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12/04/2023 | FRANCE | N°21/01344

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 4ème chambre commerciale, 12 avril 2023, 21/01344


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 21/01344 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H77U



AV



TRIBUNAL DE COMMERCE D'AVIGNON

05 mars 2021 RG :



S.A.S. SUEZ EAU FRANCE



C/



S.A.S. VIGNOBLES JEROME QUIOT







































Grosse délivrée

le 12 AVRIL 2023

à Me Carole COU

CHET

Me Hélène BOUT









COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale



ARRÊT DU 12 AVRIL 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON en date du 05 Mars 2021, N°



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Agnès VAREILLES, Conseillère, a e...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/01344 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H77U

AV

TRIBUNAL DE COMMERCE D'AVIGNON

05 mars 2021 RG :

S.A.S. SUEZ EAU FRANCE

C/

S.A.S. VIGNOBLES JEROME QUIOT

Grosse délivrée

le 12 AVRIL 2023

à Me Carole COUCHET

Me Hélène BOUT

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 12 AVRIL 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON en date du 05 Mars 2021, N°

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre

Madame Claire OUGIER, Conseillère

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 23 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Avril 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. SUEZ EAU FRANCE, S.A.S au capital de 422 224 040,00 €, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 410 034 607, agissant poursuites et diligences de son Président, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2],

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Carole COUCHET de la SCP DE PALMA - COUCHET, Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS

Représentée par Me Philippe PENSO, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE :

S.A.S. VIGNOBLES JEROME QUIOT, au capital de 152450,00 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés d'AVIGNON sous le numéro 424 735 546, agissant poursuites et dilligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Hélène BOUT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'AVIGNON

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 09 Mars 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 12 Avril 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 2 avril 2021 par la S.A.S. Suez Eau France à l'encontre du jugement prononcé le 5 mars 2021 par le tribunal de commerce d'Avignon, dans l'instance n°2019013333,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 5 août 2022 par l'appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 22 septembre 2021 par la S.A.S. Vignobles Jérôme Quiot, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu l'ordonnance du 2 novembre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 9 mars 2023,

La société Vignobles Jérôme Quiot, exerçant une activité agricole, est alimentée en eau potable par la société Suez Eau de France.

Le 15 janvier 2018, la société viticole a décelé une consommation inhabituelle d'eau et a fait intervenir un plombier pour réparer une fuite provenant d'un tuyau.

Le 14 mars 2018, la société Suez Eau de France a adressé à la société viticole une facture d'un montant de 124 700,75 euros correspondant à son abonnement et sa consommation d'eau d'octobre 2017 à mars 2018 de 27.043 mètres cubes.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 mai 2018, la société viticole a contesté la facture et a demandé une annulation partielle de cette dernière.

La société viticole a payé la part de la facture correspondant au montant de la consommation de l'abonnement qu'elle estimait réellement dû et a renouvelé sa contestation dans un nouvel envoi recommandé du 10 septembre 2018.

Par courrier du 28 septembre 2018, le distributeur d'eau a indiqué à son abonnée qu'il lui faisait bénéficier d'un dégrèvement de 26.336 mètres cubes sur les redevances assainissement, ramenant sa facture de 124 700,75 euros à 44 259,51 euros. Un avoir d'un montant de 124 700,75 euros a été établi ainsi qu'une nouvelle facture de 42 894,27 euros le 28 septembre 2018, après déduction d'un solde antérieur de 1 365,24 euros.

A la suite du refus de la société viticole de s'acquitter de la facture, le distributeur d'eau potable l'a, par lettre recommandée avec avis de réception du 30 avril 2019, mise en demeure d'avoir à lui payer la somme de 44 259,51 euros.

Après plusieurs relances du distributeur d'eau et un dernier avis avant fermeture du 10 mai 2019, la société viticole a payé le 17 mai 2019 la facture contestée.

Dans une lettre du 23 mai 2019 adressée au distributeur d'eau, le conseil de la société viticole a indiqué que cette dernière maintenait sa contestation de la consommation facturée en faisant valoir que le débit constaté était matériellement impossible et qu'il était dû à une anomalie au niveau du compteur.

Dans une lettre du 3 juin 2019, le distributeur d'eau a confirmé sa facturation et a joint un historique des consommations relevées ainsi qu'un tableau de calcul mentionnant une annulation totale de la surconsommation liée à la fuite estimée de 26 336 mètres cubes et la refacturation de 707 mètres cubes, après déduction de l'estimation de 540 mètres cubes comptabilisée sur la période antérieure.

Dans son courrier de réponse du 1er juillet 2019, la société viticole a transmis au distributeur d'eau une attestation faite par le plombier ayant réalisé les travaux pour remédier aux désordres, un mail de l'expert de la société d'assurance venu sur les lieux, ainsi que trois photographies prises par ce dernier.

Par courrier du 12 juillet 2019, le distributeur d'eau a rappelé que la société viticole ne pouvait prétendre à un dégrèvement sur la part eau, dans la mesure où le syndicat Rhône Ventoux n'accordait pas de remise sur cette part pour les locaux à usage professionnel.

Par exploit du 6 novembre 2019, la société viticole a fait assigner le distributeur d'eau devant le tribunal de commerce d'Avignon en remboursement de la facture du 28 septembre 2019.

Par jugement du 5 mars 2021, le tribunal de commerce d'Avignon a :

-Déclaré la demande de la SAS Vignobles Jérôme Quiot recevable et bien fondée

-Condamné la SAS Suez Eau France à payer à la SAS Vignobles Jérôme Quiot la somme de 44 299,51 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2019, en répétition de l'indu

-Condamné la SAS Suez Eau France à payer à la SAS Vignobles Jérôme Quiot la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

-Condamné la SAS Suez Eau France aux dépens, dont ceux de greffe, liquidés à la somme de 73,22 euros TTC

-Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Le 2 avril 2021, la S.A.S. Suez Eau France a relevé appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 1108, 1134, 1147 anciens du code civil, de l'article R. 2224-20-1 du code général des collectivités territoriales et de l'article 1302-1 du code civil, de :

-Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Jugeant à nouveau,

-Débouter la société Vignobles Jérôme Quiot de l'ensemble de ses demandes

-Condamner la société Vignobles Jérôme Quiot à régler la somme de 44 299,51 euros à la société Suez Eau France

-Condamner la société Vignobles Jérôme Quiot à lui régler la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que sur la facture du 14 mars 2018 ainsi que sur celle du 12 octobre 2017, la consommation du 11 octobre 2017 prise comme base de calcul par les premiers juges était une consommation estimée, le relevé précédent ayant été réalisé 16 mars 2017 pour 10.300 mètres cubes. Ainsi, en reprenant le calcul effectué en première instance, entre le relevé du 15 janvier 2018 de 37.612 mètres cubes et celui du 16 mars 2017 de 10.300 mètres cubes, sur une période de 10 mois (305 jours), la quantité d'eau qui a transité par le compteur était de 27.312 mètres cubes, soit en réalité 3.73 mètres cubes par heure.

L'appelante précise qu'il y avait déjà une augmentation de la consommation, et donc probablement une fuite sur les installations de l'abonnée en 2017 puisque sa consommation semestrielle est passée de 362 mètres cubes entre mars 2016 et septembre 2016, à 969 mètres cubes entre septembre 2016 et mars 2017, soit le triple. Elle indique que dès sa facture du 17 mars 2017, elle a informé son usager de la hausse de sa consommation pouvant provenir d'une fuite et que ce dernier n'a procédé à sa réparation qu'en janvier 2018. En outre, ce dernier a adressé lui-même le relevé de son compteur, ce qui lui a permis de faire le constat de sa surconsommation, ayant d'ailleurs amené à la réparation de la fuite dès janvier 2018. Aucune conséquence ne peut donc être tirée du prétendu défaut d'information qui s'exerce au plus tard lors de l'envoi de la facture établie d'après le relevé enregistrant la consommation d'eau effective de l'abonné.

L'appelante soutient que les premiers juges ont considéré, à bon droit, que le règlement du service de l'eau était opposable à l'abonnée mais n'en ont pas tiré de conséquences. En effet, par le règlement de sa facture de souscription au service, ainsi que des factures postérieures, l'abonnée a accepté les termes du règlement du Service de l'eau et de ses mises à jour. Or, l'article 3.7 renvoyant à l'annexe 1 du Règlement du Service du 13 mai 2013, repris à l'annexe n°3 du règlement du 20 décembre 2018, précise que ne peuvent donner lieu à un écrêtement de la facture les fuites des canalisations utilisées pour alimenter une activité professionnelle exercée hors d'un logement, quelle que soit la nature de l'activité professionnelle. La société intimée n'était donc pas éligible à un dégrèvement et c'est à titre purement commercial et exceptionnel, l'eau n'ayant pas transité par le service d'assainissement, que l'appelante a fait un geste envers elle en lui faisant bénéficier d'un dégrèvement sur sa part traitement et collecte des eaux usées, amenant sa facture à passer de 124.700,75 euros à 44.259,51 euros.

Pour appliquer ledit dégrèvement, qui vient annuler la part de consommation due à la fuite, l'appelante a établi une nouvelle facture dans laquelle il est maintenu une consommation moyenne de 707m3 pour le calcul de la part assainissement. Aucun dégrèvement supplémentaire ne pouvait être appliqué sur la part distribution de l'eau qui a donc été maintenue. Par conséquent, la facture est parfaitement justifiée et ne peut être contestée.

Enfin, l'appelante indique que la consommation d'eau correspondant à sa facture est bien réelle puisqu'elle provient d'une fuite sur un réseau privatif dont elle prouve l'existence et qui n'est pas contestée. Le débit décompté entre le 16 mars 2017 et le 15 janvier 2018 de 3,73 mètres cubes par heure n'est pas invraisemblable mais proche de la normalité, notamment en cas de fuite. Le temps nécessaire pour évacuer un volume de 27.312 mètres cubes, selon le calcul effectué par les premiers juges est d'un peu plus de quatre mois, soit six mois de moins que le temps écoulé entre le 16 mars 2017 et le 15 janvier 2018. La hausse de la consommation ne peut être légitimement imputée à un dysfonctionnement du compteur, les consommations étant revenues à la normale suite à la réparation de la fuite.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'intimée demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1128, 1129, 1217, 1302, 1302-1 du code civil, de :

Déboutant la société Suez Eau France de son appel,

-Confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a déclaré la demande de la SAS Vignobles Jérôme Quiot recevable et bien fondée ;

-Dire que la société Suez Eau France n'a pas satisfait à son obligation d'information ;

-Dire que la société Suez Eau France ne peut opposer un règlement dont elle ne justifie pas qu'il a été porté à la connaissance de la concluante avant le sinistre ;

-Dire que la consommation facturée est invraisemblable, et ne peut résulter que d'un dysfonctionnement du compteur ;

-Confirmer la condamnation de la société Suez Eau France à payer à la SAS Vignobles Jérôme Quiot la somme de 44 299,51 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2019, et ce, sur le fondement des articles 1302 et 1302-1 du code civil ;

-Confirmer la condamnation de la société Suez Eau France au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

-Condamner la société Suez Eau France à verser 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à la SAS Vignobles Jérôme Quiot

-La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, l'intimée reproche au distributeur d'eau de ne pas l'avoir alertée de sa consommation anormale d'eau, ce qui résultait de ses obligations. Elle expose que c'est elle qui a constaté en premier la fuite le 15 janvier 2018. La moyenne des consommations des années antérieures était de l'ordre de 435,38 mètres cubes par semestre, soit 870,75 mètres cubes annuels. Le distributeur est parfaitement conscient de cette situation puisqu'en transmettant la facture du 28 septembre 2018 et l'avoir de 124 700,75 euros, il a accepté une consommation de 700 mètres cubes. Il n'y avait aucune fuite, lors de la facturation du 17 mars 2017 ainsi qu'il en ressort du relevé de consommations effectué entre les mois de mars et d'octobre 2017. La fuite n'est intervenue qu'au mois de janvier 2018. Si la consommation avait été telle que le prétend le distributeur d'eau, les dégâts auraient été considérables et immédiatement visibles. C'est à bon droit que le tribunal a considéré que le distributeur avait attendu deux mois pour informer le client d'une surconsommation près de 100 fois supérieure à celle relevée habituellement et déjà réparée depuis le 22 janvier 2018.

L'intimée soutient également que le règlement du service public d'eau potable ne lui est pas opposable car elle n'est pas partie au contrat signé avec Rhône Ventoux. Ce règlement n'a été porté à sa connaissance que par lettre du 12 juillet 2019. Il n'est pas daté et signé par la requérante. Il a été approuvé postérieurement à la découverte du sinistre. L'intimée n'a pas consenti à ces dispositions. L'affirmation selon laquelle en réglant les factures, elle aurait accepté les termes du règlement et ceux de ses mises à jour est contraire au principe même du droit contractuel et constitue une clause abusive.

Subsidiairement, l'intimée fait valoir que le distributeur a l'obligation d'apporter la preuve de ce que la consommation d'eau correspondant à sa facture est réelle, sa facture ne constituant pas une présomption irréfragable de la consommation dont il est demandé paiement. Or, en l'espèce, le débit décompté entre le 11 octobre 2017 et le 15 janvier 2018 est fortement invraisemblable et, aucune intervention humaine ne justifiant la hausse constatée, la surconsommation relevée ne peut être due qu'à un dysfonctionnement du compteur.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur l'obligation d'information du distributeur d'eau

L'article R.2224-20-1 du code général des collectivités territoriales précise que lorsque le service d'eau potable constate une augmentation anormale de consommation au vu du relevé de compteur enregistrant la consommation d'eau effective de l'abonné, il en informe l'abonné par tout moyen et au plus tard lors de l'envoi de la facture établie d'après ce relevé.

En l'espèce, lors du relevé de compteur effectué le 17 mars 2017, il a été constaté par le distributeur d'eau une consommation de 969 M3 sur une période de six mois, représentant près du triple de la consommation de 362 M3 des six mois antérieurs de mars à septembre 2016 de l'abonnée.

La société de viticulture a été alertée par le distributeur d'eau, par message personnel du même jour de la forte hausse de sa consommation ainsi que par un courrier accompagnant sa facture également du même jour l'invitant à vérifier au moyen d'un test si cette hausse ne provenait pas d'une fuite, et, le cas échéant, à contacter rapidement un plombier.

Le distributeur d'eau justifie donc avoir rempli l'obligation d'information à sa charge dans le délai réglementaire.

Par ailleurs, le 15 janvier 2018, la société viticole a elle-même averti le distributeur d'eau de la probabilité d'une fuite, lors du relevé de son compteur. Dès lors que l'abonnée avait une parfaite connaissance à cette date de l'anomalie de sa consommation, le retard de deux mois reproché au distributeur d'eau dans l'exécution de son obligation d'information, par message personnel et courrier accompagnant sa facture du 14 mars 2018, est sans incidence sur le volume d'eau consommé, la fuite ayant déjà été réparée par un plombier le 22 janvier 2018.

2) Sur l'application du règlement du service public d'eau potable

L'article L.2224-12 du code général des collectivités territoriales prévoit que les communes et les groupements de collectivités territoriales, après avis de la commission consultative des services publics locaux, établissent, pour chaque service d'eau ou d'assainissement dont ils sont responsables, un règlement de service définissant, en fonction des conditions locales, les prestations assurées par le service ainsi que les obligations respectives de l'exploitant, des abonnés, des usagers et des propriétaires.

L'exploitant remet à chaque abonné le règlement de service ou le lui adresse par courrier postal ou électronique. Le paiement de la première facture suivant la diffusion du règlement de service ou de sa mise à jour vaut accusé de réception par l'abonné. Le règlement est tenu à la disposition des usagers.

En l'occurrence, le règlement du service de l'eau en vigueur au moment du litige était celui du 13 mai 2013. Si le document versé au débat par le distributeur d'eau n'est pas daté, il précise en son article 7-1 sa date de prise d'effet de sorte qu'il s'agit bien du règlement applicable. Le règlement n'a pas besoin d'être signé par le syndicat mixte des eaux de la Région Rhône Ventoux pour être valide dès lors que son approbation a fait l'objet d'une délibération et d'un vote par le comité syndical du même syndicat des eaux, comme mentionné à l'article 7-3.

La clause contenue à l'article 2-1du règlement selon laquelle le règlement de la 'facture de souscription' confirme l'acceptation des conditions particulières du contrat et du règlement du service de l'eau et vaut accusé de réception ne revêt pas de caractère abusif dans la mesure où elle n'est que le rappel des dispositions légales de l'article L.2224-12 du code général des collectivités territoriales.

Par conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que par le règlement de la facture de souscription au service ainsi que des factures postérieures, le viticulteur avait accepté les termes du règlement du service de l'eau et de ses mises à jour.

Le règlement du service de l'eau entré en vigueur le 13 mai 2013 exclut en son annexe 1 'Tarifs' du bénéfice du droit à écrêtement de la facture, en cas de surconsommation liée à une fuite sur les installations privées, les fuites des canalisations utilisées pour alimenter une activité professionnelle exercée hors d'un logement, quelle que soit la nature de cette activité professionnelle.

3) Sur le caractère certain de la créance du distributeur d'eau

L'article 1302 du code civil dispose que tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.

La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.

L'article 1302-1 précise que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions et de celles de l'article 1353 du code civil que c'est au demandeur en restitution des sommes qu'il prétend avoir indûment payées qu'il incombe de prouver le caractère indu du paiement (Civ 1ère, 16 novembre 2004, n°01-17.182).

En l'espèce, le plombier mandaté par la société viticole a constaté une fuite d'une canalisation d'eau provenant d'une fissure minime dans un tuyau. Cette fissure est bien visible sur la photographie que le viticulteur a adressée au distributeur d'eau le 15 mai 2018. Il a été également constaté par l'expert envoyé sur place par l'assureur de la société viticole que le terrain était humide à proximité de la fuite.

L'abonnée prétend sans le démontrer que le compteur d'eau aurait été changé par le distributeur d'eau suite à la découverte de la fuite alors que ce dernier le conteste formellement et que c'est toujours le même numéro de compteur qui est mentionné sur les factures des 17 mars 2017, 12 octobre 2017 et 14 mars 2018. Au vu de l'historique des relevés et notamment de ceux des 6 septembre 2018, 15 mars 2019 et 10 septembre 2019, il apparaît que postérieurement à la réparation de la fuite le 22 janvier 2018 par le plombier qui a également mis en place un détendeur, un réducteur de pression et changé des vannes, la consommation d'eau potable de l'abonnée est redevenue normale.

La société viticole intimée a versé au débat une attestation du plombier qui a procédé à la réparation qui indique 'ne pas avoir constaté une fuite de l'ampleur indiquée par la compagnie Suez. En effet, il y avait très peu d'eau dans la tranchée ce qui va à l'encontre des 27 043 mètres cubes d'eau écoulés indiqués sur la facture de Suez. La seule fuite qui a été trouvée est la fissure minime dans le tuyau. La fuite n'était ni à l'emplacement, ni de l'importance indiquée par les spécialistes ou Suez'.

Ce témoignage qui se réfère à une fuite dont il ne précise pas la durée dans le temps est cependant trop vague pour établir une incohérence entre la surconsommation d'eau et la fissure constatée dans le tuyau. Il en est de même de celui de l'expert mandaté par l'assureur de la société viticole qui indique que le terrain était humide mais pas non plus de manière trop excessive et qu'il est difficile de penser que des centaines de mètres cubes d'eau se sont écoulés.

Pour conclure à l'invraisemblance de la consommation d'eau telle qu'apparaissant sur le compteur, le tribunal a retenu qu'entre le 11 octobre 2017 et le 15 janvier 2018 avait été enregistrée une consommation de 26 772 mètres cubes, soit de 276 mètres cubes par jour en moyenne ou de 12 mètres cubes par heure alors qu'une canalisation en PEHD DN 40, sous 10 bars de pression environ, avec une vitesse de 2 m/s permet un débit maximum de 9 mètres cubes par heure.

Ce faisant, le tribunal s'est basé sur un index de 10 840 au 11 octobre 2017 qui ne peut être utilisé pour calculer, de manière fiable, la consommation d'eau du viticulteur dans la mesure où il s'agit d'une simple estimation, le compteur n'ayant pas fait l'objet d'un relevé entre le 16 mars 2017 et le 15 janvier 2018.

Les seuls éléments objectifs permettant d'établir la consommation d'eau de l'abonnée sont les relevés effectués de 10 300 mètres cubes le 16 mars 2017 et de 37 612 mètres cubes le 14 mars 2018 qui aboutissent à déterminer une consommation anormale de 27 312 mètres cubes sur cette période de 305 jours. Le débit est donc de 89,5 mètres cubes par jour ou de 3,73 mètres cubes par heure. Il n'est pas incompatible avec le débit maximum de 20 mètres cubes par heure et le débit nominal de 16 mètres cubes par heure mentionnés sur la notice du compteur ATER de diamètre 40 de l'abonné ou le débit nominal compris entre 6 et 10 mètres cubes par heure figurant sur la certification d'approbation CEE.

Le tribunal a également relevé que le temps nécessaire pour évacuer un volume de 26 772 mètres cubes par un tuyau de diamètre 40 mm était de quatre mois, soit un mois de plus que le temps écoulé entre le 11 octobre 2017 et le 15 janvier 2018. Cependant, l'index de consommation au 11 octobre 2017 n'étant qu'une estimation, il convient de procéder au calcul du volume d'eau écoulé à partir de la date du dernier relevé au 16 mars 2017. Ainsi c'est un volume de 27 312 mètres cubes qui doit être pris en considération. Si on considère comme l'a fait le tribunal que la canalisation litigieuse permet un débit maximum de 9 mètres cubes par heure, soit de 216 mètres cubes par jour, il faut 126 jours pour évacuer un volume de 27 312 mètres cubes d'eau, soit un peu plus de quatre mois. Il n'est donc nullement impossible qu'un tel volume d'eau ait pu s'écouler sur la période considérée de dix mois du 16 mars 2017 au 15 janvier 2018.

Dans ces circonstances, la preuve d'un dysfonctionnement du compteur n'est pas rapportée, pas plus que l'invraisemblance du lien de causalité entre la surconsommation et la fuite constatée avant compteur en janvier 2018.

Par conséquent, le caractère indu de la somme de 44 299,51 euros payée au distributeur d'eau au titre de sa facture du 14 mars 2018, après le dégrèvement de 26 336 mètres cubes accordé, n'est pas démontré. La société viticole intimée doit donc être déboutée de ses prétentions et le jugement déféré infirmé.

Il n'y a pas non plus lieu de faire droit à la demande en paiement présentée par le distributeur d'eau qui a été réglé de sa facture.

4) Sur les frais du procès

L'intimée qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'appelante et de lui allouer une indemnité de 2 500 euros, à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Déboute la S.A.S. Vignobles Jérôme Quiot de sa demande en remboursement de la somme de 44 299,51 euros

Déboute également la S.A.S. Suez Eau France de sa demande en paiement de la somme de 44 299,51 euros

Y ajoutant,

Condamne la S.A.S. Vignobles Jérôme Quiot aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Condamne la S.A.S. Vignobles Jérôme Quiot à payer à la S.A.S. Suez Eau France une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/01344
Date de la décision : 12/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-12;21.01344 ?
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