COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 02 FEVRIER 2010
ARRÊT No 173
R. G. : 09 / 00764
RT / AG
CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'AUBENAS
26 janvier 2009
Section : Commerce
SAS CLAUBER
C /
SYNDICAT CFDT COMMERCE ET SERVICES DROME ARDECHE
X...
APPELANTE :
SAS CLAUBER
prise en la personne de son représentant légal en exercice
Route de Viviers
07700 BOURG ST ANDEOL
représentée par la SELARL CAPSTAN, avocats au barreau de MARSEILLE
plaidant par Maître ALEMANY, avocat
INTIMÉS :
SYNDICAT CFDT COMMERCE ET SERVICES DROME ARDECHE
prise en la personne de son représentant légal en exercice
Maison des Syndicats
17 rue Georges Bizet
26000 VALENCE
Monsieur Bruno X...
...
...
07700 BOURG SAINT ANDEOL
représentés par Maître Anne VALLOT, avocat au barreau de VALENCE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Régis TOURNIER, Président,
Monsieur Christian LERNOULD, Conseiller,
Madame Nathalie DOMINIQUE, Vice Présidente placée,
GREFFIER :
Madame Patricia SIOURILAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l'audience publique du 15 Décembre 2009, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Février 2010
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé et signé par Monsieur Régis TOURNIER,
Président, publiquement, le 02 Février 2010, date indiquée à l'issue des débats,
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur Bruno X... était embauché à compter du 2 janvier 1995 en qualité d'employé
commercial, par la SAS CLAUBER qui exploite un magasin à l'enseigne Intermarché à Bourg Saint Andéol. Il est rémunéré au SMIC.
Est applicable la Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, étendue le 6 août 2002.
Par requête du 11 avril 2007 le salarié saisissait le Conseil des Prud'hommes d'Aubenas sollicitant la condamnation de son employeur à lui payer :
-2. 939, 06 euros de rappels de salaire en raison du non respect du SMIC depuis juillet 2005 outre
congés payés y afférents,
-3. 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
-1. 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
et à lui remettre des feuilles de paie, sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter de la décision.
Il soutenait que :
- le salaire minimum de croissance, ou SMIC s'applique à tous les salariés quelles que soient les
clauses de leur contrat de travail, et lorsque le salaire horaire est devenu inférieur au montant en
vigueur, un complément calculé de façon à porter sa rémunération au montant du SMIC doit lui être versé par l'employeur, en application de l'article L 141-7,
- les sommes qui n'ont pas le caractère de salaire ne sont pas prises en compte pour apprécier si la réglementation du SMIC a été respectée,
- les temps consacrés aux pauses ne sont pas considérés, selon la jurisprudence, comme du temps de travail effectif, et n'ont pas à être pris en compte pour apprécier si la rémunération versée est au moins égale au SMIC : Cass. Soc, 13 mars 2001 Bull V numéro 95,
- comme le précise tant la loi que l'article 5-5 de la Convention collective les pauses, qu'elles soient ou non rémunérées, ne sont pas du travail effectif, et prendre en compte le paiement du temps de pause contrevient ainsi aux dispositions de l'article D. 141-3 du Code du travail qui énonce clairement que pour apprécier le respect du SMIC le salaire horaire à prendre en compte est celui qui correspond à une heure de travail effectif,
- pour justifier de sa décision la société se retranche simplement derrière les directives de la Fédération des Entreprises du Commerce et de la Distribution, cependant dans ce dispositif le salarié est présent dans l'entreprise soit 159, 25 heures alors qu'il n'est payé que pour 151, 67 heures soit 36, 75 heures par semaine au lieu de 35 heures,
- aussi, contrairement à ce qu'affirme l'employeur l'indemnité de 5 % qui est conventionnellement
versée au titre de la pause ne pouvait venir s'ajouter au salaire qui est la seule contrepartie du travail effectué.
Le syndicat CFDT commerce et services de DROME ARDECHE est intervenu aux débats, et a
repris les mêmes explications que le salarié.
Quant à la SAS CLAUBER, elle indiquait que la pause étant un complément de fait du salaire, son montant devait être pris en considération pour son assiette de calcul dans le montant global du SMIC.
Par jugement du 26 janvier 2009 le Conseil des prud'hommes accueillait les demandes sur les
sommes salariales et, en sus, allouait 2. 000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive et 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
La société SAS CLAUBER a régulièrement relevé appel de cette décision, et conclut à l'infirmation du jugement en reprenant ses prétentions antérieures exposant que :
- les salariés travaillaient auparavant 39 heures hebdomadaires, pauses comprises soit 36, 75 heures de travail effectif, et lors de la réforme sur la réduction du temps de travail, ils ont vu leur temps de travail passer à 36, 75 heures, pauses comprises,
- la CCN prévoit un Titre V durée et organisation du temps de travail. Les pauses sont visées par un article 5. 4 selon lequel :
On entend par " pause " un temps de repos-payé ou non-compris dans le temps de présence
journalier dans l'entreprise pendant lequel l'exécution du travail est suspendue.
(...) Une pause payée est attribuée à raison de 5 % du temps de travail effectif.
Les conditions de prise des pauses sont fixées au niveau de chaque entreprise ou établissement.
A défaut d'entente sur ce point, tout travail consécutif d'au moins 4 heures doit être coupé par une pause payée prise avant la réalisation de la 5 ème heure. Il est, en outre, rappelé qu'en application de l'article L. 220-2 du code du travail aucun temps de travail quotidien ne peut atteindre 6 heures sans que le salarié bénéficie d'une pause d'une durée minimale de 20 minutes.
(...)
La durée des pauses et le paiement correspondant doivent figurer sur une ligne distincte du bulletin de paie.
- l'article 5. 5 de la CCN stipule :
La durée du travail s'entend du travail effectif telle que défini à l'article L. 212-4 du code du travail. Elle ne comprend donc pas l'ensemble des pauses (ou coupures), qu'elles soient ou non rémunérées, notamment celles fixées à l'article 5. 4 ci-dessus.
- l'avenant salaires 1 du 4 octobre 2002 comportait un article 2 fixant le barème des salaires
minimaux comprenant-une base forfaitaire mensuelle payée pour 151, 67 heures de travail
-une pause de 5 %,
- l'avenant 12 du 2 mai 2005 fixait le barème des salaires minimaux garantis « paiement du temps de pause inclus », et l'avenant 13 du 25 octobre 2005, qui l'a remplacé, prévoyait que le salaire
minimum mensuel garanti pour un salarié à temps complet comprenait un forfait pour 35 heures de travail effectif par semaine, soit 151, 67 heures par mois, paiement du temps de pauses inclus,
- la CCN a donc bien distingué le temps de travail effectif et les temps de pauses, le tout constituant l'horaire de travail, à savoir le temps de présence dans l'entreprise, et le salarié a signé des avenants contractuels précisant que l'horaire de travail était « pauses conventionnelles comprises », et cette inclusion n'a jamais été discutée,
- selon ses explications la rémunération des pauses doit être retenue pour apprécier si le minimum salarial dû au salarié a été respecté, dès lors que les pauses payées sont une contrepartie directe liée au travail effectué, ce qui est le cas en l'espèce car l'article 5-4 de la CCN stipule clairement que la pause est attribuée à raison de 5 % du temps de travail effectif, et si aucun travail effectif n'est accompli aucune pause ne sera payée,
- dans ces conditions les heures de pause conventionnelles payées doivent être additionnées au
salaire de base perçu pour savoir si la rémunération basée sur le SMIC ou la GMR a été respectée.
L'intimé demande le rejet de l'appel et le paiement de la somme de 1. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Quant au syndicat intervenant la CFDT Commerce et services de la Drôme Ardèche il souligne une obstination fautive à appliquer les règles du droit de travail, met en cause l'attitude de l'employeur qui a volontairement fait perdre du temps à tous dans des réunions infructueuses, et sollicite en conséquence la somme de 5. 000 euros de dommages intérêts pour abus de droit et de 200 euros pour ses frais en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Attendu que l'article D143-1 devenu D3231-6 du Code du travail énonce :
Le salaire horaire à prendre en considération pour l'application de l'article D. 3231-5 est celui qui correspond à une heure de travail effectif compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire.
Sont exclues les sommes versées à titre de remboursement de frais, les majorations pour heures
supplémentaires prévues par la loi et la prime de transport.
Attendu que selon les alinéas1et 2 de l'article L212-4, codifiés maintenant sous les articles L3121-1 et L3121-2 du Code du travail :
- La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
- Le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés
comme du temps de travail effectif lorsque les critères définis à l'article L3121-1 sont réunis.
Même s'ils ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif, ces temps peuvent faire l'objet d'une rémunération prévue par une convention ou un accord collectif de travail ou par le contrat de travail.
Attendu qu'enfin selon l'article D141-2 devenu D3231-5 les salariés définis à l'article L. 141-1,
devenu L3231-1 de l'un ou l'autre sexe, âgés de dix-huit ans révolus et d'aptitude physique normale, à l'exception de ceux qui sont liés par un contrat d'apprentissage, reçoivent de leurs employeurs lorsque leur salaire horaire contractuel est devenu inférieur au salaire minimum de croissance en vigueur, un complément calculé de façon à porter leur rémunération au montant dudit salaire minimum de croissance.
Attendu qu'il se déduit de ces textes que :
- le salaire horaire à prendre en considération pour déterminer si le montant du salaire minimum
légal est alloué doit correspondre à une heure de travail effectif,
- la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles,
- les temps consacrés aux pauses ne sont pas considérés comme du temps de travail effectif sauf si durant celles-ci le salarié se trouve, par le fait de l'employeur, à la disposition de celui-ci et se
conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles,
- même s'ils ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif, ces temps de pause peuvent
faire l'objet d'une rémunération prévue par accord collectif ou contrat individuel de travail ;
Attendu qu'en l'espèce il n'est pas discuté que les temps de pause n'ont jamais été l'occasion pour
l'employeur de solliciter des salariés de se mettre à sa disposition et de se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; que les temps de pause ont donc bien été une suspension de l'exécution de la prestation de travail au sens des textes précités ;
Attendu que les dispositions de la Directive 2003 / 88 / CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 succédant à la Directive 93 / 104 / CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, fixent des prescriptions minimales de sécurité et de santé notamment des temps de pause dont tout travailleur bénéficie, au cas où son temps de travail journalier est supérieur à six heures ;
Attendu qu'il en découle que la pause est une période de repos qui doit s'entendre comme n'étant pas une période durant laquelle le travailleur est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives pour exécuter sa prestation ; que ces deux périodes sont donc sans relation et doivent être toujours bien distinguées sans pouvoir être confondues à quelque titre que ce soit ;
Attendu que la rémunération du temps de pause, même forfaitisée, découle de la seule volonté
unilatérale de l'employeur ou d'un instrument collectif et n'est pas en principe obligatoire ; qu'elle a uniquement pour objet de compenser les sujétions matérielles imposées à cette occasion et inhérentes à une brève récupération quotidienne des facultés physiques et mentales du salarié ; que si elle peut prendre la forme d'un pourcentage du salaire perçu cette modalité de paiement ne peut en changer la nature ;
Attendu qu'en revanche le SMIC d'une part a pour objet de garantir un montant de salaire qui est
considéré comme l'équivalent d'une prestation élémentaire de travail d'autre part est obligatoire pour l'employeur sous peine de sanctions pénales ;
Attendu qu'ainsi, dans la rémunération perçue par le salarié, seuls doivent être retenus pour vérifier si le SMIC est atteint, les éléments qui correspondent au temps de l'exécution effective de la contrepartie pendant laquelle le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ;
Attendu qu'en l'espèce il est établi que le montant du salaire versé par la société CLAUBER en
contrepartie de la prestation de travail effective est inférieur au taux horaire du salaire minimum
légal ; que le seul complément permettant de l'atteindre est constitué par une somme tirée de la
période de repos du salarié, en sorte que le comportement de l'employeur est illicite tant à l'égard du droit communautaire, en mettant en cause la spécificité de la période de repos, que du droit interne en modifiant les modalités de calcul du salaire minimum en y ajoutant un paramètre étranger à savoir le recours à un temps de présence journalier dans l'entreprise ;
Attendu qu'enfin, ce qui concerne la comparaison avec le minimum conventionnel, en l'absence
d'indication contraire de la convention collective applicable, les indemnités ou primes qui ne constituent pas une contrepartie directe du travail effectué ne peuvent être prises en compte pour
vérifier l'application de ce minimum ; qu'à cet égard la fixation sous forme d'un pourcentage démontre qu'il n'existe aucun lien entre la pause, qui est fixée après 6 heures de travail, et son montant, un salarié pouvant recevoir cette prime sans jamais avoir travaillé plus de six heures ;
Attendu que, dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement de ce chef en ce qu'il a
condamné la société à des rappels de salaires ;
Attendu que le jugement a alloué la somme de 2. 000 euros de dommages intérêts pour résistance
abusive ; que toutefois l'attitude fautive de l'employeur est fondée sur l'interprétation, non isolée,
d'avenants conventionnels étendus ; qu'en outre ce montant n'est pas en rapport direct avec le montant du préjudice subi par le salarié en l'état des éléments fournis sur l'importance et l'étendue
des dommages causés ; que cette demande n'est pas fondée ;
Attendu qu'en revanche et compte tenu de la somme octroyée par le jugement, il parait équitable
d'allouer au salarié une somme de 500 euros pour les frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'il sera alloué la somme de 200 euros à ce titre au syndicat intervenant ;
Vu l'article 696 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Réforme le jugement,
Statuant à nouveau,
Rejette la demande de dommages intérêts au titre de la résistance abusive,
Confirme pour le surplus en toutes ses autres dispositions,
Y Ajoutant,
Condamne la société SAS CLAUBER à payer au salarié intimé la somme de 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamne à payer au syndicat intervenant la somme de 200 euros en application du même article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société appelante aux dépens d'appel.
Arrêt signé par Monsieur TOURNIER, Président et par Madame SIOURILAS, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,