ARRÊT N°
N° RG 20/01409 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HXEP
CO
TRIBUNAL DE COMMERCE D'AVIGNON
27 mai 2020
RG:2019010954
S.E.L.A.R.L. BRMJ
C/
S.A. FINAMUR
S.A. BPIFRANCE FINANCEMENT
Grosse délivrée le 08 juin 2022 à :
- Me GOUIN
- Me VAJOU
+MP
COUR D'APPEL DE NÎMES
4ème CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 08 JUIN 2022
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. BRMJ représentée par Maître [R] [N], Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée, au capital de 10.000 €, immatriculée au RCS de NIMES sous le n° 812 777 142, dont le siège est sis [Adresse 4], prise en sa qualité de Liquidateur judiciaire de la SARL CMC OFFSHORE, désignée à cette fonction suivant ordonnance du Président du Tribunal de Commerce d'AVIGNON du 6 Juillet 2017 en lieu et place de Maître [R] [N], précédemment désigné par jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON du 3 Juin 2015.
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me VOLLE Julien, substituant Me Stéphane GOUIN de la SCP LOBIER & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉES :
S.A. FINAMUR, au capital de 227.221.164 €, immatriculée au RCS de Nanterre sous le n°340 446 707, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me LAPLACE-TREYTURE Lina, substituant Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Jacques TORIEL de la SCP TORIEL & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
S.A. BPIFRANCE FINANCEMENT, (anciennement dénommée OSEO et plus anciennement encore OSEO FINANCEMENT), Société Anonyme au capital de 839.907.320 €, immatriculée au RCS de Créteil sous le n°320 252 489, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me LAPLACE-TREYTURE Lina, substituant Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Jacques TORIEL de la SCP TORIEL & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,
Mme Corinne STRUNK, Conseillère,
Madame Claire OUGIER, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision.
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a présenté ses observations écrites, transmises aux conseils constitués.
DÉBATS :
À l'audience publique du 21 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 Juin 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 08 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 17 juin 2020 par la SELARL BRMJ, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CMC Offshore, anciennement dénommée EG&G Finance et ci-après « société en liquidation », à l'encontre du jugement prononcé le 27 mai 2020 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n°2019010954 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 23 juillet 2020 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 11 septembre 2020 par la SA Finamur et la SA BPI France financement (anciennement Oseo), « crédit-bailleurs », intimées, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu la communication de la procédure au ministère public qui a notifié pour avis aux parties constituées le 29 mars 2022 : « qui conclut à la confirmation par la Cour de la décision entreprise au vu des motifs pertinents des premiers juges » ;
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 7 avril 2022 en date du 13 décembre 2021 ;
* * *
Selon acte notarié du 20 avril 2010, les sociétés intimées, intervenant dans le cadre d'une indivision conventionnelle à hauteur de 50% chacune, ont consenti au profit de la société en liquidation un contrat de crédit-bail immobilier d'une durée de quinze ans portant sur un ensemble immobilier à usage industriel et de bureaux situé à l'[Localité 7] qu'elles avaient acquis le jour même de ladite société, l'agréant comme sous-locataire. Ce contrat s'inscrivait dans le cadre d'un investissement global de 2.150.000 € HT constitué exclusivement des ressources propres des crédit-bailleurs et mis en place en deux tranches successives, la première portant sur un encours financier de 758.378 € HT pour l'acquisition de l'ensemble immobilier existant, la seconde portant sur un encours financier de 1.391.622 € HT pour des travaux d'extension à réaliser.
La société en liquidation n'a jamais fait réaliser lesdits travaux et a cessé de régler les loyers échus à compter du 20 juillet 2010.
Les crédit-bailleurs lui ont adressé une mise en demeure de régulariser la situation le 5 octobre 2011, puis lui ont fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire le 27 janvier 2012, en vain.
Sur leur assignation, et par ordonnance de référé du 24 août 2012, le tribunal de grande instance de Nanterre a constaté la résolution du contrat de crédit-bail au 28 février 2012, ordonné l'expulsion de la société défaillante, et l'a condamnée à titre provisionnel au paiement des sommes dues, soit : 156.611,56 euros au titre des loyers et charges impayés, avec intérêts de retard, et 7.349,82 euros au titre de l'indemnité mensuelle d'occupation jusqu'à la libération des lieux.
Cette décision signifiée le 7 septembre 2012 n'a fait l'objet d'aucun recours.
Un commandement de quitter les lieux a encore été signifié à la société en liquidation le 31 octobre 2012, et le 31 juillet 2013, elle a été expulsée par huissier de justice.
Une saisie attribution a également été pratiquée le 23 juin 2014 sur son compte bancaire en vertu de l'acte notarié du 20 avril 2010 et de l'ordonnance de référé du 24 aout 2012, pour recouvrement d'une somme totale de 774.586,77 euros.
La saisie s'est avérée fructueuse à hauteur de 628.981,02 euros et a été dénoncée le 23 juin 2014.
Saisi en nullité de la mesure et mainlevée, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Avignon a rejeté ces demandes et validé la saisie attribution par jugement du 31 juillet 2014 confirmé en appel le 7 mai 2015.
Par jugement du 3 juin 2015, le tribunal de commerce d'Avignon a ouvert un procédure de liquidation judiciaire sans poursuite d'activité à l'égard de la société saisie, la date de cessation des paiements étant fixée provisoirement au 28 avril 2014.
Le 31 juillet 2015, les crédit-bailleurs ont déclaré un solde de créance de 202.803,76 euros à titre chirographaire, auprès du liquidateur judiciaire.
Par exploit du 2 septembre 2019, le liquidateur judiciaire a fait assigner les deux crédit-bailleurs devant le tribunal de commerce en nullité de la saisie-attribution sur le fondement des articles L632-2 et L641-14 du code de commerce.
Par jugement du 27 mai 2020, le tribunal de commerce d'Avignon a débouté le liquidateur judiciaire de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, et l'a condamné à payer aux deux crédit-bailleurs la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Le liquidateur judiciaire a relevé appel de ce jugement pour le voir infirmer en toutes ses dispositions.
***
L'appelant fait valoir qu'en vertu des articles L632-2 et L641-14 du code de commerce, les paiements de dettes échues effectués pendant la période suspecte peuvent être annulés si les créanciers avaient une connaissance personnelle de la cessation de paiements de la société.
Or, un faisceau d'indices permet de le démontrer en l'espèce :
la société en liquidation a cessé de payer les loyers dus dès le 20 juillet 2010, avant même la réalisation de la seconde tranche du projet pourtant déjà financée,
les intimés admettent eux mêmes dans leurs écritures que la société s'est « très rapidement révélée défaillante dans l'exécution de ses obligations contractuelles », ne faisant pas réaliser les travaux financés et cessant de payer les loyers, situation qui n'a par la suite jamais été régularisée,
les mises en demeure adressées seulement un an après l'arrêt de paiement des loyers sont restées vaines et les impayés n'ont alors cessé de croître, les intimés étant les acteurs exclusifs du financement des actifs immobiliers de la société,
la résiliation du contrat de crédit-bail puis son expulsion, ont privé la société de ses locaux et de toute source de revenus, plus aucun actif n'étant ainsi disponible à compter du 28 février 2012, alors qu'en même temps le passif exigible du seul fait des intimés s'élevait à plus de 686.000 euros.
Il ajoute que l'action en nullité permise par les textes précités a pour objet de corriger la rupture d'égalité entre créanciers en recomposant le patrimoine du débiteur, pas seulement lorsqu'un redressement est envisagé, mais aussi en liquidation judiciaire dans l'intérêt des créanciers.
Et l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 7 mai 2015 confirmant la décision du juge de l'exécution du 31 juillet 2014 validant la saisie, n'a aucune autorité de chose jugée à cet égard et ne fait pas obstacle à cette action en nullité portée sur un fondement légal différent.
Le mandataire liquidateur demande donc à la Cour, au visa des articles L632-2 alinea 2 et L641-14 du code de commerce, de :
« réformer en toutes ses dispositions le jugement (déféré) ;
Statuant à nouveau,
prononcer la nullité de la saisie-attribution pratiquée par (les intimées) à concurrence de 628.260,55 euros le 23 juin 2014 sur le compte bancaire de (la société en liquidation) ouvert dans les livres de la Banque Chaix,
débouter (les sociétés intimées) de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
condamner solidairement (les sociétés intimées) à porter et payer (au liquidateur judiciaire) la somme de 628.260,55 euros outre intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation jusqu'à parfait paiement,
(les) condamner solidairement à porter et payer (au liquidateur)la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
(les) condamner aux entiers dépens ».
***
Les intimées font valoir que si la saisie attribution a effectivement été pratiquée pendant la période suspecte, le liquidateur judiciaire n'apporte pas la preuve -qui lui incombe- de ce qu'elles avaient alors une connaissance personnelle de l'état de cessation de paiement du débiteur au jour de la saisie, et pas seulement des difficultés financières de celui-ci.
Elles admettent avoir eu connaissance des difficultés rencontrées par leur débiteur tenant les échéances impayées malgré les mise en demeure et commandement délivrés. Néanmoins,, leur rôle se limitant à financer le projet porté par la société débitrice, sans pour autant avoir des liens étroits avec elle, et n'ayant notamment aucun accès aux comptes de cette société, elles n'ont « à aucun moment et à aucun titre disposé d'informations privilégiées sur la situation financière exacte et globale de leur débiteur ».
Bien au contraire, le fait que la seule mesure d'exécution diligentée, la saisie-attribution litigieuse, se soit avérée fructueuse à hauteur de 628.260,55 euros, démontre bien au contraire que le non-paiement des échéances résultait non pas d'une incapacité réelle de la société à s'en acquitter mais d'une volonté délibérée de se soustraire à ses engagements.
Les intimées font valoir par ailleurs que la nullité prévue par l'article L632-2 alinea 2 du code de commerce est facultative, et qu'en l'espèce elle est inopportune : la saisie attribution a été validée judiciairement, la société a été placée en liquidation judiciaire sans poursuite d'activité, et l'action en nullité est engagée quatre ans après, et dans une procédure manifestement vouée à être clôturée pour insuffisance d'actif.
Ils ajoutent enfin qu'une telle annulation aurait de graves conséquences pour eux dans la mesure où ils n'ont pas déclaré cette créance et sont hors délai pour solliciter une forclusion, alors même qu'ils ont eu un comportement patient à l'égard d'un débiteur de mauvaise foi.
Les intimées demandent donc à la Cour, au visa des mêmes textes que son contradicteur, de :
« confirmer le jugement (déféré),
débouter (l'appelant) de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Y ajoutant,
condamner (l'appelant) à (leur) payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
(le) condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel ».
***
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur le fond :
L'article L632-2 du code de commerce, applicable à la procédure de liquidation judiciaire en vertu de l'article L641-14 suivant, dispose que :
« Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.
(') toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulée lorsqu'elle a été délivrée ou pratiquée par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci. »
Il est établi et non contesté par les parties que la saisie attribution dont la nullité est sollicitée par le liquidateur judiciaire a été pratiquée le 23 juin 2014 et donc postérieurement à la date du 28 avril 2014 fixée pour la cessation des paiements.
Il incombe donc au liquidateur de démontrer que les intimées avaient connaissance de l'état de cessation des paiements de leur débitrice lorsqu'elles ont pratiqué sur leur compte le 23 juin 2014 ladite saisie attribution, et non pas seulement qu'elles avaient connaissance des difficultés financières de celle-ci ou même pouvaient se douter de ce qu'elle se trouvait en état de cessation de paiement.
Ainsi, le fait que la débitrice manque à ses obligations contractuelles quasi immédiatement, qu'elle ne s'exécute ni sur mise en demeure ni sur commandement, ni, encore, spontanément, sur jugement de condamnation, n'est en rien révélateur d'un état de cessation de paiements -lequel n'existe d'ailleurs alors pas puisque la date en est fixée au 28 avril 2014 seulement.
De même, si le contrat de crédit-bail stipule expressément l'obligation pour la société débitrice de produire pendant toute la durée du contrat et dans les six mois de la clôture de son exercice, un copie de ses comptes annuels et liasses fiscales et une copie des rapports généraux et spéciaux présentés à l'assemblée générale (§B19), il n'est aucunement démontré que cette obligation ait été respectée et que les crédit-bailleurs aient ainsi eu accès à quelques documents comptables de celle-ci.
Aucun lien personnel n'existe en la société en liquidation et les crédit-bailleurs, de sorte que rien ne permet d'affirmer que ceux-ci aient eu directement ou indirectement une quelconque information sur la véritable situation financière et donc sur l'état de cessation des paiements de cette société.
Enfin, si la résiliation du contrat et l'expulsion de la société des lieux, mettent effectivement un terme au projet immobilier envisagé avec le financement des crédit-bailleurs, et donc aux revenus qui en provenaient, les éléments au dossier ne permettent pas d'exclure que cette société avait d'autres sources de revenus ou des ressources propres, étant justement relevé par les intimés qu'au 23 juin 2014, même si elle est de fait en état de cessation de paiements depuis le 28 avril 2014, la société dispose encore de 628.260,55 euros en liquidités sur son compte bancaire.
Tous ces éléments révèlent que, si les crédit bailleurs pouvaient légitimement penser que leur débitrice était en mauvaise voie et que ses difficultés risquaient de s'aggraver, rien ne permet de retenir qu'ils avaient pour autant, dès le 23 juin 2014, connaissance de l'état de cessation de paiements de cette société dont la liquidation n'a finalement été prononcée que le 3 juin 2015.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté le liquidateur judiciaire de ses prétentions, et le jugement déféré doit être intégralement confirmé.
Sur les frais de l'instance :
L'appelant, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance.
L'équité ne commande pas d'allouer une quelconque somme aux parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que l'appelant supportera les dépens d'appel.
La minute du présent arrêt a été signée par Madame Christine CODOL, Présidente, et par Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,