RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/00620 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H6GE
CC
TRIBUNAL DE COMMERCE D'AUBENAS
26 janvier 2021 RG :2020003567
S.A. [W]
C/
S.E.L.A.R.L. ETUDE [D]
S.A.S. [...] [...]
Grosse délivrée
le
à
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 08 FEVRIER 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'AUBENAS en date du 26 Janvier 2021, N°2020003567
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre
Madame Claire OUGIER, Conseillère
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 Février 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
S.A. [W], Société Anonyme au capital de 3.458.084 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de GRENOBLE, sous le numéro 056 502 248, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Jean LECAT de la SCP D'AVOCATS BERAUD LECAT BOUCHET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'ARDECHE
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. ETUDE [D], Etude de Mandataire Judiciaire, immatriculée au RCS de NIMES sous le n° 824 797 286, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, Maître [C] [S], en qualité de Liquidateur Judiciaire de la SAS [...] [...] suivant Jugement rendu le 10 septembre 2019 par le Tribunal de Commerce d'AUBENAS, dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en son établissement sis
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Camille MOUGEL de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de NIMES
S.A.S. [...] [...] prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
assignée à personne habilitée
[Adresse 7]
[Localité 1]
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 12 Janvier 2023
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 08 Février 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 12 février 2021 par la SA [W] à l'encontre du jugement prononcé le 26 janvier 2021 par le tribunal de commerce d'Aubenas dans l'instance n°2020003567.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 30 mars 2021 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 9 juin 2021 par la SELARL Étude [D], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu la signification de déclaration d'appel et de conclusions d'appel délivrée le 4 mai 2021 à la société [...] [...], à la requête de la la société [W], par acte laissé à une personne qui s'est déclarée habilitée à le recevoir pour son destinataire.
Vu la communication de la procédure au Ministère Public qui, par conclusions notifiées aux parties le 9 décembre 2022, a indiqué qu'il « conclut à la confirmation par la Cour de la décision entreprise au vu des motifs pertinents des premiers juges ».
Vu l'ordonnance du 25 octobre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 12 janvier 2023.
* * *
Par jugement du 10 septembre 2019, le tribunal de commerce d'Aubenas a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SAS [...] [...] et a désigné la SELARL Étude [D], représentée par Maître [C] [S], en qualité de liquidateur judiciaire.
Par courriers des 10 et 11 octobre 2019, la SA [W], exploitant une activité de commerce de matériaux de construction, a adressé au liquidateur judiciaire :
Une déclaration de créance à titre chirographaire d'un montant de 129 904,58 euros, au titre de factures impayées ;
Une demande de revendication des biens en nature détenus par la société [...] [...] vendus sous réserve de propriété.
Par courrier du 18 octobre 2019, le liquidateur judiciaire s'est opposé à la demande en revendication et restitution.
Par courrier du 5 novembre 2019, la société [W] a saisi le juge-commissaire de sa demande en revendication et restitution.
Par ordonnance du 22 septembre 2020, le juge-commissaire a déclaré la demande en revendication de la société [W] recevable en la forme mais l'a rejetée sur le fond et a rejeté toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.
Le 12 octobre 2020, la société [W] a saisi le tribunal de commerce d'Aubenas d'un recours à l'encontre de cette ordonnance.
Par jugement du 26 janvier 2021, le tribunal de commerce d'Aubenas a, au visa de l'ordonnance du 22 septembre 2020 (RG 2019 003391), des articles L. 624-9, L. 624-16, L. 624-18 du code de commerce, de l'article 1119 du code civil, des pièces versées au dossier, :
-Dit le recours formé par la SA [W] recevable en la forme ;
-Confirmé l'ordonnance du 22 septembre 2020 du juge-commissaire en toutes ses dispositions ;
-Rejeté en conséquence la demande en revendication de la SA [W] ;
-Rejeté toutes demandes, fins, conclusions ou moyens plus amples ou contraires de la SA [W] ;
-Dit qu'aucune considération d'équité ne commande l'application aux parties des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamné la SA [W] aux entiers dépens de l'instance.
La SA [W] a relevé appel de ce jugement aux fins de le voir réformer en toutes ses dispositions, à l'exception du fait qu'il ait « dit le recours formé par la SA [W] recevable en la forme ».
***
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelante demande à la cour de :
-Dire et juger qu'une clause de réserve de propriété figure de façon très apparente et dépourvue d'ambiguïté sur toutes les factures élaborées par la société [W] depuis le début des relations commerciales entre les parties ;
-Dire et juger par application cumulée des articles 1119 et 1120 du Code civil, de l'article 110-3 du Code de commerce, que l'acceptation de la clause de réserve de propriété par l'acquéreur peut être établie par tout moyen et notamment l'existence de relation d'affaire continue entre les parties, et les paiements effectifs des factures sans contestation ou réserve ;
-Dire et juger, par conséquent, opposable à la liquidation judiciaire de la société [...] [...], la clause de réserve de propriété figurant sur toutes les factures impayées ;
-Dire et juger que l'inventaire tardif et incomplet du procès-verbal d'inventaire rédigé par Maître [R] entraîne un renversement de la charge de la preuve et impose au liquidateur de démontrer que les marchandises visées par les factures impayées n'existent plus en nature à la date de l'ouverture de la liquidation judiciaire ;
Et, à titre subsidiaire,
-Constater que la société [W], par comparaison entre ses factures très précises et l'inventaire, a identifié les marchandises lui appartenant ;
-Dire et juger également, au visa de l'article L.624-18 Code de commerce, que [W] est en droit d'obtenir du liquidateur judiciaire le règlement de toutes les sommes versées par les clients de la société [...] [...] postérieurement au 06 septembre 2019, date d'ouverture de la liquidation judiciaire, relatives aux chantiers cités dans les factures ;
-Rejeter les moyens et demandes de l'étude [D], es-qualité de liquidatrice judiciaire de la société [...] [...] ;
-Accueillir l'appel régularisé par la société [W] à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Aubenas le 26 janvier 2021 ;
-Infirmer en toute ses dispositions ce jugement ;
-Enjoindre à l'étude [D], es-qualité de restituer les biens en nature appartenant à [W] dans le mois de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
-Condamner l'étude [D], en sa qualité de liquidatrice judiciaire de la société [...] [...], à transmettre à la société [W] tous les règlements opérés postérieurement à la date du 10 septembre 2019 relatifs aux chantiers cités dans les factures impayées ;
-Ordonner toute mesure d'expertise comptable, s'il y a lieu, pour rechercher contradictoirement les règlements intervenus ;
-Condamner l'étude [D], es-qualité au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au profit de la société [W] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens devant le Juge Commissaire, le tribunal de commerce d'Aubenas et la cour d'appel de Nîmes.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que :
-les articles L. 624-16 du code de commerce et 2368 du code de ne soumettent l'écrit à aucune forme spéciale et la société [W] justifie de nombreux écrits constitués par des factures comportant toutes la clause de réserve de propriété ;
-des relations commerciales suivies pendant de nombreuses années entre les parties, donnant lieu à des factures comportant une clause de réserve de propriété, rendent cette clause opposable à la liquidation judiciaire ;
-l'article 1199 du code civil ne concerne pas les modes de preuve dans les relations entre commerçants ;
-en matière commerciale, la preuve est libre au regard de l'article L. 110-3 du code de commerce ;
-l'importance et l'ancienneté des relations d'affaires entre la société [W] et la société [...] [...] est incontestable ;
-toutes les factures émanant de la société [W] identifient exactement la nature et les quantités de matériaux vendus à la société [...] [...] et précisent les endroits où ils ont été livrés ;
-l'inventaire rédigé par Maître [R] le 23 septembre 2019 est incomplet au regard d'une violation volontaire et manifeste des dispositions de l'article L. 622-6 du code de commerce ; il traite des véhicules, des matériels de bureau mais pratiquement pas des matériaux ;
-en présence d'un inventaire incomplet, un renversement de la charge de la preuve s'opère et il appartient au liquidateur de démontrer que le bien détenu antérieurement par le débiteur, en l'occurrence tous les matériaux visés dans les factures impayées, n'existent plus en nature au jour du jugement d'ouverture ;
-la société [W] a la qualité de créancier revendiquant et est subrogée en application de l'article L. 624-18 du code de commerce à [...] [...] ;
-le fournisseur de matériaux est en droit d'obtenir du liquidateur le règlement des sommes versées par les clients de l'acquéreur postérieurement à l'ouverture de sa procédure collective ;
-la société [W] est fondée à obtenir de l'EURL [D] le paiement de ses factures puisqu'elle est subrogée à la société [...] [...] depuis la mise en liquidation de cette dernière ;
-la recevabilité et la revendication du prix n'est pas soumise à la conclusion entre le débiteur et le sous-acquéreur d'un contrat de vente et limitée à l'encontre des sous-acquéreurs ;
-il est sans importance que les matériaux [W] aient pu être transformés et incorporés dans un immeuble appartenant aux clients de la société [...] [...], la loi imposant seulement que les matériaux aient été livrés dans leur état initial sur le chantier.
***
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, la SELARL Étude [D] demande à la cour, au visa des articles L.624-9 et suivants, L. 624-16 et suivants du code de commerce, des pièces versées au débat, de :
-Débouter la société [W] de son appel comme infondé,
-Confirmer le jugement rendu le 26 janvier 2021 par le tribunal de commerce d'Aubenas en toutes ses dispositions, notamment, en ce qu'il confirme l'ordonnance du Juge-Commissaire du 22 septembre 2020 et rejette en conséquence la demande en revendication de la SA [W] ;
Ce faisant,
-Rejeter la demande en revendication formulée par la société [W],
-Rejeter toutes les demandes, fins, conclusions ou moyens plus amples ou contraires de la société [W],
-Condamner la société [W] à payer à la SELARL Étude [D] représentée par Maître [C] [S] ès qualités la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
-Condamner la société [W] aux entiers dépens, en ce compris ceux d'appel dont distraction au profit de l'avocat soussigné.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir que :
La clause de réserve de propriété doit être établie dans un écrit dressé au plus tard au moment de la livraison, ce que ne démontre pas l'appelante,
Peu importe l'existence de relations d'affaire suivies,
L'article 1119 alinéa 1 du code civil, applicable à l'espèce exige l'acceptation de la clause de réserve de propriété par l'acheteur, ce qui n'est pas davantage établi en l'espèce,
L'identification des marchandises revendiquées est impossible,
Le procès-verbal d'inventaire établi par huissier ne mentionne aucun matériel ou marchandise qui seraient la propriété de la [W] et « l'état des marchandises [W] » produit par l'appelante ne peut suppléer cette carence,
Ces matériaux ont été incorporés aux constructions et la revendication en nature est devenue impossible,
Il n'est pas démontré que le procès-verbal d'huissier est incomplet, sommaire ou inexploitable,
Le bien initial ne pouvant être identifié, la demande de revendication du prix de revente entre en voie de rejet,
De plus, l'appelant ne prouve pas que le prix a été payé par les sous-acquéreurs à la société débitrice,
Elle produit l'extrait de compte de liquidation judiciaire à la date du 8 juin 2021 ce qui rend sans objet la demande de production de la société [W], ainsi que sa demande d'expertise.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur la clause de réserve de propriété :
L'article L.624-16 alinéa 2 du code de commerce, applicable à la liquidation judiciaire en vertu de l'article L.641-14, dispose : « peuvent également être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. Elle peut l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties. »
En application de cet article, la société [W] doit démontrer que l'écrit a été établi antérieurement ou concomitamment à la livraison des marchandises revendiquées.
En l'espèce, il n'y a pas d'écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties.
S'il a pu être déduit, par la production de factures antérieures comportant une clause de réserve de propriété, non contestées par un débiteur, en relation d'affaires avec le vendeur, une acceptation de cette clause (Com. 31 janvier 2012 n°1028407), le cas d'espèce est totalement différent : la société [W] ne produit pas d'écrit antérieur mais un simple relevé de compte (sa pièce 2) récapitulant le montant de l'ensemble de ses factures, un imprimé de ses conditions générales vierge tant d'une quelconque facturation que d'un destinataire (sa pièce 3), l'extrait de son grand livre client (sa pièce 4) et des attestations de ses préposés portant uniquement sur l'existence de relations d'affaires entre l'appelante et l'intimée. Ces pièces n'établissent pas la réception par la débitrice, dans le cadre de ses relations d'affaire antérieures, de factures antérieures comportant la clause litigieuse. La société [W] ne peut donc se prévaloir de l'acceptation tacite du débiteur du fait d'une absence antérieure de protestation lors de la réception de factures comportant une clause de réserve de propriété.
Par conséquent, c'est à bon droit que le jugement déféré a retenu que la société [W] ne rapportait pas la preuve de son droit de propriété sur les biens revendiqués.
Sur la revendication du prix :
L'article L.624-18 du code de commerce permet la revendication du prix ou de la partie du prix des biens visés à l'article L.624-16 du même code.
Les conditions générales de la revendication prévue à l'article L.624-16 du code de commerce sont donc applicables à la revendication du prix, de sorte que la demande de l'appelant entre également en voie de rejet.
Sur les autres demandes :
Le liquidateur judiciaire a produit l'extrait de compte de liquidation judiciaire arrêté au 8 juin 2021, recensant les règlements opérés postérieurement à la date du 10 septembre 2019 par les clients de la société en liquidation.
Dès lors, il n'est pas nécessaire de faire droit à la demande de production présentée par la société [W] et l'expertise comptable n'est pas utile à la solution du litige.
La société [W], qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer à la SELARL [D] es qualités une somme équitablement arbitrée à 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
Déboute la société [W] de sa demande de transmission tous les règlements opérés postérieurement à la date du 10 septembre 2019 relatifs aux chantiers cités dans les factures impayées et de sa demande d'expertise comptable,
Dit que la société [W] supportera les dépens d'appel et payera à la SELARL Etude [D] es qualités une somme de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que la SELARL « CSM2 » pourra recouvrer directement contre la partie ci-dessus condamnée, ceux des dépens d'appel dont elle aura fait l'avance sans en recevoir provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,