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07/03/2023 | FRANCE | N°20/01717

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 07 mars 2023, 20/01717


ARRÊT N°



N° RG 20/01717 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HYAC



CRL/DO



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON

23 juin 2020



RG :18/00477





[A]





C/



S.A.R.L. LUTECIE









Grosse délivrée le 07 mars 2023 à :



- Me MESTRE

- Me MOUTROUS-ZOUARAT



























COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILEr>
5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 07 MARS 2023







APPELANT :



Monsieur [M] [A]

né le 10 Septembre 1969 à [Localité 3] (92)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par Me Philippe MESTRE, avocat au barreau D'AVIGNON







INTIMÉE :



S.A.R.L. LUTECIE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

...

ARRÊT N°

N° RG 20/01717 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HYAC

CRL/DO

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON

23 juin 2020

RG :18/00477

[A]

C/

S.A.R.L. LUTECIE

Grosse délivrée le 07 mars 2023 à :

- Me MESTRE

- Me MOUTROUS-ZOUARAT

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 07 MARS 2023

APPELANT :

Monsieur [M] [A]

né le 10 Septembre 1969 à [Localité 3] (92)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Philippe MESTRE, avocat au barreau D'AVIGNON

INTIMÉE :

S.A.R.L. LUTECIE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Salima MOUTROUS-ZOUARAT, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 15 Novembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier lors du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 29 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Février 2023, puis prorogée au 21 février 2023, puis au 07 mars 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 07 mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [M] [A] a été engagé à compter du 22 décembre 1997, suivant contrat à durée indéterminée en qualité de directeur commercial statut cadre par la S.A.R.L. Luberon technologie laboratoire.

La convention collective applicable est la convention collective Syntec.

Par convention de transfert en date en date du 24 mai 2013 à effet au 1er juin 2013, le contrat de travail de M. [M] [A] a été transféré au sein de la S.A.R.L. Lutecie, groupe, pour exercer les fonctions de directeur marketing groupe, formalisé par un nouveau contrat de travail signé le 1er juillet 2013.

Le 21 novembre 2016, M. [M] [A] a été placé en arrêt maladie.

Par courrier du 28 juillet 2018, M. [M] [A] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 2 octobre 2018, M. [M] [A] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon aux fins de voir dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, dire et juger que la rupture du contrat de travail par la S.A.R.L. Lutecie est brutale et vexatoire et condamner la S.A.R.L. Lutecie au paiement de diverses sommes indemnitaires.

Par jugement du 23 juin 2020, le conseil de prud'hommes d'Avignon a :

- débouté M. [M] [A] l'ensemb1e des demandes,

- condamné M. [M] [A] à verser à la S.A.R.L. Lutecie la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] [A] aux entiers dépens.

Par acte du 16 juillet 2022, M. [M] [A] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 29 août 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 15 novembre 2022 à 16 heures et fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 29 novembre 2022 à 14 heures.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 8 octobre 2020, M. [M] [A] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes d'Avignon en date du 23 juin 2020,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

- dire et juger que la société requise lui a fait subir une rupture brutale et vexatoire,

- fixer la moyenne mensuelle brute de ses salaires à la somme de 9.419,32 euros,

En conséquence,

- condamner la S.A.R.L. Lutecie, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à lui payer les sommes suivantes :

- 188.386,40 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 67.505,12 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 28 257,96 euros au titre de l'indemnité compensatrice sur préavis,

- 2.825,79 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

- 100.000 euros au titre du préjudice moral et du caractère brutal et vexatoire causé par la rupture dudit contrat de travail,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire et juger que l'ensemble des condamnations, en ce compris l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, constituent les créances nées de l'exécution d'un contrat de travail et bénéficie de l'exonération prévue à l'article 11, 2ième alinéa du décret du 8 mars 2001, portant modification du Décret du 12 décembre 1996, relatif aux tarifs des huissiers,

- dire et juger à défaut, que le montant des sommes retenues, en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du Décret du 12 décembre 1996 par l'huissier de justice dans le cadre de l'exécution forcée des condamnations sera supporté directement et intégralement par le débiteur, au lieu et place du créancier en sus de l'article 700,

- assortir l'ensemble des condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement à intervenir, conformément à l'article 1153 du code civil,

- prononcer la capitalisation des intérêts, conformément à l'article 1154 du code civil,

- condamner enfin, la société requise aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

M. [M] [A] soutient que :

- son licenciement est motivé par le fait d'avoir témoigné pour une collègue de travail dans un procès prud'homal qui l'oppose à la société Lutécie et un second motif consistant à lui reprocher d'avoir confié à un avocat la charge d'entamer une procédure aux fins d'évincer Messieurs [U] et [I] [R] de la direction de la société après avoir sollicité les membres de la famille de ces derniers pour qu'ils se joignent à ladite procédure,

- le témoignage qui lui est reproché n'est en rien mensonger, il ne fait qu'énoncer ses constats, la réalité de son témoignage se retrouve dans le fait que les salariés concernés ont obtenu devant le conseil de prud'hommes que leur licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

- ses interrogations sur les transferts de fonds sont fondées puisque le conseil de prud'hommes et l'expert comptable indépendant attestent qu'il a dit la vérité,

- le second motif ne le concerne pas en tant que salarié, mais en qualité d'associé de Amar la Tierra et de LT LABO, et les reproches en terme de gestion concernant [U] et [I] [R] sont portés également par toute leur fratrie,

- l'attestation produite attribuée à Mme [Z] [R] est signée de M. [T] [R],

- ses demandes indemnitaires sont fondées en raison de son ancienneté, de sa situation familiale et professionnelle actuelle,

- la procédure diligentée à son encontre, sous forme d'un licenciement disciplinaire est particulièrement vexatoire et justifie l'octroi de 100.000 euros de dommages et intérêts,

En l'état de ses dernières écritures en date du 10 novembre 2022, la S.A.R.L. Lutecie demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Avignon le 23 juin 2020 en son intégralité,

- débouter M. [M] [A] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner en cause d'appel M. [M] [A] à lui payer la somme de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner M. [M] [A] aux entiers dépens.

La S.A.R.L. Lutecie fait valoir que :

- le contenu de l'attestation établie par M. [M] [A] pour une autre salariée, comme l'a relevé le conseil de prud'hommes, démontre un profond désaccord entre le salarié et son employeur, lequel constitue un manquement à l'obligation de loyauté et de réserve nécessaire à la fonction de directeur marketing,

- cette obligation de discrétion est mentionnée à l'article 11 du contrat de travail, et son non-respect est mentionné comme constitutif d'une faute grave,

- son attestation fait état d'informations soumises au secret professionnel du groupe, pour lesquelles ils ne disposent pas de tous les éléments,

- ses propos sont par ailleurs mensongers, et contredits par les résultats du groupe sur la commercialisation de la plante en question, le Moringa,

- son témoignage dénote une intention de nuire, et une contradiction totale avec le livret concernant cette plante, destiné au consommateur, et qu'il a lui-même établi,

- ce qui est reproché à M. [M] [A] n'est pas d'avoir témoigné, mais le contenu de son témoignage,

- pendant son arrêt maladie, il s'est rapproché de certains membres de la famille [R] pour mettre en cause la probité des dirigeants du groupe, les accusant de détournements de fonds, et s'est proposé pour prendre en charge la procédure en France et la gérance du groupe,

- un tel comportement est un manquement grave à l'obligation de loyauté, et une intention de nuire à l'égard des gérants pour prendre leur place, en se servant des tensions entre les héritiers de [D] [R],

- l'erreur de signature sur les attestations résulte d'une inversion par le conseil, lors de la copie des pièces,

- M. [M] [A] n'est pas associé de la société Lutécie et ne peut se prévaloir de ce statut pour tenter de justifier son comportement,

- il n'est versé aucune pièce au soutien de la demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,

- enfin, et subsidiairement, M. [M] [A] ne peut se prévaloir d'une ancienneté antérieure à 1996, même s'il a travaillé pour d'autres sociétés appartenant à [D] [R], et ne pourrait prétendre qu'à 63.576,41 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS

S'agissant d'un licenciement prononcé à titre disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs formulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en rapporter la preuve.

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

La gravité du manquement retenu est appréciée au regard du contexte, de la nature et du caractère éventuellement répété des agissements, des fonctions exercées par le salarié dans l'entreprise, un niveau de responsabilité important étant le plus souvent un facteur aggravant, de son ancienneté, d'éventuels manquements antérieurs et des conséquences de ces agissements en résultant pour l'employeur.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 28 juillet 2018 qui fixe les limites du litige, a été rédigée dans les termes suivants :

' Cher Monsieur,

Suite à l'entretien préalable qui s'est déroulé le 16 juillet 2018 en présence de Mr [K] [N], conseiller du salarié, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave en raison des faits suivants:

Vous occupez depuis le 1er juin 2013 un poste de directeur marketing au sein du groupe Lutecie.

Dans le cadre de ces fonctions, vous intervenez pour l'ensemble des sociétés du groupe Lutecie.

Vous avez établi un témoignage en faveur de [J] [F] dans le cadre d'un litige prud'homal opposant la société à cette dernière portant sur le bien-fondé de son licenciement pour motif économique.

Dans le cadre du témoignage, vous avez mis en cause les agissements du groupe.

En agissant de la sorte, vous avez commis un manquement à vos obligations contractuelles. En effet, en application de l'article 11 obligations de votre contrat de travail, vous êtes tenu à une obligation générale de discrétion tant en ce qui concerne les affaires de votre employeur que celle de ses clients et fournisseurs.

En application de l'article 11 confidentialité de votre contrat de travail, vous êtes également tenu à une obligation de réserve et de secret professionnel vis-à-vis de la société et des clients.

Il vous est interdit de divulguer la moindre indication ou informations sur les faits, renseignements ou documents dont vous avez eu connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de vos fonctions et qui concerne les sociétés du groupe, les fournisseurs et les clients.

Le dernier alinéa de cette stipulation précise que le non respect de cette obligation constitue au minimum une faute grave justifiant le licenciement immédiat.

Par ailleurs, nous avons découvert que vous avez confié à un avocat la charge d'entamer une procédure afin de nous évincer de la direction de la société.

Dans ce cadre, vous avez sollicité des membres de notre famille pour qu'ils se joignent à votre procédure.

Lors de l'entretien préalable, vous avez reconnu être en contact avec les membres de notre famille.

Pour votre défense, vous avez seulement indiqué que pour le moment, aucune procédure n'avait été lancée.

Ses agissements sont un manquement grave à votre obligation de loyauté et dénotent une intention de nuire.

Votre contrat sera rompu à la date d'envoi du présent courrier.

Nous vous rappelons que malgré la rupture de votre contrat de travail, vous demeurez tenu de respecter votre obligation de confidentialité.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre dans les 15 jours suivant sa notification, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.

Votre solde de tout compte et les documents afférents à la rupture de votre contrat de travail vous sera adressé par pli séparé.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de notre considération distinguée.'

Il résulte de cette lettre de licenciement que la S.A.R.L. Lutécie reproche à M. [M] [A] pour caractériser la faute grave deux griefs : avoir remis en cause ses agissements et avoir manqué à son obligation de réserve et de secret professionnel dans un témoignage établi au profit d'une autre salariée dans le cadre d'un litige prud'homal et avoir manqué à son obligation de loyauté en se rapprochant d'un avocat et de membres de la famille des deux gérants pour engager une procédure afin de les évincer de sa direction.

* sur le manquement à l'obligation de réserve et de secret professionnel

Pour démontrer la réalité de ce grief, la S.A.R.L. Lutécie se réfère et verse aux débats :

- le contrat de travail de M. [M] [A] qui en son article 11 'confidentialité' indique que le salarié est tenu d'une part à une obligation générale de discrétion tant en ce qui concerne les affaires de son employeur que celles de ses clients et fournisseurs, qu'à une obligation de secret professionnel vis-à-vis de la société et de ses clients,

- le témoignage établi par M. [M] [A], daté du 1er septembre 2017, au profit de trois de ses salariés dans le cadre d'un litige prud'homal en contestation de leur licenciement économique, dans lequel l'appelant après avoir rappelé ses fonctions anciennes et actuelles dans les différentes structures du groupe Lutécie indique notamment ' Je n'ai jamais eu connaissance d'études réalisées par la société PAGAGI pour l'implantation de produits LT LABO en République Dominicaine. Nos compléments alimentaires et cosmétiques naturelles et bio auraient bien du mal à se vendre en République dominicaine, l'un des pays les plus pauvres des Caraïbes voire de la planète. Plus du 1/3 de la population y vit sous le seuil de pauvreté.

Les produits LT LABO sont pour la plupart vendus comme des produits haut de gamme avec des prix élevés. N'étant pas producteur, nous utilisons des façonniers pour réaliser nos formules. Préserver des marges en vendant sur des pays pauvres est illusoire.

Les recherches sur le Moringa que nous commercialisons ont essentiellement été réalisées par nos services, en interne. J'ai bien eu entre les mains quelques maigres documents extraits de plantes, huiles, graines, feuilles de Moringa. Quelques heures de travail, en, plus, auraient permis de recueillir ces éléments.

J'ai été surpris de découvrir les presque 160.000,00 euros de facture de PAGAGI, société de [D] [R] implantée à Saint Domingue, son lieu de résidence principale.

Des factures qui s'étalent de 2012 à 2015 pour une simple étude, un projet non réalisé, sans le moindre investissement, dans un pays où la rémunération mensuelle brute moyenne est de 450 dollars et où une frange importante de la population vit avec moins de 2 dollars par jour !

On peut penser que s'il y avait des services à régler, des travaux à réaliser, leurs coûts auraient été dérisoires.

Avec les salons professionnels et à l'heure d'internet, il est aujourd'hui rapide et peu coûteux de trouver des matières premières, des vendeurs de matières premières, des façonniers'

- un courriel en date du 13 octobre 2015 adressé par M. [M] [A] à ' [W] [X]; [I] [R]' par lequel il leur adresse les 'dernières versions' du livret consommateur et du dossier technique ' Moringa',

Pour remettre en cause ces éléments, M. [M] [A] rappelle qu'en vertu des articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l'Homme, de l'article 10 du code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation, il ne peut être sanctionné pour avoir témoigné en justice, sauf à prouver que ce témoignage reposerait sur des faits inexacts, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Il précise que rien dans son témoignage n'est faux et que contrairement à ce que veut faire croire la S.A.R.L. Lutécie, la plante moringa est connue depuis des millénaires et a fait l'objet de nombreuses études. Concernant les transferts de fonds qu'il dénonce, il observe que les trois salariées ont obtenu du conseil de prud'hommes de voir leur licenciement considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse et que l'expertise comptable qu'elles avaient sollicitée aboutit aux mêmes conclusions que lui.

Ceci étant, la S.A.R.L. Lutécie ne reproche pas, contrairement à ce que soutient M. [M] [A], à son salarié d'avoir témoigné en justice contre elle dans le cadre d'un litige prud'homal, mais, alors qu'il était liée par son contrat de travail, d'avoir par ce témoignage manqué à son obligation de confidentialité précisément définie dans son contrat de travail ' le salarié est tenu à une obligation de réserve et de secret professionnel vis-à-vis de la société et des clients. Le salarié s'interdit de divulguer la moindre indication ou information sur les faits, renseignement ou document dont il aura connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions et qui concerneraient les sociétés du groupe, les fournisseurs et les clients. Le salarié se porte fort du respect de ces dispositions par ces proches qui pourraient avoir accès par son intermédiaire à ces informations. Cette obligation perdurera, même après la fin du présent contrat, quelle qu'en soit la cause et l'auteur. Le non-respect de l'obligation constitue au minimum une faute grave justifiant le licenciement immédiat.'

De fait, dans son témoignage, M. [M] [A] apporte des éléments concernant la commercialisation d'une plante par son employeur, les conditions dans lesquelles il a pu ou non procéder à des recherches et études de marché concernant cette commercialisation, et les coûts en recherche et développement préalables à la commercialisation, tout en y ajoutant un jugement de valeur personnel aux fins de discréditer la gestion de l'entreprise.

L'issue du procès dans lequel M. [M] [A] a apporté son témoignage est sans incidence sur le manquement à ses obligations contractuelles qui lui est reproché.

Le grief est donc caractérisé.

* sur le manquement à l'obligation de loyauté

Au titre de ce grief, la S.A.R.L. Lutécie expose qu'elle a ' découvert que Monsieur [M] [A] alors qu'il est en arrêt maladie, suite au décès de [D] [R] s'est rapproché des membres de la famille [R] afin de constituer un dossier en faisant valoir des griefs inventés pour les besoins de la cause mettant en cause la probité du groupe LUTECIE, des dirigeants de la société LUTECIE puisqu'il a prétendu auprès des membres de la famille qu'il y aurait eu des détournements de fonds. Il s'est proposé de prendre en charge la procédure en France et de prendre la gérance du groupe. Il a confié un mandat d'intervention à un cabinet d'avocats'

Pour démontrer la réalité de ce grief, la S.A.R.L. Lutécie verse aux débats :

- des échanges de courriels entre M. [T] [R] et sa soeur Mme [P] [R] en date d'octobre et novembre 2017 , transférés à M. [I] [R] par le premier en date du 11 mai 2018, portant sur une prise de rendez-vous avec un cabinet d'avocats dans le cadre de la succession de leur père, mentionnant notamment ' nous prenons un avocat pour enlever la gérance à [U] et [I] car ils sont en train de faire n'importe quoi avec l'entreprise' et qui précise s'agissant du rendez-vous ' Moi j'y serais pour 17 h il aura aussi [M] [A] comme ca si ta des questions lui aussi il pourra t'y répondre',

- une attestation établie par M. [H] [R] qui indique notamment ' la situation pour ma part et que [M] [A] et moi nous avons eu plusieurs conversation téléphonique et aussi plusieurs rencontres en personne ou on a parlé de la manière de pouvoir destituer [I] et [U] [R] de la gérance de Lutécie, LT Labo, et Natural Nutrition et on avait même prie un avocat pour cela',

- une attestation de M. [T] [R] qui précise notamment que lorsqu'il a fait état à M. [M] [A] de difficultés avec [I] [R] celui-ci ' est de suite allé chercher un feuille déjà préparée pour donner un pouvoir à un avocat dans le but de destituer la gérance de Lutécie à [I] [R] afin de récupérer les sommes détournées aux dépens de Lutecie. Il m'a dit qu'il y avait de grandes sommes de détournées, mais il n'était pas très clair. J'ai signé car c'est tout ce qu'il voulait et après il est vite parti en amenant [H] [R] avec lui',

- une attestation de Mme [Z] [R] qui indique que M. [M] [A] leur a sous-entendu qu'il se 'passer des choses peu claires dans l'entreprise sans être trop précis. Nous avons décidé ensemble de prendre un avocat, n'en connaissant aucun en France, M. [M] [A] se chargera d'en prendre un (...) N'habitant pas en France mais en Espagne, M. [M] [A] s'est proposé de devenir le gérant de Lutécie'.

Pour contester ce grief, dont il ne conteste pas la matérialité, M. [M] [A] reproche à la S.A.R.L. Lutécie d'avoir confondu son statut d'associé de certaines sociétés du groupe, Amar la Tierra et LT Labo, avec son statut de salarié ; et observe qu'il s'est simplement joint à certains membres de la famille dans le souci de protéger ses intérêts d'associés. Il conteste la recevabilité des témoignages de Mme [Z] [R] et de M. [T] [R], frère et soeur des gérants de la S.A.R.L. Lutécie et verse aux débats :

- une copie d' attestation établie au nom de M. [T] [G], artisan, qui indique avoir été témoin d'une conversation téléphonique entre M. [M] [A] et M. [H] [R] lequel indiquait que son frère [I] [R] lui avait demandé en échange du rachat de ses parts sociales de faire un faux témoignage contre l'appelant,

- un constat d'huissier en date du 2 octobre 2020 correspondant à la retranscription d'une conversation téléphonique transmise par fichier par l'appelant, attribuée à lui-même et M. [H] [R], lequel fait état d'un chantage de la part de ses frères pour l'obliger à témoigner contre lui.

Il ressort des éléments ainsi produits que M. [M] [A] ne conteste pas avoir avec certains héritiers de [D] [R] mis en oeuvre une procédure pour évincer les gérants de la SARL Lutécie, société holding du groupe Lutécie, de leurs postes.

Les pièces qu'il produit pour remettre en cause les témoignages produits par la S.A.R.L. Lutécie n'apportent aucun élément concret dès lors que leurs auteurs ne font qu'apporter des témoignages indirects, faute d'avoir pu vérifier l'identité des personnes dont ils rapportent les propos.

Ainsi, sans qu'il soit nécessaire de rechercher qui est à l'origine de la démarche, il est incontestable que M. [M] [A], certes associé de certaines sociétés du groupe Lutécie, mais surtout salarié du groupe Lutécie, a pris part à la mise en oeuvre d'une procédure ayant pour finalité d'écarter les gérants du groupe de leur poste, voire s'est proposé afin d'en assurer la gérance.

Un tel comportement marque la défiance de M. [M] [A] envers les dirigeants de la société qui l'emploie et caractérise un comportement déloyal vis-à-vis de son employeur.

En conséquence, ce grief est également constitué.

Il résulte de ces développements que M. [M] [A] a, à deux reprises porté des critiques sévères contre les dirigeants de la société qui l'emploie, d'une part en manquant à l'obligation de confidentialité et d'autre part en adoptant un comportement déloyal, lesquelles constituent autant de violations des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle, eu égard aux fonctions exercées et au niveau de responsabilité du salarié, qu'elles rendent impossible le maintien de celui-ci dans l'entreprise et la poursuite du contrat.

Par suite, la faute grave reprochée à M. [M] [A] est caractérisée et le licenciement fondé sur cette faute grave régulier.

En conséquence c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la faute grave reprochée à M. [M] [A] était démontrée et qu'ils l'ont débouté de ses demandes indemnitaires. Leur décision sera confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 juin 2020 par le conseil de prud'hommes d'Avignon,

Condamne M. [M] [A] à verser à la S.A.R.L. Lutécie la somme de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne M. [M] [A] aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, et par Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5ème chambre sociale ph
Numéro d'arrêt : 20/01717
Date de la décision : 07/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-07;20.01717 ?
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