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21/06/2022 | FRANCE | N°19/02558

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 21 juin 2022, 19/02558


ARRÊT N°



N° RG 19/02558 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HMZT



MS/EB



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES

31 mai 2019



RG :17/00874





[E]





C/



S.A.R.L. MEYLE FRANCE































COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 21 JUIN 2022







APPELANT :
>

Monsieur [U] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par Me Eve SOULIER de la SELARL EVE SOULIER - JEROME PRIVAT - THOMAS AUTRIC, avocat au barreau d'AVIGNON



INTIMÉE :



S.A.R.L. MEYLE FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 6]



Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, avocat au bar...

ARRÊT N°

N° RG 19/02558 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HMZT

MS/EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES

31 mai 2019

RG :17/00874

[E]

C/

S.A.R.L. MEYLE FRANCE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 21 JUIN 2022

APPELANT :

Monsieur [U] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Eve SOULIER de la SELARL EVE SOULIER - JEROME PRIVAT - THOMAS AUTRIC, avocat au barreau d'AVIGNON

INTIMÉE :

S.A.R.L. MEYLE FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Emilie LEZY de la SELARL LEGAL & RESOURCES, avocat au barreau de TOULOUSE substitué par Me SUTRA Bastien, avocat au barreau de TOULOUSE

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 31 Mars 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Virginie HUET, Conseillère

M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

à l'audience publique du 14 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 21 Juin 2022

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 21 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Le 1er janvier 2012, M. [U] [E] était embauché par contrat à durée indéterminée à temps complet en qualité de cadre commercial, coefficient 100, niveau C au sein de la SARL MEYLE France.

M. [E] a démissionné le 10 mars 2016.

M. [E] saisissait le conseil de prud'hommes de Nîmes afin de voir prononcer la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de l'employeur à diverses sommes à caractère indemnitaire, lequel par jugement contradictoire du 31 mai 2019 l'a débouté de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à la SARL MEYLE France la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par acte du 26 juin 2019, M. [E] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 7 novembre 2019, il demande à la cour de :

Recevoir l'appel de M. [E]

Le dire bien fondé en la forme et au fond

En conséquence,

Réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nîmes en date du 31 mai 2019 en ce qu'il déboute M. [E] de l'intégralité de ses demandes

Confirmer le jugement rendu en ce qu'il déboute l'employeur de ses demandes reconventionnelles

En conséquence,

Dire et juger que la démission de M. [E] doit être assimilée à une prise d'acte

Dire et juger que l'employeur a commis des manquements suffisamment

graves empêchant la poursuite du contrat et justifiant la prise d'acte de la rupture du contrat de travail à ses torts produisant les effets d'un

licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

Condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- 11.538,45 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1153,84 euros au titre des congés payés y afférents

- 3 076,92 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du

contrat de travail sur le fondement de l'article 1222-1 du code du

travail

- 30.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et

sérieuse puisque la démission a été provoquée par l'incurie de l'employeur

- 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil et les dépens

Ordonner la remise des documents de fins de contrat rectifiés mentionnant une rupture imputable à l'employeur et ce sous astreinte de 50 euros par jour de

retard

Condamner l'employeur aux entiers dépens.

Il soutient essentiellement que :

- Le 10 mars 2016, il adressait une lettre de démission qui comportait un certain nombre de reproches à l'encontre de son employeur, à savoir une mise à l'écart et non fourniture des moyens nécessaires à l'exécution de ses missions

- Ainsi, il n'y avait aucune volonté claire et non équivoque de démission de sa

part

- Très rapidement, dans le mois de son embauche, l'un des commerciaux partait de sorte que lui et M. [I] [L] se partageaient la France en deux afin d'assurer la prospection de tout le territoire

- Il effectuait donc ses fonctions dans toute la partie Est de la France

- Cette situation devait être provisoire selon la direction, cela ne fut pas le cas

- Deux ans plus tard, alors que la situation n'avait pas évolué, M. [L] quittait la société. Il était donc le seul commercial pour l'intégralité de la France, et ce sans qu'aucun avenant ne soit conclu, la situation devant être provisoire

- En 2015, il demandait à sa hiérarchie que son contrat soit modifié afin de répondre aux missions qui lui étaient confiées

- C'est à compter de cette année là et suite à sa demande que la situation s'est détériorée

- Il ne lui était plus fourni les outils nécessaires à l'accomplissement de ses missions

- La direction ne prenait même plus la peine de l'informer sur la tarification et les conditions de vente des nouveaux produits de la société

- Il n'était plus en mesure d'effectuer les missions qui lui incombaient.

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives en date du 14 septembre 2021, la SARL MEYLE France demande à la cour de :

Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [E] à payer 700 euros à la SARL MEYLE FRANCE au titre de l'article 700 ;

A titre incident :

Réformer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté la SARL MEYLE France de ses demandes reconventionnelles.

Et, statuant à nouveau,

Condamner M. [E] au remboursement de la facture injustement réglée par la SARL MEYLE France au titre de frais professionnels, à hauteur de 93,54 euros.

Condamner M. [E] au paiement de la somme de 2500 euros à la SARL MEYLE France, au titre des frais irrépétibles ;

Laisser les entiers dépens à la charge de M. [E] .

La société MEYLE fait essentiellement valoir que :

- Sur la rupture du contrat de travail

- M. [E] ne rapporte la preuve d'aucun manquement imputable à son employeur, qui serait de nature à justifier qu'il ait pris acte de la rupture de son contrat et qu'elle ait à supporter les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Le caractère évolutif des fonctions de M. [E] était stipulé dès l'origine au contrat de travail et il ne saurait lui reprocher d'en avoir appliqué les prévisions, conformément aux besoins de l'entreprise

- En outre, ces situations datent de 2014 et la démission du salarié est intervenue en mars 2016

- Des circonstances aussi anciennes ne peuvent justifier une prise d'acte étant donné qu'il est constant qu'elles n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail

- Dans sa lettre de démission, M. [E] fait état de son « sentiment » d'avoir été tenu à l'écart des décisions prises quant à la stratégie commerciale et les opérations marketing. Or, le sentiment du salarié ne peut suffire à établir la légitimité de la prise d'acte

- Le salarié indiquait également avoir le sentiment « d'avoir été moralement harcelé à cette période », sans autre précision

- Aucun élément, autre que les propres déclarations de M. [E], n'est produit aux débats au soutien de ses prétentions

- La démission du 10 mars 2016 n'interviendra non pas en raison de manquements de l'employeur, mais pour préparer la signature d'un contrat de travail auprès de la concurrence, signé le 22 mars 2016, soit moins de deux

semaines plus tard, avec un son nouvel employeur « CORTECO »

- Deux mois avant sa prise de fonction chez la société CORTECO en avril 2016, M. [E] passait la nuit du lundi 8 février 2016 au mardi 9 février 2016 dans la Haute-Vienne, soit précisément le département où est établi son nouvel employeur, alors qu'elle n'a jamais eu d'activité dans cette région et que le salarié n'a jamais justifié du travail lié à ce séjour

- Apprenant ces faits au cours de la procédure, elle constate qu'elle a eu à payer les frais liés aux entretiens d'embauche de son ancien salarié démissionnaire, justifiant le remboursement de la somme de 93,54 euros versée au salarié

- Le salarié a lui-même sollicité la dispense de son préavis, ce qu'elle a accepté.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures,

Par ordonnance en date du 17 février 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet du 31 mars 2022.

MOTIFS

Sur la démission

La démission est valable si elle l'expression d'une volonté libre et réfléchie, elle doit être exprimée librement en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur et de façon explicite.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise

d'acte de rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

Le juge doit apprécier le caractère équivoque ou non équivoque de la démission au regard de circonstances antérieures ou contemporaines à celle-ci.

Le salarié doit ainsi rapporter la preuve que la rupture du contrat de travail est imputable au non-respect par l'employeur de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

C'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. A défaut, s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.

L'existence d'un litige avec l'employeur, antérieur ou contemporain de la démission, est de nature à donner à celle-ci un caractère équivoque.

Un lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission doit exister et ce lien est établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié.

Une fois le lien de causalité établi, le juge examine les griefs afin de déterminer s'ils caractérisent des manquements suffisamment graves pour entraîner la requalification en un licenciement ou une prise d'acte de rupture.

Par ailleurs, pour produire effet, la démission doit être donnée en dehors de toute pression émotionnelle.

En l'espèce, M. [E] démissionne par un courrier du 10 mars 2016, ainsi libellé :

'Messieurs,

Je suis en poste de cadre commercial chez MEYLE France depuis janvier 2012.

J'ai participé en 2012 et 2013 aux divers déménagements et installations de stocks sur plusieurs dépôts/plateformes comme RIAL, BOSAL et APO ; ainsi qu'effectué tous les inventaires de stocks des divers dépôts chaque année, ceci en plus de mon travail de responsable de secteur.

Le travail commercial que j'effectue chez MEYLE France depuis au moins janvier 2014 (la reprise du secteur d'[I] [L] suite à son départ), ainsi que depuis novembre 2014 (départ du directeur de MEYLE France [O] [M]), postes non remplacés à ce jour, ne correspond plus du tout aux termes de mon contrat de travail datant de mon embauche en janvier 2012.

Lors de notre entretien d'avril 2015 à [Localité 6] j'ai demandé une modification de ce contrat de travail ainsi qu'une révision de salaire compte tenu des augmentations géographiques des secteurs d'activité. Tout a été refusé, de plus, aucun entretien d'évaluation annuel n'a été fait sur 2015, ni définition écrite des objectifs pour 2015.

De plus, j'ai le sentiment depuis nos échanges par courriel de mai et juin 2015, d'avoir été tenu à l'écart de toutes les prises de décision concernant MEYLE France, aussi bien pour la stratégie commerciale ainsi que pour les opérations marketing qui ont été menées (sans résultats) alors que je suis le seul intervenant commercial sur la France, qui plus est avec une connaissance certaine du marché Français (voir mes rapports de fin 2012, 2013 et 2014 et analyses). J'ai aussi le sentiment d'avoir été moralement harcelé à cette période, ce qui m'a conduit à être en arrêt de travail avec prescription d'un traitement adapté.

Cette situation ne me convenant plus, compte tenu qu'en plus, mon travail devient de plus en plus impossible du fait de ne pas voir de logistiques adaptée au marché Français :

Je soussigné, [U] [E], ai l'honneur de vous présenter ma démission du poste de cadre commercial pour la région Sud Est/Rhône Alpes, à compter de la date de ce courrier.

J'ai bien noté que les termes de mon contrat (ainsi que la convention collective concernée) prévoient une durée de préavis de trois mois. Cependant, et par dérogation, je sollicite la possibilité de ne pas effectuer ce préavis, et par conséquent de quitter l'entreprise dans les plus brefs délais, en accord avec vous, mettant fin ainsi à mon contrat de travail.

Lors de mon dernier jour de travail dans l'entreprise, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'un certificat de travail.'

Une simple lecture de ce document permet de conclure à une démission équivoque, le salarié faisant état de divers reproches contre l'employeur dans l'exécution de son contrat de travail.

Il appartient dès lors à M. [E] de rapporter la preuve des fautes reprochées à l'employeur dans l'exécution de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail et le lien de causalité entre les manquements reprochés et l'acte de démission.

Ce lien sera établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission, et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié.

Pour justifier que le salarié prenne l'initiative de la rupture et en impute la responsabilité à l'employeur, la faute reprochée doit être caractérisée et suffisamment sérieuse.

En l'espèce, M. [E] soutient qu'en 2015 il a demandé à sa hiérarchie que son contrat soit modifié afin de répondre aux missions qui lui étaient confiées et qui ne correspondait plus du tout aux missions lors de son embauche, notamment au regard de l'élargissement très important de son secteur. C'est à compter de cette année là et suite à sa demande que la situation s'est détériorée.

Le contrat de travail conclu entre les parties prévoit que M. [E] est embauché en qualité de cadre commercial, responsable du secteur Rhône Alpes, une clause de mobilité étant par ailleurs prévue.

Le contrat indique également qu'en fonction de l'évolution de l'entreprise, son périmètre d'intervention (Rhône Alpes) pourra être amené à évoluer ; la modification du lieu de travail ne constituant pas une modification du contrat.

Il en résulte que les contraintes liées au départ de M. [L] ont justifié une évolution du périmètre d'intervention de M. [E], qui a continué son activité sans se plaindre de la situation. L'appelant précise par ailleurs dans ses écritures que cette modification de son contrat de travail n'est pas un élément justifiant la prise d'acte de la rupture dudit contrat.

M. [E] reproche à l'employeur les manquements suivants :

Il ne lui était plus fourni les outils nécessaires à l'accomplissement de ses missions et il était mis à l'écart des préparations des opérations commerciales, plus aucune instruction ne lui était transmise

Pour en justifier, il produit les attestations de Mme [G] et M. [L] :

Le témoignage de M. [L] est sans intérêt pour la solution du litige dans la mesure où il fait état de sa situation personnelle au sein de la société MEYLE France et de l'élargissement du secteur d'intervention de M. [E], lequel n'est pas retenu par l'appelant pour justifier sa demande de requalification.

Mme [G] regrette la tardiveté de la société allemande à nommer un nouveau directeur pour la SARL MEYLE France, Mme [S] étant arrivée sur le site en janvier 2015, bien que sa mission et sa fonction soient restées 'floues'. Elle conclut en indiquant :

'Une répartition des clients et des tâches commerciales entre Mme [S] et M. [E] a été faite.

A compter de cette période, M. [E] a été régulièrement écarté de la préparation des opérations commerciales de Meyle France, voir des opérations commerciales elles-mêmes, alors qu'il était le seul commercial de la filiale Meyle France.'

Les déclarations de Mme [G] sont imprécises en ce qu'elle ne détaille pas les opérations commerciales concernées et la périodicité de ces dernières, ce qui ne met pas la cour en position de déterminer si ce manquement est avéré et s'il est suffisamment grave pour entraîner la requalification de la démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; et ce, d'autant plus que M. [E], premier concerné, n'a jamais saisi l'employeur de la moindre difficulté sur ce point.

Le dossier de l'appelant comporte encore un courriel qu'il a adressé le 19 juin 2015 à M. [Z], en réponse à celui que ce dernier lui a envoyé le 29 mai 2015 (non produit).

Une lecture de l'intégralité de cet email de 10 pages montre que M. [E] a entendu reprendre la genèse de la relation de travail depuis son engagement, puis le départ de M. [L] et celui de M. [M].

M. [E] se plaint dans ce courriel :

- d'avoir attendu du 24 octobre 2014 au 8 février 2015, malgré ses relances, pour avoir des classeurs complets à donner aux représentants d'APO. Il a dû les acheter lui-même : M. [E] soutient qu'il ne disposait pas des moyens nécessaires à l'exercice de ses fonctions alors que ses observations ne concernent que cet épisode des classeurs, aucun élément permettant de donner crédit aux allégations de l'appelant sur ce point.

- d'avoir eu les tarifs des kits de vidange de boîte automatique le 10 février 2015 alors qu'il les a demandés dès la présentation de ce produit en janvier 2014 : M. [E] soutient que l'absence de tarification était générale alors que ses observations ne concernent que ces produits, aucun élément permettant de donner crédit aux allégations de l'appelant sur ce point.

- de ne pouvoir à lui seul définir la stratégie commerciale, ajoutant être impatient de l'arrivée de M. [K] en juillet 2015 : M. [E] ne précise en aucune manière ne pas être associé à la stratégie commerciale de la société, laquelle relève par ailleurs de la direction, aucune mise à l'écart ne pouvant ainsi être retenue.

Bien plus, et bien qu'il fasse état de cette mise à l'écart dans sa lettre de démission, le dossier de l'appelant ne comporte aucun élément permettant de retenir ce grief.

- d'avoir reçu des messages de Mme [S] le 29 mai 2015 qui s'apparentent à une forme de discrimination et de harcèlement : les messages litigieux ne sont pas produits aux débats et M. [E] ne donne aucune précision sur la nature des agissements répétés de harcèlement moral dont il aurait été victime et qui auraient pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; l'appelant indiquant en outre dans sa lettre de démission avoir 'le sentiment d'avoir été moralement harcelé à cette période', à savoir de fin 2012 à 2014, sans apporter plus de détail.

Dans sa lettre de démission M. [E] indique n'avoir eu aucun entretien d'évaluation annuel sur 2015, ni définition écrite des objectifs pour 2015.

Cependant, le 19 juin 2015, il écrit à M. [Z] en ces termes sur ce point :

'...

Pour ce qui concerne un éventuel bonus 2015, dont tu as parlé lors de ta visite en avril dernier à [B] [G] et moi même, je n'ai pas reçu de document officiel mentionnant l'objectif 2015 ainsi que le bonus éventuel, je n'ai pas eu non plus de tableau de notation comme chaque année sur les différents aspects de mon travail. En fait, je n'avais pas vu notre entretien de début avril comme l'entretien annuel puisque je n'ai pas reçu de documents.'

Ce point n'a fait l'objet d'aucun commentaire par l'intimée dans ses écritures.

Néanmoins, il n'est pas contestable que la société MEYLE France traversait une période pendant laquelle aucun directeur de site n'était présent en permanence, Mme [S] étant arrivée en janvier 2015, mais sans aucune fonction de direction.

M. [E] écrit à ce titre à M. [Z] : '... Mars 2015, tu es de retour et tu prends la suite de Lars Peters quand à la direction de Meyle France', d'où l'entretien avec l'appelant début avril et le message du 29 mai 2019.

Pour autant, il ne s'agit pas d'un manquement suffisamment grave ayant empêché M. [E] d'exécuter ses tâches, ce qu'il ne revendique en aucune façon.

Le dossier de l'appelant ne contient pas d'autres remarques ou plaintes qui auraient été adressées à l'employeur postérieurement au 19 juin 2015, M. [E] poursuivant son activité professionnelle et accomplissant ses tâches sans réserve, désaccord ou protestation jusqu'à sa démission du 10 mars 2016.

Bien plus, les manquements reprochés dans le courriel du 19 juin 2015 sont anciens et sur une courte période. Ils n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail, le salarié reconnaissant même une augmentation du chiffre d'affaires.

En conséquence dès lors que M. [E] ne justifie d'aucun manquement de la part de l'employeur à son égard ayant empêché la poursuite du contrat de travail, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a estimé que son courrier du 16 mars 2016 ne s'analyse pas en une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur mais en une démission et l'a débouté de ses demandes relatives à cette rupture.

Sur la demande reconventionnelle de l'intimée

La cour relève que les premiers juges ont débouté l'employeur de ce chef de demande sans aucune motivation.

La SARL MEYLE France sollicite la condamnation de M. [E] au remboursement de la somme de 93,50 euros correspondant à une nuitée à [Localité 4] en février 2016 alors qu'elle n'a aucun client dans la Haute-Vienne où se trouve le siège social du nouvel employeur de l'appelant, que ce dernier a rejoint le 22 mars 2016.

La société intimée considère que M. [E] ne peut en cause d'appel en solliciter le rejet au motif qu'il n'avait pas repris dans le dispositif de ses écritures de première instance une demande visant au rejet de celle-ci. Il s'agirait dès lors d'une prétention nouvelle en appel.

La procédure devant le conseil de prud'hommes est une procédure orale de sorte que M. [E] avait la possibilité d'en solliciter le rejet oralement même si des conclusions avaient été précédemment déposées.

Sur le fond, la Cour de cassation pose, en forme de principe, que les frais professionnels exposés par le salarié pour les besoins de son activité et dans l'intérêt de l'entreprise doivent lui être remboursés par l'employeur.

La charge des frais professionnels nécessaires à l'exécution du contrat de travail ou de rembourser les dépenses engagées par le salarié pour le compte de l'entreprise est un prolongement de l'obligation de paiement du salaire.

Les dépenses exposées doivent l'être "pour les besoins de l'activité professionnelle du salarié" et "dans l'intérêt de l'employeur ".

C'est au salarié de prouver la réalité des frais exposés.

En l'espèce, l'employeur a remboursé à M. [E] les frais par lui exposés lors d'un déplacement à [Localité 4] et a constaté, lors de la communication du contrat de travail conclu entre l'appelant et la société CORTECO que cette dernière avait son siège social à [Localité 5] en Haute-Vienne.

Il en déduit que ce déplacement était destiné à permettre au salarié d'assurer un entretien d'embauche avec cette société, soutenant qu'il n'a aucun client dans ce département.

M. [E] indique que dans le cadre de sa tournée dans une partie de son secteur, il s'est rendu dans les locaux de la société GROUPE PENE (PENE AUTO) située à [Localité 4], argumentation développée pour la première fois devant la cour.

Il apparaît ainsi que lorsque l'employeur a réglé lesdits frais, il ne pouvait ignorer qu'il n'avait aucun client à [Localité 4].

Par ailleurs, les fonctions de M. [E] consistent à rechercher de nouveaux clients, de sorte que, en l'absence d'élément complémentaire autre que la coïncidence relevée par l'employeur, la cour entrera en voie de rejet sur ce chef de demande par confirmation du jugement critiqué.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée.

Les dépens d'appel seront laissés à la charge de M. [E].

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 31 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Nîmes en toutes ses dispositions,

Condamne M. [U] [E] à payer à la SARL MEYLE France la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne le même aux dépens d'appel,

Arrêt signé par Monsieur ROUQUETTE-DUGARET, Président et par Madame BERGERAS, Greffier.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5ème chambre sociale ph
Numéro d'arrêt : 19/02558
Date de la décision : 21/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-21;19.02558 ?
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