No 31
RG 39/ Terre/ 09
Copie exécutoire délivrée à Me Oputu le 25. 03. 2011.
Copie authentique délivrée à Me Antz le 25. 03. 2011. REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 20 janvier 2011
Monsieur Pierre MOYER, conseiller à la Cour d'Appel de Papeete, assisté de Madame Maeva SUHAS-TEVERO, greffier ;
En audience publique tenue au Palais de Justice ;
A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :
Entre :
- Madame Marie-Louise X..., née le 13 décembre 1938 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;- Madame Angélique Terai X..., née le 26 mars 1941 à..., de nationalité française, demeurant à ... ;- Monsieur Rodrigue Mai Tematuanui X..., né le 27 août 1942 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;- Monsieur Patrick Fiu X..., né le 10 septembre 1945 à..., de nationalité française, demeurant à... ;- Monsieur Roméo Tevaeura Uuru X..., né le 22 décembre 1945 à..., de nationalité française, demeurant à... ;- Madame Eliane Tuianu X..., née le 7 avril 1948 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;- Monsieur Noël Georges Tati X..., né le 13 septembre 1949 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;- Monsieur Fred Paruru X..., né le 1er janvier 1951 à..., de nationalité française, demeurant à... ;- Mademoiselle Eugénie Terautahi X..., née le 3 août 1952 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;- Monsieur Cyril Jacques Ariihere X..., né le 27 septembre 1953 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;- Monsieur François Ariinauta Ronald X..., né le 5 mai 1957 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;- Monsieur Clément Elie Tahiarua X..., né le 23 juillet 1960 à Papeete, de nationalité française, demeurant à... ;
Appelants par requête en date du 26 janvier 2009, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'Appel le 27 janvier 2009, sous le numéro de rôle 09/ 00039, ensuite d'un jugement o 224/ ADD du Tribunal Civil de première instance de Papeete-chambre des Terres en date du 17 décembre 2008 ;
Représentés par Me Dominique ANTZ, avocat au barreau de Papeete ;
d'une part ;
Et :
- Madame Marie L... épouse M..., née le 22 mai 1950 à..., de nationalité française, demeurant à...... ;
- Monsieur Claude M..., né le 15 septembre 1967 à Papeete, demeurant...... ;
- Monsieur Teiva M..., né le 21 avril 1979 à Papeete, de nationalité française, demeurant à......... ;
- Monsieur Parauore dit Papua L..., né le 4 juin 1917 à..., de nationalité française, décédé ;
- Monsieur Punauta dit Puatoro L..., né le 19 mars 1916 à..., de nationalité française, décédé ;
Intimés ;
Représentés par Me Lorna OPUTU, avocat au barreau de Papeete ;
d'autre part ;
Après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 4 novembre 2010, devant M. SELMES, président de chambre, M. MOYER et M. RIPOLL, conseillers, assistés de Mme SUHAS-TEVERO, greffier, le prononcé de l'arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
A R R E T,
I-EXPOSE DES ELEMENTS NECESSAIRES A LA COMPREHENSION DU LITIGE ET A SA SOLUTION :
1- Exposé des faits et des procédures antérieures :
Le litige concerne la terre TUPAFENUA, sise à..., cadastrée section AO no 35.
Par jugement du 4 novembre 1992, le Tribunal de première instance de Papeete a notamment, dans un litige qui opposait Mme Tuane Célestine Q... veuve R... aux consorts Tuianu T... veuve X... et François X... :
- débouté Mme Q... Tuane Célestine de sa revendication de la propriété de la moitié de la terre TUPAFENUA sise à... (procès-verbal 208) ;
- dit que Tuianu T... veuve X... et François X... sont propriétaires par prescription trentenaire de la totalité de la superficie de la terre TUPAFENUA.
2- Résumé des demandes initiales et de la décision déférée :
Par requête reçue Ie 28 février 2007, et exploit d'huissier des 23 et 24 février 2007, les consorts X... ont fait assigner devant le Tribunal de première Instance de Papeete les consorts M...- L....
Ils ont demandé au tribunal de :
- ordonner leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef, de la terre TUPAFENUA, sise à..., cadastrée section AO no 35, sous astreinte de 100 000 FCP par jour de retard, avec Ie concours de la force publique ;
- les autoriser à faire procéder à la démolition des constructions des défendeurs un mois après la signification de I'ordonnance à intervenir ;
- les condamner au paiement de la somme de 150 000 FCP au titre des frais irrépétibles.
A I'appui de leurs prétentions, les consorts X... ont fait valoir que Tuianu T... et Alexandre X..., aux droits desquels ils viennent, ont été déclarés propriétaires de la terre TUPAFENUA sise à..., cadastrée no 35, section AO par Ie jugement du Tribunal de Première Instance de Papeete du 4 novembre 1992. Ils ont exposé que les défendeurs, qui avaient obtenu I'autorisation de Tuianu T... et d'Alexandre X... de résider sur Ie terrain, refusent de quitter les lieux et revendiquent des droits de propriété.
Les consorts M...- L... se sont opposés à cette demande. Ils ont formé tierce opposition à I'encontre du jugement du Tribunal de Première Instance de Papeete, prononcé Ie 4 novembre 1992, déclarant Tuianu X... et François X... propriétaires par prescription trentenaire de la terre UPAFENUA ou TUPAFENUA sise à....
Ils ont fait valoir que Cyril X... avec des hommes de main a pénétré sur la terre en cause Ie 25 mai, 5 et 6 juin 2007 pour y commettre des dégradations et pour y ériger des constructions. Ils ont ajouté qu'ils occupaient la terre depuis environ cent ans.
Ils ont demandé au Tribunal de :
- déclarer recevable leur tierce opposition,
et statuant à nouveau,
- de les déclarer propriétaires exclusifs par prescription trentenaire de la terre en cause,
- d'ordonner I'expulsion de M. Cyril X... et de tous occupants de son chef, sous astreinte de 1. 000. 000 FCFP par jour de retard, à compter du jugement à intervenir, avec Ie concours de la force publique,
- de Ie condamner à remettre les lieux en état, et notamment de détruire un mur de tôle de 2, 50 mètres,
- de désigner un expert aux fins d'évaluer leurs pertes matérielles subies du fait de M. Cyril X...,
- de Ie condamner au paiement d'une somme de 300. 000 FCP au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens.
Par décision en date du 17 décembre 2008, le Tribunal de première instance de Papeete a notamment, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et avant dire droit :
- reçu la requête en tierce opposition formée à I'encontre du jugement du 4 novembre 1992,
Avant dire droit,
- autorisé les consorts M...- L... à faire la preuve par voie d'enquête de ce qu'ils ont usucapé la terre TUPAFENUA sise à..., cadastrée n o35, section AO ;
- autorisé les consorts X... à faire la preuve contraire ;
- ordonné une enquête confiée à Christian DUBOUCH, Juge du Tribunal de Première Instance de Papeete, aux fins d'entendre les témoins dénoncés par les parties sur Ie point de savoir qui, depuis quand, dans quelles conditions et selon quelles modalités au regard notamment des dispositions de I'article 2229 du Code civil a occupé ou occupe encore la totalité de la surface des terres sus-indiquées.
3- Exposé succinct de la présente procédure :
Par requête déposée au greffe le 27 janvier 2009, les consorts Marie-Louise X..., Angélique Terai X..., Rodrigue Mai Tematuanui X..., Patrick Fiu X..., Romeo Tevaeura Ururu X..., Eliane Tuianu X..., Noël Georges Tati X..., Fred Paruru X..., Eugénie Terautahi X..., Cyril Jacques Ariihere X..., Francis Ariinauta Ronald X... et Clément Elie Tahiarua X... ont interjeté appel de cette décision.
Punauta dit Puatoro L... est décédé. Il est représenté par sa fille, Marie L... épouse M.... Claude M... et Teiva M... sont les enfants de Marie L... épouse M....
Parauore dit Papua L... est décédé.
Les consorts L... étaient représentés à l'instance.
La procédure a été clôturée le 13 août 2010.
4- Résumé des moyens et exposé des prétentions des parties :
A-Exposé des prétentions et résumé des moyens de Marie-Louise X..., Angélique Terai X..., Rodrigue Mai Tematuanui X..., Patrick Fiu X..., Romeo Tevaeura Ururu X..., Eliane Tuianu X..., Noël Georges Tati X..., Fred Paruru X..., Eugénie Terautahi X..., Cyril Jacques Ariihere X..., Francis Ariinauta Ronald X... et Clément Elie Tahiarua X... :
Ils demandent à la Cour de : " infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Déclarer les demandes des intimées irrecevables et infondées ; Les débouter de toutes leurs demandes ; Adjuger aux consorts X... le bénéfice de l'intégralité de leurs demandes ; Condamner les intimés aux entiers dépens sous distraction d'usage et au bénéfice de Maître Dominique ANTZ ; "
Au soutien de leur appel, ils reprennent les moyens et arguments soulevés devant le premier juge et ils précisent :
- qu'ils interviennent au nom de la succession de Mme Tuianu T... veuve X... et de M. Alexandre Purerau X... ;
- que les intimés n'ont jamais saisi la Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière, ce qui rend leur revendication irrecevable ;
- que la tierce-opposition aurait dû être engagée contre I'ensemble des parties du jugement du 4 novembre 1992 ;
- qu'ils apportent la preuve qu'ils sont propriétaires par titre et par dévolution successorale de la parcelle litigieuse ;
- que dans une précédente procédure, Ie Tribunal avait retenu Ie témoignage de M. Parauore L... qui déclarait être né sur la parcelle et l'avoir occupé avec ses cinq frères et s œ urs, déclarant que son père et sa mère, puis lui-même et ses frères et s œ urs y avaient été placés par la mère de François X... pour Ie compte de celle-ci ; que M. Parauore L... ne pouvait donc pas prétendre devant le premier juge qu'il avait occupé la terre litigieuse en son nom propre ;
- que l'enquête ordonnée est donc inutile puisque manifestement vouée à l'échec ;
- que cette terre a déjà fait l'objet de plusieurs jugements, l'un en date du 7 novembre 1979 l'autre en date du 4 novembre 1981, desquels il ressort qu'ils sont bien propriétaires de la terre litigieuse ;
- que par ailleurs, M. Parauoe L... avait saisi la Commission de conciliation en matière foncière au sujet de cette terre ; que la Commission avait alors constaté la conciliation des parties sur les points suivants :. M. Parauoe L... reconnaît Ie droit de propriété de M. François X... et renonce à sa demande en usucapion ;
. M. François X... donne son accord pour que M. Parauoe L... obtienne une maison OPH en remplacement de la maison vétuste qu'il occupe sur la terre TUPAFENUA. II pourra y habiter jusqu'a son décès et après celui-ci la maison reviendra à M. François X... ;
- que l'attestation du pasteur n'apporte rien au débat.
B-Résumé des moyens et exposé des prétentions des consorts L... :
Ils demandent à la Cour de :
« confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ; Débouter les consorts X... de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; Condamner les consorts X... à payer aux consorts L... et M... la somme de 330. 000 FCFP en application des dispositions de l'article 407 du Code de procédure civile local ; Les condamner aux entiers dépens avec distraction d'usage au profit du Conseil soussigné. »
Au soutien de leurs demandes, ils reprennent les moyens et arguments soulevés devant le premier juge et ils précisent :
- qu'ils ont toujours occupé la terre litigieuse et leurs parents avant eux et que c'est donc à tort que les consorts X... prétendent qu'ils y auraient été autorisés par Mme Tuianu X..., longtemps maire de la commune de..., alors que leurs ancêtres Teraitetia L... et Peeiho a TEURA vivaient déjà sur cette terre à une date où Mme Tuianu X... n'était pas encore née ;
- qu'ils sont été trompés par les consorts X... qui « se sont bien gardés de leur expliquer les incidences juridiques relatives à la qualité de gardiens de la terre » ;
- qu'ils justifient de leur occupation quasi centenaire de la terre litigieuse notamment par les attestations de M. Eugène AA..., ancien maire de la commune et de M. Bruno BB..., maire actuel de ladite commune ;
- que contrairement à ce qu'ils prétendent, les consorts X... ne justifient pas qu'ils sont propriétaires par titre ;
- qu'en ce qui concerne les témoignages recueillis lors d'une précédente enquête, il convient de rappeler que préalablement à l'arrivée du magistrat saisi de l'affaire, sur la terre litigieuse, « M. X... avait pris à partie les frères Parauore et Punauta L... pour que ceux-ci se présentent comme gardien des lieux et avait promis en échange qu'une maison neuve serait édifiée pour l'ensemble de la famille, ce qui n'a jamais été » ; que M. Parauore L... s'était confié à l'époque au pasteur de la paroisse protestante de... qui en a attesté.
II-DISCUSSION :
1- A propos de la recevabilité de l'appel :
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée ; en outre, l'appel a été interjeté dans les conditions et selon les délais prévus aux articles 327 et suivants du nouveau code de procédure civile de Polynésie Française. L'appel est donc recevable.
2- A propos de la tierce opposition :
Il s'agit en l'espèce d'une tierce-opposition incidente formée au cours d'un procès pour contester un jugement opposé par une partie à une autre qui n'était pas présente à la procédure ayant conduit à la décision. La tierce-opposition incidente doit être présentée de la même manière que les demandes incidente c'est-à-dire obligatoirement par conclusions aucun délai n'étant prévue par les textes.
En l'espèce c'est à juste titre et par des motifs que la cour adopte, que le premier juge a déclaré recevable la tierce-opposition incidente formée par les consorts L... dans les règles.
3- A propos de l'enquête :
En application de l'article 2262 du code civil, l'usucapion n'exige de celui qui s'en prévaut qu'une possession trentenaire présentant les conditions requises par l'article 2229 du code civil. La cour de cassation a jugé que si les juges du fond disposent en principe d'un pouvoir souverain pour apprécier la pertinence d'une offre de preuve et l'opportunité d'une mesure d'instruction, il en est autrement lorsque les faits articulés, si leur existence était établie, auraient légalement pour conséquence inéluctable de justifier la demande. Par suite, la Cour d'appel ne peut refuser l'enquête sollicitée par une partie en vue d'établir que celle-ci est devenue propriétaire de parcelles par prescription acquisitive trentenaire alors que l'usucapion invoquée, si elle avait été prouvée, eût été de nature à justifier à elle seule les prétentions de cette partie concernant lesdites parcelles et la Cour ne peut se borner à déclarer que, n'étant pas établies, les allégations de cette dernière ne sont pas suffisantes pour envisager une mesure d'instruction.
La mesure d'enquête ne préjudicie pas au fond ; elle permettra aux parties de s'exprimer et les appelants ne peuvent pas invoquer l'urgence alors qu'ils ont attendu 2006 pour faire exécuter une décision de 1992.
Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée de ce chef.
4- A propos des demandes fondées sur les dispositions de l'article 407 du nouveau code de procédure civile de Polynésie française :
Il paraît inéquitable de laisser à la charge des consorts L... tous les frais qu'ils ont exposés en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; les consorts X... devront leur verser à ce titre la somme de 100. 000 FCFP.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
Déclare l'appel recevable ;
Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Marie-Louise X..., Angélique Terai X..., Rodrigue Mai Tematuanui X..., Patrick Fiu X..., Romeo Tevaeura Ururu X..., Eliane Tuianu X..., Noël Georges Tati X..., Fred Paruru X..., Eugénie Terautahi X..., Cyril Jacques Ariihere X..., Francis Ariinauta Ronald X... et Clément Elie Tahiarua X... à payer à Marie L... épouse M..., Claude M... et Teiva M... la somme de CENT MILLE (100. 000) FRANCS PACIFIQUE en application de l'article 407 du nouveau code de procédure civile de Polynésie française ;
Condamne Marie-Louise X..., Angélique Terai X..., Rodrigue Mai Tematuanui X..., Patrick Fiu X..., Romeo Tevaeura Ururu X..., Eliane Tuianu X..., Noël Georges Tati X..., Fred Paruru X..., Eugénie Terautahi X..., Cyril Jacques Ariihere X..., Francis Ariinauta Ronald X... et Clément Elie Tahiarua X... aux dépens avec distraction au profit de Maître OPUTU qui déclare en avoir fait l'avance.
Prononcé à Papeete, le 20 janvier 2011.
Le Greffier, Le Président,
Signé : M. SUHAS-TEVERO Signé : JP. SELMES