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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 04 OCTOBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/03900 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OV63
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 08 SEPTEMBRE 2020
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PERPIGNAN
N° RG 19/00245
APPELANTE :
L'ADMINISTRATION DES FINANCES PUBLIQUES, poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône qui élit domicile en ses bureaux,
[Adresse 10]
[Adresse 9]
[Localité 2]
Représentée par Me Raymond ESCALE de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE- KNOEPFFLER-HUOT-PIRET-JOUBES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES substitué par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
Madame [V] [P] [R]
née le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 13] (PORTUGAL)
de nationalité Portugaise
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Marina BLANC de la SAS SLATKIN BLANC AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant substitué par Me André SLATKIN de la SAS SLATKIN BLANC AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 27 Mai 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 JUIN 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller
Mme Marianne ROCHETTE, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Hélène ALBESA
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :
Aux termes d'un testament déposé et enregistré en l'étude de Me [E], notaire, en date du 23 janvier 2012, [T] [X] a légué la somme de 10 000 euros à son auxiliaire de vie, Mme [V] [R] ; selon un codicille en date du 25 octobre 2013, M. [X] a indiqué en outre : « je lègue à mon auxiliaire de vie que je considère comme ma fille et que ma défunte épouse, décédée le [Date décès 5] 2011 considérait comme sa propre famille : Mme [V] [P] [N] [R] (...) ainsi qu'à sa famille la somme de 300 000 euros, somme à laquelle pourra s'ajouter la vente du contenu actuel de mon appartement ('). Toutes ces sommes seront prises sur mon patrimoine d'assurance-vie gérée par une agence bancaire ».
Le 19 février 2014, M. [X] et Mme [R] ont conclu un pacte civil de solidarité (PACS) suivant acte authentique établi par Me [E] ; M. [X] est décédé huit jours plus tard, le 27 février 2014.
La déclaration de succession a été déposée, le 1er août 2014, par ses ayants droits.
Le 16 janvier 2018, le pôle de contrôle des revenus patrimoine de [Localité 12] de la direction générale des finances publiques a adressé à Mme [R] une proposition de redressement, remettant en cause la franchise de 60 % des biens légués, dont cette dernière avait bénéficié sur le fondement de l'article 796-O bis du code général des impôts en sa qualité de partenaire de PACS ; estimant fictif le PACS conclu le 19 février 2014 entre M. [X] et Mme [R], l'administration a donc proposé un rehaussement de 177 133 euros au titre des droits, de 28 696 euros au titre des intérêts de retard en application de l'article 1727 du code général des impôts et de 141 706 euros au titre de la majoration de 60 % prévus par l'article 1729 du même code.
Le contribuable a contesté ces rehaussements par courrier du 13 mars 2018, qui ont toutefois été maintenus par l'administration dans un courrier en réponse du 19 juin 2018.
Les impositions ont été mises en recouvrement par avis n° 18 10 00017 du 16 octobre 2018.
Le 7 novembre 2018, Mme [R] a adressé une réclamation contentieuse à l'administration, qui a été rejetée le 16 avril 2019.
Par exploit du 7 juin 2019, Mme [R] a fait assigner devant le tribunal de grande instance, devenu le tribunal judiciaire, de Perpignan l'administration des finances publiques représentée par le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, en vue d'obtenir, à titre liminaire, que la proposition rectificative du 16 janvier 2018 soit déclarée prescrite en application de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales et qu'elle soit déchargée du montant des droits de succession à hauteur de 347 535 euros et, à titre principal, qu'il soit constaté que le PACS conclu avec M. [X] n'est pas fictif, que l'administration fiscale a failli à l'établissement de la preuve en application de l'article L. 64 du même code, qu'il soit dit que c'est à bon droit qu'elle s'est prévalue des dispositions de l'article L. 796-O bis du code général des impôts et qu'elle soit déchargée du montant des droits de succession à hauteur de 347 535 euros.
Le tribunal, par jugement du 8 septembre 2020 a notamment déclaré la prescription de trois ans applicable à la cause, déclaré prescrite la procédure de redressement engagée par l'administration fiscale le 16 janvier 2018, déchargé Mme [R] du montant du rehaussement, soit la somme de 347 535 euros, et condamné l'État pris en la personne du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône au paiement de la somme de 1200 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile.
L'administration des finances publiques a régulièrement relevé appel, le 19 septembre 2020, de ce jugement, qui lui avait été signifié le 11 septembre 2020.
Elle demande la cour, dans ses conclusions déposées le 14 décembre 2020 via le RPVA, de réformer le jugement et, statuant à nouveau, de confirmer le bien-fondé de la reprise des sommes en litige, soit la somme de 347 535 euros, et de condamner Mme [R] au paiement de la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
'la prescription abrégée de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales est subordonnée à la double condition que l'administration ait eu connaissance des droits omis par l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou par l'exécution de la formalité fusionnée et que l'exigibilité de ces droits soit établie d'une manière certaine par l'acte ou la déclaration sans qu'il soit nécessaire de recourir à des recherches ultérieures,
'or, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, la déclaration de succession ne permettait pas à l'administration, hors toutes recherches ultérieures, d'apprécier le caractère insincère du PACS,
'il existe en effet un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes de nature à démontrer le caractère fictif du PACS conclu entre M. [X] et Mme [R] dans le but d'obtenir un avantage fiscal indu,
'en effet, il n'existait pas entre les intéressés une organisation de vie commune au sens de l'article 515-1 du code civil, dès lors que chacun vivait séparément, M. [X], alors âgé de 95 ans, résidant dans un établissement spécialisé, et que la condition obligatoire relative à l'aide mutuelle et matérielle pour les dépenses communes et les besoins de la vie courante n'était pas effective, le défunt pourvoyant seul à ses dépenses auprès d'un prestataire de services,
'après le décès, Mme [R] n'a d'ailleurs pas repris le contrat de location dont M. [X] était titulaire et il résulte des termes mêmes du testament que celui-ci entretenait avec son auxiliaire de vie une relation quasi familiale et non sentimentale.
Mme [R], dont les conclusions ont été déposées par le RPVA le 8 janvier 2021, sollicite la confirmation en toutes ses dispositions du jugement rendu le 8 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Perpignan, la déchargeant du montant des droits de succession à hauteur de 347 535 euros en sus des intérêts de retard ; subsidiairement, elle demande la cour de constater que le PACS conclu avec M. [X] n'est pas fictif, l'administration étant défaillante à établir la preuve du caractère fictif en application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, de dire que c'est à bon droit qu'elle s'est prévalue des dispositions de l'article 796-O du code général des impôts et de la décharger en conséquence des sommes mises à sa charge à hauteur de 347 535 euros en sus des intérêts de retard ; elle réclame, en tout état de cause, la condamnation de l'administration fiscale à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient en substance que :
'c'est à tort que l'administration prétend que des investigations complémentaires ont dû être réalisées afin de pouvoir déterminer la fictivité du PACS, alors que la déclaration de succession et ses annexes étaient suffisantes pour lui permettre d'asseoir sa proposition de rectification, ce dont il se déduit que la prescription abrégée de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales est bien applicable en l'espèce,
'l'administration est défaillante à établir la preuve du caractère fictif du PACS en application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, alors que les pièces produites prouvent que M. [X] avait l'intention d'établir avec elle une résidence commune, dans une villa de plain-pied située [Adresse 1] pour laquelle il avait signé un compromis de vente, et que le PACS n'a pas été conclu dans un but purement fiscal, mais aux fins de transmission d'un patrimoine, soit la somme de 300 000 euros visée dans le testament.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 27 mai 2022.
MOTIFS de la DECISION :
Aux termes de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors en vigueur : « Pour les droits d'enregistrement, la taxe de publicité foncière, les droits de timbre, ainsi que les taxes, redevances et autres impositions assimilées, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou de l'accomplissement de la formalité fusionnée définie à l'article 647 du code général des impôts ou, pour l'impôt de solidarité sur la fortune des redevables ayant respecté l'obligation prévue au 2 du I de l'article 885 W du même code, jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due.
Toutefois, ce délai n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré ou présenté à la formalité ou, pour l'impôt de solidarité sur la fortune des redevables mentionnés au même 2 du I de l'article 885 W, par la réponse du redevable à la demande de l'administration prévue au a de l'article L. 23 A du présent livre, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures. »
L'article L. 186 du même code énonce que lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt.
En l'occurrence, l'administration des finances publiques, dans le cadre de la mise en de la procédure de l'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, invoque le caractère fictif du PACS conclu le 19 février 2014 entre M. [X] et Mme [R] qui, selon elle, n'avait d'autre objectif que de permettre à cette dernière de bénéficier de l'exonération des droits de mutation par décès instituée par l'article 796-O bis du code général des impôts au profit du conjoint survivant et du partenaire lié au défunt par un pacte civil de solidarité ; elle soutient que pour le recouvrement des droits, la prescription abrégée de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales n'est pas applicable dès lors que la déclaration de succession du 1er août 2014 ne lui permettait pas, hors toutes recherches ultérieures, d'apprécier le caractère insincère du PACS ; à cet égard, la proposition de redressement du 16 janvier 2018 fait état de :
'l'analyse du dossier fiscal de Mme [R], de 2010 à 2013, démontrant, au vu des avis d'imposition à la taxe d'habitation et à l'impôt sur le revenu, que celle-ci avait un domicile distinct de celui de M. [X] ([Adresse 4] jusqu'en 2010, [Adresse 6], de 2011 à 2013), analyse corroborée par les renseignements obtenus de l'employeur de l'intéressée (l'association CHRS Mares I Nens),
'la communication de documents et renseignements auprès du gestionnaire de la résidence seniors [11] ([Adresse 8]) dans laquelle M. et Mme [X] louaient depuis le 31 mars 2009 un appartement, que M. [X] avait continué à occuper après le décès, survenu en 2011, de son épouse, établissant que ce dernier était titulaire d'un contrat de services à la personne et à domicile incluant diverses prestations (télé alarme personnalisée, aide à l'accès aux soins, assistance à l'entretien hors ménage et à la maintenance, assistance logistique, aide administrative...) et donc, de nature à établir qu'il pourvoyait seul et en toute autonomie à ses dépenses personnelles.
À partir de ces éléments extérieurs, obtenus sur la base de diverses demandes de communications formalisées entre janvier et mars 2017, l'administration affirme que les conditions requises pour la conclusion d'un PACS n'ont pas été, en l'espèce, remplies ; après avoir rappelé les dispositions de l'article 515-1 du code civil, selon lequel un pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune, elle cite la décision n° 99-419 DC du Conseil constitutionnel rendue le 9 novembre 1999, lors de l'examen de la loi relative au PACS, qui est venue préciser que la notion d'organisation de la vie commune ne recouvre pas seulement une communauté d'intérêts et ne se limite pas à l'exigence d'une simple cohabitation entre deux personnes, mais suppose également, outre une résidence commune, une vie de couple qui seule justifie que le législateur ait prévu des causes de nullité du pacte, qui soit reprennent les empêchements mariage visant à prévenir l'inceste, soit évitent une violation de l'obligation de fidélité découlant du mariage.
Pour autant, si l'administration a pu établir, par le biais de demandes de communication auprès du gestionnaire de la résidence seniors [11], que M. [X] pourvoyait seul à ses dépenses et aux actes de la vie quotidienne, la déclaration de succession du 1er août 2014 à laquelle se trouvent notamment annexés le testament du 23 janvier 2012 et son codicille du 25 octobre 2013, lui permettait d'ores et déjà de disposer des éléments de nature à établir, en l'absence de toute cohabitation entre M. [X] et Mme [R], le caractère fictif du PACS conclu le 19 février 2014, puisqu'il apparaissait alors, comme le relève à juste titre le premier juge, que les intéressés, âgés respectivement de 95 ans et 60 ans, avaient des domiciles distincts, M. [X] résidant dans un établissement pour personnes âgées, et que ce dernier considérait, selon les termes mêmes des dispositions testamentaires, Mme [R] comme sa propre fille, hors toute relation sentimentale ; l'exigibilité des droits d'enregistrement eu égard au caractère fictif du PACS était donc suffisamment révélée à l'administration par la déclaration de succession, sans que celle-ci ait eu besoin de procéder à des recherches ultérieures.
Il en résulte que le redressement fiscal adressé à Mme [R] le 16 janvier 2018 l'a été après l'expiration du délai de prescription de l'article L. 180 courant jusqu'à la troisième année suivant celle de l'enregistrement de la déclaration de succession litigieuse, effectuée le 1er août 2014 ; le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a notamment déclaré prescrite la procédure de redressement et déchargé Mme [R] du montant du rehaussement à hauteur de la somme de 347 535 euros.
Succombant sur son appel, l'administration des finances publiques représentée par le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à Mme [R] la somme de 3000 euros en remboursement des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Perpignan en date du 8 septembre 2020,
Condamne l'administration des finances publiques représentée par le directeur régional des finances publiques de Provence-AlpesCôte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à Mme [R] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier, le président,