COUR D'APPEL DE NOUMÉA
12
Arrêt du 10 Avril 2013
Chambre sociale
Numéro R. G. :
12/ 165
Décision déférée à la cour :
rendue le : 13 Mars 2012
par le : Tribunal du travail de NOUMEA
Saisine de la cour : 16 Avril 2012
PARTIES DEVANT LA COUR
APPELANTE
LA PROVINCE SUD, représentée par son Président en exercice
Hôtel de la Province-9 route des Artifices-Baie de la Moselle-BP. L1-98849 NOUMEA CEDEX
Concluante
INTIMÉE
Mme Anne X... épouse Y...
née le 05 Décembre 1970 à MAISONS ALFORT (94700)
demeurant...-98800 NOUMEA
représentée par la SELARL BRIANT
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Mars 2013, en audience publique, devant la cour composée de :
Jean-Michel STOLTZ, Conseiller, président,
Christian MESIERE, Conseiller,
Régis LAFARGUE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Jean-Michel STOLTZ, Conseiller, ayant présenté son rapport.
Greffier lors des débats : Mikaela NIUMELE
ARRÊT : contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Jean-Michel STOLTZ, président, et par Stéphan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Par un jugement rendu le 13 mars 2012 auquel il est renvoyé pour l'exposé de l'objet du litige, le rappel des faits et de la procédure, les prétentions et les moyens des parties, le tribunal du travail de Nouméa a :
- dit que Mme Anne Y... était soumise à un statut de droit privé et que le litige était de la compétence du tribunal du travail,
- dit que la province sud avait procédé à un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse,
- constaté que la province sud ne proposait pas la réintégration de la requérante,
en conséquence,
- condamné la province sud, en la personne de son président, à payer à Mme Anne Y... les sommes suivantes :
840 148 F CFP au titre du préavis,
84 014 F CFP au titre des congés payés afférents,
3 360 000 F CFP à titre de dommages-intérêts,
- dit que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter de la première requête sur les créances salariales,
- dit que la somme octroyée à titre de dommages-intérêts porterait intérêts au taux légal à compter du jugement,
- fixé à la somme de 420 074 F CFP la moyenne des trois derniers mois de salaire,
- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 50 % de la somme octroyée à titre de dommages-intérêts,
- condamné la province sud à payer à Mme Anne Y... la somme de 130 000 F CFP au titre des frais irrépétibles,
- débouté les parties de leurs autres demandes.
PROCÉDURE D'APPEL
Par requête valant mémoire ampliatif déposée au greffe le 16 avril 2012, écritures auxquelles il est expressément référé pour le détail de l'argumentation et des moyens, la province sud a interjeté appel de cette décision notifiée le 14 mars 2012 et sollicite de la cour :
à titre principal,
- d'annuler le jugement du 13 décembre 2012 et de se déclarer incompétent,
à titre subsidiaire,
- d'annuler les condamnations pécuniaires prononcées à son encontre.
**********************
Par conclusions enregistrées au greffe de la cour le 22 août 2012 complétées par un dépôt de pièces du 31 août 2012, écritures auxquelles il est expressément référé pour le détail de l'argumentation et des moyens, Mme Y... sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et la condamnation de la province sud à lui payer la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.
L'affaire a été fixée à l'audience du 6 mars 2013 par ordonnance du 6 novembre 2012.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que Mme Y... a été recrutée par arrêté no6584/ DRH en date du 3 juillet 2008 en qualité de collaboratrice de cabinet auprès du président de l'assemblée de la province sud à compter du 20 juin 2008 ;
Que par arrêté no10571-2009 en date du 9 juin 2009 qui a abrogé celui du 3 juillet 2008, elle a été recrutée en qualité de collaboratrice de cabinet auprès du deuxième vice-président de l'assemblée de la province sud à compter du 15 mai 2009 ;
Que, par courrier en date du 16 novembre 2010, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 30 novembre 2010 ;
Que, par courrier du 22 décembre 2010, la province sud a mis fin à ses fonctions pour perte de confiance ; que, par titre délivré le 28 janvier 2011, diverse indemnités lui ont été versées ;
Que, par requête introductive d'instance du 29 mars 2011, Mme Y... a saisi le tribunal du travail d'une demande tendant à voir déclarer son licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse et à obtenir, à titre principal, sa réintégration avec dommages-intérêts, à titre subsidiaire, la condamnation de la province sud au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts ;
Que la province sud a soulevé in limine litis l'incompétence de la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative ;
Que, par jugement du 13 mars 2012 ci-avant rappelé, le tribunal du travail s'est déclaré compétent, a jugé le licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse et a condamné la province sud à payer diverses sommes à la demanderesse ;
Qu'en appel, la province sud soutient son exception d'incompétence, subsidiairement demande à la cour de saisir le tribunal administratif d'une question préjudicielle, très subsidiairement, maintient que la procédure est régulière et le licenciement légitime ;
Sur la compétence des juridictions judiciaires :
Attendu que la province sud fait valoir :
- que par une technique rédactionnelle légale, la délibération de la province no10-99/ APS du 15 juin 1999 a fait sienne l'intégralité des dispositions de la délibération du congrès no100/ CP du 20 septembre 1996,
- que les délibérations du congrès no100/ CP du 20 septembre 1996 et no17 du 3 septembre 1999 ne pouvaient créer de statut de droit public en raison de l'incompétence de l'autorité qui les a adoptées,
- qu'elle avait compétence sur le fondement de l'article 179 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, éclairé par les travaux préparatoires, pour créer des catégories de contractuels de droit public,
- que les dispositions de la délibération no100/ CP du 20 septembre 1996 ayant été jugées comme contenant des éléments constitutifs d'un statut de droit public, sa délibération no10-99/ APS du 15 juin 1999 doit être considérée comme instituant un statut de droit public,
- qu'à défaut, la cour d'appel devrait saisir le tribunal administratif d'une question préjudicielle ;
Sur quoi,
Attendu que la province sud est mal fondée à soutenir l'incompétence des juridictions judiciaires ;
Attendu que la situation de Mme Y... recrutée en qualité de collaboratrice de cabinet par arrêté en date du 9 juin 2009 doit être analysée au regard de la délibération de la province sud no10-99/ APS du 15 juin 1999 ;
Que l'article Lp. 11-3 du code du travail aux termes duquel " Les collaborateurs des membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, les collaborateurs de cabinet, les collaborateurs d'élus ou groupes d'élus des institutions et collectivités territoriales relèvent d'un statut de droit public au sens du présent code " créé par la loi du pays no2010-10 du 27 juillet 2010 ne lui est pas applicable, son article 2 prévoyant même expressément que " les personnels recrutés avant l'entrée en vigueur de la présente loi du pays restent soumis aux modalités selon lesquelles ils ont été recrutés jusqu'au terme prévu lors de leur recrutement " ;
Attendu que par deux décisions du 17 décembre 2007 (A...c/ Congrès de la Nouvelle-Calédonie) puis du 28 février 2011 (Mme B... c/ Nouvelle-Calédonie) le tribunal des conflits a jugé que les délibérations du congrès de la Nouvelle-Calédonie no100/ CP du 20 septembre 1996 et no17 du 3 septembre 1999 ne pouvaient créer de statut de droit public en raison de l'incompétence de l'autorité qui les avait adoptées, les principes directeurs du droit du travail fixés par l'ordonnance no 85-1181 du 13 novembre 1985 étant de la compétence de l'Etat jusqu'au 31 décembre 1999 ;
Attendu que le même vice affecte la délibération provinciale no10-99/ APS du 15 juin 1999 ;
Qu'en effet, si l'article 179 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie a donné à la province sud la possibilité de créer des emplois de contractuels, il s'impose de constater qu'aux termes de l'article 25 de la loi, la province sud ne pouvait exercer les compétences qu'elle tenait de la loi qu'à compter du 1er janvier 2000 ; Qu'au 15 juin 1999 cette compétence ne lui avait pas encore été transférée ;
Qu'au surplus, les transferts de compétence n'ont pu avoir pour effet de rendre légales des décisions entachées d'illégalité ab initio ;
Que le transfert de compétence à la Nouvelle-Calédonie des principes directeurs du droit du travail n'ayant été effectif qu'au 1er janvier 2000, il incombait à cette collectivité de prendre de nouveaux textes ce qu'elle n'a fait qu'en 2010 ;
Que la délibération de la province, en visant expressément la délibération du congrès no100/ CP du 20 septembre 1996 jugée illégale, a donc pris une délibération souffrant du même vice ;
Qu'il s'ensuit que la délibération no10-99/ APS du 15 juin 1999 de la province sud qui a été prise antérieurement au 1er janvier 2000, date à laquelle a été transférée à la Nouvelle-Calédonie la compétence en matière de principes directeurs du droit du travail, et aux provinces la possibilité de créer des emplois de contractuels, n'a donc pas eu pour effet, à l'instar de la délibération no100/ CP du 20 septembre 1996, nonobstant ses dispositions, de soumettre Mme Y... à un statut de droit public au sens de l'article 1er de l'ordonnance de 1985, alors en vigueur ;
Que cette analyse découlant directement des décisions prises par le tribunal des conflits, il n'en résulte aucune nécessité de saisir le tribunal administratif d'une question préjudicielle ;
Que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a dit que Mme Anne Y... était soumise à un statut de droit privé et que le litige était de la compétence du tribunal du travail ;
Sur le licenciement :
Sur la régularité de la procédure de licenciement
Attendu que la province sud fait valoir que la lettre de convocation répond aux exigences de l'article Lp. 122-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie et ne présume pas de la décision de licenciement ;
Que Mme Anne Y... soutient au contraire que les termes de cette convocation établissent que la décision de la province sud était déjà prise ;
Attendu que selon l'article Lp. 122-4 susvisé l'employeur qui envisage un licenciement convoque le salarié par une lettre qui indique l'objet de la convocation ;
Mais attendu que la lettre de convocation est ainsi rédigée : " Je vous informe que j'ai décidé de mettre fin à vos fonctions de collaboratrice de cabinet pour perte de confiance " ; qu'il ne s'agit pas d'un licenciement " envisagé " mais décidé, le motif en étant même indiqué ;
Que la procédure est donc irrégulière ainsi que l'a jugé le tribunal du travail ;
Sur la légitimité du licenciement
Attendu que tout licenciement doit être motivé par un écrit dont les termes fixent les limites du litige ;
Attendu que la lettre de licenciement vise la perte de confiance sans autre explicitation ;
Attendu que pour la province sud, cette perte de confiance réside dans le fait qu'au lieu de travailler à la province sud auprès du deuxième vice-président, Mme Y... travaillait comme collaboratrice du vice-président du congrès ;
Mais attendu que le grief n'est qu'affirmé et que sa réalité qui est contestée ne résulte d'aucune pièce produite ;
Qu'au surplus, la perte de confiance ne peut constituer en elle-même une cause réelle et sérieuse de licenciement lequel doit se fonder sur des éléments objectifs non établis en l'espèce ;
Que le jugement déféré sera donc, là également, confirmé en ce qu'il a dit que la province sud avait procédé à un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ;
Sur le montant des dommages-intérêts
Attendu que la province sud fait valoir qu'il appartient à Mme Y... d'apporter la preuve de son préjudice ;
Attendu qu'aux termes de l'article Lp. 122-35 du code du travail, le juge octroie au salarié qui fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois ;
Que cette indemnité est fixée en tenant compte notamment de l'ancienneté et des conditions de la rupture ;
Attendu que le tribunal, par des motifs appropriés que la cour adopte, a procédé à cet égard à une appréciation mesurée, tenant compte de l'ancienneté de la salariée et des conditions irrégulières et brutales de son licenciement, qui sera confirmée ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire déposé au greffe ;
Dit l'appel recevable ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Condamne la province sud, prise en la personne de son président, à payer à Mme Anne Y... la somme de deux cent cinquante mille (250. 000) FRANCS CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.
Le greffier, Le président,