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28/12/2022 | FRANCE | N°19/05003

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre sociale, 28 décembre 2022, 19/05003


Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1re chambre sociale



ARRET DU 28 DECEMBRE 2022





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/05003 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OIDF



ARRET N°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 JUILLET 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 18/00664
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APPELANTE :



SAS EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Charles ZWILLER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Emmanuelle JONZO, avocat au barreau de NÎMES, a...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 28 DECEMBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 19/05003 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OIDF

ARRET N°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 JUILLET 2019

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 18/00664

APPELANTE :

SAS EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Charles ZWILLER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Emmanuelle JONZO, avocat au barreau de NÎMES, avocat plaidant

INTIME :

Monsieur [T] [V]

né le 15 Avril 1964 à Carmaux (81)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Alexandra DENJEAN DUHIL DE BENAZE de la SELARL LEXEM CONSEIL, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me Clément CHAZOT, avocat au barreau de NIMES

Ordonnance de clôture du 06 Octobre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 OCTOBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE

La société EUROVIA MÉDITERRANÉE a embauche M. [T] [V] le 1er janvier 2004 suivant contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'opérateur de centrale avec reprise d'ancienneté au 3 novembre 1988.

Le salarié a été promu ETAM à compter du 1er janvier 2010.

Le 6 mars 2018, le salarié écrivait au médecin du travail en ces termes :

« Je viens par le présent courrier vous informer de ma situation au sein de l'entreprise Eurovia qui m'emploie depuis le 3/11/88. En effet j'ai été convoqué par téléphone par le directeur M. [Y] à un rendez-vous le 12 février 2018. Ce dernier m'informe qu'il me propose une rupture conventionnelle : « grande surprise » en ce qui concerne. Afin de réfléchir avec recul je lui demande de pouvoir donner ma réponse à mon retour de congés programmés soit le 5 mars. (proposition que je refuse oralement). Depuis le 12 février sur le site où je suis opérateur de centrale d'enrobés la situation se dégrade de jour en jour avec mise à l'écart certaine. En effet, le chef de poste demande au stagiaire BTS de prendre en charge les tâches qui m'incombent. Nous sommes deux opérateurs sur le site, je suis privé des postes de nuit alors qu'on m'a demandé d'effectuer 85 nuits en 2017 dans des conditions de sécurité pas toujours respectées. À ma reprise de congés le 5 mars j'apprends que les équipements de protection individuelle ont été livrés sauf les miens. Quand je demande la raison on me répond ordre de la direction ! À réception du bulletin de salaire de février je fais la réflexion qu'on ne m'a pas changé la « lettre » d'échelon le chef de poste répond : « t'inquiète la lettre tu vas la recevoir ». Et le 6 mars le chef de poste qui est mon responsable hiérarchique direct me demande de rendre le trousseau de clés du poste. Je m'exécute il est mon responsable ! Mais à ce jour je fais toujours partie de l'effectif ! Je pense utile de vous informer de ces faits, car je me sens actuellement en insécurité sur mon poste de travail ! J'essaie d'aller au travail tout de même mais déstabilisé et je ne sais pas combien de temps cette situation sera possible, en espérant ne pas tomber en burn out. »

Le 12 mars 2018, le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 25 mars 2018. Il a été licencié pour cause réelle et sérieuse suivant lettre du 27 mars 2018 ainsi rédigée :

« Par courrier recommandé avec accusé de réception du 8 mars 2018, nous vous avons convoqué, en application des dispositions légales, à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement qui s'est tenu le 19 mars suivant. Au cours de cet entretien, auquel vous vous êtes présenté accompagné de M. [P] [C], représentant du personnel, nous vous avons exposé les motifs qui nous ont conduits à envisager cette mesure :

- Dans la nuit du 29 janvier 2018, vous avez constaté un bourrage des enrobés dans le tambour sécheur et dans le convoyeur à raclettes de la centrale d'enrobage LRE. Vous avez alors tenté de redémarrer le moteur du convoyeur à plusieurs reprises, d'abord avec le variateur de vitesse, puis avec le démarrage direct, et ce, sans ouvrir immédiatement la trappe inférieure du convoyeur afin de dégager les enrobés accumulés. Or, l'utilisation de la marche directe du convoyeur nécessitait une clef spécifique, et n'était à utiliser qu'en cas de panne du variateur, comme vous l'avait expliqué votre chef de poste. Or, le variateur n'était alors pas en panne. De surcroît, vous avez actionné ce contacteur à clef environ 10 fois alors que dès la première action, celui-ci n'engendrait aucun mouvement sur le convoyeur à raclettes tant il était encombré par les enrobés. Ces actions répétitives de démarrage direct du moteur électrique du convoyeur, ont engendré de graves dégâts matériels : arrachement du réducteur sur sa chaise et dégradation de celle-ci, sectionnement des vis de maintien du réducteur et de la chaise, rupture d'une des pattes du réducteur, fissure de la flasque du moteur sur toute sa circonférence, dégradation de la chaîne de transmission entre le réducteur et l'arbre du convoyeur, flexion de l'arbre d'entraînement du convoyeur avec déformation plastique. Vous avez essayé de vider manuellement les enrobés présents dans le tambour et le convoyeur, mais en vain. En effet, vous aviez déjà causé des dégâts mécaniques irréversibles et la température de l'enrobé avait refroidi rendant impossible cette manipulation. Vous avez ainsi tout laissé refroidir à l'intérieur et l'ensemble des enrobés figés a dû être extrait à l'aide d'un marteau piqueur. Une telle intervention a duré 4 jours et a mobilisé 2 personnes en 3X8 (soit 192 h de main d''uvre !). Le bilan est lourd : un arrêt de production de 8 jours ouvrés, ainsi que des réparations importantes à effectuer, le tout estimé environ à 40 000 €. De tels agissements ne sont pas tolérables, d'autant plus au vu de votre expérience dans la fonction. Lors de l'entretien, vous nous avez expliqué être le premier opérateur à utiliser la centrale d'enrobage après une longue période d'entretien. Or, ceci est inexact. En effet, la centrale d'enrobage a enregistré la fabrication d'une trentaine de tonnes le matin même de l'incident sans engendrer de problème particulier. Vous nous avez ensuite expliqué qu'il y avait eu une modification du système d'entraînement du convoyeur, avec l'ajout d'un variateur de vitesse, mais que ce nouveau système n'avait pas fait l'objet d'une formation spécifique et claire. Pourtant cette information vous avait été transmise oralement par votre chef de poste et l'installateur du variateur. La modification du système d'entraînement est réelle et les difficultés de fabrication ce jour-là l'ont été également. Cependant elles ne vous affranchissent pas de respecter la procédure en cas de bourrage du tambour, c'est-à-dire ouvrir immédiatement la trappe arrière du convoyeur pour dégager les enrobés. C'est bien votre obstination à refaire démarrer le poste convoyeur en forçant sur les moteurs, et le fait que vous n'ayez pas vidé suffisamment tôt les enrobés accumulés avant qu'ils n'aient refroidi, qui a provoqué cette panne de grande ampleur. Vous avez ainsi laissé la situation s'aggraver.

- Par ailleurs, lors de cet entretien, nous vous avons également reproché votre attitude générale et vos remarques en permanence négatives et déplacées, qui sont incompatibles avec un travail serein et en équipe. En effet, vos réflexions ont, de l'avis général, des conséquences graves que ce soit en interne sur la cohésion de l'équipe, ou en externe vis-à-vis de nos clients ou fournisseurs que vous avez régulièrement au téléphone. Face à nos reproches, vous nous avez simplement indiqué ressentir un stress permanent au travail qui selon vous, influencerait votre attitude générale. Toutefois, les explications que vous avez fournies lors de cet entretien ne permettent pas de justifier les faits évoqués. Un tel comportement est inadmissible. Nous tenons à vous rappeler que ces propos n'ont pas leur place au sein de notre entreprise. En conséquence, l'ensemble de ces faits constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute simple.

Votre préavis, d'une durée de deux mois, que vous n'effectuerez pas mais qui vous sera réglé à l'échéance normale de paie, débutera à la date de présentation de cette lettre. Votre attestation destinée au Pôle Emploi, certificat de travail et solde de tout compte, comprenant notamment votre indemnité de licenciement, vous seront adressés à l'issue de votre préavis. Nous vous rappelons qu'à compter de la rupture de votre contrat de travail, vous pourrez conserver le bénéfice des régimes de prévoyance et de couverture des frais médicaux en vigueur au sein de l'entreprise à compter de la date de cessation de son contrat de travail, et tant que vous serez allocataire Pôle Emploi, avec un maximum de 12 mois pour la garantie frais de santé, et un maximum de 12 mois pour la garantie prévoyance. »

Contestant notamment son licenciement, M. [T] [V] a saisi le 25 juin 2018 le conseil de prud'hommes de Montpellier, section industrie, lequel, par jugement rendu le 2 juillet 2019, a :

condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :

'15 916,22 € bruts à titre de rappel de salaire (heures supplémentaires du 1er septembre 2005 jusqu'à la rupture du contrat de travail) ;

'  1 591,62 € bruts au titre des congés payés y afférent ;

'  2 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de règlement des heures supplémentaires ;

dit que la rémunération moyenne était de 4 318,13 € bruts ;

condamné l'employeur à verser au salarié les sommes suivantes :

'  4 177,43 € nets à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

'25 908,78 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

dit qu'il convient d'appliquer l'article L. 1235-3 en vigueur à la date du licenciement ;

dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 86 362,60 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

ordonné à l'employeur de communiquer au salarié ses bulletins de salaires, l'attestation Pôle Emploi, le reçu pour solde de tout compte et le certificat de travail rectifiés en conformité avec le jugement, sous astreinte de 10 € par jour à compter du trentième jour de la date de notification de la décision ;

ordonné à l'employeur de déclarer auprès des organismes sociaux le salarié conformément au jugement, sous astreinte de 10 € par jour à compter du trentième jour de la date de notification de la décision ;

condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles ;

débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

condamner l'employeur aux entiers dépens.

Cette décision a été notifiée le 15 juillet 2019 à la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON qui en a interjeté appel suivant déclaration du 16 juillet 2019.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 6 octobre 2022.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 30 septembre 2022 aux termes desquelles la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

'dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

'dit que la rémunération moyenne était de 4 318,13 € bruts ;

'condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :

'15 916,22 € bruts à titre de rappel de salaire (heures supplémentaires), outre les congés payés y afférent ;

'  2 000,00 € à titre de dommages et intérêts ;

'25 908,78 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

'  4 177,43 € à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

'86 362,60 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

'     800,00 € au titre des frais irrépétibles ;

'débouté l'employeur de ses demandes ;

débouter le salarié de toutes ses demandes et de son appel incident ;

condamner le salarié au paiement de la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens ;

subsidiairement,

limiter la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires à la somme globale de 10 518,37 € bruts outre les congés payés y afférent ;

fixer le salaire annuel moyen à la somme de 4 148,93 € bruts ;

limiter la demande de rappel d'indemnité de licenciement à la somme de 2 472,76 € ;

réduire le quantum alloué sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail ;

débouter le salarié de toutes ses autres demandes.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 15 juillet 2021 aux termes desquelles M. [T] [V] demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

'condamné l'employeur à lui verser la somme de 15 916,22 € bruts à titre de rappels de salaire pour heures supplémentaires, outre 1 591,62 € bruts à titre des congés payés afférents ;

'fixé son salaire de référence à la somme de 4 318,13 € bruts ;

'condamné l'employeur à lui verser la somme de 4 177,43 € nets à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

'condamné l'employeur à lui verser la somme de 25 908,78 € au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

'dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

'ordonné à l'employeur de lui remettre les documents suivants : bulletins de paie, attestation Pôle Emploi, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte, rectifiés et conformes au jugement sous astreinte de 10 € par jour de retard à compter du 30e jour suivant la notification de la décision, la juridiction se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte ;

'ordonné à l'employeur de réaliser les déclarations auprès des organismes sociaux conformément à la décision, sous astreinte de 10 € par jour de retard à compter du 30e jour suivant la notification de la décision, la juridiction se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte ;

condamner l'employeur à lui verser la somme de 5 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour défaut de règlement des heures supplémentaires ;

condamner l'employeur à lui verser la somme de 103 635 € nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

dire que les condamnations prononcées portent intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale avec capitalisation des intérêts ;

condamner en cause d'appel l'employeur à lui verser la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles ;

condamner l'employeur aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur les heures supplémentaires

Le salarié soutient que l'accord d'entreprise du 26 novembre 2001, d'aménagement et de réduction du temps de travail, qui institue une modulation annuelle de ce dernier, se trouve privé d'effet dès lors qu'il prévoit la communication avant le début de chaque période de modulation d'une programmation indicative individuelle et que cette dernière ne lui a jamais été communiquée. Il ajoute que l'employeur ne justifie pas d'avoir consulté le comité d'entreprise ou les délégués du personnel quant au bilan de l'application de l'annualisation comme l'exigeait l'ancien article L. 212-8 du code du travail dans sa version applicable lors de la signature de l'accord. Il sollicite ainsi le paiement d'heures supplémentaires calculées par semaine pour la somme de 15 916,22 € bruts outre 1 591,62 € bruts à titre des congés payés afférents.

L'employeur répond que le salarié ajoute à la loi et à l'accord en exigeant une notification individuelle alors que la programmation individuelle indicative était bien établie annuellement, donnait lieu à une consultation des représentants du personnel et faisait l'objet d'une communication aux salariés par voie d'affichage.

L'article 4 de l'accord intitulé « Programmation indicative » stipule que :

« La modulation est établie après consultation du comité d'entreprise selon une programmation indicative communiquée aux salariés concernés, avant le début de chaque période de modulation, pour chaque établissement.

Cette consultation des représentants du personnel a lieu au moins 15 jours avant le début de ladite période.

La programmation peut être révisée en cours de période sous réserve que les salariés concernés soient prévenus du changement d'horaire au minimum 5 jours calendaires à l'avance, sauf contraintes ou circonstances particulières affectant de manière non prévisible le fonctionnement de l'entreprise et avec l'accord de l'intéressé. (Des intempéries subites et inattendues peuvent avoir pour conséquence la révision de la programmation et ainsi, d'écourter le délai normal prévu en cas de changement d'horaire.)

Les horaires de travail sont fixés au plus tard le jeudi précédant la semaine concernée.

Le comité d'entreprise est informé de ce ou de ces changements d'horaire et des raisons qui l'ont ou les ont justifiés.

Les salariés auront le choix de la prise de 5 jours de modulation (continus ou non), soit l'équivalent d'une sixième semaine de congés, sans pouvoir les accoler aux congés payés légaux (sauf accord du chef d'agence). ·

La période de modulation court à compter du 01/01 au 31/12 de chaque année. »

L'employeur produit le compte rendu de réunion du comité d'entreprise et des délégués du personnel du 13 décembre 2016 auquel est joint un tableau annuel de programmation de la durée du travail pour l'agence de [Localité 5] concernant l'année suivante, ainsi que les comptes rendus des 9 novembre 2017 et 18 décembre 2018.

Au vu des pièces produites, rien ne permet de retenir que les programmations annuelles étaient bien affichées dans les locaux de l'entreprise afin d'être portée à la connaissance des salariés. Il n'apparaît pas plus qu'une consultation soit intervenue sur le bilan des annualisations. En conséquence, l'accord d'annualisation du temps de travail se trouve privé d'effet.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, les parties sont communes sur les relevés horaires mais l'employeur fait valoir que le salarié était déjà rémunéré sur une base mensuelle de 161,42 heures incluant le règlement de 9,75 heures supplémentaires par mois, majorées à 25 %, soit :

'    993,25 € bruts pour 45 heures supplémentaires de juillet à décembre 2015 ;

' 2 004,30 € bruts pour 90 heures supplémentaires durant l'année 2016 ;

' 2 030,40 € bruts pour 90 heures supplémentaires durant l'année 2017 ;

'    369,90 € bruts pour 15 heures supplémentaires en janvier et février 2018.

Le salarié ne répond pas à cette discussion et au vu du tableau qu'il produit et des bulletins de paie, elle apparaît bien-fondée. Dès lors, il sera alloué au salarié à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires impayées la somme de 15 916,22 € ' 993,25 € ' 2 004,30 € ' 2 030,40 € ' 369,90 € = 10 518,37 € outre celle de 1 051,84 € au titre des congés payés y afférents.

2/ Sur les dommages et intérêts pour non-paiement des heures supplémentaires

Le salarié demande à la cour de condamner l'employeur à lui verser la somme de 5 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour défaut de règlement des heures supplémentaires en expliquant que cette carence a porté atteinte à son état de santé.

Mais le lien de causalité entre le défaut de règlement des heures supplémentaires et la dégradation de l'état de santé du salarié ne se trouve établi par aucune pièce et il n'apparaît pas que l'employeur, à qui n'était présenté aucune contestation de l'accord de modulation du temps de travail, ait fait preuve de mauvaise foi en poursuivant son application.

En conséquence, le salarié sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour non-paiement des heures supplémentaires.

3/ Sur le travail dissimulé

Le salarié sollicite la somme de 25 908,78 € au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Mais il n'apparaît pas qu'en l'espèce l'employeur, qui tenait un compte exact des heures de travail, ait intentionnellement dissimulé ces dernières alors qu'il appliquait un accord de modulation du temps travail en omettant de se conformer à son obligation d'information annuelle du salarié et de consultation des instances représentative afin de dresser des bilans de cette annualisation. Dès lors, le salarié sera débouté de ce chef de demande.

4/ Sur le rappel d'indemnité de licenciement

Sur la base d'un salaire de référence de 4 318,13 € bruts, le salarié réclame la somme de 4 177,43 € nets à titre de rappel d'indemnité de licenciement. Mais, compte tenu des heures supplémentaires déjà réglées par l'employeur et comptées dans le salaire de référence qui a servi de base au calcul de l'indemnité de licenciement, le rappel de cette dernière sera limité à la somme de 2 472,76 € au vu d'un salaire mensuel moyen de 4 148,93 €.

5/ Sur la cause du licenciement

La preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement énoncée à la lettre de licenciement n'incombe pas particulièrement à l'employeur et le juge statue au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, mais le doute profite au salarié.

La lettre de licenciement reproche au salarié d'avoir laissé figer l'enrobé dans la centrale d'enrobage le 29 janvier 2019 et d'avoir fait des remarques en permanence négatives et déplacées.

Concernant ce second grief, l'employeur produit l'attestation de M. [D] [U] qui indique que le salarié a prononcé les paroles suivantes « il n'y a pas de café pour les étrangers ». Le salarié explique qu'il parlait des salariés étrangers au site et qu'il ne faisait qu'appliquer les consignes de son chef de poste en indiquant que l'accès de la salle de repos était interdit à toute personne étrangère au site. Il produit en ce sens l'attestation de M. [B] [F]. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour retient que ce second grief n'est pas fondé.

Concernant la gestion du bourrage de la centrale d'enrobage le 29 janvier 2019, l'employeur reproche au salarié de s'être entêté à faire redémarrer le convoyeur alors qu'il lui suffisait de vider le malaxeur par une trappe prévue à cet effet, trappe qu'il avait déjà utilisée à plusieurs reprises en gérant convenablement des incidents similaires.

Le salarié répond que l'incident a été provoqué par la vétusté et le défaut d'entretien de la centrale d'enrobage, ainsi que par son absence de formation au variateur de vitesse qui venait d'être ajouté au convoyeur. Il ajoute qu'il a immédiatement appelé son chef de poste, M. [N] [S], qui est intervenu en même temps que lui et a tenté comme lui de redémarrer le moteur.

La cour retient que le salarié bénéficiait d'une ancienneté de 29 ans au temps de l'incident et qu'il avait déjà géré de manière satisfaisante des incidents de bourrage. Il n'apparaît pas qu'il ait commis une faute en préférant tenter de redémarrer le moteur qui s'était arrêté au lieu de faire le choix de perdre la production en cours en l'évacuant immédiatement par la trappe prévue à cet effet et qu'il avait déjà utilisé. L'employeur ne contredit pas le salarié quand ce dernier affirme qu'il n'a pas été dissuadé de tenter de redémarrer le dispositif par son chef de poste immédiatement appelé pour gérer au mieux l'incident.

Malgré les conséquences importantes du figeage de l'enrobé dans la centrale, il n'apparaît pas que le salarié ait fait preuve de négligence dans la gestion de l'incident et son erreur d'appréciation n'est nullement volontairement pas plus qu'elle ne manifeste une insuffisance professionnelle. Dès lors, la sanction disciplinaire que constitue un licenciement pour cause réelle et sérieuse apparaît disproportionnée au vu de l'absence de sanction disciplinaire ou de rappel à l'ordre du salarié dont au contraire les témoignages produits par l'employeur indiquent qu'il avait déjà affronté des incidents similaires avec succès.

En conséquence, le licenciement se trouve privé de cause réelle et sérieuse.

6/ Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salarié disposait d'une ancienneté de 29 ans révolus au temps du licenciement et il était âgé de 54 ans. Victime d'une affection de longue durée, il n'a pas repris le travail et bénéficie d'une pension d'invalidité. Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'entier préjudice du salarié sera réparé par l'allocation d'une somme équivalente à 20 mois de salaire soit 20 × 4 148,93 € = 82 978,60 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

7/ Sur les autres demandes

L'employeur remettra au salarié les documents suivants rectifiés : bulletins de paie, attestation Pôle Emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte, sans qu'il soit besoin de prononcer une mesure d'astreinte.

L'employeur réalisera les déclarations auprès des organismes sociaux conformément à l'arrêt sans qu'il soit non plus besoin d'instituer une mesure d'astreinte.

Les sommes allouées à titre salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation à la première audience du conseil de prud'hommes.

La somme allouée à titre indemnitaire produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Les intérêts seront capitalisés pour autant qu'ils soient dus pour une année entière.

Il convient d'allouer au salarié la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

S'agissant d'un salarié de plus de deux ans d'ancienneté et d'une entreprise de plus de onze salariés, il y a lieu de faire application de l'article L. 1235-4 du code du travail dans les conditions fixées au dispositif.

L'employeur supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

dit qu'il convient d'appliquer l'article L. 1235-3 en vigueur à la date du licenciement ;

dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

condamné la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON à verser à M. [T] [V] la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles ;

condamner la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON aux entiers dépens.

L'infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau,

Condamne la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON à payer à M. [T] [V] les sommes suivantes :

10 518,37 € bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

1 051,84 € bruts au titre des congés payés y afférents ;

2 472,76 € bruts à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

82 978,60 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Déboute M. [T] [V] de ses demandes de dommages et intérêts pour non-paiement des heures supplémentaires et d'indemnité pour travail dissimulé.

Dit que les sommes allouées à titre salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON de sa convocation à la première audience du conseil de prud'hommes.

Dit que la somme allouée à titre indemnitaire produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Dit que les intérêts seront capitalisés pour autant qu'ils soient dus pour une année entière.

Condamne la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON à payer à M. [T] [V] la somme de 1 500,00 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

Ordonne le remboursement par la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à M. [T] [V] dans la limite de six mois.

Dit que conformément aux dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure le salarié.

Dit que la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON remettra à M. [T] [V] les documents suivants rectifiés : bulletins de paie, attestation Pôle Emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte.

Dit que la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON réalisera les déclarations auprès des organismes sociaux conformément à l'arrêt.

Condamne la société EUROVIA LANGUEDOC ROUSSILLON aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/05003
Date de la décision : 28/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-28;19.05003 ?
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