ARRÊT N°
N° RG 19/01210 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HJLI
VH/ID
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ANNONAY
04 mars 2019
RG :F18/00037
[L]
C/
S.A.S. AUCHAN HYPERMARCHE
S.A.S. AUCHAN HYPERMARCHE
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 10 MAI 2022
APPELANTE :
Madame [U] [L]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me François Xavier FAYOL de la SCP FAYOL & ASSOCIÉS, avocat au barreau de VALENCE
Représentée par Me Emmanuelle JONZO de la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉES :
SAS AUCHAN HYPERMARCHE
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Aurore VEZIAN de la SELARL LEONARD VEZIAN CURAT AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Anthony BRICE de la SELARL EXIGENS, avocat au barreau de LILLE
SAS AUCHAN HYPERMARCHE
[Adresse 3]
[Localité 1]
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 08 Février 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Virginie HUET, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Virginie HUET, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
À l'audience publique du 02 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Mai 2022
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Mai 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [L] a été recrutée en qualité de chef de rayon Espace Santé Beauté (ESB), cadre niveau 7, à compter du 14 mars 2011 compte tenu notamment de sa qualité de Docteur en pharmacie par la société Auchan France.
La convention collective applicable est celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ainsi que les avenants Auchan.
En octobre 2014, il a été décidé de lui confier la responsabilité de deux nouveaux rayons, à savoir le rayon Parfumerie et le rayon hygiène et ce à compter de 2015.
En octobre 2015, M. [K] [V] est devenu le nouveau responsable de Mme [L].
En mars 2016, M. [V] [K], responsable commercial du secteur Produits Grande Consommation, a estimé nécessaire d'alerter le Responsable Ressources Humaines de l'établissement, M. [WM], de la situation des employées du périmètre de Mme [L], lesquelles semblaient dénoncer des faits de harcèlement moral.
M. [WM] a entendu les salariées du rayon de Mme [L].
Une réunion a eu lieu entre Mme [L] et son responsable, M. [K], le 29 mars 2016.
Mme [L] a été placée en arrêt de travail pour maladie, le 31 mars 2016.
L'employeur a convoqué une réunion extraordinaire du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), le 25 avril 2016, avec l'ordre du jour suivant : « Délibération relative à la mise en place d'une enquête suite à des situations de mal-être sur un périmètre du magasin».
La Direction de l'établissement a, dans le même temps, saisi le médecin du travail, qui a rendu compte de ses constats le 25 avril 2016.
Le 30 mai 2016, lors d'une réunion extraordinaire, le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a été rendu compte des auditions réalisées.
Le 31 mai 2016, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable a un éventuel licenciement. L'entretien a eu lieu le 9 juin 2016.
Mme [L] a été licenciée pour faute grave, le 15 juin 2016.
* * *
Mme [L] a saisi le Conseil de prud'hommes d'Annonay, au moyen d'une requête introductive d'instance en date du 24 octobre 2016.
Elle formulait les demandes suivantes :
- Dire et juger que le licenciement intervenu le 15 juin 2016 est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- En conséquence :
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 54 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse ;
- Le condamner au paiement de la somme de 1 057,33 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire outre la somme de 105,73 euros à titre de congés payés ;
- Le condamner au paiement de la somme de 5 193,17 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,
- Le condamner au paiement de la somme de 9 891,75 euros bruts à titre d'indemnité de préavis outre la somme de 989,17 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- Constater qu'elle a été victime d'actes de harcèlement.
- Dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat.
- En conséquence, le condamner au paiement de la somme de 20 000 euros nets.
- Constater que la totalité des heures supplémentaires effectuées par Mme [L] n'ont pas été rémunérées;
- En conséquence :
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 31 795,54 euros bruts à titre de rappel des heures supplémentaires, outre 3 179,55 euros à titre de congés payés sur heures supplémentaires
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 15 921,08 euros nets à titre d'indemnité pour non-respect du repos compensateur
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 19 783,56 euros nets à titre d'indemnité pour travail dissimulé
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 900 euros (5x180 euros) a titre d'indemnisation pour le nettoyage des tenues imposées par la société AUCHAN
- Ordonner l'exécution provisoire de la totalité des condamnations mises à la charge de l'employeur
- Le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux éventuels dépens de l'instance.
Par un jugement du 4 mars 2019, le conseil de prud'hommes d'Annonay a :
- Dit que la demande de Mme [U] [L] n'est pas recevable
- Débouté Mme [U] [L] de l'ensemble de ses demandes
* * *
Par acte du 21 mars 2019, Mme [L] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 16 décembre 2019, Mme [L] demande à la cour de :
- Déclarer recevable son appel ;
- Réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annonay du 4 mars 2019 en ce qu il a déclaré irrecevable sa demande et l'a déboutée de toutes ses demandes ;
- Dire et juger que le licenciement intervenu le 15 juin 2016 est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- En conséquence :
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 54 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse;
- Le condamner au paiement de la somme de 1057, 33 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire outre la somme de 105, 73 euros a titre de congés payés ;
- Le condamner au paiement de la somme de 5193, 17 euros nets a titre d'indemnité de licenciement;
- Le condamner au paiement de la somme de 9 891, 75 euros bruts à titre d'indemnité de préavis outre la somme de 989, 17 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- Constater qu'elle a été victime d'actes de harcèlement.
- Dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat.
- En conséquence, le condamner au paiement de la somme de 20 000 euros nets.
- Prononcer la nullité de la convention de forfait en jours
- Constater que la totalité des heures supplémentaires qu'elle a effectuées n'ont
pas été rémunérées.
- En conséquence :
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 31 795, 54 euros bruts a titre de rappel des heures supplémentaires, outre 3 179, 55 euros à titre de congés payés sur heures supplémentaires
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 15 921, 08 euros nets à titre d'indemnité pour non-respect du repos compensateur
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 19 783, 56 euros nets à titre d'indemnité pour travail dissimulé
- Constater que les temps de pause journalière n'ont pas été respectés
- En conséquence, condamner l'employeur au paiement de la somme de 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour non-respect des temps de pause journalière
- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 900 euros, à titre d'indemnisation pour le nettoyage des tenues imposées par la société AUCHAN
- Le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de premiere instance et d'appel.
Mme [L] soutient que :
- sa requête devant le conseil de prud'hommes était recevable puisqu'elle a attrait le conseil de Prud'hommes d'Annonay la société AUCHAN France identifiée par son numéro RCS de Lille Métropole, prise en son établissement de Guilherand Granges, comme l'y autorise la jurisprudence dite des gares principales.
- qu'il s'agit tout au plus d'un vice de forme régularisé par l'intervention volontaire d'Auchan France
- elle conteste les griefs qui lui sont reprochés ( attitude publique de dénigrement de ses équipes, propos agressifs et menaçants, comportement dédaigneux et irrespectueux, indifférence manifeste pour les conséquences de ses prétendues pratiques managériales). Elle considère que la direction a cherché à 'monter un dossier contre elle'
- que l'entretien qu'elle a subi le 29 mars 2016 avec M. [K] a été d'une grande violence
- que le procès-verbal du CHSCT du 30 mai 2016, qui fonde le licenciement de Mme [L], a été approuvé le 13 juin 2016, soit bien après l'entretien préalable au licenciement qui a eu lieu le 9 juin 2016.
- elle établit les démarches qu'elle a effectuées pour soulager son équipe
- elle considère que l'employeur avait décidé de procéder à des licenciements de chef de rayon et de chef de secteur, qu'il existait un climat de peur et de tension au sein de la société, que d'ailleurs des salariées n'ont pas souhaité attester pour elle de peur de représailles, exceptées celles qui ne travaillent plus chez Auchan
- le rapport d'enquête était à charge ; qu'il n'y a que 7 salariées qui ont été entendues et seulement 3 se sont plaintes d'elle
- elle avait toujours eu de bons entretiens annuels
- il y avait des difficultés dans l'équipe parfumerie qui n'étaient pas de son fait, que l'équipe était en sous-effectif
- que le directeur du magasin M. [X] [D] [Z] a abusé de son autorité et cherche à l'intimider
- des paragraphes du rapport du CHSCT n'ont pas été correctement retranscrits et certains coupés et que certaines déclarations sont mensongères
- aucune intention malveillante n'est établie par l'employeur
- les propos familiers ou des insultes ne caractérisent pas nécessairement la faute grave dans la mesure où ils sont coutumiers dans le milieu professionnel concerné
- le comportement dédaigneux et irrespectueux suppose des éléments objectifs et matériellement vérifiables et que ce n'est pas le cas en l'espèce
- s'agissant du grief tiré de l'indifférence manifeste pour les conséquences de ses pratiques managériales : il n'est ni établi, ni matériellement vérifiable.
- sur le harcèlement :
- Elle affirme qu'elle n'a pas été prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de la législation professionnelle, la demande d'indemnisation en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral est recevable devant la juridiction prud'homale.
- en octobre 2015, le directeur du magasin et son responsable ont changé. M. [K], son N+l, n'a alors eu de cesse de chercher à la déstabiliser, l'isoler, lui faire perdre confiance et la faire craquer. Elle affirme qu'elle a du subir les menaces permanentes de M. [K] concernant ses congés et sa prime annuelle.
- selon elle le climat de peur était général et la presse s'est faite l'écho des techniques de main mise sur le CHSCT, par 'la constitution d'un petit cercle au service de 'sa majesté' pour mieux fliquer, piéger une liste de personnes biens ciblée' et qu'il y a de nombreuses affaires de harcèlement dans lesquelles le groupe AUCHAN est condamné.
- sur la nullité de la convention :
- lorsque les modalités ne sont pas précisées par l'accord collectif, la convention de forfait ne pouvait pas s'appliquer. Le salarié est alors en droit de demander le paiement d'heures supplémentaires, de repos compensateur et de pause.
* * *
En l'état de ses dernières écritures en date du 15 juin 2020, la société AUCHAN demande à la cour de :
A titre principal :
Vu les articles 32, 122 et 124 du code de procédure civile ;
- De confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annonay, en ce qu'il a dit que la demande de Mme [L] n'est pas recevable, et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes; - De débouter en conséquence Mme [L] de son appel tendant à voir réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annonay du 4 mars 2019 qui a déclaré irrecevable sa demande, et l'a déboutée de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire :
- D'écarter des débats les pièces n° 33, 34 et 35 de Mme [L] ;
- De débouter Mme [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- De condamner Mme [L] à verser à la société la somme de 3 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens ;
A titre très subsidiaire :
1° En ce qui concerne le licenciement (en cas de requalification du licenciement pour faute grave en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse)
- Vu l'article R. 1235-22 du code du travail, applicable à la date de la rupture du contrat de travail;
- Vu l'ancienneté de Mme [L], à savoir 5 années complètes ;
- D'évaluer à 6 mois de salaire l'indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse due à Mme [L], soit la somme de 18.936 euros ;
2° En ce qui concerne la durée du travail
- Vu l'article L. 3245-1 du Code du travail ;
- De débouter Mme [L] de ses demandes pour la période antérieure au 15 juin 2013;
- De débouter en toute hypothèse Mme [L] de ses demandes formulées au titre de l'indemnité pour travail dissimulé et des temps de pause journalière.
La société AUCHAN fait valoir :
- que la demande de Mme [L] est irrecevable ayant assigné Auchan Valence et non Auchan France et de surcroît à une mauvaise adresse
- qu'il y a lieu d'écarter des débats les pièces n° 33, 34 et 35 de Mme [L]
- que Mme [L] n'est pas fondée à contester le bien-fondé de son licenciement pour faute grave
- que « le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité de résultat » allégués par Mme [L] n'ont pas de réalité
- que Mme [L] n'est pas fondée à demander à la Cour de « prononcer la nullité de la convention de forfait en jours »
- que Mme [L] n'est pas fondée à solliciter la condamnation de la société « au paiement de la somme de 900 euros à titre d'indemnisation pour le nettoyage des tenues imposées par la société »
- qu'il est justifié de condamner Mme [L] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
* * *
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 1er décembre 2021, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 8 février 2022.
L'audience initialement fixée au 22 février 2022 a été déplacée au 2 mars 2022.
L'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 10 mai 2022.
MOTIFS
La cour va examiner successivement :
I - la recevabilité de l'appel
II - la demande relative aux pièces
III - le licenciement pour faute grave
IV - le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité de résultat
V - la nullité de la convention de forfait en jours : les heures supplémentaires, repos compensateur, et temps de pause journalière
VI - sur la demande au titre du travail dissimulé
VII - la demande d'indemnisation au titre du nettoyage des tenues
VIII - les demandes des parties formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile
* * *
I - la recevabilité de l'appel :
La société Auchan France soutient que :
L'article 32 du Code de procédure civile pose en principe qu' : « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir. »
Elle argue en s'appuyant sur les articles 122 et 124 du code de procédure civile que « le défendeur est la personne contre laquelle la demande est formée telle qu'elle est mentionnée dans l'acte introductif d'instance ». Elle verse aux débats les jurisprudences qui ont sanctionné des irrecevabilités, comme par exemple l'instance introduite à l'encontre d'un simple établissement secondaire d'une personne morale, un tel établissement étant dépourvu de la personnalité morale ou l'instance introduite « contre l'unité économique et sociale, partie dépourvue de personnalité juridique » ou l'action introduite à l'encontre d'un magasin de la société Auchan France constituant un simple établissement secondaire dépourvu de la personnalité morale, et ce sans possibilité de régularisation ou encore l'action engagée contre une structure dépourvue de la personnalité juridique.
Elle explique que l'employeur de Mme [L] était la société Auchan France, société anonyme dont le siège social est [Adresse 4], [Localité 6] ultérieurement devenue la société par actions simplifiée Auchan Hypermarché mais que la présente instance a été introduite non pas à l'encontre de la société Auchan France, ayant son siège social [Adresse 4], [Localité 6], mais à l'encontre de « La société Auchan Valence », « ayant son siège [Adresse 3] [Localité 1] agissant poursuite et diligences de ses représentant légaux domiciliés audit siège » (Pièce n° 35), société dépourvue d'existence légale et donc de personnalité juridique, ce dont attestent les données issues du site Infogreffe. Selon elle, l'instance a donc tout au plus été introduite à l'encontre d'un simple établissement secondaire de la société Auchan France, établissement tout aussi dépourvu de la personnalité juridique.
La société en conclut que la présente action, ainsi engagée contre une structure dépourvue de la personnalité morale, est donc de ce seul fait nécessairement irrecevable, sans possibilité de régularisation, l'intervention volontaire de la société Auchan France, devenue, depuis, Auchan Hypermarché, n'étant donc pas de nature à régulariser la procédure.
Elle considère que le jugement du Conseil de prud'hommes n'encourt donc pas la critique, en ce qu'il a jugé la demande de Mme [L] irrecevable, et débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes.
* * *
Mme [L] soutient que serait « inexact de soutenir que l'action a été engagée à l'encontre de l'établissement secondaire Auchan Valence », et qu'elle aurait « attrait devant le Conseil de Prud'hommes d'Annonay la société Auchan France prise en son établissement de Valence comme l'y autorise la jurisprudence dite des gares principales ».
* * *
En l'espèce, Mme [L] a en effet attrait devant le conseil de prud'hommes d'Annonay « la société Auchan Valence », ayant son siège social[Adresse 3]e, [Localité 1].
Le jugement du conseil de prud'hommes d'Annonay a été rendu à l'encontre de la société « Auchan Valence, 1449 Avenue de la République, 07500 Guilherand Granges », et de la « Sas Auchan France, devenue SAS Auchan Hypermarché, [Adresse 4], [Localité 6] », en sa qualité de « partie intervenante volontaire ».
Il est exact comme le soutient l'employeur que la théorie dite des « gares principales » concerne en effet exclusivement la question de la compétence territoriale d'une juridiction.
Appliquée en matière prud'homale, cette théorie conduit la Cour de cassation à juger « qu'aux termes de l'article R 517-1, alinéa 3, du code du travail, le salarié peut toujours saisir, à son choix, le conseil de prud'hommes du lieu où est établi l'employeur, soit qu'il dispose dans le ressort de cette juridiction d'un service dont le responsable a un pouvoir de représentation de l'autorité centrale, soit qu'il y ait son siège social ».
En l'espèce, la compétence territoriale du Conseil de prud'hommes d'Annnonay n'a, à aucun moment, été contestée.
La société Auchan sur le fondement des articles 122 du code de procédure civile se prévaut d'une fin de non recevoir. Or, la société Auchan, défenderesse, n'est pas dépourvue du droit d'agir sur le fond, mais la société défenderesse a mal été attraite devant le conseil de prud'hommes, puisqu'il ne s'agissait pas de Auchan Valence mais Auchan France.
Or en l'espèce il ne s'agit pas d'une fin de non recevoir mais de la nullité d'un acte de procédure au sens des articles 58 du code de procédure civile et 112 et 114 du même code.
La salariée a bien commis une erreur dans sa saisine du conseil de prud'hommes.
Il est cependant constant que le défaut de désignation de l'organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité ne constitue qu'un vice de forme.
De la même manière, la désignation du défendeur par l'enseigne sous laquelle il exerce son activité constitue un vice de forme.
Il est aussi constant qu'une société jouit de la personnalité morale à compter de son immatriculation au registre du commerce et les irrégularités qui affectent les mentions de déclarations relatives au représentant de cette personne morale constituent des vices de forme.
En l'espèce, l'irrégularité, relevée à juste titre par la société Auchan, ne constitue qu'un vice de forme dont la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver l'existence d'un grief.
Auchan France en étant volontairement intervenue dès le départ dans la procédure ne peut se prévaloir d'un quelconque préjudice.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit l'action irrecevable.
II - la demande que des pièces soit écartées des débats :
La société Auchan demande d'écarter des débats les pièces n° 33, 34 et 35 versées aux débats par Mme [L].
Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la [Z] peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Vu l'article L. 1222-4 du Code du travail et le principe de loyauté dans l'administration de la [Z], il est de principe qu'est irrecevable toute [Z] obtenue au moyen d'un stratagème (Cass. Soc., 4 juillet 2012, n° 11-30266).
A ce titre, est notamment illicite la [Z] obtenue au moyen de l'enregistrement d'une conversation, réalisée à l'insu de son interlocuteur.
Mme [L] produit aux débats, en pièces n° 33 et 34, un procès-verbal de constat d'huissier de justice portant retranscription d'un enregistrement des échanges intervenus au cours de son audition, le 13 mai 2016, dans le cadre de l'enquête diligentée par le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Il ressort de ces pièces que cet enregistrement a été effectué par Mme [L] au moyen de son téléphone portable personnel (Pièces n° 33 et 34 de Mme [L], p. 2 : « Qu'elle s'était présentée à l'entretien et l'avait enregistré au moyen de son téléphone portable »). Cet enregistrement a été déclenché plusieurs minutes avant l'audition de Mme [L], les premiers échanges intervenant après 7 minutes d'enregistrement (Pièces n° 33 et 34 de Mme [L], p. 4 : « [07 :10] Bonjour [U], on va s'installer dans cette salle »). Mme [L] n'a, à aucun moment, informé ses interlocuteurs qu'elle enregistrait leurs propos, au moyen de son téléphone portable ;
Mme [L] ne saurait tirer argument du fait que les personnes présentes étaient d'accord pour être enregistrées par la secrétaire du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail pour lui faciliter la prise de notes étant donné que cet enregistrement était voué à être détruit dès la retranscription du procès verbal.
Le procédé déloyal a rendu la [Z] ainsi obtenue irrecevable en justice. Les pièces n° 33, 34 et 35 de Mme [L] étant ainsi indissociables, il convient donc de les écarter toutes les trois.
III - le licenciement pour faute grave :
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la [Z].
La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire;
* * *
Mme [L] a été licenciée pour faute grave par courrier en date du 15 juin 2016 au terme d'un courrier rédigé dans les termes suivants :
'Vos équipes ont remontés au Responsable Ressources Humaines un mal étre au travail et un comportement inadapté de leur manager qui se manifestait par de multiples remarques, un comportement agressif des propos déplacés, de la pression quotidienne, des collaboratrices en pleurs...
Le médecin du travail a été interrogé. Il a reçu plusieurs de vos collaboratrices. A l'issue de ces consultations, il a confirmé que toutes les collaboratrices avaient évoqué les difficultés relationnelles qu'elles avaient avec vous. Cinq collaboratrices ont parlé de souffrance au travail
avec un fort retentissement sur leur état de santé et avec parfois des re'percutions sur leur milieu familial.
Au regard des remontées faites ci la direction, et des conclusions du Médecin du Travail, une
enquête a été diligentée, avec le concours du CHSCT instance garante des conditions de travail sur le site.
Cette commission d'enquête a conclu, au vu des témoignages des salariés auditionnés, a l'existence de mal être et de souffrance au travail sur les périmètres Espace santé beauté au cours d'une période de 4 ans soit depuis 2012 et Parfumerie sur une période restante de 18 mois.
Vous avez également été entendu par cette commission au cours de laquelle vous avez indiqué que vous aviez perçu le malaise au sein de votre équipe, mais que vous n'aviez pas pris conscience de la gravité du mal être.
Lors de l'entretien préalable nous vous avons exposé les motifs qui nous ont conduits a envisager votre licenciement:
-une attitude publique de dénigrement de vos équipes
-des propos agressifs et menaçants
-un comportement dédaigneux et irrespectueux
-une indifférence manifeste pour les conséquences de vos pratiques managériales
Nous vous avons également rappelé vos obligations légales. Ainsi en application de l'article L. 4122-l du Code du travail, il appartient à chaque travailleur de prendre soin de la santé et de la sécurité des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. De ces dispositions générales il résulte l'obligation pour chaque membre de l'encadrement de mettre en oeuvre des méthodes de management et, plus généralement, d'adopter en toutes circonstances un comportement propre a préserver la santé de ses collaborateurs et des autres salariés de l'entreprise avec lesquels ses fonctions le mettent en relation.
Ce faisant, il incombe donc a chaque membre de l'encadrement de contribuer au respect de l'obligation de sécurité de résultat qui lie contractuellement l'entreprise a chacun de ses salariés, et dont l'effectivité doit être assurée en permanence.
Au-delà des comportements qui sont susceptibles d'être qualifié par un juge de harcèlement moral, sont donc fautif tous les comportements managériaux qui caractérisent une violation des dispositions de l'article L. 4122-1 du Code du travail.
Vos explications recueillis lors de notre entretien du 09juin 2016, ne sont pas de nature a modifier notre décision.
En effet, vous avez, nié tous les faits que vous qualifiez de « tissu de mensonges », mis sur le compte des 'ordres' que vous receviez de votre supérieur hiérarchique, les conséquences de vos agissements.
Nous ne pouvons tolérer un tel comportement d'un membre de l'encadrement qui plus est lorsqu'il manage des équipes. Il n'est pas dans nos valeurs de manager par la peur et l'agressivité ' L'exécution' comme vous le dites de tels ordres seraient totalement contraire a notre modèle managérial. Vous ne vous êtes pas suffisamment intéressé à vos équipes et à leurs conditions de travail, car la aussi vous dites que ce n'est pas votre faute et que vous ne « pouvez être responsable de tous les petits maux des employés du magasin ».
Par conséquent au regard de tous ces motifs, votre maintien dans l'entreprise s'avére impossible, y compris durant la période de préavis. Votre licenciement prend donc effet à compter de l'envoi de cette lettre, sans indemnité de licenciement ni de préavis. Nous vous rappelons que vous faites également l'objet d'une mise a pied à titre conservatoire. Par conséquent la période non travaillée du 06 juin 2016 au 15 juin .2016 ne sera pas rémunérée.'
La lettre de licenciement fait état des griefs suivants :
- attitude publique de dénigrement de ses équipes, de propos agressifs et menaçants, d'un comportement dédaigneux et irrespectueux
- indifférence manifeste pour les conséquences de ses pratiques managériales
* * *
S'agissant du grief tiré de l'indifférence manifeste pour les conséquences de ses pratiques managériales :
Ce grief n'est pas matériellement vérifiable. Il ne sera pas retenu.
* * *
S'agissant du grief lié à l'attitude publique de dénigrement de ses équipes, les propos agressifs et menaçants, le comportement dédaigneux et irrespectueux :
L'employeur verse aux débats :
- un grand nombre de déclarations qui proviennent d'attestations, mais aussi de la réponse à sommation interpellative pour huissier de justice en date du 27 mai 2016, et enfin des auditions du CHSCT entre le 6 et le 13 mai 2016, ainsi que des notes des entretiens que M. [WM] a eu avec Mesdames [M], [J], [O], [N], [Y], [F], et [B].
- Mme [R] [M] : 'nous avons régulièrement des piques ... elle nous parle très mal ... on est des nuls, on se fait « descendre » devant nos collègues . Quand elle s'en prenait à Fadi, j'ai souvent essayé de lui dire d'arrêter de s'en prendre à elle comme le faisait : elle la « descendait devant nous , elle part très vite en crise de nerf. Du coup, on a décidé de ne plus rien dire pour ne pas la contrarier. ' Elle nous parle très mal : agressivité ' Dès que l'on veut dire quelque chose cela part en dispute, elle s'énerve ... Son comportement est très compliqué à comprendre : elle explose en crise de nerf et 30 minutes plus tard c'est comme si rien ne s'était passé ' et cela peut se reproduire plusieurs fois dans la journée ' Elle nous a déjà dit qu'elle n'était pas facile, et que si elle « débordait » il fallait le lui faire remarquer : mais on préfère ne rien dire car ses colères sont terribles ' J'en viens à obéir au doigt et à l''il pour ne pas l'énerver »; ... « Actuellement « soulagée » de l'absence de [U] [L] : je travaille plus sereinement ' 'Je ne dis rien, je subis mais intérieurement c'est difficile (herpès') ' Je crains [U] [L] dans son management : quand elle s'énerve elle ne fait pas semblant ' Je pense aussi à quitter le marché Parfumerie du fait du management de [U] [L]. Je suis dans l'engrenage de victime et je m'éteins au fur et à mesure : je viens travailler avec la boule au ventre » ; « J'ai été témoin de faits avec Madame [I] [O]. Madame [O] a 56 ans, elle a du mal avec l'informatique et faisait des erreurs. Madame [L] lui a expliqué plusieurs fois, Madame [O] ne comprenait pas. Mais elle s'acharnait à lui faire faire des tâches qu'elle ne parvenait pas à faire, en tenant des propos dénigrants dans le dos de Madame [O] : « Elle est nulle, elle ne comprend rien, je dois tout rattraper ». ' Durant un brief, pendant ¿ d'heure, elle s'est acharnée sur le travail de Madame [O]. C'était très gênant pour nous ».
- Mme [G] [J] : « dès qu'elle arrive on rentre dans notre coquille. Elle nous saute dessus. Au brief, on est « assassinés » on est des moins que rien, des incapables ' Quand je suis rentrée de mon premier arrêt maladie, elle m'a « attrapée » en réserve devant tout le monde en me disant que je devais travailler comme la CDD qui venait de me remplacer, car elle travaillait mieux que moi. J'ai voulu comprendre pourquoi, et elle m'a dit d'arrêter de faire « ma gamine et ma mijaurée » ... « [U] est très lunatique, elle passe par des phases hautes et basses régulièrement. Quand on n'est pas d'accord avec elle, elle ne l'accepte pas, elle devient hystérique. Et quand elle part en « vrille » elle est impressionnante ' Lors de ma troisième opération du pied, quand je suis revenue elle ne voulait plus de moi dans son équipe. Elle était très virulente. ' dès qu'elle apprenait qu'on avait parlé à quelqu'un elle nous tombait dessus. ' je l'ai vu dans tous ses états à la limite de vouloir nous gifler ' Elle me parle toujours avec des menaces (ex. : tu n'auras plus de rupture dans ton rayon sinon ça ira mal) ' Elle nous disait : moi je dis ' vous vous faites ' sinon ça ira mal »... « je suis soulagée de l'absence d'[U], je suis beaucoup mieux au travail depuis qu'elle n'est pas là, je ne viens plus travailler la boule au ventre. De 4 h à 8 h 30 on est bien au travail et dès qu'elle arrive on rentre dans notre coquille. ' Fadi[la [O]] a quitté la Parfumerie à cause d'elle. [U] a dit qu'elle voulait clairement se débarrasser de Fadi[la [O]] : elle y est arrivée ' Je n'ai jamais l'esprit tranquille car je ne sais jamais comment elle va réagir ' J'ai baissé les bras. Je me sens harcelée, il faut toujours qu'elle trouve quelque chose, elle est continuellement sur mon dos ' J'ai aussi souvent vu les remplaçantes des caisses partir en pleurant. [U] ([L]) agit différemment devant ses chefs. Dès qu'elle est seule avec nous c'est l'enfer. Je crains ses réactions ' J'appréhende son retour. On va se prendre la « foudre ». Ce n'est pas normal d'appréhender le retour de son manager, je suis moralement atteinte. Je n'ai pas envie de venir travailler, si ce n'est pour ne pas lâcher mes collègues ' Je n'ai pas réagi plus tôt parce que j'avais peur des retombées. » ... « Les remarques se font devant d'autres collègues, mais surtout devant les clients » ... « J'en suis arrivée à me taire pour qu'il n'y ait plus de disputes ' Elle refuse régulièrement de donner des samedis, je suis allée voir M. [T] pour en obtenir, elle l'a su, elle nous a crié dessus sur ce fait » .
- Mme [H] [F] : « Un jour, je finissais à 14 h 00. Elle avait gardé [S] à 14 h 30. Je devais donc rattraper une demi-heure. Le lendemain j'ai rattrapé ma demi-heure. Devant les clientes, elle m'a « pourri », elle m'a dit « on ne fait pas des horaires à la carte, avec agressivité (') Des clientes ont pu entendre les remarques » .
- Mme [S] [N] : « [[U] [L]] monte facilement dans les tours. Les propos sont trop durs même si la situation peut être justifiée ' Quand il y avait [W] à l'espace santé beauté j'ai souvent dit à [U] que je passais au second plan, et elle n'acceptait pas mon retour, nous avons eu plusieurs disputes, le ton montait » ... « Si [U] [L] se sent attaquée, elle peut avoir des réactions vives » ... « le comportement de [U] peut être difficile à vivre ' La situation actuelle n'est bonne pour personne » ;
- Mme [I] [O] : « Madame [L] me fait des remarques devant mes collègues » ... « Quand elle a su que l'on a parlé à M. [T], elle est venue, s'est emportée en gesticulant puis s'est mise à pleurer ' Au début je lui ai tenu tête et lui ai demandé de me parler autrement. Ensuite, elle me stressait tellement que je n'arrivais plus à répondre et je m'attendais toujours à une altercation ' à certains moments elle ne sait pas se contrôler et se contenir » ... « J'ai mal vécu cette collaboration, je ne savais jamais si cela allait bien se passer dans ma journée ' J'ai plusieurs fois pleuré dans le rayon ' Je craignais [U], elle me déstabilisait complètement ' j'étais très mal. J'ai été la bête « noire » de [U] [L]. Je me suis sentie dévalorisée, diminuée ' Subir cela à 55 ans, c'est dur ».
Mme [C] [Y] : « Elle peut être très agressive '» « Madame [L] était changeante et agressive en tapant le poing sur la table en disant « tu dois faire comme ça » ' Madame [L] est très autoritaire, agressive, tout le temps ' Pour moi, c'est du harcèlement verbal, de l'agressivité avec des grimaces et des gestes. Elle tape du poing sur la table en disant « c'est comme ça », et on devait pas lui parler de Auchan, elle disait moi je suis pharmacienne » ; « je ne disais plus rien, je ne pouvais plus parler ' J'ai demandé à repartir en caisses pour fuir sa présence et son management, pour ne pas me faire du mal et tomber malade ' L'équipe m'avait averti que j'allais craquer avec [U] [L] ».
- M. [T] : « les filles me disaient qu'à chaque brief, c'étaient des reproches ' Q. : Que disait [U] quand elle te parlait de ses équipes ' R. : Je sais plus. Pas en bien ' Q. : Venait-elle souvent remplir avec ses équipes ' R. : Elle n'a jamais rempli. Elle est venue une fois il y a trois semaines pour chronométrer les filles et elle a fait un plateau il y a un an : tu as vu, ce que j'ai fait, c'est mieux que les filles »... « si tout va bien, c'est ok. Sinon c'est un volcan ' [U] [[L]] quand elle n'aime pas une personne, elle le lui fait sentir. Si tu ne travailles pas comme je veux, va voir ailleurs ».
- Mme [A] : « [Madame [L]] était tendue constamment . Q. : Y-a-t-il un moment où elle s'est fâchée ' R: oui, plusieurs fois contre [C] [[Y]]. J'ai été un peu mal à l'aise. Elle lui a parlé d'une manière très dure. Elle s'énervait facilement. Ce qui m'énervait, c'était la façon de le dire, c'était diminuant. Il y a une façon de dire les choses ! Elle n'était pas commode . Si elle arrivait tendue sur le rayon, c'est le personnel qui prenait. Toutes, on faisait pareil on ne disait rien ».
- M. [K] : « Je vois [U] à huit heures. Elle me dit : « c'est bien fait pour elles », « de toutes façons, c'est des bonnes à rien ».
- Mme [P] : « Même devant les clients, elle faisait des réflexions aux filles »
- les conclusions de l'enquête du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui constatent notamment que « 8 salariées ont exprimé leur mal être au travail de différentes manières » et que « plusieurs témoignages ont fait part qu'une salariée était plus en difficulté. En effet, certaines collaboratrices ne comprennent pas et n'acceptent pas la manière dont la manager ESB -Parfumerie parle d'une de leur collègue. En effet la manager pour qualifier leur collègue utilise des termes tels que « elle est nulle », « elle est idiote », « elle est lente », « je ne souhaite pas la garder dans mon équipe ».
- l'avis du médecin du travail, qui a rendu compte de ses constats le 25 avril 2016, dans les termes suivants :
« J'ai reçu à votre demande six salariées de l'entreprise qui avaient exprimé lors d'un entretien avec vous leurs difficultés à leurs postes de travail.
A l'issue de ces consultations, j'ai pu faire les constatations suivantes :
- toutes ont évoqué les difficultés relationnelles de la responsable des rayons parapharmacie et parfumerie avec les salariées, sous sa dépendance hiérarchique, mais aussi avec d'autres salariés ou collègues de travail.
- cinq salariées ont parlé de souffrance au travail avec un fort retentissement sur leur état de santé et avec parfois des répercussions sur leur milieu familial ;
- certaines d'entre elles n'ont pas vu d'autre issue que de demander un changement de poste, à regret, car leur travail leur plaisait beaucoup. Ce changement de poste leur a permis de retrouver un équilibre moral mais leur a laissé une certaine amertume »
Les faits sont ainsi matériellement établis. Le fait que par ailleurs Mme [L] ait pu avoir de bons contacts et de bonnes appréciations avec certains autres salariés, ou que des salariés témoignent qu'ils n'ont pas noté de souffrance de son équipe, est sans incidence sur les faits reprochés.
Les faits reprochés venant d'un cadre, diplômée en pharmacie, sont de nature à rendre le maintien de la salarié impossible. Ce maintien dans l'entreprise aurait pu être reproché à l'employeur à partir du moment où les autres salariées avaient dénoncé des faits de harcèlement moral et où son obligation de sécurité imposait à l'employeur une réponse immédiate de protection.
En conséquence, le licenciement pour faute grave est justifié. Mme [L] sera déboutée de ses demandes.
IV - le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité de résultat
a- sur la recevabilité de la demande :
Contrairement aux allégations de l'employeur, dès lors que la salariée n'a pas été prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de la législation professionnelle, la demande d'indemnisation en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral est recevable devant la juridiction prud'homale.
Tel est bien le cas en l'espèce, Mme [L] produisant la décision de la CRA du 11 juin 2018 notifiée par courrier du 12 juin 2018.
L'action est donc recevable.
b - sur le bien fondé de la demande :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi précitée, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'accord national interprofessionnel signé le 24 novembre 2008 sur le stress au travail affirme le principe de la lutte contre ses effets nocifs sur la santé des travailleurs. Ayant fait l'objet d'un arrêté d'extension, cet accord est applicable par tous les employeurs compris dans son champ d'app1ication (Arr. min. 23 avr. 2009, JO 6 mai, p. 7632), comme en l'espèce la société Auchan.
Mme [L] affirme avoir été harcelée par son supérieur hiérarchique M. [K], notamment lors de l'entretien en date du 29 mars 2016.
Elle verse aux débats :
- un courrier électronique qu'elle a elle même rédigé ainsi qu'une lettre qu'elle a rédigée
- une attestation de son époux qui se borne à relayer les dires de son épouse
- des messages sms qui ne parlent pas du comportement de M. [K]
- une attestation de M. [E] qui fait état de sous effectif mais ne parle pas de M. [K]
- des certificats médicaux relatifs à l'état de santé de la salariée
- des articles de presse et des syndicats sur le comportement de la société Auchan
Ces éléments pris dans leur ensemble sont insuffisants à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral. Ils sont en effet l'expression par la seule salariée d'une situation telle que vécue par cette dernière mais sans objectiver le moindre agissement de la part de l'employeur pouvant s'assimiler à un acte de harcèlement moral. Ainsi les pièces médicales versées, si elles décrivent une souffrance au travail qui ne peut être niée, ne sont en définitive que la restitution des déclarations faites par la salariée aux professionnels de santé lesquels n'ont été témoins d'aucune des situations décrites par l'intéressée.
Par ailleurs, la cour relève que c'est justement l'attitude de M. [K] qui a permis aux salariés de révéler des agissements fautifs de Mme [L].
Mme [L] sera déboutée de cette demande.
V - la nullité de la convention de forfait en jours, les heures supplémentaires et le repos compensateur
a - sur la convention de forfait en jours
Mme [L] a été embauchée le 14 mars 2011 par contrat de travail en forfait jours.
Mme [L] soutient qu'il ne contient aucune stipulation assurant la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des temps de repos journaliers et hebdomadaires ni de garantie entre l'équilibre 'vie privée/vie professionnelle' ou encore de modalités et de suivi de l'application de la convention de forfait.
Elle indique que le contrat de travail renvoie à la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire et aux accords d'entreprise.
La salariée soutient que la société AUCHAN France a signé un accord ARTT le 28 mai 1999, lequel ne contient aucune disposition encadrant les modalités de suivi de l'amplitude des journées de travail et de la charge de travail, conditions essentielles à la validité des forfaits en jours.
Elle répond à l'employeur que les dispositions de l'accord d'entreprise du 10 avril 2013 sur l'organisation et aménagement du temps de travail en date du 10 avril 2013 ne comportent pas plus de disposition encadrant les modalités de suivi de l'amplitude des journées de travail et de la charge de travail, conditions essentielles a la validité des forfaits en jours.
La salariée souligne qu'elle n'a jamais bénéficié d'un entretien individuel de suivi concernant sa charge de travail du salarié, l'organisation de son travail dans l'entreprise, l'articulation entre
son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération.
Elle affirme que son employeur n'a jamais mis en place 'l'outil de mesure et de décompte du temps de travail, la planification prévisionnelle et indicative des jours de travail, de congé et de repos que le salarié au forfait jours envisage de prendre en accord avec son management'.
La salariée sollicite en conséquence, la nullité de la convention de forfait en jours signée et la condamnation de l'employeur au paiement des heures supplémentaires suivantes :
2013 : 297 heures supplémentaires
2014 : 456 heures supplémentaires
2015 : 297 heures supplémentaires
2016 : 2 79 heures supplémentaires
soit 31 795, 54 euros et 15 921,08 euros au titre du repos compensateur en application de l'article 5-8 de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, le contingent annuel étant fixé à 180 heures, outre 5 000 euros en application de l'article L 3121-16 du code du travail, selon lequel aucun temps de travail quotidien ne peut atteindre six heures, sans que le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de 20 minutes.
* * *
L'employeur répond que la nullité de la convention individuelle de forfait annuel en jours ne peut être prononcée que s'il est démontré que les stipulations conventionnelles applicables n'assurent pas la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. Soc., 7 juillet 2015, n° 13-26444).
S'agissant des dispositions de la convention collective nationale du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire, l'employeur indique qu'elles n'ont jamais été ni applicables, ni appliquées, au sein de la société.
Selon Auchan, ces dispositions sont en effet exclusivement applicables aux « entreprises ou établissements n'ayant pas conclu d'accord collectif portant sur tout ou partie des dispositions qu'il comporte » (Préambule du Titre V de la Convention collective).
Or, la société Auchan Hypermarché a successivement conclu divers accords collectifs ayant un objet comparable à celui des dispositions du Titre V de la Convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Le 28 mai 1999, elle a conclu l'accord d'entreprise Cet accord n'était toutefois plus en vigueur à la date du recrutement de Mme [L]. A cette date, selon l'employeur, les dispositions applicables étaient celles de l'accord collectif d'entreprise du 17 juillet 2003.
Le 1er janvier 2014, sont en effet entrées en vigueur les dispositions de l'accord d'entreprise du 10 avril 2013, qui a donné lieu à la conclusion de la convention de forfait annuel en jours produite aux débats.
L'employeur conclut qu'en tout état de cause, l'accord d'entreprise du 17 juillet 2003 assurait la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires notamment par les stipulations de l'article 2.1.2 du Titre III.
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Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
Il résulte des articles 17, paragraphe 1, et 4 de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, ainsi que des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
Et il appartient au juge de le vérifier, même d'office.
Une cour d'appel ne saurait, pour dire que les conditions de validité de la convention individuelle de forfait en jours sur l'année étaient réunies et débouter le salarié de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires et des indemnités subséquentes, retenir qu'il n'est pas contesté qu'un accord collectif relatif à l'aménagement et à l'organisation du temps de travail au sein de la société a été régulièrement négocié et signé par les partenaires sociaux prévoyant que les cadres autonomes, bénéficiant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps, bénéficiaient d'une durée de travail organisée selon un régime de forfait annuel en jours, complété par un accord relatif à l'aménagement et à l'organisation du temps de travail, spécifique à l'encadrement, alors qu'il lui appartenait de contrôler, même d'office, si les stipulations de l'accord collectif applicable étaient de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés (Cass. soc. 19-5-2021 n° 19-16.362 F-D).
Aux termes de l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année doit être prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche qui détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et qui fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
Selon l'article L. 3121-43 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, peuvent notamment conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle du travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 susvisé, les cadres disposant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduisent pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.
L'article L. 3121-46 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce prévoit l'organisation, par l'employeur, d'un entretien annuel individuel avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année, ledit entretien portant sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.
La conclusion d'une convention individuelle de forfait, établie sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle, requiert l'accord du salarié. La convention doit être établie par écrit.
En l'espèce, l'accord d'entreprise du 17 juillet 2003 assurait la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires en ce qu'il :
- fixait le nombre de jours travaillés dans le cadre de la convention individuelle de forfait à 213 jours par an (ce nombre ayant ultérieurement été porté à 214 jours par an, par l'effet de l'instauration d'une journée de solidarité)
- et précisant que ce nombre de jours travaillés tient compte « de la réduction du temps de travail effectif pour les Cadres » concernés (l'article 2.1.2 du Titre III de l'accord d'entreprise du 17 juillet 2003)
- garantissait aux cadres concernés le chômage d'un nombre de jours fériés supérieur à celui prévu par la loi, et subordonnait le travail des autres jours fériés à une manifestation de volonté des cadres concernés (article 5 de l'accord)
-Posait en principe le caractère exceptionnel des ouvertures du dimanche, subordonnait le travail du dimanche à une manifestation de volonté des cadres concernés, et y associait un droit à repos compensateur (article 6 de l'accord)
L'accord organisait une planification ainsi qu'un suivi de la charge de travail, pour garantir aux salariés titulaires d'une convention de forfait annuel en jours une charge de travail raisonnable, et affirmait la nécessité, pour la Direction, de veiller au respect de l'ensemble des garanties prévues par l'accord d'entreprise du 17 juillet 2003 en ses articles 2, 4 et 5 du titre III de l'accord.
Cependant, en l'espèce, la société AUCHAN FRANCE ne justifie en aucune façon de la mise en oeuvre concrète d'une mesure susceptible de garantir le contrôle de l'application du forfait en jours, du suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte.
La société ne justifie par aucun élément probant qu'elle a mis en place, conformément aux termes de l'accord collectif, un système de contrôle de l'organisation du travail de l'intéressé ainsi qu'un suivi régulier de sa charge de travail, pas plus qu'elle ne justifie avoir satisfait aux dispositions qui impose à l'employeur d'organiser un entretien individuel avec chaque salarié ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours portant sur sa charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise et l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur sa rémunération.
Il s'ensuit que cette convention est privé d'effet et Mme [L] qui est bien fondée à solliciter que sa durée de travail soit examinée sous le prisme du droit commun, c'est à dire aux dispositions de l'article L. 3121-10 du code du travail qui fixe à 35 heures la durée hebdomadaire légale de travail, l'accord collectif applicable ne fixant pas une durée distincte hebdomadaire des cadres soumis au forfait jours annuel.
b - sur les heures supplémentaires :
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre de jours de travail effectués par le salarié dans le cadre d'une convention de forfait en jours, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des jours effectivement travaillés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Ainsi la [Z] n'incombe spécialement à aucune des parties, et le juge ne peut, pour rejeter une demande de paiement de jours travaillés, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier les jours effectivement travaillés par le salarié et que l'employeur est tenu de lui fournir (Cass. soc. 2-6-2021 n° 19-16.067 F-D).
* * *
L'employeur soutient à juste titre qu'une partie des demandes est prescrite.
En effet, aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail :
« L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »
Le contrat de travail de Mme [L] ayant été rompu le 15 juin 2016, Mme [L] ne saurait revendiquer un rappel de salaire pour la période antérieure au 15 juin 2013.
* * *
En l'espèce Mme [L] verse aux débats un listing des heures supplémentaires de 2013 à 2016, ses fiches de pointages et ses bulletins de paie.
Ces pièces et décomptes ne sont pas discutés par l'employeur alors que ces éléments étaient suffisamment précis pour lui permettre de répondre.
Il résulte de ces éléments que Mme [L] justifie sa réclamation au titre des heures supplémentaires à hauteur de :
- en 2013 (à compter du 15 juin) de 149 heures supplémentaires/ taux horaire : 20,47 euros
- en 2014 : 456 heures supplémentaires/ taux horaire : 20, 60 euros
- en 2015 : 297 heures supplémentaires/ taux horaire : 21, 47 euros
- 2016 : 79 heures supplémentaires/ taux horaire : 20,91 euros
soit une somme globale à hauteur de 27 767 euros
Il sera donc fait droit à la demande de Mme [L] à hauteur de 27 767 euros.
c- sur le repos compensateur :
L'employeur sollicite l'application des mêmes règles de prescription concernant le repos compensateur. Il ne formule aucune autre observation sur ce point.
En application de l'article 5-8 convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, le contingent annuel est fixé à 180 heures.
Il ressort du décompte du temps de travail de Mme [L] que celle-ci a accompli un très grand nombre d'heures supplémentaires sans pour autant bénéficier de repos compensateur.
Les heures effectuées au-delà de 180 heures doivent donner lieu à repos compensateur calculé comme suit :
- 2014 : 456 heures supplémentaires - 180 = 276
Taux horaires à 50 % : 30, 90 euros
Soit 8 528, 40 euros
- 2015 : 297 heures supplémentaires - 180 = 1 18
Taux horaires à 50 % : 32, 205 euros
Soit 3 800, 19 euros
soit une somme globale de 12 328,59 euros
Il sera donc fait droit à la demande de Mme [L] à hauteur de 12 328,59 euros.
d- sur le non respect des temps de pause journalière :
En application de l'article L 3121-16 du code du travail, aucun temps de travail quotidien ne peut atteindre six heures, sans que le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de 20 minutes.
Mme [L] réclame la somme de 5 000 euros arguant que ces temps de pause n'ont pas été respectés.
Elle ne verse cependant aux débats aucune pièce ou argumentation permettant d'étayer sa demande et sera donc déboutée de celle-ci.
VI - sur la demande au titre du travail dissimulé :
Selon Mme [L], l'article L. 8223-1 du code du travail fixe à six mois de salaire le montant de l'indemnité forfaitaire à la charge de l'employeur en cas de travail dissimulé. Cette indemnité forfaitaire, qui répare le préjudice subi par le salarié du fait du travail dissimulé, a un caractère indemnitaire. Elle argue qu'en l'espèce, l'employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé.
Elle sollicite sa condamnation au paiement de la somme de 19 783, 56 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail :
« Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. »
La chambre criminelle de la Cour de cassation a en conséquence jugé que « la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli n'est pas punissable quand cette mention résulte, comme en l'espèce, d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie du Code du travail » (Cass. Crim., 16 avril 2003, n° 12-81767).
Par ailleurs, un arrêt du 16 juin 2015 (n° 14-16953), la chambre sociale de la Cour de cassation a posé en principe que « le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule application d'une convention de forfait illicite ».
En l'espèce, les mentions des bulletins de paie de Mme [L] résultent de l'application d'accords collectifs d'aménagement du temps de travail. Mme [L] sera déboutée de sa demande au titre du travail dissimulé.
VII - la demande d'indemnisation au titre du nettoyage des tenues
En application de la règle selon laquelle les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l'employeur, les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur, doivent lui être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conserverait la charge moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire;
En l'espèce, cette demande est soumise à la cour sans le soutien d'un moyen de fait ou de droit, sans pièces.
Mme [L] échoue à rapporter la [Z] qu'elle a exposé des frais pour les besoins de son activité professionnelle.
Elle sera donc déboutée de cette demande.
VII - les demandes des parties formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière sociale et en dernier ressort,
- Déclare recevable l'appel de Mme [L],
- Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Annonay le 4 mars 2019,
- Ecarte des débats les pièces n° 33, 34 et 35 versées par Mme [L] aux débats
- statuant à nouveau sur le tout,
- déclare le licenciement intervenu le 15 juin 2016 pour faute grave fondé,
- en conséquence rejette les demandes de Mme [L] à ce titre,
- Rejette les demandes de Mme [L] au titre du harcèlement moral et de l'obligation de sécurité de l'employeur,
- Condamne l'employeur, la SAS AUCHAN Hypermarché précédemment dénommée Auchan France, a verser à Mme [L] les sommes suivantes :
- 27 767 euros au titre des heures supplémentaires, outre 2 767 euros à titre de congés payés sur heures supplémentaires,
- 12 328,59 euros au titre du non respect du repos compensateur
- Rejette la demande de Mme [L] au titre du temps de pause journalière,
- Rejette la demande de Mme [L] au titre du travail dissimulé,
- Rejette la demande de Mme [L] au titre du nettoyage des tenues,
- Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s'agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu'ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus,
- Rappelle en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d'obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l'exécution provisoire,
- Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la SAS Auchan Hypermarché aux dépens d'appel et de première instance.
Arrêt signé par Monsieur ROUQUETTE-DUGARET, Président et par Madame DELOR, Greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,