Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 8 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 18/04858 - N° Portalis DBVK-V-B7C-N2QB
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 31 août 2018
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE RODEZ
N° RG 17/00095
APPELANTE :
Madame [C] [J] épouse [I]
née le 15 Février 1967 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assisté à l'instance par Me Laurence FOUCAULT de la SELARL LAURENCE FOUCAULT, avocat au barreau de l'AVEYRON
INTIMES :
Monsieur [X] [S]
né le 08 Août 1967 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
et
Madame [K] [B]
née le 07 Mai 1972 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentés par Me Marie-Madeleine SALLES, avocat au barreau de l'AVEYRON
Ordonnance de clôture du 11 janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Brigitte DEVILLE, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
Mme Brigitte DEVILLE, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour fixée au 13 avril 2023 prorogée au 8 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCEDURE
[C] [J] épouse [I] est propriétaire depuis le 28 septembre 2000 d'une villa avec terrain attenant située sur la commune de [Localité 1] (12) [Adresse 4], cadastrée AN [Cadastre 3].
[X] [S] et [K] [B], propriétaires de la parcelle voisine cadastrée AN [Cadastre 5], ont obtenu, selon permis de construire du 19 février 2013, modifié le 14 octobre 2014, l'autorisation d'édifier une maison individuelle.
[C] [J] épouse [I], soutenant que cet immeuble entraîne pour elle une perte d'ensoleillement et une perte de vue, a obtenu, par ordonnance de référé du 7 mai 2015, la désignation de Monsieur [D] [R] en qualité d'expert qui a déposé son rapport le 28 juin 2016.
Par exploit du 11 janvier 2017 [C] [J] épouse [I] a assigné [X] [S] et [K] [B] devant le tribunal de grande instance de Rodez afin d'être indemnisée des préjudices subis en raison des pertes de vue et d'ensoleillement constituant pour elle des troubles anormaux du voisinage.
Par jugement du 31 août 2018 ce tribunal a :
- débouté [C] [I] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté [X] [S] et [K] [B] de leur demande tendant à voir ordonner la mise en conformité de la piscine au plan local d'urbanisme sous astreinte de 30 euros par jour de retard ;
- débouté [X] [S] et [K] [B] de leur demande tendant à voir ordonner à [C] [I] d'avoir à déplacer le moteur de sa piscine et, en tout état de cause, de l'implanter sur son fonds et non en limite de propriété, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
- condamné [C] [I] à payer à [X] [S] et [K] [B] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- condamné [C] [I] à payer à [X] [S] et [K] [B] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;
- condamné [C] [I] aux entiers dépens de l'instance y compris les frais d'expertise judiciaire mais non ceux afférents au constat d'huissier du 10 mars 2017 ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
[C] [J] épouse [I] a relevé appel de cette décision le 28 septembre 2018.
Vu les conclusions de l'appelante remises au greffe le 22 décembre 2022 ;
Vu les conclusions de [X] [S] et [K] [B] remises au greffe le 5 janvier 2023 ;
MOTIFS
Les parties concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté [X] [S] et [K] [B] de leurs demandes relatives à la mise en conformité de la piscine au plan local d'urbanisme et au déplacement du moteur de cette piscine. Ces dispositions seront donc confirmées.
Sur la perte de vue,
L'expert [D] [R] a noté qu'avant les travaux d'édification de la villa des consorts [F], la vue depuis l'habitation de [C] [I], côté est, donnait sur un terrain arboré et absent de toute construction.
À présent cette construction impacte la vue du fonds [I] dans l'angle sud- est, les autres côtés n'étant pas impactés.
Sur ce seul angle l'expert estime la perte de vue à environ 20 % en notant toutefois qu'il apparaît sur les photos prises avant la construction, que la vue était partiellement masquée par une végétation importante et notamment par des arbres d'une grande hauteur sensiblement identique à celle de la villa.
Il apparaît en effet sur les photos annexées au rapport d'expertise que la construction nouvelle a été implantée exactement à l'endroit où plusieurs sapins très hauts, abattus depuis, masquaient déjà la vue depuis le fonds [I].
Contrairement à ce que soutient [C] [I], les sapins qui obstruaient sa vue étaient bien situés dans l'angle sud-est ainsi que le montrent sans ambiguïté les photos jointes au rapport d'expertise et ne peuvent être confondus avec une autre végétation située côté sud.
Certes la vue sur la nouvelle construction plus compacte entraîne une gêne par rapport à la vue plus transparente et plus agréable sur des arbres mais il importe de caractériser l'anormalité de ce trouble.
En l'espèce, l'immeuble de [C] [I] se situe dans une zone urbanisée comportant de nombreuses parcelles supportant des maisons d'habitation. Or, la perte de vue résultant de l'implantation de bâtiments ne constitue pas un trouble indemnisable puisqu'elle est la conséquence prévisible de l'urbanisation dans une zone d'habitat continu et que tout propriétaire doit s'attendre à être privé d'un avantage de vue dans un tel contexte. La gêne supplémentaire provoquée par la présence de l'immeuble appartenant aux consorts [U] n'excède pas le risque nécessairement encouru en milieu urbain où nul n'est assuré de conserver son environnement.
Les attestations produites par l'appelante ne peuvent être prises en considération dans la mesure où elles sont en contradiction avec les constatations de l'expert judiciaire corroborées par les photographies qu'il a annexées à son rapport.
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté [C] [I] de sa demande relative à une perte de vue qui n'excède pas un inconvénient normal et prévisible dans une zone urbaine d'habitat continu.
Sur la perte d'ensoleillement,
L'expert judiciaire reprend les conclusions de son sapiteur, le bureau d'études Betem, qui a évalué les durées et les pertes d'ensoleillement en fonction de la position saisonnière du soleil et des profils d'ombres faisant obstacle et ce, pour chaque jour de l'année.
Il en résulte que :
- les périodes impactées par les masques solaires se situent entre 8h00 et 10h00 du mois de novembre au mois de mars, donc hors de la période d'utilisation de la piscine.
- la perte d'apports solaires est estimée à 1,2 % pour la salle de séjour et à 2,7 % pour une chambre.
- la perte d'ensoleillement est estimée à 7,53 %.
Il convient de souligner que les arbres de grande hauteur qui étaient auparavant présents sur le fonds [F] n'impactent pas les résultats de l'étude du sapiteur.
Ainsi la perte d'ensoleillement ne concerne que deux heures le matin pendant la période hivernale, donc sur un temps réduit.
Par ailleurs la perte d'apports solaires et la perte d'ensoleillement ne sont pas suffisamment significatives pour caractériser un trouble anormal de voisinage au sein d'une zone urbanisée dans laquelle tout propriétaire doit s'attendre à une réduction de son ensoleillement de par l'édification de constructions sur les parcelles voisines.
L'attestation de la société Grosfillex qui a procédé au changement des fenêtres de l'immeuble appartenant à [C] [I] est insuffisante pour démontrer le caractère anormal de la perte d'ensoleillement même si cette société, contractuellement liée à l'appelante, atteste que ce changement a été effectué pour gagner de la luminosité. En effet toutes les fenêtres ont été modifiées alors que seules celles situées côté sud-est étaient impactées par une légère perte d'ensoleillement. De plus la mise en place de fenêtres en PVC a permis l'installation d'un vitrage thermique ce qui laisse penser que ces travaux poursuivaient plutôt un but d'amélioration des performances énergétiques de l'immeuble.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté [C] [J] épouse [I] de sa demande relative à une perte d'ensoleillement.
Sur le préjudice patrimonial,
L'appelante soutient que l'édification par les intimés de leur immeuble a entraîné une dépréciation conséquente, à hauteur de 50 %, de la valeur de sa propriété.
Les conclusions du rapport d'expertise et le rejet des demandes de [C] [I] relatives à l'existence de troubles anormaux du voisinage ne permettent pas de constater une dépréciation de son bien immobilier. En outre, l'affirmation selon laquelle la dépréciation alléguée est de 50 % n'est pas crédible dans la mesure où seul l'angle sud-est est impacté par de légères pertes de vue et d'ensoleillement qui constituent un trouble normal du voisinage dans une zone pavillonnaire en pleine expansion.
[C] [I] affirme également qu'elle supporte une surconsommation énergétique induite par la perte d'apports solaires, soit la somme de 2 000 euros sur une période de 5 ans. Elle ne démontre cependant pas que cette surconsommation est directement liée à cette perte minime d'apports solaires puisqu'elle peut trouver son origine dans sa volonté d'augmenter la température de son logement pour un meilleur confort.
En conséquence, sa demande liée à un préjudice patrimonial doit être écartée.
Sur les préjudices moraux,
L'appelante demande l'indemnisation de son préjudice moral généré par la dégradation de ses conditions de vie par suite de l'édification de l'immeuble voisin.
Cette demande ne peut qu'être rejetée puisque l'impact de la construction de leur maison par les consorts [F] correspond à un trouble normal du voisinage dans une zone urbanisée au sein de laquelle tout propriétaire doit s'attendre à voir ses avantages de vue et d'ensoleillement réduits.
Cette demande sera écartée.
Les intimés demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné [C] [I] à leur payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral.
[C] [I] conteste l'existence d'un quelconque préjudice moral qui aurait été causé aux consorts [F] par son comportement et une atteinte à leur vie privée.
Face à cette contestation les intimés ne produisent en appel aucun élément permettant de rapporter la preuve d'attitudes et d'actions de [C] [I] susceptibles de leur avoir causé un préjudice moral.
Par conséquent, cette demande totalement injustifiée en cause d'appel devra être rejetée et le jugement infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné [C] [J] épouse [I] à payer à [X] [S] et à [K] [B] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Et statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Déboute [C] [J] épouse [I] de ses demandes relatives à un préjudice patrimonial et à un préjudice moral ;
Déboute [X] [S] et [K] [B] de leur demande relative à un préjudice moral ;
Condamne [C] [J] épouse [I] à payer à [X] [S] et à [K] [B], ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en cause d'appel ;
La condamne aux dépens de l'appel.
La greffière, Le président,