RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 19/04691 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HSTQ
MS/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE NIMES
18 novembre 2019 RG :F 17/00483
[G]
C/
S.A.R.L. LES CHARPENTIERS DU LANGUEDOC
[J]
AGS CGEA [Localité 5]
Grosse délivrée
le
à
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 04 AVRIL 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NIMES en date du 18 Novembre 2019, N°F 17/00483
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 19 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 04 Avril 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [E] [G]
né le 26 Septembre 1972 à
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Céline GUERIN, avocat au barreau D'ORLEANS
INTIMÉS :
SARL LES CHARPENTIERS DU LANGUEDOC
[Adresse 14]
[Adresse 14]
[Localité 4]
Représentée par Me Guillaume BROS de la SARL LEGANOVA NIMES, avocat au barreau de NIMES
Maître [R] [J] pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SARL LES CHARPENTIERS DU LANGUEDOC
[Adresse 6]
[Localité 11]
Représenté par Me Guillaume BROS de la SARL LEGANOVA NIMES, avocat au barreau de NIMES
AGS CGEA [Localité 5]
[Adresse 1]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Représenté par Me Delphine ANDRES de la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 01 septembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 04 Avril 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTION :
M. [E] [G] a été engagé par la SARL les charpentiers du Languedoc à compter du 18 février 2013 en qualité de chef d'équipe, selon contrat à durée indéterminée à temps complet.
Par courrier recommandé en date du 1er mars 2016, la SARL les charpentiers du Languedoc a convoqué M. [E] [G] à un entretien préalable en vue d'un licenciement et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier recommandé en date du 17 mars 2016, la SARL les charpentiers du Languedoc a procédé au licenciement pour faute grave de M. [E] [G], en ces termes :
'... nous déplorons de votre part un comportement inacceptable au sein de notre entreprise et notamment envers vos collègues de travail.
1. D'une part, nous avons appris que les relations avec vos collègues sont devenues de plus en plus conflictuelles.
En effet, nombreux d'entre eux ne souhaitent plus travailler avec vous.
De par votre statut de chef d'équipe, vous êtes tenu de conserver un comportement respectueux et loyal vis-à-vis de vos collègues.
Or de toute évidence, votre comportement envers vos collègues de travail et membres de votre équipe rend impossible la poursuite de toute collaboration, de surcroît sur vos fonctions de chef d'équipe.
En effet, il ressort des courriers que nous avons reçu de vos collègues que vous refusez le dialogue, haussez le ton sans raison et régulièrement ne laissant pas vos collaborateurs s'exprimer.
Nous avons à cette occasion appris que votre attitude, selon les propres mots de vos collègues, "paralyse les relations", ou encore que vous êtes "intolérants à toute collaboration et conseil", et que vous faites preuve d'un excès d'autoritarisme injustifié.
Vos collègues de travail qui nous demandent désormais par écrit et solennellement de ne plus travailler avec vous, n'hésitent pas à nous indiquer que par votre fait "les relations entre employé et autres chefs d'équipes se dégradent et deviennent même conflictuelles", et nous font savoir que "plusieurs altercations se sont produites avec certains collaborateurs à l'extérieur de l'entreprise et sur les chantiers", ce qui nous ignorions jusqu'alors.
Et pour cause, une pétition signée de plusieurs collaborateurs poursuit en nous indiquant que pour éviter les conflits, certains collaborateurs restaient taisant mais "embauchent le matin avec appréhension".
Votre comportement et les conditions de travail que vous imposez à vos collaborateurs, en plus de nuire gravement à l'image de l'entreprise, peuvent avoir des conséquences sur l'état de santé de vos collaborateurs, ce qui nous oblige à prendre des mesures efficaces et immédiates.
2. De plus, par votre comportement, les chantiers prennent un retard considérable et l'image de notre société est dégradée.
En effet, nous avons appris que depuis octobre 2015, vous vous étiez rendu durant plusieurs matinées, avec l'équipe que vous supervisiez et à vos heures de travail, au sein de l'Intermarché d'[Localité 8] dans le but de «profiter» du petit déjeuner offert aux clients.
Alors que le véhicule de la société, floqué à son nom, était stationné sur le parking de l'Intermarché, vous profitiez du café et des viennoiseries gratuitement mises à disposition des seuls clients Intermarché, alors que bien évidemment, vous ne faisiez aucun achat'
Déjà, il s'agit non seulement d'un manque de savoir-vivre élémentaire nuisible à l'image de notre société, mais de surcroît d'une faute puisque cela se déroulait durant les heures de travail.
Plus encore, vous êtes allez jusqu'à changer vos horaires de passage lorsque vous vous êtes rendu compte qu'Intermarché avait modifié l'heure du petit déjeuner offert (ce que les gérants de l'Intermarché nous ont indiqué avoir fait uniquement dans l'espoir de ne plus vous y voir).
Après ce changement d'horaire, il nous a été indiqué vous passiez quotidiennement entre 9h et 9h30 et qu'il vous arrive même de rester une bonne partie de la matinée (10h-11h20).
Nul doute que vous n'exercez pas votre prestation de travail lorsque vous êtes en train de boire le café à l'Intermarché alors que vous êtes toutefois rémunéré par l'entreprise.
A cela, s'ajoute une attitude inacceptable lors de vos passages à l'Intermarché, sans laquelle probablement ses responsables ne nous auraient sans doute pas alertés.
En effet, nous avons appris à cette occasion que, en plus de ne pas être au travail sur chantier avec votre équipe, vous vous permettez au sein de l'Intermarché de vous servir vous-même, de manger salement, sans nettoyer vos détritus, vous permettant de préparer vous-même le café, le tout en parlant dans un langage inapproprié et sur un ton particulièrement élevé, devant les client de l'Intermarché.
Pire, vous êtes allés jusqu'à hausser le ton et insulter le responsable de l'Intermarché lorsque celui-ci est venu vous demander de modifier votre comportement, un point tel qu'il a été nécessaire que la gendarmerie intervienne.
Un tel comportement pour un Chef d'équipe est tout sauf acceptable. Vous n'êtes ni modèle pour vos collègues ni représentatif de l'entreprise pour laquelle vous travaillez.
Malheureusement, c'est l'image que vous donnez quotidiennement des Charpentiers du Languedoc, et c'est intolérable.'
Contestant la légitimité de la rupture, M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes afin d'obtenir la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes à caractère indemnitaire, lequel par jugement contradictoire du 18 novembre 2019 :
- Dit que le licenciement pour faute grave opéré par la SARL les charpentiers du Languedoc à l'encontre de M. [E] [G] repose sur une cause réelle et sérieuse.
- Déboute M. [G] de la totalité de ses demandes.
- Condamne M. [G] à payer à la SARL les charpentiers du Languedoc la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procedure civile.
- Condanme M. [G] au paiement des entiers dépens.
Par acte du 16 décembre 2019, M. [E] [G] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 25 août 2022, M. [E] [G] demande à la cour de :
- écarter des debats les pièces 9 à 15 pour non-respect des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile
- dire et juger que la SARL les charpentiers du Languedoc a manqué à son obligation de sécurité de résultat
- dire et juger que le licenciement est abusif
- fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société SARL charpentiers du Languedoc les sommes suivantes :
- 2504.91 euros au titre de la mise à pied conservatoire
- 250.49 euros au titre de l'indemnité de congés payés au cours de la mise à pied conservatoire
- 1586.45 euros au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle
- 5009.82 euros au titre du préavis
- 500,98 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis
- 15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif
- aux intérêts de retard au taux légal à compter de la décision de 1ère instance majorés ainsi que la capitalisation des intérêts,
- la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- aux dépens
- avec la garantie des AGS l'UNEDIC, Délégation AGS, CGEA de [Localité 5]
M. [E] [G] soutient que :
- concernant le manquement à l'obligation de sécurité par l'employeur et la détérioration du climat social : l'employeur a manqué à son obligation de prévention due à l'inexistence du document unique de prévention des risques, d'une information claire et officielle de l'employeur et aucune action de formation des salariés sur les risques psychosociaux.
L'employeur a également manqué à son obligation de réaction après une alerte du salarié face à une situation présentant un danger grave et imminent, et ce le 25 août 2015, M. [G] se plaignant de faits de violence et d'acharnement dont il est victime.
- concernant le licenciement :
La lettre de licenciement ne fait état d'aucun fait précis matériellement vérifiable.
L'employeur ne donne aucune précision sur le grief lié au retard sur les chantiers, de sorte qu'il devra être écarté.
Il lui est encore reproché d'avoir, lors des passages à Intermarché, pris des temps de pause d'une durée anormalement longue et ainsi de n'avoir pas respecté son temps de travail. Or, l'employeur, à aucun moment, ne fournit la preuve des heures réellement accomplies.
Concernant les propos injurieux et son attitude déplacée, à aucun moment il n'est identifié clairement ni dénoncé dans les attestations produites.
Les faits qui lui sont reprochés sont en outre prescrits.
En l'état de ses dernières écritures en date du 25 août 2022, la SARL les charpentiers du Languedoc a sollicité la confirmation du jugement, le rejet de l'appel, des demandes, fins et prétentions de M. [G] et sa condamnation au paiement de la somme de 2500,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La SARL les charpentiers du Languedoc fait valoir que :
- sur le licenciement :
Elle verse aux débats la pétition mentionnée dans la lettre de licenciement signée par cinq salariés, soit la moitié de l'effectif, qui fait état de leur volonté de ne plus travailler avec M. [G].
Elle produit également des attestations confirmant l'exactitude des faits décrits dans la pétition.
M. [G] adoptait un comportement inacceptable et incompatible avec ses fonctions de chef d'équipe, qui avait pour conséquence de perturber le fonctionnement de l'entreprise en créant des situations de souffrance et de mal être.
Elle n'a eu connaissance de ces faits qu'en février 2016, lorsque les salariés se sont décidés à l'en informer notamment par le biais d'une pétition collective datée du 26.02.2016.
La lettre de licenciement décrit parfaitement la nature conflictuelle des relations de travail entretenues au quotidien par M. [G] avec ses anciens collègues.
Le témoignage de M. [O], salarié, démontre que durant son temps de travail, M. [G] emmenait son équipe à l'Intermarché d'[Localité 8] pour profiter du petit déjeuner offert aux clients.
Le directeur de l'Intermarché, M. [L], témoigne également en ce sens.
M. [G] ne nie pas l'existence de ces arrêts quotidiens puisqu'il tente seulement
d'édulcorer son comportement en soutenant de façon totalement fantaisiste qu'il s'agirait de temps de pauses légales.
- sur l'obligation de résultat : le salarié ne rapporte pas la preuve de ses allégations et notamment des faits ayant motivé l'alerte de 2015.
L'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 5], reprenant ses conclusions transmises le 29 août 2022, demande à la cour de :
- prendre acte de ce que l'UNEDIC reprend et fait sienne l'argumentation soutenue par la société les charpentiers du Languedoc, représentée par son mandataire liquidateur la SELARL BRMJ,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nîmes le 18 novembre 2019 en toutes ses dispositions.
En conséquence,
- débouter M. [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner aux entiers dépens.
En tout état de cause
- limiter les avances de créances de l'AGS au visa des articles L 3253-6 et L3253-8 et suivants du code du travail selon les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-17 et L 3253-19 et suivants du code du travail,
- limiter l'obligation de l'UNEDIC-AGS de procéder aux avances des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, à la présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et à la justification par ce dernier de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.
Par arrêt avant dire droit du 29 novembre 2022, la cour a ordonné la réouverture des débats et révoqué l'ordonnance de clôture à cette fin, invité les parties à présenter leurs observations sur la recevabilité des conclusions déposées par M. [E] [G] le 25 août 2022.
M. [G] indique à ce titre que :
- lors de l'établissement de ses conclusions après liquidation de la société employeur, il s'est aperçu après relecture qu'il fallait rajouter 'infirmer le jugement' ; il avait donc modifié ses écritures en ce sens,
- la déclaration d'appel demande l'infirmation du jugement et peut être considérée comme
conclusions puisqu'elle reprend ses demandes détaillées et précises,
- lorsqu'il a adressé ses conclusions par RPVA fin août 2022, il a adressé le jeu de conclusions correspondant uniquement aux modifications relatives à la liquidation judiciaire et non à l'ajout de la mention 'infirmer le jugement',
- il s'agit d'un quiproquo purement administratif.
La SARL les charpentiers du Languedoc soutient que :
- l'appelant n'a conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement prud'homal déféré,
- la cour de céans ne pourra que confirmer le jugement déféré,
- les conclusions déposées par M. [G] à l'audience du 15.09.2022 (dossier de plaidoirie), postérieurement à la clôture, diffèrent de celles déposées par RPVA le 25.08.2022.
En outre, elles n'ont pas été remises à la juridiction par voie électronique de telle sorte qu'elles sont nécessairement irrecevables conformément aux dispositions de l'article 930-1 du code de procédure civile.
L'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 5] s'en remet à la position de la SELARL BRMJ es qualité quant à la recevabilité des conclusions déposées par M. [G] le 25 août 2022.
MOTIFS
Sur la recevabilité des conclusions déposées par M. [E] [G] le 25 août 2022
Par un arrêt en date du 2 mars 2023 (Civ. 2ème n°21-17.719), la Cour de cassation est venue compléter sa jurisprudence du 17 septembre 2020 (Civ 2ème n° 18-23.626) et du
20 mai 2021 (Civ 2ème n°19-22.316) en décidant que lorsque l'appel est antérieur au 17 septembre 2020, les conclusions, même postérieures à cet arrêt, qui ne comporteraient aucune demande d' infirmation , d'annulation, ou de réformation des chefs du jugement entrepris, ne sont pas irrecevables.
Il convient dans ces circonstances de déclarer recevables les conclusions déposées par M. [G] le 25 août 2022.
Sur l'obligation de sécurité
Aux termes de l'article L 4121-1 du code du travail, « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
· Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
· Des actions d'information et de formation ;
· La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes »
Pour la mise en 'uvre des mesures ci-dessus prévues, l'employeur doit s'appuyer sur les principes généraux suivants visés à l'article L.4121-23 du code du travail:
· Eviter les risques
· Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
· Combattre les risques à la source ;
· Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
· Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
· Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
· Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis par l'article L. 1142-2-1 ;
· Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
· Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d'une part la réalité du manquement et d'autre part l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.
Enfin, l'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité en démontrant qu'il a pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité des salariés.
L'employeur ne manque pas à son obligation de sécurité quand il ne pouvait anticiper le risque auquel le salarié a été exposé et qu'il a pris des mesures pour faire cesser la situation de danger.
M. [G] soutient que :
- l'employeur n'a jamais produit le document unique de prévention des risques,
- l'employeur n'a pas fait application des mesures de prévention sur le harcèlement et la violence sur le lieu de travail,
- l'employeur n'a mené aucune action de formation de ses salariés sur les risques psychosociaux.
La société intimée s'abstient de justifier de toute mesure mise en oeuvre en vue d'identifier les risques et prévenir les risques d'atteinte à la santé des salariés, notamment les risques psychosociaux.
Elle ne verse aux débats aucun élément pertinent relatif aux actions engagées en vue de prévenir des risques professionnels, d'informer et de former des salariés sur ces risques ni n'allègue avoir mis en oeuvre des mesures destinées à éviter ces risques.
En conséquence, elle ne démontre pas avoir respecté l'obligation de prévention qui lui incombe.
- le 21 août 2015, il alerte son employeur quant aux faits de violence et d'acharnement dont il est victime, sans que celui-ci ne prenne une quelconque mesure pour faire cesser les faits.
Ce courrier est ainsi libellé :
« Je souhaite vous faire part d'une lettre que je comptais vous adresser en juillet 2014
mais, souhaitant apaiser nos relations, je n'y ai pas donner suite.
Malheuresement, votre traitement de faveur a mon égard ne s'est pas amélioré, voire bien dégrader.
En effet, jeudi 13 aout dernier, veille de fermeture d'une semaine pour congé, vous vous mettez une nouvelle fois dans une colère noire et évidement vous la dirigez contre moi. Vous me reprochez d'avoir quitter le chantier trop tôt. Pourtant, cela faisait plusieurs joursque je vous avais mis en garde sur notre manque de matériel, mais rien n'y a fait. Le mercredi matin même, je vous ai clairement stipulé que nous ne pourrions pas assurer une activité sur toute la journée, c'est donc en toute logique que nous sommes rentrés plustôt.
Vous criez, vous m'insultez, me menacez, m'intimidez de licenciement, me traitez d'incompétent, de bon à rien, vous m'ordonnez de partir sur le champ, m'humiliez devant tous les collègues... Finalement, devant mon refus de quitter mon poste, vous m'envoyez sur chantier avec ordre de ne pas rentrer avant la fin de la journée alors que vous êtes conscient que je ne peux pas travailler faute de materiel. Mais quelle erreur ai je bien pu commettre pour mériter un tel traitement '
Toujours ce même jeudi, vous conviez l'ensemble des équipes présentes de quitter leurs chantiers afin de participer à une grillade que vous organisez à l'atelier. Bien sur, je ne ferai pas partie de l'invitation.
Dois je rajouter que tous mes collegues ont recu le paiement de leurs congés avant leur départ alors qu'à ce jour je n'ai toujours perçu aucun versement' Ou encore que vous exigez des prises d'initiatives alors que vous ne m'en donnez pas les moyens d'y faire face '
Je ne compte pas faire le recit de toutes les maltraitances subies, mais il est temps que cesse ce comportement uniquement ciblé sur ma personne, totalement injuste et injustifié. »
L'employeur reconnaît ne pas avoir donné de réponse au salarié, se contentant d'indiquer dans ses écritures que les prétendues difficultés invoquées par celui-ci ne sont corroborées par aucun élément, de telle sorte que ses propos n'engagent que lui.
Cependant, il appartient à tout employeur recevant un courrier d'alerte sur les conditions de travail d'un salarié d'apporter une réponse, même s'il estime que les accusations portées par ce dernier sont fantaisistes.
Il résulte de ces éléments que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité.
Il appartient dès lors à M. [G] de démontrer le préjudice subi du fait de ce manquement.
La cour constate que l'appelant ne donne aucune précision sur le préjudice qu'il aurait subi à ce titre, sa demande de dommages et intérêts étant uniquement fondée sur les manquements de l'employeur, mais sans détailler, expliquer ou démontrer un quelconque préjudice subséquent.
Le jugement déféré sera dans ces circonstances réformé en ce qu'il a considéré que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de sécurité, la confirmation devant intervenir en ce que M. [G] a été débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur le licenciement
La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement fait ainsi état de deux séries de faits, à savoir des relations conflictuelles avec ses collègues de travail et un temps de présence important à l'Inter marché d'[Localité 8].
Les relations conflictuelles avec les collègues de travail
Pour démontrer ce grief, l'employeur produit les éléments suivants :
- la pétition des salariés du 26 février 2016, signée par 5 salariés, à savoir MM [O], [M], [X], [C] et [N], ainsi libellée :
"Nous ne souhaitons plus travailler avec Monsieur [E] [G], chef d'équipe dans l'entreprise des Charpentiers du Languedoc.
En effet, ses prises de positions et son intolérance à toutes collaborations et conseils, paralysent les relations. Sa façon de travailler, de manière rigide, retarde le façonnage et le montage dans la contruction d'éléments. Les relations entre employés et les autres chefs d'équipe se dégradent et deviennent même conflictuelles.
Plusieurs altercations se sont produites avec certains collaborateurs et même avec des employés extérieurs à l'entreprise, sur des chantiers.
Pour éviter le conflit, certains ne disent rien, mais embauchent le matin avec appréhension. Parler de façon autoritaire alors qu'on ne s'y attend pas, pour des choses insignifiantes, ne laisse pas l'ouvrir dans la sérénité. La capacité à s'entendre avec ses collègues est l'une des clés essentielles aux succès.
Nous n'agissons pas pour nuire à un collègue, mais pour protéger une entreprise et éviter la perte de contrats avec toutes les conséquences imprévues qui pourraient suivre"
M. [G] soutient que cette attestation est irrecevable puisque ne comportant pas les mentions de l'article 202 du code de procédure civile.
Or, il ne s'agit pas d'une attestation destinée à être produite en justice et établie dans le cadre d'une procédure en cours, mais d'une pétition établie par des salariés avant tout litige, pour porter à la connaissance de l'employeur le comportement de M. [G], de sorte que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile n'ont pas vocation à s'appliquer.
M. [G] soulève encore la prescription des faits reprochés, laquelle ne saurait être retenue dans la mesure où l'employeur a eu connaissance desdits faits par la pétition du 26 février 2016 et a engagé la procédure de licenciement dès le 1er mars 2016.
L'employeur produit encore les attestations de MM [O], [M], [X], [C] et [N], qui confirment et complètent leurs déclarations contenues dans la pétition.
Pour contrer lesdits témoignages, M. [G] produit l'attestation de M. [H], qui indique qu'il y avait de la cohésion dans l'équipe et fait état du respect du premier envers l'ensemble du personnel de l'entreprise, M. [G] étant à l'opposé des faits qui lui sont reprochés.
La cour relève que M. [H] qui indique avoir été embauché en intérim au sein de la société intimée ne donne aucune précision sur la période pendant laquelle il a travaillé au côté de M. [G], cette imprécision ne permettant pas de mettre en doute l'ensemble des témoignages des salariés ayant travaillé pendant plusieurs années avec l'appelant.
C'est dès lors sur la base des attestations produites par l'employeur, conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, que la cour considère comme fondé le grief tenant aux relations conflictuelles entre M. [G] et ses collègues de travail, certains déclarant même qu'ils étaient en souffrance d'avoir à travailler sous les ordres de celui-ci.
M. [M] fait en outre état de la violence dont M. [G] était capable.
Ce seul fait constitue dès lors une faute et justifie à lui seul le licenciement immédiat de M. [G]
Les haltes à Intermarché
Ce grief est également démontré par l'employeur par l'attestation de M. [O], ainsi rédigée :
« En reprenant le chantier du musé des [13] à [Localité 12], suite à l'arrêt maladie de Monsieur [E] [G], mon équipe était composée de deux intérimaires, [D] [U] et [S] [A], qui travaillaient avec Monsieur [E] [G].
Dès le premier jour de cette reprise, en passant devant l'Intermarché d'[Localité 8] lesintérimaires m'ont demandé pourquoi je ne m'arrêtais pas à la boulangerie de l'Intermarché.
Je leur ai répondu qu'on avait du travail. C'est à ce moment que j'ai appris qu'en fait ils s'arrêtaient tous les matins à 9 heures, car le café était offert pour les clients de l'Intermarché.
Je comprenais mieux pourquoi j'avais doublé plusieurs fois l'équipe de [E] [G], qui roulait à très faible allure sur la voie rapide menant entre [Localité 11] et [Localité 7] (') »
Ces faits sont corroborés par un courrier de Mme [K], responsable du point chaud de l'Intermarché d'[Localité 8], en date du 19 février 2016, soit antérieurement à toute procédure tant de licenciement que judiciaire :
« En effet, nous offrons à nos clients tous les matins le café ainsi que des minis viennoiseries, 3 salariés de votre société se présentent depuis début octobre 2015 se servant le café gratuitement (vidant la cafetière) se « jetant » sur des viennoiseries.
En ayant parlé à mon employeyr Mr [L], nous avons décidé de retarder l'heure du café après la venue de vos trois salariés afin d'éviter tous soucis, ces derniers ayant compris notre manège se sont présentés à une heure plus tardive afin de pouvoir bénéficier du café gratuit et des viennoiseries.
Monsieur [L] est venu les voir et leur a expliqué très gentiment que le café était réservé aux clients de notre magasin, le ton est rapidement monté du côté de vos salariés menaçant mon patron en lui demandant de bien vouloir sortir de derrière ses caisses allant jusqu'à lui dire qu'il ne s'était jamais fait braqué dans ce magasin !! Que si nous étions à [Localité 10] nous nous ferions braquer de bon matin etc'
J'ai demandé à ma collaboratrice de bien vouloir sortir et relever le numéro de téléphone de l'entreprise inscrit sur le camion.
Notre Chef de caisse qui passait à ce moment et voyant la tournure que prenait la chose, s'est empressée d'appeler la gendarmerie d'[Localité 8] (')
Depuis, ils viennent quotidiennement, soit vers 9h ou 9h30 restant assis à nos tables snack parlant fort, rigolant et se plaignant sans arrêt de leur employeur ( de vrais syndicalistes) !!! Ceci gênant notre clientèle !! Quant à moi je suis sans arrêt en train de nettoyer après
leur passage : ils ne respectent rien !!! Mangent salement !!! Ils se sont même déjà présentés vers 10h15 restant dans notre magasin jusqu'à 11h20. »
L'employeur produit encore le témoignage du directeur de l'Intermarché, M. [L], en date du 19 février 2016, en ces termes :
« Courant octobre ma boulangère s'est plainte auprès de moi du mauvais comportement de trois personnes travaillant dans le bâtiment venant tous les matins à la boulangerie de notre Intermarché. (')
Je lui dis de faire son café un peu plus tard, mais ces personnes repèrent notre manège et viennent aussi plus tard après 9 heures pour déjeuner gratuitement.
Je demande à ma boulangère de me prévenir quand ils seront là et le lendemain je les surprends sur le fait. Je leur dit que c'est du vol, le ton monte côté ouvriers en me proférant des menaces. Ma chef de caisse passant à proximité téléphone à la gendarmerie pour calmer le débat.
Les gendarmes sont venus en leur demandant de se calmer.Depuis ils viennent tous les matins et nous programmons notre cafetière après leur passage pour éviter tout désagrément.
Ils s'assoient au table du snack, parlent très fort et mangent très salement leurs croissants que de ce faite ils sont obligés d'acheter. »
En pièce n°21, M. [L] atteste reconnaître le chef d'équipe des Charpentiers du Languedoc ayant perturbé à plusieurs reprises à l'automne 2015 son magasin, ses employés et ses clients.
Pour toute défense, M. [G] soulève la prescription des faits reprochés alors que l'employeur démontre en avoir eu connaissance par les déclarations de Mme [K] et de M. [L], soit le 19 février 2016.
Le salarié sollicite le rejet desdits témoignages au motif qu'ils ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.
Or, il a été indiqué supra que ces écrits sont antérieurs à toute procédure judiciaire.
En outre, en matière prud'homale, la preuve est libre, de sorte que le juge doit se baser sur l'ensemble des éléments fournis par les parties pour trancher le litige.
En particulier, lorsqu'une attestation n'est pas établie conformément à l'article 202 du code de procédure civile, les juges du fond ne peuvent pas l'écarter sur ce seul motif et doivent apprécier, souverainement, sa valeur probante.
La cour retient dans ces circonstances les déclarations des employés Intermarché, lesquelles sont conformes au témoignage de M. [O].
Le jugement querellé sera ainsi confirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [G] était fondé sur une faute grave et a débouté le salarié de ses demandes financières subséquentes.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée qui a été contrainte d'engager en cause d'appel des frais irrépétibles non compris dans les dépens.
Les dispositions du jugement critiqué au titre des frais irrépétibles et des dépens seront confirmées.
Les dépens d'appel seront laissés à la charge de M. [G].
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,
Déclare recevables les conclusions déposées par M. [E] [G] le 25 août 2022,
Confirme le jugement rendu le 18 novembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Nîmes sauf sur l'obligation de sécurité de l'employeur,
Statuant à nouveau de ce chef infirmé,
Dit que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité mais déboute M. [E] [G] de sa demande de dommages et intérêts,
Condamne M. [E] [G] à verser à la SARL les charpentiers du Languedoc la somme de 1500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] [G] aux dépens d'appel,
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,