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25/04/2023 | FRANCE | N°21/03808

France | France, Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 25 avril 2023, 21/03808


Grosse + copie

délivrées le

à



























COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Chambre commerciale



ARRET DU 25 AVRIL 2023



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03808 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PBHA





Décisions déférées à la Cour :

Jugement du 18 DECEMBRE 2020

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CARCASSONNE

N° RG 15/00400

Jugement rectificatif du 8 AVRIL 2021

TRIBUNAL

JUDICIAIRE DE CARCASSONNE

N°RG 21/00382





APPELANTES :



Madame [T] [N] veuve [R]

née le [Date naissance 4] 1924 à [Localité 11] (11)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 12]

Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au ...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 25 AVRIL 2023

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03808 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PBHA

Décisions déférées à la Cour :

Jugement du 18 DECEMBRE 2020

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CARCASSONNE

N° RG 15/00400

Jugement rectificatif du 8 AVRIL 2021

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CARCASSONNE

N°RG 21/00382

APPELANTES :

Madame [T] [N] veuve [R]

née le [Date naissance 4] 1924 à [Localité 11] (11)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 12]

Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

Madame [Z] [R]

née le [Date naissance 5] 1948 à [Localité 1] (11)

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 12]

Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

Maître [W] [G] ès qualités de mandataire ad'hoc désigné pour représenter Madame [Z] [R]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEES :

Madame [K] [M]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Thimothée DE HEAULME DE BOUTSOCQ, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

CAISSE DE GARANTIE DESADMINISTRATEURS JUDICIAIRES ET MANDATAIRES JUDICIAIRES, prise en la personne de son représentant legal en exercice

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Thimothée DE HEAULME DE BOUTSOCQ, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 07 Février 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère

M. Thibault GRAFFIN, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO

Ministère public :

L'affaire a été communiquée au ministère public.

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère faisant fonction de président en remplacement du Président de chambre régulièrement empêché, et par Mme Audrey VALERO, Greffière.

*

* *

FAITS et PROCÉDURE - MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES:

Par acte authentique en date du 17 novembre 1979, Monsieur [J] [R] et Madame [T] [N], son épouse ainsi que Madame [Z] [R], leur fille, ont constitué un groupement foncier agricole, dénommé "groupement foncier agricole du château de [Localité 12]" (le GFA), ayant pour activité un domaine viticole situé à [Localité 12] (11), pour une durée de 30 ans. Mme [Z] [R] en est la gérante.

Par acte authentique en date du 31 août 1981, M. et Mme [R] ont consenti à leur fille, Mme [Z] [R], un bail à ferme pour une durée de 18 ans renouvelable, portant sur des parcelles de vignes et terrains du domaine.

Par acte authentique en date du 20 septembre 1986, M. et Mme [R] ont apporté au GFA les terres louées à leur fille.

Par actes authentiques du 1er mars 1990, M. et Mme [R] ont procédé à des donations réciproques au dernier vivant ; M. [R] est décédé le [Date décès 9] 1997.

Par deux jugements du 20 janvier 1998, le tribunal de grande instance de Carcassonne a ouvert deux procédures simplifiées de redressement judiciaire à l'égard du GFA d'une part et de Mme [Z] [R] d'autre part, Mme [M] étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement en date du 27 juillet 1999, ce tribunal a arrêté un plan de redressement de Mme [R] pour une durée de 15 ans, modifié par jugement en date du 26 mars 2002, M. [W] étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par jugement en date du 27 juillet 1999, ce tribunal a également arrêté un plan de redressement du GFA pour une durée de 15 ans, M. [W] étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par deux jugements du 28 septembre 2004, confirmés par deux arrêts de la cour d'appel de Montpellier en date du 13 septembre 2005, le tribunal de grande instance de Carcassonne a prononcé la résolution du plan et la liquidation judiciaire du GFA d'une part et de Mme [Z] [R] d'autre part, Mme [M] étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Par ordonnance du 1er décembre 2004, le juge-commissaire de la liquidation judiciaire du GFA a désigné un expert immobilier afin d'évaluer les immeubles de l'actif. Le rapport d'expertise a été déposé le 21 juin 2005.

Par ordonnances des 11 septembre 2007, 8 novembre 2007 et 24 juillet 2008, le juge-commissaire a autorisé la vente aux enchères de plusieurs actifs. Par jugement du 23 juin 2009, le juge de l'exécution a déclaré irrecevable Mme [R] en sa demande d'annulation de la vente aux enchères des actifs mobiliers dépendant de la liquidation judiciaire, ordonnée par la décision du 24 juillet 2008.

Par ordonnance du 17 juillet 2007, confirmée par un jugement du tribunal de grande instance de Carcassonne en date du 11 mars 2008, le juge-commissaire a autorisé la vente aux enchères publiques de divers biens immobiliers moyennant la mise à prix de 350 000 euros pour chacun des deux lots constitués, l'un concernant, notamment, des vignobles ainsi qu'un ensemble immobilier à usage d'habitation et un chai et le second incluant le château et son parc.

Saisie par le GFA pris en la personne de Mme [R], gérante, par arrêt du 19 mai 2009, la cour d'appel de Montpellier a déclaré l'appel à l'encontre du jugement du 11 mars 2008 irrecevable en application de l'article L. 623-4 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable. M. [D] [H] désigné en qualité d'administrateur ad hoc du GFA par ordonnance du 16 juin 2008 du président du tribunal de grande instance de Carcassonne, statuant sur requête de Mmes [R], a formé un pourvoi en cassation, déclaré non admis par arrêt du 22 juin 2010.

Par jugement sur dire en date du 29 juillet 2008, le tribunal de grande instance de Carcassonne a déclaré irrecevable le GFA pris en la personne de sa gérante Mme [R], s'agissant de son dire, qui visait à voir prononcer la suspension de la procédure jusqu'à décision définitive sur le jugement du 11 mars 2008, frappé d'appel.

Par arrêt du 28 mai 2009, la cour d'appel de Montpellier a infirmé le jugement du 29 juillet 2008 au motif que l'adjudication ou la vente forcée ne pouvait intervenir qu'après une décision définitive passée en force de chose jugée, condition non remplie par le jugement du 11 mars 2008.

Par jugement d'adjudication du 23 octobre 2012, la vente sur saisie immobilière des biens appartenant au GFA a été réalisée en deux lots, le premier ayant été adjugé à M. [S], avant d'être préempté par la SAFER Languedoc-Roussillon et le second ayant été retiré de la vente, faute d'acquéreurs.

Par jugement du 21 août 2014, confirmé par arrêt du 24 septembre 2015 de cette cour, le tribunal de grande instance de Carcassonne a déclaré irrecevables les actions engagées par Mme [N] et Mme [R] en annulation du jugement d'adjudication. Par arrêt du 14 juin 2017, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi de Mme [R] et rejeté le pourvoi de Mme [N].

Par acte d'huissier du 20 février 2015, Mme [N] épouse [R] et Mme [Z] [R] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Carcassonne Mme [M] et la Caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires aux fins de les voir condamner in solidum sur le fondement de la responsabilité civile professionnelle.

Par ordonnance du 31 janvier 2017, M. [W] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc de Mme [Z] [R].

Le tribunal, par jugement du 18 décembre 2020, a :

'- déclaré irrecevables les demandes formulées par M. [W] au nom de Mme [N] veuve [R],

- déclaré irrecevables les demandes formulées par Mme [Z] [R] en son nom personnel,

- déclaré irrecevables les demandes de Mme [N] veuve [R] et Mme [Z] [R] représentée par M. [W] dirigées à l'encontre de Mme [M] à titre personnel,

- déclaré irrecevables les demandes de Mme [M] ès qualités de liquidateur judiciaire,

- débouté Mme [N] veuve [R] et Mme [Z] [R] représentée par M. [W] de leurs demandes à l'encontre de la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires,

- débouté la Caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné Mme [N] veuve [R] et Mme [Z] [R] représentée par M. [W] aux dépens de l'instance avec distraction ('),

- condamné Mme [N] veuve [R] et Mme [Z] [R] représentée par M. [W] à payer à la Caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [N] veuve [R] et Mme [Z] [R] représentée par M. [W] de leurs demandes de paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile'.

Ce jugement a été rectifié par un jugement en date du 8 avril 2021 ajoutant en première page la qualité de partie intervenante de M. [G] [W] en qualité de mandataire ad hoc de Madame [Z] [R].

Mme [N] veuve [R] et Mme [Z] [R] ont régulièrement relevé appel de ces deux jugements le 5 mars 2021(RG 21-1643) et à nouveau relevé appel avec M. [W] ès qualités le 11 juin 2021 (RG 21-3808) ; les deux appels ont été joints par une ordonnance du magistrat chargé de la mise en état en date du 10 janvier 2023 (RG 21-3808).

Ils demandent à la cour, en l'état de leurs conclusions déposées et notifiées le 13 septembre 2021 via le RPVA, de :

« - (') - déclarer recevable et régulier l'appel ('),

- (') constater qu'ils se désistent de leur appel à l'égard de la Caisse de garantie des administrateurs et des mandataires judiciaires qui n'est pas l'assureur RC de Mme [M],

- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu (...) rectifié par jugement de ce même tribunal le 12 mai 2021,

-Vu les articles 32 du code de procédure civile, déclarer recevables les demandes formées par Mme [N] veuve [R] et par Mme [Z] [R] (représentée par son mandataire ad hoc) et par M. [W] ès qualités de mandataire ad hoc de Mme [Z] [R],

- débouter Mme [M] de toutes ses demandes ('),

- Vu les articles 1382 et suivants et 1240 et suivants du code civil, condamner Mme [M] au titre de sa responsabilité civile professionnelle, à payer à Mme [N] veuve [R] et à Mme [Z] [R], et à M. [W] ès qualités de mandataire ad hoc de Mme [Z] [R], la somme principale de 3 560 547 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal de ladite somme à compter de l'assignation introductive d'instance jusqu'au parfait paiement,

- condamner Mme [M] à payer à Mme [N] veuve [R] et Mme [Z] [R] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de l'instance,

- voir ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution (sic)'.

Au soutien de leur appel, ils font essentiellement valoir que :

- les demandes de Mme [N] et Mme [Z] [R] sont recevables puisque dirigées à l'encontre de Mme [M] à titre personnel, l'erreur de plume ayant été corrigée,

- les demandes formées par Mme [Z] [R] représentée par un mandataire ad hoc sont recevables, la prescription ne commençant à courir qu'à la fin de la saisine de Mme [M] ès qualités,

- Mme [M] en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de Mme [R] et du GFA a commis des fautes justifiant l'octroi de dommages et intérêts puisque :

* elle a poursuivi les opérations de liquidation judiciaire du GFA et notamment de vente de l'actif immobilier après sa dissolution sans faire désigner de mandataire ad hoc pour représenter la personne morale dissoute,

* elle n'a pas préservé les droits propres de Mme [R] et du GFA, dissous depuis le 1er janvier 2010,

* elle a manqué de diligence dans la poursuite de l'activité du GFA puisqu'elle n'a pas présenté de requête pour terminer les opérations de vinification et notamment l'achat de produits 'nologiques, après le 28 novembre 2004, elle disposait de fonds en 2006, ayant reçu un acompte de 65000 euros dans le cadre de la vente de gré à gré,

* aucun inventaire officiel n'a été dressé à la suite de la liquidation judiciaire du GFA,

* la convention de mise à disposition au profit de la SAFER en 2005 (qui n'a pas abouti) n'a jamais été communiquée, et ne préservait pas les intérêts du GFA

* Mme [M] a été négligente dans la gestion et la préservation des actifs du GFA, notamment en n'effectuant aucune diligence pour maintenir les appellations AO-VDQS et les subventions PAC,

* elle a fait procéder aux vendanges des vignes en 2006 en dehors de tout cadre légal et a comptabilisé les ventes sur la comptabilité-mandat de Mme [R] au lieu de celle du GFA,

* la requête de 2008 pour le pré-taillage des vignes était tardive, le certificat d'urbanisme n'a pas été renouvelé, le vin en cuve n'a jamais été vendu,

* elle n'a entrepris aucune démarche après le vol par effraction, ni aucune déclaration de sinistre après la tempête intervenue en janvier 2009,

- le préjudice est composé de pertes sur les terres labourables, sur les vignes et des pertes matérielles dans la tempête et le vol.

Formant appel incident, Mme [M] et la Caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires sollicitent de voir, aux termes de leurs conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 6 février 2023 :

« - confirmer le jugement déféré, au besoin par substitution de motifs, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [M] ès qualités de liquidateur judiciaire et débouter la Caisse de garantie des administrateurs et des mandataires judiciaires de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- l'infirmer de ces chefs,  

- vu les articles 122 du code de procédure civile, déclarer irrecevables les demandes de Mme [Z] [R], débitrice dessaisie, pour défaut de qualité à agir,

- déclarer irrecevables les demandes de Mme [N] veuve [R], de Mme [Z] [R] et de M. [W] ès qualités, pour défaut de qualité à agir dans l'intérêt du GFA, ou à titre personnel,

- Subsidiairement, débouter Mme [N] veuve [R], Mme [Z] [R] et M. [W] ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes,

-Très subsidiairement, dire que toute condamnation prononcée au profit de M. [W] ès qualités de mandataire ad hoc de Mme [R] devra être versée entre les mains du liquidateur judiciaire de Mme [Z] [R],

- En tout état de cause, donner acte à la Caisse de garantie des administrateurs et des mandataires judiciaires de son acceptation du désistement des appelantes à leur égard,

- déclarer le désistement parfait et constater le dessaisissement de la cour,

- Faisant droit à l'appel incident, déclarer recevable Mme [M] en ses demandes et condamner in solidum Mme [N] veuve [R] et M. [W] ès qualités de mandataire ad hoc et de Mme [Z] [R] à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- Y ajoutant, condamner in solidum Mme [N] veuve [R] et M. [W] ès qualités de mandataire ad hoc de Mme [R] à payer à Mme [M] et à la Caisse des administrateurs et mandataires judiciaires la somme de 5000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux dépens'.

Elles exposent en substance que :

- les demandes de Mme [Z] [R] sont irrecevables puisqu'ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire personnelle, elle est dessaisie de ses droits patrimoniaux, elle n'a pas qualité à agir en son nom propre,

- les demandes de Mme [N], Mme [R] et M. [W] ès qualités sont irrecevables pour défaut de qualité à agir, les deux premières ayant perdu leur qualité d'associé suite au prononcé de la liquidation judiciaire du GFA, seul le liquidateur a qualité à agir dans l'intérêt collectif des créanciers,

- Mme [R], Mme [N] et M. [W] ès qualités ne rapportent pas la preuve de fautes de Mme [M] dans l'exercice de son mandat de liquidateur justifiant l'octroi de dommages et intérêts puisque :

* Mme [M] en qualité de liquidateur judiciaire du GFA, avait qualité à agir dans le cadre des opérations de réalisation de l'actif, indépendamment de la durée du GFA, en outre il appartenait à Mme [R] et Mme [N] de solliciter une nouvelle désignation d'un mandataire ad hoc,

* en l'absence de poursuite d'activité autorisée, il appartenait à Mme [M] d'effectuer des actes de conservation des parcelles et non des actes d'exploitation, elle a effectué les diligences nécessaires,

* l'exploitation étant impossible, les subventions PAC ne pouvaient être accordées,

* l'offre de la SAS Foncière du midi n'a pas été maintenue en l'absence de financement nécessaire,

* s'agissant du sinistre après tempête, une déclaration de sinistre a bien été adressée au cabinet MVRA, mais au vu de la franchise (minimum de 3 500 euros), il n'a pas été donné suite (montant des dommages inférieurs),

* s'agissant du vol, elle n'a été destinataire d'aucune liste,

* aucune perte d'exploitation ne peut être réclamée, puisque la liquidation emportait cessation d'activité après la brève période de poursuite autorisée,

- les opérations de liquidation ne sont pas clôturées du fait de l'obstruction de Mme [R],

- le retard dans la réalisation des actifs est dû aux recours systématiques exercés par Mme [R] et Mme [N] au cours de la procédure collective,

- elle a été assignée à titre personnel et a conclu à titre personnel, sa demande de dommages-intérêts dans ce cadre est recevable.

Le dossier a été communiqué au Ministère public qui n'a pas fait connaître son avis.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 février 2023.

MOTIFS de la DÉCISION :

1- sur le désistement

Mme [N], Mme [R] et M. [W], appelants, se désistent de leur appel à l'égard de la caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires, intimée, qui l'accepte.

Il y a lieu de constater ce désistement, qui emporte dessaisissement de la cour des demandes formées par Mme [N], Mme [R] et M. [W] à l'égard de la caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires en application de l'article 384 du code de procédure civile.

2- sur la recevabilité

L'action en responsabilité formée à l'encontre de Mme [M] est manifestement une action visant à engager sa responsabilité civile professionnelle à titre personnel dans le cadre de ses fonctions en qualité de liquidateur du GFA et de Mme [R], à laquelle elle s'oppose en cette qualité, de sorte qu'aucune irrecevabilité au titre d'une action engagée à son encontre ès qualités et défendue par cette dernière en cette même qualité, n'est encourue.

Selon l'article L. 622-9 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (ancien article 152 de la loi n°85-98 du 25 janvier 1985), applicable en l'espèce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Toutefois, le débiteur peut se constituer partie civile dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont il serait victime, s'il limite son action à la poursuite de l'action publique sans solliciter de réparation civile.

En application de l'article 1844-7 7° du code civil dans sa rédaction issue de la loi n°88-15 du 5 janvier 1988, applicable en l'espèce, le GFA a pris fin par l'effet du jugement ordonnant la liquidation judiciaire le 28 septembre 2004, Mme [R], sa gérante, a perdu le pouvoir de le représenter ainsi que, comme sa mère, Mme [N], leur qualité d'associée. Ainsi, les demandes de Mme [N] et de Mme [R] sont irrecevables pour défaut de qualité à agir.

De même, Mme [R] étant dessaisie du fait de la liquidation judiciaire la concernant, seul M. [W], en qualité de mandataire ad hoc, désigné pour la représenter, a qualité pour agir en responsabilité à l'encontre de Mme [M] ès qualités, la débitrice se prévalant d'un préjudice personnel au titre, notamment, de pertes de revenus.

Le jugement sera confirmé, sauf en en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [N] et de Mme [Z] [R], représentée par M. [W], dirigées à l'encontre de Mme [M] à titre personnel et les demandes de Mme [M] en qualité de liquidateur judiciaire.

3- sur la responsabilité

Le mandataire liquidateur engage sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l'article 1240 du code civil exigeant que soit rapportée la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Contrairement à ce qui est soutenu, un inventaire a été établi à l'occasion de l'ouverture de la liquidation judiciaire du GFA le 29 novembre 2004.

Le rapport d'expertise établi le 10 juin 2005, suite à une ordonnance du juge-commissaire en date du 1er décembre 2004, indique que le vignoble, exploité par Mme [R], est « dans son ensemble, en état plutôt médiocre (enherbement, espalier à reprendre, manquants, taille peu « orthodoxe') » (sic).

Le GFA a été représenté par sa gérante, puis par un mandataire ad hoc devant le juge-commissaire, puis devant le tribunal statuant en matière de saisie immobilière dans le cadre de la procédure relative à la réalisation des actifs immobiliers, l'irrecevabilité prononcée par un jugement sur dire en date du 29 juillet 2008 étant postérieure à la désignation de Monsieur [D] [H] en cette qualité le 16 juin précédant sans qu'une nouvelle désignation n'apparaisse utile après la dissolution dudit GFA, ce dernier ayant mission de représenter le GFA « dans toutes les procédures en cours et toute procédure à venir en demande ou en défense jusqu'à la fin de la procédure de liquidation en cours » et ledit GFA ayant, en tout état de cause, pris fin dès l'ouverture de la liquidation judiciaire avant l'arrivée du terme.

Suite à l'ouverture de la liquidation judiciaire du GFA et de Mme [R] par jugements du 28 septembre 2004, une poursuite de l'activité a été autorisée jusqu'à la fin de l'année culturale, soit jusqu'au 28 novembre 2004. Aucune autre poursuite de l'activité n'a été autorisée.

Mme [M] justifie à l'appui des factures établies entre le mois d'octobre 2004 et le mois de septembre 2008, des travaux de vendanges, de broyage, de traitements et prétaillage, réalisés et payés. Ces travaux n'avaient pour but que la préservation et la conservation des vignes et terres, et non un entretien destiné à la production ou à une valorisation, de sorte que la demande d'achat de produits 'nologiques, formée en novembre 2004, par Mme [R], ou la demande d'un certificat d'urbanisme pour une partie des terres était dépourvue d'objet.

Mme [M] a saisi le juge-commissaire afin d'autoriser des cessions de gré à gré de vin en 2006 et 2007 dans le cadre de la liquidation de Mme [R] avant que ce dernier, au vu des délais d'ores et déjà écoulés, ne prescrive, par ordonnance en date du 24 juillet 2008, une vente aux enchères publiques.

Le non-aboutissement de la vente de gré à gré du château et du parc attenant, actifs du GFA, est indépendant des diligences du liquidateur, le candidat-acquéreur ayant sollicité un énième délai pour obtenir une nouvelle offre de financement eu égard à la survenance d'un nouveau plan d'occupation des sols (RNU), que par ordonnance en date du 6 février 2007, le juge-commissaire, constatant que l'autorisation initiale avait été donnée en avril 2006, a refusé.

La perte des appellations AO-VDQS Malepère initialement prise par une décision de l'institut national des appellations d'origine en date du 7 octobre 2004 a été retirée, malgré le constat d'un mauvais entretien du sol et d'un taux de pieds manquants important dès cette date, sans qu'aucun autre élément relatif aux appellations ne soit produit.

L'échec de la convention de mise à dispositions des champs prévue en 2005 au bénéfice de la SAFER Languedoc-Roussillon résulte, non d'une carence du liquidateur, mais du constat effectué par le juge-commissaire, saisi afin d'autorisation, dans une ordonnance en date du 14 juin 2005 que celle-ci ne maintenait pas son offre, faute de candidats-repreneurs et que les opérations d'entretien, exclusives de toute exploitation compte tenu de la procédure de liquidation judiciaire, ne pouvaient probablement pas permettre de maintenir le droit aux indemnités PAC tandis que les terres labourables ne présentaient pas un état de mauvais entretien, rendant nécessaire une telle convention.

De fait, la direction départementale du territoire et de la mer de l'Aude a pu indiquer à Mme [M] et Mme [R] en janvier 2010 et mars 2011 que l'absence d'exploitation des terres du fait de la liquidation judiciaire ne permettait plus l'attribution des DPU (droits à paiement unique) et que le portefeuille DPU était perdu depuis 2009 et 2010 (droit normal et droit jachère) du fait de la non-activation des DPU pendant trois années consécutives en l'absence d'activité agricole.

Le liquidateur a procédé à une déclaration de sinistre auprès de la société d'assurance MVRA du fait des dégâts occasionnés sur les bâtiments par une tempête le 24 janvier 2009 tandis qu'il n'est pas contesté qu'il n'a pas été donné suite eu égard au montant de la franchise à hauteur de 3 500 euros et à celui des dommages, qui était inférieur.

Mme [M] a sollicité le 13 février 2009 la « liste exacte de ce qui avait été dérobé » lors des faits de vol survenu auprès de Mme [R], que cette dernière ne justifie pas lui avoir adressée, se contentant de lui faire parvenir des photographies « en lui laissant le soin pour le détail » de s'y reporter.

Par ordonnance en date du 30 juillet 2015, le président du tribunal de grande instance de Carcassonne confirmant la taxation des honoraires de Mme [M], effectuée par une ordonnance en date du 9 février 2015, a constaté que le montant des actifs réalisés était rapporté concernant, notamment, la vente de vin à la société Roquecourbe, qui a été payée par trois versements de 920,46 euros et par le biais d'une compensation avec une facture à hauteur de 6 338,97 euros de sorte qu'en l'absence de tout autre élément versé aux débats, aucune incurie dans le recouvrement des sommes dues, ni affectations erronées entre les deux liquidations judiciaires ne sont pas établies.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'avant même l'ouverture des liquidations judiciaires, l'exploitation agricole et viticole était dans un état dégradé, qui n'a pas permis notamment le maintien des DPU, sans qu'aucune faute, imputable à Mme [M] dans le cadre de ses fonctions de liquidateur judiciaire de la liquidation judiciaire de Mme [R] (l'action au titre de la liquidation judiciaire du GFA étant irrecevable) susceptible de générer un préjudice au détriment de cette dernière, ne soit rapportée ; les demandes en paiement de M. [W] ès qualités doivent être rejetées.

4- sur la demande de dommages-intérêts formée par le liquidateur judiciaire

Si l'action des appelants ne procède pas d'une simple erreur, Mme [M] ne démontre pas qu'elle soit le fruit de la malice, de la mauvaise foi ou le résultat d'une erreur grossière et qu'ayant dégénéré en abus, elle ait été source de préjudice, de sorte que sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

Le jugement sera complété de ce chef.

5- sur les autres demandes

Mme [R], Mme [N] et M. [W], ès qualités, qui succombent, devront supporter les dépens et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, seront condamnés à payer, sans solidarité, à Mme [M] la somme de 3 000 euros et à la caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires la somme de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Constate le désistement d'appel de Madame [Z] [R], Madame [T] [N] veuve [R] et Monsieur [G] [W], ès qualités à l'encontre de la caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires et l'acceptation de celui-ci par cette dernière,

Constate le dessaisissement de la cour de la demande formée par Madame [Z] [R], Madame [T] [N] veuve [R] et Monsieur [G] [W], ès qualités à l'encontre de la caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Carcassonne en date du 18 décembre 2020, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [N] veuve [R] et Mme [R], représentée par M. [W], dirigées à l'encontre de Mme [M] à titre personnel et déclaré irrecevables les demandes de Mme [M] en qualité de liquidateur judiciaire,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Constate qu'aucune demande n'est formée à l'encontre ou par Madame [K] [M] en qualité de liquidateur judiciaire et rejette, par voie de conséquence, toute irrecevabilité, tirée de ce chef,

Déclare irrecevables les demandes de Madame [T] [N] veuve [R] pour défaut de qualité à agir,

Déclare recevable l'action en responsabilité civile professionnelle formée à l'encontre de Madame [K] [M], liquidateur judiciaire, à titre personnel, par Monsieur [G] [W], en qualité de mandataire ad hoc de Madame [Z] [R],

Rejette les demandes en dommages-intérêts formées à l'encontre de Madame [K] [M], liquidateur judiciaire, par Monsieur [G] [W], en qualité de mandataire ad hoc de Madame [Z] [R],

Déclare recevable la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par Madame [K] [M], liquidateur judiciaire, à titre personnel et la rejette,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Condamne Madame [Z] [R], Madame [T] [N] veuve [R] et Monsieur [G] [W], ès qualités, à payer à Madame [K] [M], liquidateur judiciaire, la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame [Z] [R], Madame [T] [N] veuve [R] et Monsieur [G] [W], ès qualités, à payer à la caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame [Z] [R], Madame [T] [N] veuve [R] et Monsieur [G] [W], ès qualités, aux dépens d'appel.

le greffier, la conseillère faisant fonction de président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/03808
Date de la décision : 25/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-25;21.03808 ?
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