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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 23 MAI 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/06075 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PFSG
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 13 SEPTEMBRE 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEZIERS
N° RG 2020004035
APPELANTE :
S.A.CAISSE D'EPARGNE ET PREVOYANCE LANGUEDOC-ROUSSILLON agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés au siège,
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Annie RUIZ-ASSEMAT de la SCP RUIZ-ASSEMAT, avocat au barreau de BEZIERS substitué par Me Rebecca SMITH, avocat au barreau de BEZIERS
INTIMES :
Monsieur [V] [P]
né le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Gérald ENSENAT, avocat au barreau de BEZIERS substitué par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER
Madame [D] [Y]
née le [Date naissance 3] 1990 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Gérald ENSENAT, avocat au barreau de BEZIERS substitué par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 1er Mars 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 MARS 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère faisant fonction de président en remplacement de Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre régulièrement empêché, et par Mme Audrey VALERO, greffier.
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:
M. [V] [P] et Mme [D] [Y] ont constitué le 30 avril 2018 une S.A.R.L. Lina'tendue ayant pour objet l'exploitation d'un fonds de commerce de restaurant.
La société Lina'tendue a ouvert le 2 mai 2018 un compte bancaire dans les livres de la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon.
Elle a également souscrit le 25 mai 2018 auprès de la Caisse d'épargne un prêt professionnel d'un montant de 28'000 euros pour une durée de 84 mois au taux effectif global de 3,06 % remboursable par échéances mensuelles de 366, 18 euros.
Le 1er juin 2018, M. [P] et Mme [Y], co-gérants de la société, se sont portés caution personnelle et solidaire des sommes dues par la société à hauteur de 18'200 euros chacun pour une durée de 132 mois.
À la suite de divers impayés, la Caisse d'épargne a, le 12 février 2020, prononcé la déchéance du terme du prêt souscrit par la société Lina'tendue, et a mis en demeure le même jour les cautions de lui régler les sommes de :
- 1 567,21 euros au titre du découvert du compte courant professionnel de la société,
- 26'715,80 euros au titre du prêt souscrit le 25 mai 2018, soit 13'357,96 euros chacun (50%).
Par jugement en date du 19 mai 2021, le tribunal de commerce de Béziers a prononcé la liquidation judiciaire de la société Lina'tendue.
Par exploit d'huissier en date du 6 août 2020, la Caisse d'épargne a fait assigner M. [P], Mme [Y] et la société Lina'tendue devant le tribunal de commerce de Béziers qui, par jugement en date du 13 septembre 2021, a :
- Donner acte à la Caisse d'épargne de ce qu'elle déclare se désister de son instance à l'égard de la société Lina'tendue,
- Dit qu'il n'y a pas lieu de retenir l'argument soulevé in liminé litis au titre de la nullité du contrat de prêt,
- Dit et jugé que la Caisse d'épargne ne peut se prévaloir des actes de cautions de M. [P] et de Mme [Y], ceux-ci étant manifestement disproportionnés au jour de la signature du contrat de prêt,
- Dit et jugé que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation d'information des cautions en cas de défaillance du débiteur,
- Dit et jugé que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde des cautions,
- Déboute la Caisse d'épargne de toutes ses autres demandes,
- Déboute M. [P] et Mme [Y] de toutes leurs demandes reconventionnelles,
- Condamne la Caisse d'épargne aux entiers dépens de la présente décision,
- Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires tenues pour injustes ou mal fondées.
Le 14 octobre 2021, la Caisse d'épargne a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Elle demande à la cour, dans ses dernières conclusions déposées via le RPVA le 1er août 2022, de':
- Réformer la décision du tribunal de commerce de Béziers rendue le 13 septembre 2021, en ce qu'il a :
- Dit qu'il n'y a pas lieu de retenir l'argument soulevé in limine litis au titre de la nullité du contrat de prêt,
- Dit et jugé que la Caisse d'épargne ne peut se prévaloir des actes de cautions de M. [P] et de Mme [Y], ceux-ci étant manifestement disproportionnés au jour de la signature du contrat de prêt,
- Dit et jugé que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation d'information des cautions en cas de défaillance du débiteur,
- Dit et jugé que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde des cautions,
- Débouté la Caisse d'épargne de toutes ses autres demandes,
- Débouté M. [P] et de Mme [Y] de toutes leurs demandes reconventionnelles,
- Condamné la Caisse d'épargne aux entiers dépens de la présente décision,
- Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires tenues pour injustes ou mal fondées.
Statuant à nouveau,
- Constater que la Caisse d'épargne dispose d'une créance certaine, liquide et exigible à l'encontre de M. [P] et de Mme [Y], conformément à leurs engagements de caution, à hauteur de 13 357,96 euros chacun,
- Constater l'absence de disproportion des engagements de caution de M. [P] et de Mme [Y],
- Constater l'absence de manquement par la Caisse d'épargne à sa soi-disant obligation de mise en garde des cautions,
- Constater l'absence de manquement de la Caisse d'épargne à sa soi-disant obligation d'information des cautions en cas de défaillance du débiteur principal,
Par conséquent,
- Condamner M. [P] à payer la somme de 13 357,96 euros, suivant décompte arrêté au 8 juin 2020 augmenté des intérêts au taux contractuel majorés de trois points, soit 5,08%, sur la somme principale de 12 496,77 euros (échéance impayée et capital restant dû : la moitié) à compter du 9 juin 2020 et ce jusqu'à parfait paiement, et au taux légal sur l'indemnité pour préjudice technique et financier de 626,40euros (moitié de 1 252,80 euros) à compter du 9 juin 2020 et ce jusqu'à parfait paiement, pris en sa qualité de caution solidaire à hauteur de 50% et ce solidairement avec Mme [Y],
- Condamner Mme [Y] à payer la somme de 13 357,96 euros, suivant décompte arrêté au 8 juin 2020 augmenté des intérêts au taux contractuel majorés de trois points, soit 5,08%, sur la somme principale de 12 496,77 euros (échéance impayée et capital restant dû : la moitié) à compter du 9 juin 2020 et ce jusqu'à parfait paiement, et au taux légal sur l'indemnité pour préjudice technique et financier de 626,40 euros (moitié de 1 252,80 euros) à compter du 9 juin 2020 et ce jusqu'à parfait paiement, pris en sa qualité de caution solidaire à hauteur de 50% et ce solidairement avec M. [P],
- Entendre y avoir lieu à application des dispositions de l'article 1154 ancien du Code Civil pour la somme réclamée précitée,
- Rejeter toutes fins et conclusions contraires comme étant infondées et injustifiées,
En tout état de cause,
- Condamner solidairement M. [P] et Mme [Y] au paiement de la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner solidairement M. [P] et Mme [Y] aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l'essentiel que :
- La disproportion doit être flagrante pour un professionnel diligent et celui-ci en l'absence d'anomalies apparentes n'a pas à vérifier l'exactitude des biens et revenus déclarés par la caution';
- Les premiers juges n'ont nullement démontré que l'engagement de caution de M. [P] et Mme [Y] était disproportionné';
- En vertu de son devoir de non-immixtion, la banque n'avait pas à opérer des vérifications s'agissant des déclarations faites par les cautions';
- La banque justifie du bien-fondé et de l'exigibilité de sa créance à l'égard des cautions';
- Elle n'a nullement manqué à son devoir de mise en garde';
- La banque a parfaitement respecté son obligation d'information des cautions.
Dans leurs dernières conclusions déposées via le RPVA le 25 février 2022, M. [P] et Mme [Y] demandent à la cour de':
1. A titre d'appel incident, réformer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté les intimés de l'exception de nullité de leur engagement de caution,
2. A défaut de prononcer la nullité des engagements de caution, la cour confirmera le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré ces derniers inopposables aux intimés et plus précisément en ce qu'il a dit et jugé que la Caisse d'épargne ne peut se prévaloir des actes de caution des intimés, ceux-ci étant manifestement disproportionnés au jour de la signature du contrat de prêt,
3. La cour confirmera le jugement dont appel en ce qu'il a dit et jugé que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation d'information des cautions en cas de défaillance du débiteur, et ce faisant condamnera la Banque à verser de tels dommages et intérêts aux cautions intimées,
4. La cour confirmera le jugement dont appel en ce qu'il a dit et jugé que la banque a manqué à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde des cautions,
5. A titre d'appel incident et en conséquence des manquements reconnus ci-dessus, la cour réformera le jugement dont appel en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande de dommages-intérêts à hauteur de 30'000 euros,
6. La cour confirmera le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la Caisse d'épargne de toutes ses demandes,
7. A titre subsidiaire, dire et juger que la Banque ne justifie pas avoir informé les consorts [P]-[Y] de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement caractérisé,
- Déchoir la Banque du droit aux intérêts contractuels et pénalités,
Sur la responsabilité de la banque à défaut de nullité des engagements de caution :
- Dire que la Banque a manqué à son obligation d'information d'alerte, de mise en garde de la caution et de conseil,
- Dire et juger que la banque a manqué à son obligation de conseil et de discernement à l'égard des consorts [P]-[Y],
- Condamner la banque à payer aux consorts [P]-[Y] une somme de 30 000 euros et a minima une somme équivalente à toute créance qui serait mise éventuellement à la charge des cautions et en ordonner la compensation,
- À titre infiniment subsidiaire':
- Accorder aux cautions les délais de paiement suivant : la faculté de s'exécuter en 24 mensualités égales sans intérêts,
- Dans tous les cas : condamner la Caisse d'épargne à verser à chacun des intimés pris séparément une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Ils font valoir pour l'essentiel que :
- Leur engagement de caution était totalement disproportionné au regard de leurs revenus constitués seulement d'allocation de pôle emploi puisqu'ils étaient tous les deux au chômage'au moment de sa signature ;
- En outre, M. [P] avait souscrit de nombreux crédits aggravant d'autant ses charges de la vie courante';
- De surcroît, la disproportion doit être également appréciée au regard de l'endettement global de la caution, y compris celui résultant de l'engagement de caution';
- Par ailleurs, la banque a manqué à ses obligations d'information des cautions, de conseil et de mise en garde.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 1er mars 2023.
MOTIFS de la DÉCISION :
Sur le caractère manifestement disproportionné de l'engagement des cautions
Selon l'article L. 332-1 du code de la consommation applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution suppose que cette dernière se trouve, lorsqu'elle s'engage, dans l'impossibilité manifeste de faire face à son obligation avec ses biens et revenus.
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l'engagement appartient à la caution qui l'invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir en l'absence d'anomalies apparentes l'affectant, à en vérifier l'exactitude et la caution n'est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.
M. [P] et Mme [Y] ont rempli le 17 avril 2018 un questionnaire confidentiel de caution dans lequel ils ont déclaré ne disposer d'aucun patrimoine.
Ils ont déclaré des revenus annuels constitués d'allocations de pôle emploi pour un montant de 21'600 euros s'agissant de M. [P], et de 13'200 euros en ce qui concerne Mme [Y], soit un total de 34'800 euros.
Ils ont également déclaré rembourser depuis 2016 un crédit d'un montant de 2500 euros destinés à l'acquisition de mobiliers prenant fin en 2019.
Or en premier lieu, contrairement à ce qu'ils soutiennent, leur engagement de caution au moment où celui-ci a été conclu n'avait pas à être pris en compte au titre de leur situation patrimoniale, cette prise en compte ne concernant que des engagements de caution déjà souscrits.
En outre, en second lieu, M. [P] et Mme [Y] ne sauraient démontrer dans le cas de la présente procédure le caractère disproportionné de leur engagement en faisant état de crédits qu'ils n'ont pas mentionnés dans leur questionnaire confidentiel de caution.
De surcroît, en troisième lieu, ils ne démontrent pas que la Banque aurait manqué à une quelconque obligation de vérification compte tenu de ce qu'ils ont mentionné sur le questionnaire confidentiel de caution.
Cependant, il convient de constater qu'au moment de leur engagement de caution, M. [P] et Mme [Y] étaient bien, eu égard au montant total de leurs revenus, duquel il convenait également de soustraire les charges usuelles de la vie courante, dans l'impossibilité manifeste de faire face à leur engagement qui était d'un montant supérieur à leurs revenus non déduits de leurs charges.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé disproportionné l'engagement de caution de M. [P] et de Mme [Y] et en ce qu'il a débouté la Banque de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de ces derniers.
Il sera également rappelé que le moyen tiré de la disproportion de l'engagement de caution ne peut conduire à voir prononcer la nullité du cautionnement, de sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.
Par ailleurs, du fait de la disproportion de leur engagement de caution, qui empêche la banque de s'en prévaloir, et à défaut par voie de conséquence pour les intimés de justifier d'un préjudice, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu que la banque avait manqué à son devoir de mise en garde, à son obligation d'information ainsi qu'à un devoir de conseil, assimilé, par confusion, à ces deux autres obligations contractuelles.
Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
La Caisse d'épargne qui succombe dans ses demandes en cause d'appel sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à M. [P] et Mme [Y] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon de toutes ses demandes financières formées à l'encontre de M. [V] [P] et Mme [D] [Y],
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon du surplus de ses demandes,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [V] [P] et Mme [D] [Y] de leurs demandes reconventionnelles,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation d'information des cautions en cas de défaillance du débiteur et dit et jugé que la Caisse d'épargne a manqué à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde des cautions,
Statuant à nouveau de ce chef,
Déboute M. [V] [P] et Mme [D] [Y] du surplus de leurs demandes,
Condamne la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon à payer à M. [V] [P] et Mme [D] [Y] la somme de 2'000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier, la conseillère faisant fonction de président,