [G] [T]
né le 27 Octobre 1993 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Assigné à étude le 15/9/2020
Ordonnance de clôture du 27 Mai 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 JUIN 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M.Jean-Luc PROUZAT, président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller
Mme Marianne ROCHETTE, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Hélène ALBESA
ARRET :
- rendu par défaut
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :
Par acte sous seing privé du 27 février 2019, [G] [T] a fait l'acquisition auprès de la SAS El Lluria d'un fonds de commerce de restauration, bar à huîtres, jambon et charcuterie, épicerie fine, vente de produits issus de l'agriculture biologique exploité à [Localité 5] (Pyrénées-Orientales) [Adresse 2], moyennant le prix de 145 000 euros, sous diverses conditions suspensives devant être réalisées au plus tard le 29 mars 2019 à savoir :
'obtention d'une note ou d'un certificat d'urbanisme ne révélant aucune servitude administrative faisant obstacle à la libre utilisation du fonds de commerce conformément à sa destination, ou susceptible d'en diminuer la valeur ;
'déclaration préalable de la cession du fonds de commerce à la mairie de la commune où se trouve le fonds cédé et obtention par cette dernière d'un courrier certifiant l'absence de droit de préemption au lieu dudit fonds, conformément à la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 ;
'obtention du greffier du tribunal de commerce d'un état certifiant que les inscriptions réelles grevant les biens cédés ne sont pas supérieures au prix de vente ou, dans le cas contraire, obtention des organismes créanciers bénéficiaires desdites inscriptions, d'attestations faisant apparaître que les soldes leur restant dus restent inférieurs audit prix, à la date de signature de l'acte définitif de vente ;
'que M. [T] soit en vie et ait la pleine capacité juridique et physique au jour de la cession.
Par courrier du 1er mars 2019, le maire de [Localité 5] a informé le conseil de la société El Lluria que la commune n'entendait pas exercer son droit de préemption du fonds de commerce et, à la même date, un certificat d'urbanisme a été délivré précisant les servitudes administratives grevant la parcelle AL [Cadastre 4] sur laquelle le local commercial est implanté (site patrimonial remarquable, zone de droit de préemption urbain renforcé, périmètre de sauvegarde du commerce et artisanat de proximité).
De même, par courrier du 5 mars 2019, la Banque populaire du Sud, bénéficiaire d'une inscription de privilège de nantissement sur le fonds, a consenti à la radiation de l'inscription, qui avait été prise en garantie d'un prêt de 132 000 euros désormais soldé.
Par jugement du 19 juin 2019, le tribunal de commerce de Perpignan a, sur l'assignation de l'URSSAF, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société El Lluria, Mme [M] étant désignée en qualité de liquidateur.
Par courrier recommandé du 11 septembre 2019, le liquidateur a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure M. [T] d'avoir à réitérer la vente dans le délai de 15 jours au plus tard, tenant la réalisation de l'ensemble des conditions suspensives, et de payer le prix convenu, soit la somme de 145 000 euros ; ce courrier a été retourné à son expéditeur revêtu de la mention « pli avisé et non réclamé ».
Postérieurement, le juge-commissaire en charge de la procédure collective a, par ordonnance du 15 octobre 2019, prescrit la vente de gré à gré du fonds de commerce au profit d'une SCI Bear Nomdedeu, au prix de 55 000 euros net vendeur.
Au motif que le refus de M. [T] de réitérer l'acte de vente du fonds de commerce n'était pas justifié et avait généré un préjudice de 90 000 euros, la société El Lluria et Mme [M] ès qualités ont, par exploit du 18 mars 2020, fait assigner celui-ci devant le tribunal de commerce de Perpignan en indemnisation de ce préjudice.
Le tribunal, par jugement réputé contradictoire en date du 21 juillet 2020, les a déboutés de leurs prétentions, après avoir considéré qu'il n'était pas établi que les troisième et quatrième conditions suspensives prévues dans l'acte du 27 février 2019 s'étaient réalisées le 29 mars 2019 au plus tard.
La société El Lluria et Mme [M] ès qualités ont régulièrement relevé appel, le 29 juillet 2020, de ce jugement.
Elle demande à la cour, dans leurs conclusions dites récapitulatives déposées le 4 octobre 2021 via le RPVA, de :
Vu les articles 1583, 1584, 1304, 1304-6, 1103, 1104, 1217, 1231-1 et 1231-2 du code civil,
(...)
'constater la réalisation des conditions suspensives à la date du 5 mars 2019 et le refus par M. [T] de régulariser l'acte définitif de cession du fonds,
'en conséquence, réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Perpignan en date du 20 juillet 2020 et ce faisant,
'constater la vente parfaite du fonds de commerce à la date du 5 mars 2019,
'condamner M. [T] au paiement d'une somme de 90 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant la différence entre le prix de cession contractuellement fixé et le prix de cession autorisé par le juge-commissaire,
'condamner M. [T] au paiement d'une somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leur appel, elles font valoir pour l'essentiel que l'ensemble des conditions suspensives prévues dans l'acte de cession était acquis dès le 5 mars 2019, de sorte que la vente était réputée parfaite à cette date, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, qu'en vertu de l'article 1304-6 du code civil, l'accomplissement des conditions suspensives a eu pour effet de rendre pure et simple l'obligation d'acquérir et qu'en refusant de réitérer l'acte de cession, M. [T] a engagé sa responsabilité contractuelle ; elles affirment que la Banque populaire du Sud était le seul créancier inscrit dont la créance était supérieure au prix de vente du fonds de commerce et que l'acquéreur était bien vivant à la date du 5 mars 2019, sa capacité devant être présumée.
M. [T] n'a pas comparu devant la cour, l'assignation contenant signification de la déclaration d'appel ayant été délivrée par acte du 15 septembre 2020 à domicile avec remise de la copie de l'acte en l'étude de l'huissier instrumentaire.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des appelantes, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 27 mai 2022.
MOTIFS de la DECISION :
Aux termes de l'article 1304-6 du code civil : « L'obligation devient pure et simple à compter de l'accomplissement de la condition suspensive ('). En cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé » ; l'article 1217 du même code énonce, par ailleurs, que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté ou l'a été imparfaitement peut notamment demander réparation des conséquences de l'inexécution et l'article 1231-2, que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.
En l'occurrence, l'acte du 27 février 2019 portant acquisition par M. [T] du fonds de commerce de la société El Lluria au prix de 145 000 euros, l'a été sous diverses conditions suspensives, rappelées plus haut, devant être réalisées au plus tard le 29 mars 2019, et il y est également précisé que l'acte de cession du fonds de commerce devra intervenir le 15 avril 2019 ; il résulte cependant des stipulations de l'acte que ce terme n'est pas extinctif et qu'il sera prorogé tacitement, sauf mise en demeure adressée par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, de régulariser l'acte définitif dans un délai de 30 jours à compter de la première présentation de cette lettre.
Ainsi, par lettre recommandée du 11 septembre 2019, Mme [M], en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société El Lluria, a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure M. [T] d'avoir à réitérer la vente au plus tard dans le délai de 15 jours à compter de la réception de la lettre et de lui payer le prix convenu de 145 000 euros, au motif qu'en raison de l'accomplissement des conditions suspensives, la cession du fonds de commerce est devenue parfaite et effective ; il est constant que cette lettre a été retournée à son expéditeur revêtu de la mention « pli avisé et non réclamée ».
Il appartient dès lors à la société El Lluria et à Mme [M] ès qualités, qui sollicitent le paiement de dommages et intérêts correspondant à la perte subie par la société cédante, soit la différence entre le prix de 145 000 euros convenu dans l'acte du 27 février 2019 et le prix de 55 000 euros finalement obtenu dans le cadre de la vente de gré à gré du fonds de commerce autorisée le 15 octobre 2019 par le juge-commissaire, d'établir qu'à la date du 29 mars 2019 l'ensemble des conditions suspensives s'était réalisé, rendant pure et simple l'obligation contractée par M. [T] d'acquérir le fonds de commerce.
Comme l'a justement retenu le premier juge, les deux premières conditions suspensives liées, d'une part, à l'obtention d'un certificat d'urbanisme ne révélant aucune servitude administrative de nature à faire obstacle à l'utilisation du fonds conformément à sa destination ou susceptible d'en diminuer la valeur et, d'autre part, à la renonciation par la commune à l'exercice de son droit de préemption sur le fonds de commerce, ont été accomplies à la date prévue, le certificat d'urbanisme « positif » ayant été délivré le 1er mars 2019 et à cette même date, le maire de [Localité 5] ayant informé le conseil de la société El Lluria de la décision de la commune de ne pas exercer son droit de préemption.
En cause d'appel, il est communiqué un état des inscriptions sur le fonds de commerce, établi le 26 mars 2019 par le greffier du tribunal de commerce de Perpignan, mentionnant l'inscription du privilège de nantissement sur fonds de commerce de la Banque populaire du Sud pour un montant garanti de 158 400 euros (correspondant à un prêt consenti par acte sous seing privé du 5 juillet 2017) et l'inscription du privilège général de la sécurité sociale et des régimes complémentaires de l'organisme Malakoff Médéric pour un montant garanti de 3058,77 euros, le montant total des inscriptions étant donc supérieur au prix de cession du fonds de commerce ; il apparaît dès lors, en dépit du courrier du 5 mars 2019 par lequel la Banque populaire du Sud a donné son accord à la radiation de la garantie, qu'à la date du 26 mars 2019, l'inscription du privilège de nantissement de la banque était toujours effective et rien n'indique que sa radiation soit intervenue pour le 29 mars 2019 au plus tard.
S'agissant de la condition suspensive d'être en vie, les appelantes communiquent un avis à victime délivrée le 12 novembre 2020 à M. [I] (l'ancien gérant de la société El Lluria), sur les poursuites engagées devant le tribunal correctionnel de Perpignan à l'encontre de M. [T], invité à comparaître devant cette juridiction le 17 juin 2021 pour des faits d'escroquerie ; il peut en être déduit que ce dernier était bien en vie à la date du 29 mars 2019, mais la preuve qu'il ne faisait alors l'objet d'aucune incapacité de contracter résultant d'une mesure de protection juridique au sens de l'article 425 du code civil n'est pas rapportée, notamment par la production d'un extrait de l'acte de naissance de l'intéressé ne portant mention d'aucune mesure de curatelle ou de tutelle ; il n'est donc pas établi que la condition suspensive liée à la pleine capacité juridique du cessionnaire ait été réalisée à la date du 29 mars 2019.
Il résulte de tout ce qui précède que le jugement entrepris, qui a débouté la société El Lluria et Mme [M] ès qualités de leurs prétentions, doit être confirmé dans toutes ses dispositions.
Succombant sur leur appel, ces dernières doivent être condamnées aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt de défaut,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 21 juillet 2020,
Condamne la société El Lluria et Mme [M] ès qualités aux dépens d'appel.
le greffier, le président,