N° 33
MF B
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Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Jacquet,
le 10.02.2023.
Copie authentique délivrée à :
- Me Vergier,
le 10.02.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 9 février 2023
RG 21/00119 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 18, rg n° 2019 00734 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 29 janvier 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 1er avril 2021 ;
Appelante :
La Société Poisson du Fenua, société civile d'exploitation aquacole, au capital de 200 000 FCP, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° Tpi 1367 - C, identifiée au répertoire des entreprises sous le n° Tahiti A 69473, dont le siège social est sis à [Adresse 1], représentée par on gérant : M. [D] [N] ;
Représentée par Me Thierry JACQUET, avocat au barreau de Papeete ;
Intimée :
La Société Technimarine, société à responsabilité limitée, au capital de 21 200 000 FCP immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° Tpi 95 139 B, identifiée au répertoire territorial des entreprises sous le n° Tahiti 331785, dont le siège social est [Adresse 2] ;
Représenté par Me Jean-Michel VERGIER, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 12 août 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 10 novembre 2022, devant Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL et Mme SZKLARZ, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Par requête du 1er juillet 2019, la société civile d'exploitation aquacole POISSON DU FENUA a sollicité la condamnation de la société TECHNIMARINE à lui payer les frais de réparation d'un thonier palangrier qu'elle déclare lui avoir commandé et qui aurait été rapidement affecté de problèmes techniques structurels, outre une indemnisation au titre de sa perte d'exploitation.
En défense, la société TECHNIMARINE a opposé des nullités et fin de non-recevoir .
Suivant jugement n° 2021/15 rendu contradictoirement le 29 janvier 2021 (RG 2019 734), le tribunal mixte de commerce de Papeete a rejeté les exceptions de nullité et de fin de non recevoir présentées par la société TECHNIMARINE, puis l'a condamnée à payer à la société POISSON DU FENUA les sommes de 5'331'041 Fcfp au titre du montant des frais de réparation du navire outre celle de 339'000 Fcfp représentant les frais irrépétibles outre les dépens.
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Suivant requête reçue au greffe le 1er avril 2021, la société POISSON DU FENUA a relevé appel de la décision susvisée et, en ses conclusions récapitulatives du 10 février 2022, elle entend voir la cour,
Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les exceptions soulevées par la société TECHNIMARINE et en ce qu'il a condamné au paiement de sommes,
L'infirmant pour le surplus et, statuant à nouveau,
' dire et juger que le navire livré par la société TECHNIMARINE est affecté par des défauts de conception et des malfaçons ayant entraîné de nombreux dysfonctionnements et pannes, et qu'ainsi l'intimée lui doit sa garantie contractuelle,
' à titre subsidiaire, dire et juger que la société TECHNIMARINE a manqué à son obligation de délivrance,
' en toute hypothèse, dire et juger qu'en matière maritime, l'armateur n'étant jamais déclaré de la même spécialité que le chantier, les clauses excluant ou limitant la garantie ne peuvent pas être utilement invoquées par le chantier (la société TECHNIMARINE),
En conséquence,
' dire et juger que la société TECHNIMARINE lui doit une réparation intégrale de son préjudice puis la condamner à lui verser,
une somme de 13'174'756 Fcfp au titre de la perte des exploitations
une somme de 1'920'000 Fcfp au titre de la perte des loyers suite à la fermeture de la poissonnerie
une somme de 12'864'433 Fcfp au titre des préjudices divers résultant de la fermeture de la poissonnerie,
une indemnité de procédure de 339'000 Fcfp pour les frais irrépétibles d'appel outre les entiers dépens.
En ses conclusions du 3 décembre 2021, la société TECHNIMARINE entend voir la cour, infirmant le jugement entrepris sur le rejet de la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt et de droit d'agir de la société POISSON DU FENUA et subsidiairement, celle tenant à la forclusion de l'action, puis statuant à nouveau, retenir ces fins de non recevoir,
Subsidiairement, au fond,
' constater l'absence de défaut de conformité et infirmer le jugement car la société POISSON DU FENUA ne rapporte pas la preuve des dysfonctionnements techniques qu'elle invoque, et subsidiairement l'infirmer par application des articles 1101 et 1604 du Code civil et 19 du contrat,
' en tout état de cause, condamner la société POISSON DU FENUA à lui verser une indemnité de procédure de 339'000 Fcfp en plus des dépens.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. Pour l'exposé des moyens des parties, tel que requis par les dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, il sera renvoyé à la motivation ci-après à l'effet d'y répondre.
MOTIFS DE LA DECISION :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de ' dire et juger' ou de 'constater' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.
Sur les fins de non-recevoir invoquées par la société TECHNIMARINE :
Le 22 octobre 2013, la société POISSON DU FENUA a acquis auprès de la société TECHNIMARINE, constructeur naval, un thonier palangrier moyennant le prix de 112 600 000 Fcfp . Le navire livré le 22 décembre 2015, a été mis en exploitation le 20 janvier 2016 par la société POISSON DU FENUA qui, dès la première campagne de pêche, a dénoncé des dysfonctionnements du thonier et qui a donc fait établir plusieurs rapports d'avarie entre 2016 et 2019. La société TECHNIMARINE a effectué des travaux dans le cadre de la garantie constructeur prévue au contrat - sans d'ailleurs contester la qualité de la société POISSON DU FENUA à invoquer cette garantie- mais les pannes et dysnfonctionnements ont continué . La société POISSON DU FENUA qui n'a pu obtenir le règlement du différend à l'amiable, a décidé d'engager une action contre sa venderesse.
L'intimée fait valoir en premier lieu que la société POISSON DU FENUA n'est pas propriétaire du thonier palangrier litigieux qu'elle a vendu à la SNC DROUOT C27.
Cependant, le tribunal a parfaitement motivé sa décision en retenant que le litige ayant pour cause le contrat signé par les deux parties, la société POISSON DU FENUA avait qualité pour agir, étant observé qu'il est justifié au dossier de ce qu'elle est dorénavant immatriculée auprès des Douanes comme l'une des propriétaires du bateau dont elle est également l'exploitante.
La société POISSON DU FENUA n'a pas obtenu gain de cause sur toutes ses prétentions en première instance de sorte qu'elle était en droit de former appel du jugement.
La société TECHNIMARINE soutient en second lieu que la forclusion de l'action lui est acquise depuis le 21 avril 2017.
La requête introductive d'instance du 1er juillet 2019 fonde l'action de la société POISSON DU FENUA sur les dispositions de l'article 1604 du code civil qui couvre l'obligation de délivrer un bien conforme aux stipulations contractuelles. Ses dernières conclusions visent au principal la violation de l'obligation contractuelle de la société TECHNIMARINE et subsidiairement, le défaut de conformité.
La clause contractuelle (chapitre 19) couvre certains vices cachés et exclut les vices apparents.
Or, la société POISSON DU FENUA n'a pas engagé une action en garantie des vices cachés telle que résultant des articles 1648 et suivants du code civil.
Quoiqu'il en soit, aucune clause contractuelle ne peut faire échec à la garantie légale quand les conditions pour qu'elle soit appliquée, sont remplies.
C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté l'exception de forclusion.
Sur le bien-fondé de l'appel :
La société POISSON DU FENUA fait appel sur le quantum des sommes qui lui ont été allouées par le tribunal en réparation de son préjudice.
La société TECHNIMARINE n'a pas formé appel principal mais demande reconventionnellement à être déchargée de toute responsabilité à l'égard de la société POISSON DU FENUA.
Le tribunal a retenu que l'action est de nature contractuelle et qu'elle est justifiée au regard des éléments du dossier et notamment le rapport de M.[M] mais sans préciser le fondement légal de sa décision.
L'obligation de délivrance définie par les articles 1603 et 1604 du code civil implique que la chose délivrée soit conforme à l'usage habituellement attendu d'un bien semblable. L'acceptation sans réserve du bien par l'acheteur lui interdit de se prévaloir du défaut de conformité.
Cependant, la société POISSON DU FENUA a engagé une action tendant à obtenir le respect de la garantie conventionnelle qui lui était due par son vendeur, la société TECHNIMARINE, et qu'elle n'a pas pu obtenir à l'amiable.
L'article 1134 du code civil applicable en Polynésie française dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
D'après l'article 1147 du même code, le débiteur d'une obligation est condamné à des dommages intérêts à raison de l'inexécution de son obligation, sauf cause étrangère.
En l'espèce, il résulte du rapport de M. [M] qui a examiné le thonier à la demande de la société POISSON DU FENUA ,
- que le thonier Phenix est le premier navire construit par le chantier naval TECHNIMARINE et qu'en raison d'un changement de propriétaire en 2017, le suivi technique du bateau, encore sous garantie contractuelle, a été nécessairement dégradé;
- que les conséquences du défaut d'isolement électrique du groupe électrogène et des fuites de courant provenant de la pompe de barre ne se limitent pas à ces matériels mais ont généré de la corrosion galvanique sur l'ensemble des parties métalliques du navire en contact avec l'eau de mer;
- que le phénomène d'électrolyse est causé par un défaut de conception du chantier naval, qui ne l'a pas pris en compte immédiatement de sorte qu'il s'est poursuivi après l'expiration de la période de garantie.
L'expert a relevé que les actions correctives entreprises avaient mis un terme aux pertes de courant anormales et que le bateau était dorénavant bien entretenu .
Au terme de son rapport, il a chiffré à 4 006 781 Fcfp HT les travaux de remise en état supportés par l'armateur en précisant que la cause des dommages était antérieure à la date de fin de la garantie contractuelle.
La société TECHNIMARINE ne produit pas de pièce de nature à démentir les constatations techniques de M. [M].
En conséquence, le manquement à son obligation contractuelle à l'égard de son acquéreur est suffisamment établi par les éléments du dossier et il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle de la société TECHNIMARINE.
Sur la réparation du préjudice de la société POISSON DU FENUA :
La société TECHNIMARINE ne verse pas au dossier, d'éléments matériels commandant de réformer le jugement l'ayant condamné à payer la somme de 5 331 041 Fcfp représentant le montant des frais justifiés de réparation du thonier.
La cause de l'appel est le rejet de la demande en paiement présentée au titre de la perte d'exploitation.
La société POISSON DU FENUA fait valoir que la société TECHNIMARINE lui doit une réparation intégrale de son préjudice.
Cependant, c'est à juste titre que se prévalant de la violation d'une obligation contractuelle, la société POISSON DU FENUA ne pouvait demander plus que ce que l'accord synallagmatique avait prévu.
En outre, la société POISSON DU FENUA se contredit quand elle réclame le bénéfice de l'accord contractuel et déclare dans le même temps que la clause de garantie n'est pas applicable.
Or, l'indemnisation du poste 'perte d'exploitation' n'est pas stipulée au contrat.
Il en résulte que sa demande d'indemnisation à ce titre doit être rejetée.
S'agissant de ses demandes de dommages intérêts pour la perte alléguée des loyers et de préjudices divers suite à la fermeture de la poissonnerie,ce type de préjudice n'est pas pris en charge par la garantie contractuelle.
La cour observe surabondamment que la seule pièce produite ( 17) pour étayer ces prétentions est établie par un cabinet comptable sur les seules déclaration du gérant de la société POISSON DU FENUA et ne montre pas que la perte de loyers alléguée est en rapport direct et exclusif avec le manquement contractuel reproché à la société TECHNIMARINE.
En conséquence, la cour confirmera le jugement entrepris et déboutera la société POISSON DU FENUA des causes de son appel.
La société TECHNIMARINE restant la partie condamnée en dépit de ses demandes reconventionnelles, elle devra supporter les entiers dépens d'appel et régler en outre, à la société POISSON DU FENUA une indemnité de procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
Vu l'appel principal de la société POISSON DU FENUA,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Déboute la société POISSON DU FENUA des causes de son appel, et la société TECHNIMARINE de ses demandes reconventionnelles,
Vu les articles 406 et 407 du code de procédure civile de Polynésie française,
Condamne la société TECHNIMARINE aux entiers dépens d'appel et au paiement d'une indemnité de procédure de 200 000 Fcfp à la société POISSON DU FENUA au titre des frais irrépétibles d'appel.
Prononcé à Papeete, le 9 février 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : MF BRENGARD