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02/04/2024 | FRANCE | N°22/02915

France | France, Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 02 avril 2024, 22/02915


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à

































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Chambre commerciale



ARRET DU 02 AVRIL 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/02915 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PN6T





Décision déférée à la Co

ur :

Jugement du 11 MAI 2022

TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEZIERS

N° RG 2021 004334





APPELANTS :



Monsieur [K] [D]

né le [Date naissance 6] 1984 à [Localité 10] (TURQUIE)

de nationalité Turque

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Lola JULIE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL ...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 02 AVRIL 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/02915 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PN6T

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 11 MAI 2022

TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEZIERS

N° RG 2021 004334

APPELANTS :

Monsieur [K] [D]

né le [Date naissance 6] 1984 à [Localité 10] (TURQUIE)

de nationalité Turque

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Lola JULIE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

Monsieur [F] [D]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 10] (TURQUIE)

de nationalité Turque

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Lola JULIE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

Monsieur [I] [D]

né le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 10] (TURQUIE)

de nationalité Turque

[Adresse 9]

[Localité 8]

Représenté par Me Lola JULIE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

SELARL [X] [W] représentée par Me [X] [W] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ARIS CONSTRUCTION selon jugement du tribunal de commerce de Béziers du 29 novembre 2027

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 8]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Fanny MICHEL, avocat au barreau de BEZIERS substituant Me David BERTRAND, avocat au barreau de BEZIERS, avocat plaidant

MINISTERE PUBLIC

Cour d'Appel - [Adresse 3]

[Localité 7]

auquel le dossier a été communiqué, absent à l'audience

Ordonnance de clôture du 06 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 FÉVRIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère

M. Thibault GRAFFIN, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA

Ministère public :

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 29 mars 2023.

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Statuant à la requête de la société d'exploitation des établissements LOCLI Languedoc-Roussillon, par jugement en date du 20 septembre 2017, le tribunal de commerce de Béziers a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Aris construction créée en 2012, exerçant une activité de constructions d'immeubles et de travaux du bâtiment.

M. [F] [D] en était, dès la constitution de la société, le président, et MM. [K] et [I] [D], ont été nommés directeurs généraux par une assemblée générale du 29 décembre 2015.

M. [R] [S] a été désigné juge-commissaire et la Selarl [X] [W] en la personne de Me [W] a été nommé mandataire judiciaire.

La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 24 février 2017.

Dans le cadre d'un rapport de situation du 2 novembre 2017, le mandataire judiciaire a mis en exergue le transfert des contrats de travail de 21 salariés vers une autre entité du groupe, et plus généralement, des fautes manifestes de gestion de la part de ses dirigeants.

Le 29 novembre 2017, le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire, et la Selarl [X] [W] en la personne de Me [X] [W] a été désigné mandataire liquidateur.

Le montant des créances définitivement acceptées en date du 3 juillet 2018, dans le cadre de cette procédure de liquidation judiciaire est de 2 338 968,73€ dont 1 884  349,91 € privilégiées, et le montant des créances acceptées à titre provisionnel est de 104 534,35 €.

Le liquidateur a déposé une requête auprès du juge-commissaire du tribunal de commerce de Béziers aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise judiciaire afin de voir chiffrer les détournements opérés, d'en déterminer les auteurs et le préjudice subi.

Il exposait au soutien de sa requête que l'analyse du Grand livre de la société au 31 décembre 2016 révélait de graves fautes de gestion commises par les dirigeants de droit constituant en réalité la préparation du dépouillement de l'entreprise avant l'ouverture de la procédure collective.

Par une ordonnance du 27 septembre 2018, le juge-commissaire a désigné Mme [M] [P] en qualité d'experte judiciaire.

Exposant que les opérations d'expertise se prolongeaient, dans la mesure où les consorts [D] ne communiquaient pas les pièces sollicitées par Mme [P], sans attendre le dépôt du rapport, à titre conservatoire pour les droits des créanciers, par exploit du 10 septembre 2020, la Selarl [W], ès qualités, a assigné les consorts [D], en comblement de passif de la société Aris construction.

Par jugement en date du 11 mai 2022, le tribunal de commerce de Béziers a :

- dit que les consorts [D] ont la qualité de dirigeants de droit de la société Aris constructions au vu de leurs mandats respectifs ;

- dit que le rapport déposé par l'expert est recevable ;

- dit que M. [F] [D], M. [K] [D] et M. [I] [D] ont commis des fautes de gestion en ayant sciemment préparé méthodiquement le « pillage » de l'entreprise avant l'ouverture de la procédure collective, ces agissements ayant eu comme conséquence principale l'insuffisance d'actif de la société Aris construction ; que ces fautes de gestion ont contribué à une insuffisance d'actif ; et qu'ils doivent supporter personnellement et solidairement les dettes de la société à hauteur de l'insuffisance d'actif constatée ;

- condamné solidairement les consorts [D] à payer la somme de 2479 531,39 euros à la société [X] [W] ès qualités de liquidateur de la société Aris construction ;

- prononcé à l'encontre des consorts [D] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement et la signification de la décision aux formes de droit, puis sa transcription au casier judiciaire national ;

- dit qu'en application des articles L128-1 et R 128-1 et suivants du code de commerce, que cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ;

- et condamné solidairement les consorts [D] à payer à la société [X] [W] la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

 

Le 31 mai 2022, M. [F] [D], M. [K] [D] et M. [I] [D] ont relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 29 août 2022, ils demandent à la cour, au visa des articles L.651-2 et suivants du code de commerce :

- de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau, avant toute défense au fond, in limine litis 

- de juger nul le rapport d'expertise, faute d'avoir répondu aux chefs de la mission ordonnée par le juge-commissaire ;

- de rejeter les demandes adverses ;

- de juger qu'il existe des contestations sérieuses sur les faits allégués et mettre hors de cause M. [F] [D] et M. [I] [D] qui n'ont aucune activité de gestion au sein de la société Aris construction ; et dire que la société [X] [W] ne démontre pas les fautes de gestion des requis ;

- de la débouter de l'ensemble de ses demandes ;

- et de la condamner à leur payer la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 16 novembre 2022 la Selarl [X] [W], en la personne de Me [X] [W], agissant en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Aris Construction, demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

y ajoutant ;

- de débouter les appelants de toutes leurs demandes ;

- et de les condamner solidairement à lui payer ès qualités la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

La procédure a été communiquée au ministère public qui, par conclusions notifiées par la RPVA aux autres parties le 29 mars 2023, a sollicité la confirmation du jugement entrepris.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 6 février 2024.

MOTIFS

Attendu que les consorts [D] font valoir en premier lieu au soutien de leur appel que l'expertise n'a pas été réalisée contradictoirement ; qu'aucune convocation ne leur a été adressée, ni à leur conseil ; que la preuve de l'envoi de la convocation en recommandé aux consorts [D] et de la réception de celui-ci n'est pas versée aux débats ; que c'est le conseil de Me [W] qui a communiqué à l'expert judiciaire, Mme [P], les conclusions du 17 novembre 2020 de l'avocat des consorts, maître Sicot ; que ce n'est pas parce que l'expert note dans son rapport que « les courriers de convocation LRAR ont été délivrés à MM. [D] le 31 mai 2019. Ils n'étaient pas présents à l'expertise, non plus que leur conseil », que ce point ne doit pas être vérifié ; que l'expert aurait dû joindre en annexe de son rapport la preuve de l'envoi et de la réception du recommandé, ce qui constitue une irrégularité du rapport d'expertise ; que l'inobservation de la formalité doit entraîner la nullité de l'expertise lorsque comme ici, les consorts [D] n'ont pas pu faire valoir leurs défenses et transmettre des éléments, dires et documents ;

Attendu que les consorts [D] soutiennent au fond, que les accusations de fautes graves de gestion et de pillage de l'entreprise avant l'ouverture de la procédure collective ne sont étayées par aucune preuve ; et qu'il n'est pas démontré que les consorts [D] auraient contribué de façon directe et certaine à l'actuel état d'insuffisance d'actif et préjudicié à l'intérêt collectif des créanciers inscrits au passif ; que l'expert a lui-même avoué son incapacité à identifier les personnes physiques ou morales qui auraient bénéficié d'avantages indus ou de transfert de marge ;

Mais attendu en premier lieu que l'absence de preuve de l'envoi des convocations à des opérations d'expertise judiciaire ne conduit pas à la nullité de celle-ci, mais à l'inopposabilité aux consorts [D] des conclusions de l'expert, sauf à être corroborées par des éléments extrinsèques ;

Que de surcroît en l'espèce il a été désigné par le juge-commissaire, en la personne de Mme [P], un "technicien" au sens de l'article L.621-9 al.2 du code de commerce ; qu'il ne s'agit pas-là d'une mesure d'instruction régie par les articles 155 et suivants du code de procédure civile et il n'est dès lors pas exigé l'observation d'une contradiction permanente dans l'exécution de ses investigations, le débiteur ou le dirigeant étant seulement associé à ses opérations ;

Attendu qu'en ce qui concerne l'absence de réponse aux chefs de mission par Mme [P], le liquidateur dans son rapport de situation adressé au juge-commissaire le 2 novembre 2017 fait état de ce que le débiteur ne lui a pas remis l'ensemble des documents demandés dans le cadre de la procédure ouverte à son encontre ;

Que c'est ainsi que le 9 septembre 2019, Me [W] réclamait encore à M. [T] [V], cabinet comptable de la société Aris construction, par un mail faisant suite à un entretien téléphonique entre eux, « l'intégralité des éléments en votre possession relatifs aux différentes sociétés dans le cadre desquels intervient en qualité de dirigeant M. [F] [D], et notamment : aux éléments juridiques, grand livre, statuts et K-bis, et plus généralement la copie des comptes des trois dernières années. » ;

Attendu que Mme [P] a déploré ensuite de même dans un courriel adressé au liquidateur le 11 mai 2020 :

« (') en réponse à votre mail du 7 mai 2020 je vous informe que ce dossier est au point mort.

En effet, sauf erreur de ma part, je n'ai reçu que 2 dires des 4 juin 2010 et 9 septembre 2019 qui sont insuffisants pour répondre aux chefs de mission (ci-joint la liste des pièces en ma possession).

Les liasses fiscales sont insuffisantes et manquent de détails.

L'ensemble des pièces comptables et juridiques ci-dessous sont nécessaires :

- grand livre des comptes généraux/clients/fournisseurs 2015-2016-2017

- comptes annuels détaillés 2015-2016-2017

- rapports du commissaire aux comptes sur les comptes 2015-2016-2017

- rapports du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées 2015-2016-2017

- contrats de travail/bulletins de salaire/document de sortie des salariés sur 2015-2016-2017

- procès-verbaux des assemblées générales et rapport de gestion sur 2015- 2016-2017

- statuts et Kbis de la SAS Aris construction ainsi que des sociétés sous-traitantes (je n'ai que le K-bis de la SAS Aris) » ;

Attendu que l'absence de tenue régulière des comptes ou leur non-production, voire la dissimulation de pièces, résultent ainsi de constatations communes à l'expert judiciaire et aux organes de la procédure collective, celles-ci se corroborant entre elles ; que ces manquements sont imputables aux dirigeants qui ont empêché une réponse complète de l'expert aux chefs de sa mission, ce dont ils ne sauraient dès lors se prévaloir pour prétendre remettre en cause les conclusions de l'expert et échapper à leur responsabilité ;

Attendu que Me [W] déplore en effet dans son rapport de situation du 2 novembre 2017, complété le 28 décembre 2017, le transfert des contrats de travail de 21 salariés qui a eu lieu vers une autre entité du groupe, la SAS Aris bâtiment dont le pésident est [D] [K] et le directeur général [D] [I], laquelle a été créée le 3 mars 2015 selon publication au Bodacc ;

Attendu que le liquidateur, à l'analyse du grand livre de la société Aris bâtiment au 31 décembre 2016, détaille les anomalies suivantes :

«- Page 3 : matériel cédé 3036,39 € ;

- matériel au rebut : 186 931,98 euros : ces matériels ne sont pas amortis en totalité ;

- cession d'une grue pour 55 000 € (à qui ')

- Pages 7 : le stock de matières est tombé de 201 250 € au 31 décembre 2015 à 25 373,34 € au 31 décembre 2016 ;

- idem pour les travaux en cours : passés de 614 068,98 € au 31 décembre 2015 à 45 500 € au 31 décembre 2016 ;

- Pages 7 à 9 : compte 3 Aris 4 010 (sté dirigée par [K] [D]) : de nombreuses factures de prestations réglées par des virements en sommes rondes pour une grande partie. Le comptes est à 0 au 31 décembre 2015, notamment, après une régularisation de facture au 1er janvier 2016 de 132000€ et une facture de 40 769,38 € au 31 décembre 2016 ;

- Pages 50 et 51 : compte 401 Isikoy : de nombreux paiements en somme toutes rondes pour des facturations en sommes rondes et le compte est soldé au 31 décembre 2016. Or pas de trace de l'entreprise au SIREN ;

- Pages 51 à 55 : compte 401 [D] [K] : au 1er janvier 2007 100 000 € d'apports mais ensuite au débit de nombreux virements en sa faveur directement ou pour le paiement de saisie d'huissier pour le RSI, l'URSSAF, ou directement de factures diverses pour son compte ; présentation également de factures de location de matériel de 8372 €, à partir de janvier 2013, et ensuite régulièrement de 8400 € à partir de janvier 2014, datées pour la plupart du 1er janvier 2016.

Toujours à la même date, compensation par une caution payée par l'intéressé de 75 000 € et un acompte sur vente de fonds de commerce de 95 751,60 euros (de quel fonds de commerce ').

Toujours la même date d'opération, au débit, « apport [D] [K] 250 000 et 30 000 € "avoir 30/09 [D] [K]" le compte ressort à 0 à cette date.

Ensuite d'autres virements en sommes rondes sont effectués jusqu'au 31 décembre 2016 dont un virement à cette date de 75 000 € pour couvrir des factures de locations identiques pour la plupart. Au 31 décembre 2016, le compte de l'intéressé ressort débiteur de 39,40 €.

- Page 143 : la facture TREMMA Trans compte 411 du 31 décembre 2016 est compensée par la cession d'une grue PPM pour le même montant, soit 46 800€.

- Nous constatons également des anomalies sur les comptes 457 500 [Adresse 12] gérée par [D] [K], et 467 600 relatifs à la vente d'un fonds de commerce (pas de contrepartie en 455 000).

- à noter également page 340 à partir du compte BANQUE, le 1er janvier 2016, un virement de 25 000 € en faveur de SMC Aris (apparemment mon inscrit au SIREN), page 386 un virement en faveur d'[D] [I] de 12 000€ mon inscrit en compte 455.

- Page 395 au débit « dépôt capital Aris construction » pour 7500 €.

- Page 396 : un autre virement vers [I] [D] d'un montant de 7200 € et un virement en faveur de 7000 € pour Crem construction, non répertoriée au SIREN + 14 842,94 €, chèque de l'achat d'une Mégane pour [D] [K].

- Page 441, en date du 23 mars 2016, un autre virement pour Aris SMC de 11 000 € ainsi que le 7 octobre 2016, page 465 de 9 000 €.

- Page 472 : en date du 21 décembre 2016, virement en faveur de Aris construction de 24 000 € ; il en est de même sur le compte CIC en date du 1er janvier 2016 pour 3878 € et 7000 €, page 475, en faveur de [D] construction, société qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire en 2012 et qui a été radiée le 9 octobre 2014. »

Attendu que l'expert judiciaire pour sa part indique que les grands livres demandés lors de la réunion d'ouverture et par mail du 11 mai 2020 ne lui ont pas été communiqués par le conseil des consorts [D], et que l'expert comptable, M. [V] lui a indiqué n'avoir mené qu'une mission de révision des comptes, tenus en interne par la SAS et qu'il n'a en conséquence entre les mains aucun grand livre, ni journal dans ses archives ; qu'il a communiqué les bilans et comptes de résultats détaillés ainsi que les liasses fiscales au titre des années 2014, 2015 et 2016 ;

Attendu que le rapport de l'expert judiciaire du 15 juillet 2021 émet des conclusions qui ne sont pas sérieusement contestables étant basées sur des tableaux communiqués par le comptable missionné par la débitrice elle-même, soit la dégradation de la marge dès l'exercice 2014 qui est passée de 71 % en 2013 à 28 % en 2016, perdant 20 points en 2014 et 24 points en 2016 ; et que dès l'exercice 2013, des amendes et pénalités sont constatées démontrant déjà un retard dans le règlement des dettes fiscales et sociales ;

Que Mme [P] conclut que :

« Les principales irrégularités sont les suivantes :

- omission de déclaration de TVA collectée : total comptabilisé au 31 décembre 2016 = 199K€

- anticipation de déduction de TVA : total comptabilisé au 31 décembre 2016 = 542K€

- omission de déclaration de salaires aux organismes sociaux : total comptabilisé règlements sans bulletin de salaire au 31 décembre 2016 = 110K€

- règlement de fournisseurs sans facture existant en comptabilité (plus de 460 K€ au 31 décembre 2015), en partie régularisée au 31 décembre 2016 ;

- surévaluation du résultat net comptable au 31 décembre 2014 lié en partie aux points supra.

Il existe une réelle incertitude sur la fiabilité du résultat net au 31 décembre 2015 principalement lié à la comptabilisation de travaux en cours à hauteur de 674K€ alors que ce poste n'existe pas dans les exercices précédents et qu'en l'absence de cela, la marge brute serait établie à 44 %, et non 51 % comme en 2014. » ;

Attendu que les dirigeants n'ont donc pas respecté leurs obligations en matière de tenue de comptabilité, et méconnu ainsi les dispositions de l'article L.123-12 du code de commerce aux termes duquel « Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.

Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments d'actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.

Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable » ;

Attendu que les dirigeants n'ont ainsi pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en faisaient l'obligation, ou ont tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière ; que de surcroît, ils se sont sciemment abstenus de coopérer avec les organes de la procédure - le liquidateur puis l'expert n'ayant été en relation, qu'avec le conseil des consorts et encore a minima, celui-ci n'apportant des réponses toutes partielles et conditionnelles, et jamais avec ces derniers -, et fait obstacle à son bon déroulement au sens des articles L. 653-5-5° et -6° du code commerce ;

Attendu que l'expert judiciaire décrit en outre des fautes certaines dans la gestion de la société Aris construction, notamment des ventes d'immobilisations à perte : À titre d'exemple la cession d'une grue en 2016 avec une moins-value de 9127 € pour une valeur d'origine de 62 800 € lors de son acquisition en juin 2015, opération qu'elle a qualifiée de "mauvaise affaire" ;

Attendu que le liquidateur ajoute précisément sur ce point que les consorts [D] n'hésitent pas à soutenir dans leurs dernières conclusions que la grue - dont Mme l'expert déplore la vente avec une moins-value de 9127 € à sa revente en 2016, et qui avait été acquise en 2016 au prix de 62 800 € -, « est toujours entreposée au siège et donc à disposition », alors qu'en réalité, cette grue ne figure pas dans l'inventaire dressé par Me [H], huissier de justice, le 3 octobre 2007 et le 15 janvier 2018 ;

Attendu que les consorts [D] n'ont fait aucune réplique à ces constatations lesquelles témoignent de leur mauvaise foi ;

Attendu que la situation étant déjà irrémédiablement compromise, ces dirigeants ont néanmoins poursuivi l'activité, se finançant par des omissions de déclarations fiscales et sociales lesquelles sont d'un montant particulièrement élevé ; qu'ils ont omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements ;

Attendu qu'en dépit de la carence en pièces comptables communiquées (factures de sous-traitants, factures de vente, contrats, suivis des chantiers, bulletins de salaire') ou du refus de justifier de la situation financière exacte et des mouvements de fonds opérés, relevés tant par l'expert judiciaire que par le liquidateur, lesquels ont interdit d'identifier quelles personnes physiques et/ou morales ont profité du dépouillement de la SAS Aris Construction, les agissements des dirigeants de droit, contraires aux intérêts de la société débitrice, sont établis ;

Attendu qu'en laissant une société Aris construction exsangue, et en retardant l'ouverture de la procédure collective, les consorts dirigeants ont non seulement empêché la prise de mesures de redressement financier, mais, en toute connaissance de cause, aggravé le préjudice causé à l'intérêt collectif des créanciers inscrits au passif, et l'insuffisance d'actif constatés ;

Attendu, sur la qualité de dirigeant de droit ou de fait, que les consorts [D] affirment que ce n'est qu'en 2016 qu'[K] [D] a intégré la société en qualité de directeur ; et que M. [I] [D] n'a jamais eu la moindre activité de gestion, assurant seulement le suivi des chantiers dans la mesure où il ne sait ni lire ni écrire tout comme son père M. [F] [D], lequel réside habituellement en Turquie, de sorte qu'il y aurait lieu de les mettre hors de cause n'ayant commis aucune faute ;

Mais attendu qu'il est versé les pièces 15 et 16 soit les annonces Bodacc de la société Aris bâtiment faisant apparaître au Bodacc du 30 avril 2012 M. [F] [D] comme président d'Aris construction, auquel s'ajoutent au Bodacc du 19 août 2016 en qualité de directeurs généraux MM. [D] [K] et [I] ; que la date de cessation des paiements étant fixée au 24 février 2017, les consorts [D] étaient bien les dirigeants de droit de la société à cette date, ce qui les engage, même si l'un réside habituellement en Turquie et que l'autre est illettré en français, M. [F] [D] assurant le mandat de president, et MM. [K] et [I] [D] étant tous deux directeurs generaux, ainsi qu'il ressort de l'extrait d'immatriculation de la SAS Aris construction auprès du RCS de Béziers sous le n° 750 810 517 à la date du 21 septembre 2017 ;

Attendu que le jugement a donc exactement accueilli l'action de Me [W] en comblement de passif dirigée contre eux, et dit que M. [F] [D] né le [Date naissance 1]1958 à [Localité 10], M. [K] [D] né le [Date naissance 5]1984 à [Localité 10] et M. [I] [D] né le [Date naissance 2]1986 à [Localité 10], dirigeants de droit de la société Aris Construction, doivent supporter personnellement et solidairement les dettes de la société Aris construction à hauteur de l'insuffisance d'actif constaté, et en conséquence, les a condamnés in solidum à payer entre les mains du liquidateur la somme de 2 479 531,39€ pour que les sommes entrent dans le patrimoine de la société débitrice et qu'elles soient réparties entre tous les créanciers au marc le franc ;

Attendu que le tribunal a par ailleurs justement fait application des dispositions de l'article 653-8 du code de commerce en condamnant M. [F] [D], M. [K] [D] et M. [I] [D] à cinq ans d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale et toute personne morale, sanction parfaitement proportionnée à la gravité des manquements sciemment commis ;

Attendu en définitive que le jugement sera entièrement confirmé, et que les appelants succombant devront supporter la charge des dépens d'appel, et verser en équité la somme de 2 000 € à l'intimé au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant eux-mêmes prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Condamne in solidum M. [F] [D], M. [K] [D] et M. [I] [D] à payer à la Selarl [X] [W], en la personne de Me [X] [W], pris en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Aris construction la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel et aux frais de l'expertise de Mme [P], et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dit que cet arrêt sera signifié à M. [F] [D], M. [K] [D] et M. [I] [D] dans le délai de 15 jours de son prononcé par le greffier de la cour d'appel et adressé au greffier du tribunal de commerce de BEZIERS afin que celui-ci effectue les publicités et notifications prévues à l'article R.653-3 du code du commerce.

le greffier, le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/02915
Date de la décision : 02/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-02;22.02915 ?
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