ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre de la famille
ARRET DU 16 MAI 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/04377 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P6CT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 25 juillet 2023
JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DE NARBONNE
N° RG 21/01715
APPELANT :
Monsieur [I] [S]
né le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 11] (Maroc)
de nationalité Marocaine
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Sébastien CAUNEILLE de la SCP BELLOTTI/CAUNEILLE, avocat au barreau de NARBONNE
INTIMEE :
Madame [Y] [J] [K]
née le [Date naissance 5] 1983 à [Localité 13] (93)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée à l'instance et à l'audience par Me Rachid LEMOUDAA, avocat au barreau de BEZIERS
(Bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C-34172-2024-002599 du 10/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
Ordonnance de clôture du 05 mars 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Mars 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Karine ANCELY, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Karine ANCELY, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre
M. Jonathan ROBERTSON, Conseiller
Mme Anne FULLA, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
En présence de Mme [O], juriste assistante
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour fixée au 25 avril 2024 prorogée au 16 mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Karine ANCELY, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
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* *
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [I] [S] et Mme [Y] [K] ont vécu en concubinage.
Suivant acte notarié du 31 décembre 2014, ils ont acquis pour moitié indivise chacun un terrain portant le numéro 27 du lotissement dénommé « [Localité 9] », lieu-dit [Localité 12], à [Localité 10] (11), cadastré AI n °[Cadastre 8], pour un montant total de 56 500 euros. Ils y ont fait construire une maison à usage d'habitation sis [Adresse 6] à [Localité 10] (11).
L'achat et la construction ont été principalement financés au moyen de deux prêts d'un montant respectif de 24 120 euros et 101 959 euros.
Le couple s'est séparé au cours de l'année 2015.
Par acte extrajudiciaire du 20 décembre 2021, Mme [K] a fait assigner M. [S] en liquidation et partage de l'indivision des consorts.
Par décision contradictoire du 25 juillet 2023, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Narbonne a :
- déclaré la demande en partage recevable,
- ordonné les opérations de compte-liquidation-partage de l'indivision existant entre M. [S] et Mme [K],
- désigné pour y procéder Me [F] [N], notaire situé [Adresse 2],
- renvoyé le notaire et les parties à la lecture des articles 1365 et suivants du code de procédure civile quant aux moyens d'action du notaire désigné pour mener à bien sa mission,
- désigné le juge aux affaires familiales de Narbonne en qualité de juge commissaire,
et d'ores et déjà :
- dit que M. [S] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation à compter du 1er août 2018,
- débouté Mme [K] de sa demande de restitution des loyers perçus au titre de la location du bien indivis par M. [S],
- rejeté les autres demandes des parties plus amples ou contraires,
- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.
Par déclaration au greffe du 28 août 2023, M. [S] a interjeté appel limité de la décision en ce qu'elle a dit que M. [S] est redevable d'une indemnité d'occupation à compter du 1er août 2018.
L'appelant, dans ses conclusions du 29 septembre 2023, demande à la cour de :
- confirmer le jugement querellé dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit que M. [S] était redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation à compter du 1er août 2018
Statuant à nouveau sur ce point :
A titre principal,
- débouter Mme [K] de sa demande d'indemnité d'occupation
A titre subsidiaire,
- dire et juger que M. [S] ne saurait être condamné au règlement d'une indemnité d'occupation pour la période antérieure au 3 décembre 2020, date de fin des travaux d'isolation de la maison,
- dire qu'il reviendra au notaire chargé du partage de procéder à son évaluation, au besoin en ayant recours aux services d'un sapiteur
Y ajoutant,
- condamner Mme [K] à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel
M. [S] critique la décision dont appel estimant que le premier juge, après avoir justement rappelé les dispositions de l'article 815-9 du code civil, n'en a pas tiré les conséquences et au contraire est allé contre la jurisprudence, en motivant sa décision sur des motifs inopérants et en inversant la charge de la preuve, en lui demandant de prouver qu'il ne jouissait pas de manière privative exclusive du bien indivis. Il maintient qu'il est impossible de fixer une indemnité d'occupation à taux progressif en fonction de l'avancée du chantier précisant que la maison n'était pas habitable avant que l'électricité ne soit validée par le consuel le 31 mars 2017, et que les travaux d'isolation soient terminés le 3 décembre 2020. Il considère dès lors qu'il ne peut être condamné au paiement d'une indemnité d'occupation avant le mois de décembre 2020 si toutefois il devait être retenu que son aménagement constitue une jouissance privative exclusive des droits de l'intimée. Il fait valoir avoir procédé seul à l'édification du bien après la rupture et avoir procédé seul au remboursement de l'emprunt affecté, y avoir investi ses économies personnelles, de sorte que l'indemnité d'occupation revendiquée revient à s'approprier le travail d'autrui.
L'intimée, dans ses conclusions du 13 décembre 2023, demande à la cour de :
- déclarer Mme [K] recevable et bien fondée en ses demandes incidentes,
- confirmer le jugement dont appel en toute ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [K] tendant à voir condamner M. [S] à restituer les loyers perçus pendant les saisons 2019, 2020, 2021 et 2022 et en ce qu'il a débouté Mme [K] de sa demande tendant à l'octroi d'une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance
En conséquence,
- débouter M. [S] de toutes ses demandes, fins et prétentions
Et statuant à nouveau,
- condamner M. [S] à restituer les loyers perçus pendant les saison 2019, 2020, 2021 et 2022 correspondants à la mise en location du bien indivis,
- condamner M. [S] à payer à Mme [K] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
Mme [K] réplique qu'au contraire, la décision du premier juge est parfaitement justifiée sur l'indemnité d'occupation dans la mesure où à la suite de la séparation survenue en 2015, elle a été contrainte de quitter le logement familial et que seul M. [S] à continuer d'y résider à partir de cette date jusqu'à aujourd'hui sans verser une quelconque indemnité d'occupation. Elle considère la valeur locative à la somme de 1 000 €. Elle s'appuie sur les factures et les documents fiscaux versaient en procédure démontrant que l'appelant habite à cette adresse et occupe le bien depuis cette date. Elle fait d'ailleurs remarquer que la maison est offerte à la location saisonnière depuis 2019 ce qui témoigne de fait qu'elle est parfaitement habitable bien avant la fin des travaux d'isolation prétendument intervenue le 3 décembre 2020.
Sur les locations saisonnières, elle affirme que M. [S] a bien mis en location la maison tous les étés depuis 2019 et jusqu'à ce jour lui procurant des revenus. Elle se réfère à des photographies pour le prouver. Elle critique la décision dont appel en ce qu'elle considère que l'indemnité d'occupation répare la perte de jouissance et non la perte des fruits et revenus générés par le bien indivis qui auraient dû être répartis équitablement entre les co-indivisaires au prorata de la part indivise. Elle ajoute que la solution retenue par le premier juge est d'autant plus injuste que l'appelant a certainement loué la maison à un prix nettement supérieur au montant de l'indemnité d'occupation s'agissant d'une location saisonnière.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 mars 2024.
SUR CE LA COUR
Sur la période d'occupation par M. [S] à l'indivision
L'article 815-9 alinéa 2 du code civil dispose que l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
La jouissance privative d'un bien indivis résulte de l'impossibilité de droit ou de fait des autres co-indivisaires d'user de la chose. Il incombe à l'indivisaire qui réclame une indemnité d'occupation de rapporter la preuve qu'il a été empêché par le ou les autres indivisaires d'utiliser le bien indivis et que cette exclusion résulte de la volonté des indivisaires dont il est soutenu qu'ils jouissent de manière privative du bien.
L'occupation privative d'un immeuble par un co-indivisaire donne naissance à une indemnité d'occupation pour toute la période concernée au bénéfice de l'indivision et non du co-indivisaire. L'indemnité d'occupation n'est due qu'à la condition que pour des raisons de droit ou de fait, l'indivisaire jouit privativement du bien indivis et en exclut l'occupation pour ses co-indivisaires.
Il s'agit d'une conception juridique de l'occupation, elle n'est pas nécessairement liée à l'occupation effective ou matérielle (1ère Civ., 12 janvier 1994, pourvoi n°91-18.104, Bull.I, n°10 ; 22 avril 1997, pourvoi n°95-15.830).
En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que le couple s'est séparé au cours de l'année 2015, c'est-à-dire quelques mois après la signature de l'acte notarié du 31 décembre 2014 par lequel ils ont acquis pour moitié indivise un terrain sur lequel devait être construite la maison à usage d'habitation, occupée aujourd'hui par M. [S].
Comme indiqué ci-avant, il appartient à Mme [K] qui réclame l'indemnité d'occupation de rapporter la preuve qu'elle a été empêchée d'utiliser le bien indivis par la seule volonté de M. [S].
Or, force est de constater qu'elle est défaillante dans l'administration de cette preuve. En effet, elle ne produit aucune pièce venant étayer la preuve de sa réclamation à compter du 1er août 2018, de sorte que cette date comme point de départ de l'indemnité d'occupation du par M. [S] à l'indivision, ne peut être retenue. En outre, étant rappelé que la maison était en cours de construction, la pièce 29 de l'appelant démontre qu'il ne lui a été réclamé aucune somme au titre d'une taxe d'habitation en 2018 et que cette taxe a commencé à être réclamée pour un montant de 47 euros en 2019.
En revanche, la déclaration de mise en conformité du bien datée du 31 mars 2019 constitue la preuve de la date du début de jouissance privative du bien indivis dès lors que le couple était séparé depuis 2015, et que M. [S] ne conteste pas y demeurer, revendiquant même avoir effectué seul l'ensemble des travaux au sein du bien indivis pour lesquels il produit les factures.
En conséquence, la décision du 25 juillet 2023 doit être infirmée sur la période d'occupation par l'appelant faisant courir le point de départ de l'indemnité d'occupation et celui-ci sera fixée au 31 mars 2019.
La cour relève en outre qu'il n'est aucunement sollicité qu'il soit statué sur le montant de l'indemnité d'occupation, le premier juge ayant pertinemment renvoyé devant le notaire chargé du partage de procéder à l'évaluation de l'indemnité d'occupation au besoin en ayant recours aux services d'un sapiteur.
Sur la demande de restitution des fruits par M. [S] à l'indivision
Selon l'article 815-10 du code civil, les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l'indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord établissant la jouissance divise. Chaque indivise aire a droit aux bénéfices provenant des biens indivis et supporte les pertes proportionnellement à ses droits dans l'indivision.
En l'espèce, Mme [K] estime que le premier juge a retenu à tort que si l'indemnité d'occupation répare la perte de la jouissance, la perte des fruits revenus générés par le bien indivis devrait être répartie équitablement.
Or, le premier juge a, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, considéré que l'indemnité d'occupation a pour objet de réparer la perte des fruits et revenus et ne peut se cumuler avec une restitution des fruits perçus au titre d'une location du bien. En effet, Mme [K] ne peut réclamer à la fois une indemnité d'occupation sur le fondement de l'article 815-9 du code civil et des fonds au titre de l'article 815-10 du code civil puisque l'indemnité d'occupation a précisément pour objet de réparer le préjudice causé à l'indivision par la perte des fruits revenus et de se substituer à ces derniers.
En conséquence, la décision dont appel doit être confirmée sur ce chef de demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a fixé comme point de départ de l'indemnité d'occupation le 1er août 2018 ;
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions critiquées ;
Statuant à nouveau,
DIT que M. [W] [S] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation à compter du 31 mars 2019 ;
Y ajoutant,
DIT que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens,
DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,