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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 25 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/01869 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O5RN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 03 MARS 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 20/011087
APPELANTE :
S.A AXA FRANCE IARD représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Emily APOLLIS substituant Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Samba Dieng SY, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Pascal ORMEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.R.L. LE GRAND BLEU prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Yann LE TARGAT de la SEP ALAIN ARMANDET ET YANN LE TARGAT, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
Ordonnance de clôture du 09 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 MARS 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère faisant fonction de président en remplacement de Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre régulièrement empêché, et par Mme Audrey VALERO, greffier.
FAITS, PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
La SARL le Grand Bleu, immatriculée le 13 janvier 2020, exploite un fonds de commerce de restauration traditionnelle, brasserie, situé promenade de la mer, centre commercial le Neptune, à la Grande Motte (34).
Elle a souscrit le 26 février 2020 auprès de la SA Axa France Iard (la société Axa) un contrat d'assurance multirisque professionnelle n°10640574304, à effet au 18 février 2020, tacitement reconductible.
Le contrat comprend des conditions générales n°690200Q aux termes desquelles sont garanties les conséquences financières de l'arrêt de l'activité professionnelle déclarée par l'assuré au titre, notamment, des pertes d'exploitation (article 2.1), et des conditions particulières, qui prévoient au titre de la garantie « protection financière et de la perte d'exploitation suite à fermeture administrative » une extension de la garantie aux « pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
'1. la décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à l'assuré,
2. la décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.
Durée et limite de la garantie
La garantie intervient pendant la période d'indemnisation, c'est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l'établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de 3 mois maximum.
Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.
L'assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés. »
Cette clause contractuelle précise que : « sont exclues les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique. »
Aux termes de deux arrêtés ministériels en date des 14 et 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, publiés au Journal officiel, les restaurants et débits de boissons (sauf activités de livraison et vente à emporter '), ont fait l'objet d'une mesure d'interdiction d'accueillir du public pour lutter contre la propagation dudit virus, entraînant une fermeture totale ou partielle des établissements concernés.
Par lettre en date du 17 septembre 2020, la société Axa France Iard a adressé à la société le Grand Bleu une proposition d'avenant au contrat devant prendre effet à la date anniversaire du 1er janvier 2021, par lequel, notamment, la couverture de la perte d'exploitation à la suite d'une fermeture administrative est limitée aux événements liés à un décès accidentel, un suicide, un meurtre ou une intoxication alimentaire.
Entre-temps, par acte d'huissier délivré le 19 août 2020, la société le Grand Bleu a assigné la société Axa France Iard devant le président du tribunal de commerce de Montpellier qui, par ordonnance de référé du 15 octobre 2020, a rejeté sa demande de provision formulée au titre de la garantie pertes d'exploitation, s'est déclaré « incompétent » au titre de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile et a renvoyé l'affaire devant le tribunal, qui, par jugement du 3 mars 2021, a :
« - dit que la clause d'exclusion prévue dans le contrat en question est réputée non écrite, en application de l'article 1170 du code civil en ce qu'elle vide de sa substance la garantie souscrite en l'état de fermeture de la survenance d'une épidémie et contrevient aux dispositions de l'article L. 113-1 alinéa 1er du code des assurances pour ni formelle, ni limitée,
- dit que la garantie perte d'exploitation souscrite par la société le Grand Bleu doit trouver pleine et entière application,
- ordonné le versement par la société Axa France Iard, à titre de provision, la somme de 64 705 euros à la société le Grand Bleu,
- désigné comme expert judiciaire, Mme [H] [C] avec pour mission,
- d'évaluer le montant des dommages constitué par la perte d'exploitation pendant la période concernée,
- se faire communiquer tous documents ou pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission,
- entendre les parties ainsi que tout sachant (...)
- mener ses opérations d'expertise de façon strictement contradictoire en faisant connaître aux parties l'état de ses avis et opinions à chaque étape de sa mission,
- établir un document de synthèse,
- fixé à 2 000 euros le montant de la provision sur frais d'expertise à consigner par la société Axa Iard France dans un délai de 2 mois à dater de la signification de la présente décision,
- dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque,
- dit que l'expert prendra contact avec le juge en charge du contrôle des mesures d'instruction dès le démarrage de sa mission pour exposer sa méthodologie,
- dit que ce même juge suivra l'exécution de la présente expertise dont le rapport devra être déposé au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la consignation de la provision,
- débouté les parties de leurs autres demandes ('),
- condamné la société Axa France Iard à payer à la société le Grand Bleu la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs autres demandes ('),
- réservé les dépens. »
Par déclaration enregistrée le 22 mars 2021, la société Axa Iard France a relevé appel de cette décision.
Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées le 3 février 2023 via le RPVA, de :
«- vu la clause d'exclusion stipulée dans le contrat d'assurance ('), vu les articles 1103, 1170 et 1192 du Code civil, les articles L. 113-1 et L. 121-1 du Code des assurances, (')
- Déclarer recevable et bien-fondé son appel et, y faisant droit :
- A titre liminaire, juger que la société le Grand Bleu est irrecevable et en tous les cas, non fondée pour toute demande au titre d'un prétendu manquement (') à son obligation d'information et de conseil,
- débouter la société le Grand Bleu de toutes demandes (...) contraires au présent dispositif,
- A titre principal, infirmer le jugement (..) en ce qu'il dit que la clause d'exclusion prévue dans le contrat en question est réputée non écrite, (') en ce qu'elle vide sa substance la garantie souscrite (' ) et contrevient aux dispositions de l'article L. 113- 1 alinéa 1 du Code des assurances pour n'être ni formelle, ni limitée, dit que la garantie perte d'exploitation souscrite (...) doit trouver pleine et entière application ('), désigné un expert judiciaire (') et ordonné le versement d'une provision à hauteur de 64 705 euros (') et en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion,
- Statuant à nouveau, juger :
- que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce,
- que cette clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du code des assurances,
- que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et répond au caractère limité de l'article L. 113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'Axa France de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil,
- que cette clause est inscrite en des termes très apparents, de sorte que sa rédaction est conforme aux règles de formalisme prescrites par l'article L. 112-4 du code des assurances,
- En conséquence, juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie,
- débouter la société le Grand Bleu de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre,
- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Montpellier,
- A titre subsidiaire, infirmer le jugement (') en ce qu'il l'a condamnée à verser la somme de 64 705 euros à titre de provision,
- statuant à nouveau, ordonner la fixation de la mission de l'expert désigné (') comme suit :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'intimé et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années,
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties, le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicables,
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées,
* donner son avis sur le montant des aides/subventions d'État perçues par l'assurée,
* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars 2020,
- En tout état de cause, condamner la société le Grand Bleu à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première et d'appel. »
Au soutien de son appel, elle fait valoir que :
- la demande fondée sur un manquement à son obligation d'information et de conseil est irrecevable comme étant nouvelle, n'ayant jamais été formée devant le premier juge et comme contraire aux dispositions de l'article 910-4, ayant été émise dans les conclusions n°2,
- aucun manquement n'est caractérisé, les dispositions de l'article L. 112-2 du code des assurances relatives à la remise à l'assuré d'un exemplaire du projet de contrat ont été respectées ainsi que celles de l'article L. 520-1 II 2° (devenu L. 521-4) relatives à l'obligation de conseil de l'intermédiaire en assurance, l'assuré ayant pu prendre connaissance de la clause d'exclusion,
- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir attiré l'attention du futur assuré sur l'absence de garantie d'un risque inédit, tel que les conséquences du covid-19, aucun préjudice n'est rapporté ; l'intimée ne démontre pas qu'elle aurait été en mesure de souscrire un contrat plus adapté à la crise du covid-19,
- la validité de la clause d'exclusion a donné lieu à des décisions contraires, la Cour de cassation a rendu le 1er décembre 2022 quatre arrêts validant cette dernière, considérant qu'elle est formelle et limitée,
- le caractère formel de la clause d'exclusion s'apprécie par rapport à la clarté des termes et non par rapport aux clauses définissant l'objet de la garantie ou les conditions de garantie,
- la clause d'exclusion ne contient aucun terme relevant d'un vocabulaire spécialisé de l'assurance, elle n'a pas à être interprétée,
- l'assurée, en sa qualité de professionnelle, connaissait les périls sanitaires liés à son exploitation, susceptibles de se traduire par une fermeture administrative individuelle, et notamment les toxico-infections alimentaires collectives (TIAC) comme les salmonelles et n'a pu se méprendre sur la portée de la clause d'exclusion,
- l'absence de définition du terme « épidémie » (qui est seulement employé dans les conditions de garantie) n'affecte pas la validité de la clause d'exclusion, car celui-ci est indifférent à sa compréhension, une épidémie ne constitue pas le critère d'application de la clause d'exclusion, les critères d'application étant le nombre (plus d'un établissement fermé administrativement), le lieu (appréciation à l'échelle d'un département) et la cause identique,
- les termes « cause identique » sont clairs et précis et il n'y a pas besoin de définir les causes de fermeture, dont l'épidémie, pour comprendre le sens de la clause d'exclusion,
- le débat sur la définition du mot «épidémie» est sans pertinence sur l'appréciation du caractère formel de la clause d'exclusion, dès lors que le risque assuré est celui d'une fermeture administrative et non un risque épidémique et que la couverture de ce risque est clairement limitée à la nature isolée de cette fermeture administrative,
- la proposition d'avenant ne remet pas en cause la clarté de la clause, elle n'est que le fruit d'une reconsidération des risques liés aux épidémies par l'ensemble des acteurs du marché de l'assurance et de la réassurance,
- le caractère limité d'une clause d'exclusion doit s'apprécier non pas en considération de ce qu'elle exclut, mais de ce qu'elle garantit après sa mise en 'uvre, il doit s'apprécier au regard des cinq événements susceptibles d'entraîner une fermeture administrative et, au demeurant, une épidémie, telles que celles causées par une TIAC peut donner lieu à la fermeture d'un seul établissement,
- les autorités compétentes ont le pouvoir d'adapter les mesures aux risques encourus,
- la preuve des conditions d'application de l'exclusion pèse sur l'assureur, elle est rapportée eu égard aux mesures gouvernementales, la preuve de la validité de la clause d'exclusion pèse sur l'assuré,
- la clause d'exclusion limitant la couverture d'assurance à un risque même improbable (contesté en l'espèce) ne vide pas la garantie de sa substance,
- la commune intention des parties était de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposé aux risques biologiques et non de couvrir le risque d''une fermeture généralisée (risque totalement imprévisible),
- les pertes alléguées résultant de mesures gouvernementales généralisées, se traduisant par une fermeture collective de nombreux établissements, constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas d'une garantie individuelle de droit privé,
- les notions de maladie contagieuse, intoxication et épidémie peuvent se recouper ou être dissociées dans un sens de garantie plus large pour l'assuré,
- si l'intimée remet en cause le caractère très apparent de la clause (alors qu'elle respecte les dispositions de l'article L. 112-4 et que ce caractère s'apprécie par rapport aux clauses qui l'entourent), elle n'en tire aucune conséquence, notamment, dans le dispositif de ses conclusions, en ne formant aucune prétention de ce chef, la clause est conforme,
- le calcul de l'indemnisation est surévalué, il faut tenir compte des facteurs externes (baisse générale de l'activité économique), de charges variables, des économies réalisées (pas de salaires versés) et aides perçues, la mission confiée à l'expert ne tient pas compte des méthodes de calcul définies par le contrat.
Formant appel incident, la société le Grand Bleu sollicite, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le biais du RPVA le 31 janvier 2023, de:
« - statuer sur la recevabilité de l'appel en la forme, au fond le rejeter,
- vu l'article L. 112-4, L. 113-1 du code des assurances, l'article 1170, 1188, 1190 et 1191 du code civil, confirmer la décision,
- juger que la garantie perte d'exploitation (risque garanti) en cas de fermeture administrative (fait générateur) fondée sur une épidémie est vidée de sa substance et donc non limitée en l'état de la clause d'exclusion en ce qu'elle vise « une cause identique »,
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires, comme injustes et, en toutes hypothèses, mal fondées,
- condamner la société Axa France Iard au paiement de la somme de 138072,77 euros au titre de la garantie perte d'exploitation,
- débouter Axa de sa demande d'expertise,
- A titre subsidiaire, condamner la société Axa France Iard au paiement de la somme de 124 265,49 euros,
- En toutes hypothèses, condamner la société Axa France Iard au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ».
Elle expose en substance que :
- le cas d'espèce remplit les conditions de mise en 'uvre de l'extension de garantie, ce qui n'est pas contesté par l'assureur,
- l'assureur a dénaturé la notion d'épidémie contenue dans la clause dans la discussion et complexifié le débat avec des consultations de professeurs de médecine, en mélangeant la notion de TIAC avec celle d'épidémie, ainsi que celles d'intoxications et de maladies contagieuses (légionellose, salmonelloses, fièvre typhoïde), le doute introduit nécessitant une interprétation,
- l'assureur a dénaturé les dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique,
- la clause n'est pas exposée en caractères très apparents, la clause n'est ni formelle, ni limitée,
- de nombreuses juridictions ont rendu des décisions favorables aux restaurateurs, l'argumentation retenue par la Cour de cassation n'a jamais été soutenue par la société Axa et recèle une contradiction interne au bénéfice d'Axa,
- la Cour de cassation retient à la fois indistinctement les différentes causes de fermeture administrative et les distingue dans l'application de l'exclusion, cette analyse ne serait possible que si la clause mentionnait « pour l'une de ces causes » et non « pour une cause identique »,
- la Cour de cassation reconnaît elle-même que la garantie en cas de fermeture administrative fondée sur une épidémie est vidée de sa substance et donc non limitée,
- le calcul de l'indemnité réclamée a été établi en fonction de la définition contractuelle,
- l'assureur a manqué à son devoir de conseil et son obligation d'information en laissant souscrire une garantie dont elle savait en s'abstenant de définir la notion d'épidémie, qu'elle était vidée de sa substance,
- le point de départ de la prescription est le jour où l'assureur a refusé la garantie et est quinquennale, il s'agit de la perte d'une chance de souscrire une garantie plus adaptée à ses besoins, et elle n'a pas à démontrer que mieux conseillée, elle aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé,
- la perte de chance est égale à 90 % du montant de la somme réclamée, cette demande subsidiaire n'est pas nouvelle tendant aux mêmes fins que celles soumise au premier juge.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 9 février 2023.
MOTIFS de la DÉCISION :
1- sur l'irrecevabilité de la demande subsidiaire formée par la société le Grand Bleu
La demande subsidiaire, fondée sur un manquement de la société Axa France Iard à son obligation d'information et de conseil, n'a été formée par l'intimée que par conclusions déposées et notifiées le 31 janvier 2023, soit après l'expiration du délai de trois mois fixé par l'article 909 du code de procédure civile alors qu'elle ne se limite pas, au sens de l'article 910-4 du même code, à répliquer aux demandes adverses ou à répondre à des questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la révélation d'un fait, de sorte qu'elle est irrecevable, même si elle est la conséquence et complète celle soumise au premier juge.
2- sur la validité de la clause d'exclusion
Le contrat d'assurance couvre le risque de pertes d'exploitation de l'activité déclarée et, dans le cadre d'une extension de cette garantie, celles résultant de la fermeture provisoire totale ou partielle du fonds de commerce assuré, décidée par une autorité administrative en cas notamment d'une épidémie, sauf en cas de fermetures administratives collectives.
Les conditions de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire du fonds de commerce de la société le Grand Bleu sont, en l'espèce, réunies.
Concernant l'exclusion d'une garantie, il convient de rappeler que l'article L. 113-1 du code des assurances prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. (...)
Une clause d'exclusion de garantie n'est pas formelle et limitée lorsqu'elle doit être interprétée.
Une clause d'exclusion est formelle, lorsqu'elle est claire et précise.
De même, une clause d'exclusion n'est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément aux dispositions de l'article 1170 du code civil, issues de l'ordonnance n°131-2016 du 10 février 2016.
Au préalable, la clause d'exclusion litigieuse figure, en page 7/11 des conditions particulières, en caractères très apparents, étant rédigée en lettres majuscules, au sein d'un paragraphe, intitulé «perte d'exploitation suite à fermeture administrative», rédigé en lettres minuscules, conformément aux dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances.
La société le Grand Bleu reproche à l'assureur de ne pas avoir défini le terme 'épidémie' et de l'avoir utilisé dans un sens restrictif, contraire à sa définition, afin d'exclure un tel risque, qu'il présente au terme de l'extension de garantie, comme étant couvert.
Cependant, cette absence de définition ne suffit pas à démontrer un caractère imprécis ou une utilisation dudit terme dans un sens contraire à celui communément accepté. À ce propos, les parties se rapprochent pour retenir une définition large de ce terme comme étant la propagation rapide d'une maladie, plutôt d'origine infectieuse, à un grand nombre de sujets en même temps dans une zone géographique ou une population données, étant constaté que la définition scientifique recouvre, peu ou prou, la même définition.
Le recours à la définition du terme « épidémie », figurant dans la clause d'exclusion (par renvoi à la clause d'extension de garantie) ne contredit pas le caractère clair et précis que doit recouvrer une telle clause en ce que, en l'espèce, définir le terme « épidémie » permet d'expliciter son sens et, au demeurant, aux parties de s'accorder sur celui-ci sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d'exclusion afin de pallier un prétendu caractère inintelligible.
La clause d'exclusion ne comprend aucun terme ou expression relevant d'un vocabulaire spécialisé.
Les termes « cause identique » concernant la motivation des décisions de fermeture administrative des autres établissements (susceptibles d'être également fermés), ne sont pas imprécis en ce qu'ils renvoient à la même cause que celle fondant la décision de fermeture du fonds de commerce assuré.
L'exclusion est, ainsi, sans ambiguïté ; la garantie ne peut pas être mobilisée en cas de fermetures administratives collectives pour la même origine ou le même fondement.
L'appréciation de la limitation de la garantie, qui ne doit pas tendre à annuler les effets de celle-ci, doit se faire au regard du risque couvert. Le caractère limité d'une clause d'exclusion s'apprécie non pas en considération de ce qu'elle exclut, mais en considération de ce qu'elle garantit après sa mise en 'uvre. En l'espèce, l'exclusion tenant à une mesure de fermeture administrative collective, conséquence d'une épidémie, ne fait pas obstacle à la garantie des pertes d'exploitation subies par l'activité assurée, lorsque la décision de fermeture administrative découle des autres causes contractuellement prévues.
Le contrat d'assurance ne couvre pas le risque de la survenance d'une épidémie, mais celui d'une fermeture administrative découlant, notamment, d'une épidémie. Une telle fermeture relève d'une décision de l'autorité compétente, qui, tenant compte de différents éléments, peut varier et ce au visa de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en l'espèce, qui prévoit la prescription de «toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population », en ce compris des mesures individuelles.
De même, il appartient à l'assureur de démontrer qu'un autre établissement situé dans le même département fait l'objet d'une fermeture administrative pour la même épidémie, ce qui n'exclut pas, de ce fait, toute possibilité de mobiliser la garantie.
Concernant les motifs de fermeture administrative, tels que le meurtre et le suicide, pour lesquels une commission à l'identique au même moment dans le même département est peu envisageable, l'exclusion de garantie ne devrait pas pouvoir être appliquée, la garantie demeurant.
Concernant les motifs tels que l'intoxication, la maladie contagieuse et l'épidémie, la distinction existante est favorable à l'assuré, puisque ces trois évènements ne recouvrent pas une même réalité.
L'assureur démontre à l'appui d'une documentation circonstanciée, que la fermeture d'un seul établissement dans un même département fondée sur des cas de listériose, grippe aviaire, légionellose ou fièvre typhoïde, donnant lieu à des épidémies, est avéré. Il est d'ailleurs établi qu'un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives, dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale) alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d'hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d'entraîner une fermeture administrative.
L'épidémie de covid-19, qui a entraîné la fermeture des restaurants en France suite aux mesures gouvernementales, ne constitue qu'un cas d'épidémie et qu'un motif de fermeture administrative parmi d'autres, pour lequel ladite fermeture, qui était collective, n'était pas couverte par la garantie souscrite.
Seule l'absence d'aléa, et non son caractère rare, prive le contrat d'assurance d'objet ou de cause.
La proposition d'un avenant à l'assuré par courrier en date du 17 septembre 2020 par la société Axa, qui exclut de la garantie toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est indifférente quant à l'analyse du contrat litigieux, si ce n'est qu'elle atteste que ce dernier n'avait pas été envisagé par les parties au regard d'une épidémie telle que celle de la covid-19 même à la date à laquelle il a été signé (février 2020).
Il en résulte que l'exclusion de garantie, relevant d'une fermeture administrative, découlant d'une épidémie, lorsque celle-ci n'est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve, ne vide pas de sa substance la garantie, étendue, des pertes d'exploitation souscrite ; elle est parfaitement valable.
En conséquence, la demande de la société le Grand Bleu tendant à voir déclarer non-écrite la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnelle n°10640574304 au regard de son caracatère non limité, sera rejetée ainsi que les demandes subséquentes.
Le jugement sera donc infirmé dans toutes ses dispositions sans qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de la mesure d'expertise ayant été ordonnée.
3 - sur les autres demandes
La société le Grand Bleu, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, le jugement ayant réservé les dépens de première instance, et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 1 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare irrecevable la demande subsidiaire de la SARL le Grand Bleu relative aux manquements de la SA Axa France Iard à son devoir de conseil et d'information,
Infirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 3 mars 2021,
Et statuant à nouveau,
Dit que la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnelle n°10640574304 (conditions générales 690200Q), à effet au 18 février 2020, liant la SARL le Grand Bleu et la SA Axa France Iard, est valable,
Rejette les demandes formées par la SARL le Grand Bleu,
Dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité de la mesure d'expertise judiciaire,
Condamne la SARL le Grand Bleu à payer à la SA Axa France Iard la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Rejette la demande de la SARL le Grand Bleu fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL le Grand Bleu aux dépens d'appel.
le greffier, la conseillère faisant
fonction de président,