Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
5e chambre civile
ARRET DU 18 OCTOBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/05397 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OI37
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 JUIN 2019
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEZIERS
N° RG 16/02225
APPELANTE :
SCI FONDE Société Civile Immobilière représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Franck DENEL de la SCP DORIA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
assistée de Me François BORIE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Nicolas DALMAYRAC, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur [I] [T]
né le 27 Janvier 1940 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Vincent VERGNOLLE de la SCP AVOCARREDHORT, avocat au barreau de BEZIERS, avocat postulant
assisté de Me Caroline VERGNOLLE, avocat au barreau de BEZIERS, avocat plaidant
Madame [H] [E]-[S] épouse [T]
née le 05 Juin 1943 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Vincent VERGNOLLE de la SCP AVOCARREDHORT, avocat au barreau de BEZIERS, avocat postulant
assistée de Me Caroline VERGNOLLE, avocat au barreau de BEZIERS, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 22 Août 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 SEPTEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre
Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller
M. Emmanuel GARCIA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.
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La SCI Fonde a procédé à l'agrandissement en 2005 d'un balcon dans son lot de copropriété voisin des époux [I] et [H] [T].
Une ordonnance en référé du 22 mai 2015 a ordonné une expertise judiciaire de la construction.
Après le dépôt du rapport, les époux [T] ont fait citer par acte du 10 août 2016 la SCI Fonde pour obtenir sur le fondement de troubles anormaux de voisinage la dépose de la terrasse et des montants d'indemnisation de préjudice.
La SCI demandait un complément d'expertise.
Le dispositif du jugement rendu le 17 juin 2019 par le tribunal de Grande instance de Béziers énonce :
Dit que la SCI Fonde a construit une terrasse en infraction avec les règles de la copropriété.
Condamne la SCI Fonde à démolir à ses frais la terrasse dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 100 € par jour de retard passé ce délai et dans la limite de 5000 €.
Condamne la SCI Fonde à payer à [I] et [H] [T] la somme de 100 € en réparation du préjudice causé par l'ancrage provisoire de la terrasse dans le mur privatif de ces derniers.
Condamne la SCI Fonde à payer la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SCI Fonde aux dépens en ce compris les frais de référé et d'expertise.
Le jugement rejette le fondement de la demande de démolition de l'article 678 du Code civil relatif à la limitation des vues sur un fond voisin, au motif que dans le régime de copropriété les maisons ne sont séparés par aucune ligne divisoire puisque la totalité du sol est partie commune.
Il rejette le moyen des inconvénients anormaux de voisinage, au motif que la continuité immédiate des fonds rend les bruits inévitables, et au motif de l'absence d'altération caractérisée de la vue ou de l'ensoleillement dont bénéficiait le lot des époux [T].
Il retient en revanche l'infraction invoquée à l'obligation de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965 d'obtenir l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires pour effectuer des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, les mentions portées dans les assemblées générales de 2008 et 2013 ne caractérisant pas une telle autorisation.
Il retient sur les demandes d'indemnisation du préjudice que le mur sur lequel est fixée la terrasse n'a pas un caractère mitoyen jointif des deux maisons, alors qu'il sépare simplement une maison d'un jardin partie commune, et indemnise seulement le préjudice de l'ancrage d'une poutre supportant la terrasse dans le mur privatif du voisin.
Il retient l'absence de preuve d'un préjudice moral.
La SCI Fonde a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 29 juillet 2019.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 22 août 2022.
Les dernières écritures pour la SCI Fonde ont été déposées le 5 mai 2022.
Les dernières écritures pour [I] et [H] [T] ont été déposées le 23 février 2022.
Le dispositif des écritures pour la SCI Fonde énonce en termes de prétentions :
Réformer le jugement, et dire que les règles de la copropriété n'ont pas à s'appliquer au cas d'espèce.
Déclarer prescrite l'action des époux [T], et en tout cas mal fondée.
Condamner les époux [T] à payer la somme de 10 000 € de dommages-intérêts, et la somme de 6000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner les époux [T] aux entiers dépens comprenant les frais du référé expertise, et les sommes découlant d'un recours éventuel à l'exécution forcée.
La SCI Fonde expose que le groupement d'habitation constitue un lotissement dont la gestion des parties communes est confiée à une ASL qui n'est pas soumis au régime de la copropriété.
Elle expose que la construction a été effectuée conformément à une déclaration de travaux, sans contestation des voisins à l'exception des époux [T] qui ont obtenu d'une assemblée générale de l'ASL du 13 juillet 2008 une mise en conformité de la terrasse au PLU.
Elle prétend que son droit à agir malgré la vente du bien en janvier 2020 est maintenu au motif que l'intérêt à agir s'apprécie au jour de la demande, sans être subordonné à la preuve du bien-fondé de l'action.
Elle expose qu'il n'y a pas de règlement de copropriété pouvant fonder le motif du juge.
Elle soulève la prescription de l'action par l'acte introductif de l'instance en référé du 14 août 2014 concernant des travaux réalisés en 2006.
La SCI produit un constat d'huissier du 10 novembre 2016 qui établit que la poutre litigieuse qui a fondé la condamnation à la réparation d'un préjudice a été supprimée.
À titre d'argumentation subsidiaire, elle s'en tient à la juste observation du juge que l'expertise judiciaire n'a pas apporté la preuve d'un préjudice de vue ou d'ensoleillement ou esthétique qui résulterait de l'agrandissement du balcon antérieur.
La SCI observe que les époux [T] ne démontrent pas le caractère opposable par sa publication au bureau des hypothèques du cahier des charges du prétendu lotissement, alors qu'il s'agit d'un cahier des charges du promoteur vendeur pour un permis de construire valant division, une opération immobilière qui ne relève pas d'un lotissement.
Elle fonde la demande de dommages-intérêts sur l'exécution provisoire de démonter la terrasse et le harcèlement constant des époux [T].
Le dispositif des écritures pour [I] et [H] [T] énonce en termes de prétentions :
Déclarer irrecevable pour défaut d'intérêt à agir le recours de la SCI Fonde devant la cour d'appel.
Confirmer le jugement, sauf à supprimer la limite de 5000 € pour le montant de l'astreinte.
Et y ajoutant, condamner la SCI au paiement de 800 € HT au titre de la reprise du revêtement, avec l'application de l'indice BT 01, de 3000 € au titre du préjudice de jouissance et des inconvénients de voisinage, de 1500 € en réparation du préjudice moral.
Condamner la SCI Fonde à payer 6000 € au titre des frais non remboursables de première instance, et 6000 € au titre des frais en cause d'appel.
Condamner la SCI Fonde aux entiers dépens de première instance d'appel, comprenant les frais du référé expertise.
Les époux [T] observent qu'à la suite du jugement du 17 juin 2019 les travaux de démolition ont été réalisés donnant satisfaction, que la SCI Fonde a vendu le bien en janvier 2021, que l'acte de vente mentionnée en pièce 14 n'est pas produit de sorte qu'ils ne peuvent pas connaître les dispositions de l'acte sur la poursuite de l'action judiciaire en cours.
Ils soutiennent que l'action est transmise au profit de l'acquéreur, et que le vendeur dans l'espèce ne justifie pas d'un préjudice personnel pour un intérêt à agir direct et certain.
Ils prétendent produire le justificatif de la publication du cahier des charges du groupe d'habitations opposable à tout propriétaire dans la résidence, que le document interdit d'apporter une modification à l'aspect extérieur des maisons, à l'évidence constituée par la transformation d'un balcon en terrasse, mais également par des modifications non datées par la suite, pose d'une présence destinée à empêcher la vue, construction d'un retour sur la terrasse.
Ils constatent que l'expertise judiciaire a mis en évidence une incidence sur le champ visuel des époux [T] depuis leur terrasse, des répercussions sur l'ensoleillement, et un impact esthétique.
Ils exposent que le mur de leur habitation porte encore les stigmates de l'ancrage de la poutre.
Ils soutiennent que les maisons sont jointives sur toute la longueur, de sorte que les murs séparatifs sont mitoyens comme l'indique l'article 13 du cahier des charges.
MOTIFS
Sur les exceptions de procédure
Les époux [T] demandent de retenir un défaut d'intérêt à agir en appel de la SCI au motif qu'elle a vendu le bien, et qu'ils ne savent pas si l'acte de vente autorise la poursuite de l'action judiciaire en cours.
La cour observe que la SCI Fonde était en défense en première instance, de sorte que la recevabilité de sa critique du premier juge par la procédure de l'appel ne peut pas être remise en cause.
L'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir ne peut concerner que l'action et non pas la défense à l'action. D'éventuelles dispositions concernant cette procédure dans l'acte de vente du bien ne concernent que les rapports entre le vendeur et l'acquéreur, et ne créent aucun droit pour les tiers à l'acte.
La cour rejette la prétention d'irrecevabilité.
La SCI Fonde demande de constater la prescription de l'action des époux [T] concernant des travaux réalisés en 2006.
La cour constate que le moyen de prescription n'est pas évoqué par le premier juge dans les prétentions des parties ni dans ses motifs propres, mais en l'absence d'un moyen tendant à faire déclarer la demande nouvelle la prescription est soumise à l'examen de la cour.
La SCI Fonde retient pour des travaux réalisés en 2006 l'application du délai de prescription de droit commun de l'article 2224 du Code civil des actions personnelles de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu les faits, et en application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription civile la date d'échéance de prescription du 19 juin 2013, et constate que les époux [T] n'ont engagé l'action par la saisine du juge des référés que par acte du 14 août 2014.
Les écritures pour les époux [T] ne développent aucune argumentation sur le moyen de prescription.
La cour constate que l'échéance de la prescription de cinq ans concernant l'action fondée dans les écritures des époux [T] sur le trouble anormal de voisinage et sur le non-respect du cahier des charges du groupe d'habitations à la date du 19 juin 2013 ne fait l'objet d'aucune contestation.
Il convient de constater la prescription de l'action engagée par les époux [T].
La cour déduit de la prescription de l'action l'infirmation des condamnations prononcées par le jugement du 17 juin 2019.
Sur les autres prétentions
La SCI Fonde demande la condamnation des époux [T] à 10 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'exécution provisoire du jugement par la démolition de l'ouvrage, et du harcèlement infondé à son encontre par les époux [T].
La SCI produit l'attestation d'un agent immobilier relatant que Madame [T] est venue lors d'une visite du bien dire que la terrasse avait été construite sans autorisation, une attestation de personnes auxquelles la maison avait été prêtée qui relatent les incidents quotidiens provoqués par les voisins [T] pendant leur séjour, une attestation par deux autres personnes présentes dans l'habitation du même type de comportement.
Un procès-verbal d'huissier en date du 10 novembre 2016 constate que l'ouvrage ne comporte plus l'ancrage sur le mur privatif voisin qui avait fondé la condamnation du premier juge.
Cependant, l'absence d'appréciation sur le fond du litige par la cour en raison de la constatation d'une prescription qui n'avait pas été soulevée en première instance par la SCI Fonde ne permet pas de retenir un préjudice en lien de causalité avec une procédure judiciaire infondée.
La cour ajoute qu'elle constate que l'indication dans le procès-verbal d'huissier que la poutre litigieuse a été supprimée ne caractérise pas la démolition de l'ouvrage.
La cour rejette la demande de dommages-intérêts.
Il est équitable de mettre à la charge des époux [T] dont l'action a été déclarée prescrite une part des frais non remboursables exposés en appel par la SCI Fonde, pour un montant de 3000 €.
Les époux [T] supporteront la charge des dépens et des frais de l'expertise judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe ;
Déclare prescrite l'action de [I] et [H] [T] ;
Infirme en conséquence le jugement rendu le 17 juin 2019 dans toutes ses dispositions ;
Condamne solidairement [I] et [H] [T] à payer à la SCI Fonde la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure ;
Condamne solidairement [I] et [H] [T] aux dépens en ce compris les frais de l'expertise judiciaire.
Le GreffierLe Président