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10/01/2023 | FRANCE | N°21/00328

France | France, Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 10 janvier 2023, 21/00328


Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Chambre commerciale



ARRET DU 10 JANVIER 2023



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/00328 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O2WC





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 23 DECEMBRE 2020

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER

N° RG 2019010347





APPELANTE :
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S.A. SOCIETE FRANCAISE DES HABITATIONS ECONOMIQUES

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle CARRETERO de la SCP SOLLIER / CARRETERO, avocat au barreau de MONTPELLIER







INTIMEE :



S.A.R.L. SAINT JEAN agissant poursuites et diligences de son repr...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 10 JANVIER 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/00328 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O2WC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 23 DECEMBRE 2020

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER

N° RG 2019010347

APPELANTE :

S.A. SOCIETE FRANCAISE DES HABITATIONS ECONOMIQUES

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle CARRETERO de la SCP SOLLIER / CARRETERO, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.R.L. SAINT JEAN agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès qualités au siège,

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Virginie ARCELLA LUST de la SCP LES AVOCATS DU THELEME, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant non plaidant

Ordonnance de clôture du 13 Octobre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 NOVEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Jean-Luc PROUZAT, président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller

M. Thibault GRAFFIN, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Hélène ALBESA

ARRET :

- ccntradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

La SARL Saint-Jean exploite une boulangerie au rez-de-chaussée d'un immeuble « les jardins de Bastien » situé [Adresse 3] (Hérault) ; la SA Société Française des Habitations Economiques (la SFHE) est propriétaire d'un logement A105 au premier étage de cet immeuble.

Le 16 juin 2017, les locataires de la SFHE ont donné congé et quitté l'appartement au motif de nuisances sonores générées par l'activité de la boulangerie.

Par ordonnance du 7 décembre 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier, que la SFHE avait saisi, a prescrit une mesure d'expertise confiée à M. [V] à l'effet notamment de déterminer l'existence des nuisances sonores invoquées, de prendre les mesures acoustiques nécessaires, de dire si les bruits relevés excèdent les niveaux autorisés par la réglementation, d'en rechercher les causes, d'indiquer si les éventuelles nuisances constatées excèdent les inconvénients normaux du voisinage et de décrire le principe des travaux nécessaires à la cessation ou à la réduction de ses nuisances.

L'expert a établi, le 3 mai 2019, un rapport de ses opérations, dont les conclusions sont les suivantes : « Suivant la mission qui nous a été confiée, nous avons réalisé les constatations et mesures techniques qui nous semblaient utiles pour apprécier les désordres acoustiques générés par la boulangerie-pâtisserie « Au levain naturel » vis-à-vis de l'appartement A 105 de la résidence « les jardins de Bastien » appartenant à la SA SFHE. Nous avons constaté, par des mesures acoustiques et en écoute normale, que les équipements techniques de la boulangerie « Au levain naturel » située au rez-de-chaussée, génère des bruits perceptibles dans la chambre 2. Ces bruits dépassaient les tolérances réglementaires dans cette chambre et perturbaient le repos des occupants. Suite à la transmission de notre première note et des mesures, des aménagements ont été réalisés pour mettre un terme aux nuisances sonores. Nous avons constaté, le 24 janvier 2019, que les niveaux sonores sont conformes à la réglementation et le bruit n'est plus perceptible en écoute normale. »

Le 1er juin 2019, la SFHE a reloué son appartement moyennant un loyer mensuel hors charges de 468,53 euros.

Au motif qu'elle avait subi un préjudice lié à l'impossibilité dans laquelle elle s'était trouvée de louer son appartement durant 24 mois, la SFHE a, par exploit du 22 juillet 2019, fait assigner la société Saint-Jean devant le tribunal de commerce de Montpellier en vue d'obtenir, sur le fondement de l'article 1242 du code civil, sa condamnation au paiement de la somme de 11 244,72 euros.

Le tribunal, par jugement du 23 décembre 2020, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée à payer à la société Saint-Jean la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SFHE a régulièrement relevé appel, le 18 janvier 2021, de ce jugement en vue de son infirmation.

Elle demande la cour, dans ses conclusions déposées le 20 avril 2021 via le RPVA et au visa des articles 544 et 1242 du code civil, de :

(...)

'dire que la société Saint-Jean est entièrement responsable des nuisances sonores générées par ses installations et auxquelles elle n'a remédié qu'aux termes des préconisations de l'expert,

'dire qu'elle a souffert d'un préjudice de jouissance en ne pouvant relouer le logement vacant, du 16 juillet 2017 au 13 juin 2019, date de sa relocation,

'condamner la société Saint-Jean à la réparation du préjudice subi par elle, soit la somme de 14 695,33 euros avec intérêts de droit à la date de l'assignation en référé du 30 octobre 2017,

'condamner la société Saint-Jean aux frais de l'expertise judiciaire de M. [V], ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier en date du 7 octobre 2017,

'condamner la société Saint-Jean au paiement de la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l'essentiel que :

'les nuisances sonores générées par l'activité de la boulangerie ont impacté la location du logement dont elle est propriétaire, la rendant impossible et justifiant par conséquent l'octroi de 14 695,53 euros en indemnisation de son préjudice qui correspond à la perte de 24 mois de loyer et du dépôt de garantie qu'elle aurait perçu si elle avait pu louer l'appartement,

'ces nuisances sonores, rendant impossible la location de l'appartement, ont été mises en évidence par l'expert qui conclut dans son rapport que les mesures acoustiques effectuées ont montré que le calme est perturbé dans la chambre 2 de l'appartement, ce qui constitue une difficulté pour la location, et que les bruits dépassaient les tolérances réglementaires dans cette chambre et perturbaient le repos des occupants.

La société Saint-Jean, dont les conclusions ont été déposées le 26 février 2021 par le RPVA, sollicite, au visa des articles 1242, 1719 et 1725 du code civil, de voir :

'confirmer le jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 23 décembre 2020,

'débouter la société Française des habitations économiques de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions à son encontre,

'dire et juger que n'est pas caractérisé une faute, un lien de causalité et un préjudice de jouissance en l'état d'une absence d'inhabitabilité totale ou partielle de l'appartement, tenant que l'emplacement des appareils techniques de la boulangerie lui a été imposé par le constructeur du bâtiment et tenant l'absence d'aménagement non conforme de sa part,

'condamner la société Française des habitations économiques à lui payer la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose en substance ce que :

'aucun locataire n'a demandé à la SFHE l'indemnisation d'un trouble de jouissance et l'expert, qui ne chiffre aucun préjudice indemnisable à cet égard, n'a pas conclu qu'elle avait été privée de jouir et de disposer de sa propriété,

'l'activité de la boulangerie préexistait à la mise en location de l'appartement en sorte que les locataires ne pouvaient ignorer que cette activité, en partie nocturne, générait du bruit,

'l'environnement général est d'ailleurs particulièrement bruyant compte tenu de la présence d'une avenue fréquentée avec d'autres commerces à proximité,

'le préjudice de jouissance n'est pas caractérisé, l'expert concluant que seule une des chambres est concernée par les nuisances sonores, et la SFHE n'établit pas l'existence de troubles du sommeil ou de troubles physiques ou mentaux, dont ses locataires auraient été atteints,

'l'inhabitabilité, totale ou partielle, du logement n'est pas démontrée, de nature à justifier une indemnisation à due concurrence de l'intégralité des loyers pendant 24 mois,

'la boulangerie a été aménagée conformément aux préconisations de l'expert, sachant que la localisation des éléments techniques lui avait été imposée par le constructeur.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 13 octobre 2022.

MOTIFS de la DECISION :

Même si la SFHE, propriétaire du logement donné à bail situé au premier étage de l'immeuble « les jardins de Bastien », n'a pas personnellement subi un trouble de jouissance, elle n'en est pas moins fondée à réclamer l'indemnisation d'une perte de loyers liée à l'impossibilité de louer le logement en raison des nuisances sonores générées par l'activité de la boulangerie exploitée par la société Saint-Jean au rez-de-chaussée de l'immeuble ; en invoquant l'article 544 du code civil, la SFHE fonde implicitement mais nécessairement son action sur la responsabilité pour troubles de voisinage, régime autonome de responsabilité sans faute, distinct de l'application de l'article 1242 du code civil ; à cet égard, il est de principe que le propriétaire d'un immeuble, même s'il n'y réside pas, est recevable à demander qu'il soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant d'un immeuble voisin et à obtenir l'indemnisation du préjudice qu'il a subi.

En l'occurrence, M. [V] a clairement mis un évidence, lors de ses opérations d'expertise, que dans la chambre 2 du logement A 105 appartenant à la SFHE, les niveaux de bruits globaux (dBA) et à la fréquence de 125 Hz ne respectent pas les contraintes fixées par la réglementation (les articles R. 1334-33 et R. 1334-34 du code de la santé publique), puisque le niveau d'émergence est de 4 dBA alors que la réglementation fixe un maximum de 3 dBA, les équipements étant en fonctionnement permanent, et que le niveau d'émergence à la fréquence de 125 Hz est de 11 dB, alors que la réglementation tolère une émergence de 7 dB ; il n'est pas discuté que ces nuisances sonores, dépassant les tolérances réglementaires dans la chambre 2, proviennent des équipements techniques (essentiellement les groupes de production de froid pour les chambres froides) de la boulangerie exploitée par la société Saint-Jean, disposés dans un local technique en face du bâtiment et directement sous la chambre 2.

L'expert a conclu que les nuisances sonores constatées étaient bien de nature à perturber le repos des occupants de la chambre 2 et, après avoir préconisé divers aménagements, a relevé, lors de son accédit du 24 janvier 2019, que ceux-ci ayant été réalisés, les nuisances sonores ne sont plus perceptibles dans le logement.

C'est vainement que la société Saint-Jean invoque le fait que l'activité de la boulangerie préexistait à la mise en location du logement et que les locataires ne pouvaient ignorer que cette activité générait du bruit notamment en période nocturne, alors que cette activité ne s'est pas exercée en conformité avec les dispositions réglementaires en vigueur et n'est donc pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité ; il importe peu également que la localisation des éléments techniques dans le local, livré brut de décoffrage, lui a été imposée par le constructeur de l'immeuble.

Le congé délivré le 16 juin 2017 par les locataires de la SFHE est clairement motivé par les nuisances sonores générées par l'activité de la boulangerie, engageant la responsabilité de la société Saint-Jean pour trouble anormal de voisinage, et le préjudice consécutif à la perte de loyers, dont la réparation est sollicitée, y est directement liée.

Pour autant, le logement appartenant à la SFHE comporte deux chambres, dont seule la plus petite a été affectée de nuisances sonores au point de perturber, selon l'expert, le repos de ses occupants ; le logement n'était donc pas en totalité inhabitable durant la période de juillet 2017 à janvier 2019, sachant que si le logement a été reloué à compter du 1er juin 2019, les aménagements mettant fin aux nuisances avaient été réalisés bien antérieurement, depuis à tout le moins le 24 janvier 2019, date du dernier accédit de M. [V].

Le montant hors charges du loyer, réglé par la nouvelle locataire (Mme [T]) est de 468,53 euros ; ainsi, le préjudice de la SFHE peut être fixé à 50 % de la valeur locative du logement durant la période de juillet 2017 à janvier 2019, soit la somme de : 468,53 euros x 19 x 50 % = 4451 euros ; le dépôt de garantie, dont le paiement est également réclamé, ne constitue pas en revanche un préjudice indemnisable.

Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé et la société Saint-Jean, condamnée au paiement de la somme de 4451 euros en indemnisation de son préjudice, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019, date de l'assignation introductive d'instance.

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société Saint-Jean doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais et honoraires de l'expert désigné en référé, ainsi qu'à payer à la SFHE la somme de 1500 euros en remboursement des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 23 décembre 2020 et statuant à nouveau,

Dit que la SARL Saint-Jean a engagé sa responsabilité à l'égard de la SA Société Française des Habitations Economiques (la SFHE) pour trouble anormal de voisinage,

Condamne la société Saint-Jean à payer à la SFHE la somme de 4451 euros en indemnisation de son préjudice, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Saint-Jean aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais et honoraires de l'expert désigné en référé, ainsi qu'à payer à la SFHE la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

le greffier, le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/00328
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-10;21.00328 ?
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