N° 73
NT
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Copies exécutoires
délivrées à :
- Me Gaultier,
- Me Abgrall,
le 10.03.2023.
Copie authentique
délivrée à :
- Me Piriou,
le 10.03.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 9 mars 2023
RG 20/00140 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 20/97, rg n° 19/00226 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 6 mars 2020 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 16 juin 2020 ;
Appelante :
Mme [K] [A] veuve [E], née le [Date naissance 1] 1932 à [Localité 4], de nationalité française, demeurant à [Adresse 7] ;
Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentée par Me Yves PIRIOU, avocat au barreau de Papeete ;
Intimézs :
Mme [R] [Y] [U] [I], demeurant à [Adresse 8] ;
Représentée par Me Brigitte GAULTIER, avocat au barreau de Papeete ;
Mme [L] [B], demeurant à [Adresse 5] ;
Représentée par Me Patrick ABGRALL, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 1er juillet 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 10 novembre 2022, devant Mme TISSOT, vice-président placé auprès du premier président désigné par l'ordonnance n° 83/OD/PP.CA/21 du Premier Président de la Cour d'Appel de Papeete en date du 15 décembre 2021 pour faire fonction de président dans le présent dossier Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL, conseiller qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme TISSOT, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Mme [R] [Y] [U] [I] est propriétaire du lot n°3 du [Adresse 5], cadastré section M [Cadastre 3], sur la commune de [Localité 6], sur laquelle elle a fait édifier une maison d'habitation, auquel elle accède par un chemin pentu.
Mme [K] [E] est propriétaire du lot n°2 du même lotissement, la parcelle cadastrée section M [Cadastre 2], limitrophe de la première et située sensiblement au même niveau.
Par ordonnance du 18 septembre 2017, le juge des référés du Tribunal Civil de Première Instance de PAPEETE a ordonné une expertise confiée à M. [P], à la demande de Mme [R] [Y] [U] [I], qui se plaignait de l'effondrement du talus séparant les deux fonds à la suite des travaux de terrassement entrepris une vingtaine d'années auparavant par sa voisine.
L'expert a déposé son rapport le 7 septembre 2018.
Par jugement réputé contradictoire du 6 mars 2020 auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, le tribunal civil de première instance de PAPEETE a :
- condamné [K] [E] à payer à [R] [Y] [U] [I] la somme de 12.519.534 F CFP au titre des travaux à réaliser, tels que déterminés par l'expert,
- autorisé [R] [Y] [U] [I] à réaliser ou faire réaliser les travaux tels que déterminés par l'expert , en ce compris ceux empiétant sur le fonds de [K] [E],
- enjoint à [K] [E] d'accepter l'emprise résultant de la réalisation d'un mur de soutènement et de laisser l'accès libre au chantier à l'entreprise en charge des travaux de réfection,
- condamné [K] [E] à verser à [R] [Y] [U] [I] la somme de 176.991 F CFP au titre des frais de terrassement pour déblayer les éboulements en janvier 2017,
- condamné [K] [E] à verser à [R] [Y] [U] [I] la somme de 1.000.000 F CFP en réparation de son préjudice moral,
- condamné [K] [E] à verser à [R] [Y] [U] [I] la somme de 350.000 F CFP sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de la Polynésie française, cette somme comprenant les coûts de procès verbal d'huissier,
- condamné [K] [E] aux dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise.
Suivant déclaration d'appel enregistrée au greffe le 16 juin 2020 et dernières conclusions reçues par RPVA au greffe le 5 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et arguments de l'appelant, Mme [K] [E] demande à la cour de :
-la recevoir en son appel,
-lui donner acte de ce qu'elle a cédé sa propriété sise au lot n° 2 du Lotissement,
-infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
-débouter Madame [R] [Y] [U] [I] de l'intégralité de ses fins,
moyens et conclusions,
en tout état de cause,
-dire et juger que la solution de remise en état du talus préconisée par M. [P] n'est techniquement pas satisfaisante et trop onéreuse.
-infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [K] [E] à payer la somme de 12 519 534 FCP à Mme [R] [Y] [U] [I]
-condamner Mme [R] [Y] [U] [I] au paiement de la somme de 350.000 FCP au titre des frais irrépétibles par application de l'article 407 du CPCPF,
-la condamner aux entiers dépens dont distraction d'usage au profit de la SELARL JURISPOL.
Suivant dernières conclusions reçues par RPVA au greffe le 28 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et arguments de l'intimé, Mme [R] [Y] [U] [I] demande à la cour de :
- débouter Mme [E] de son appel, et confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf à réévaluer le coût des travaux de réfection, à la somme totale de 15.579.181 FCP.
en conséquence, condamner Mme [E] à payer à la concluante les sommes de :
- au titre des travaux à réaliser : 15.579.181 FCP,
- au titre des travaux de déblaiement : 176.991 FCP,
- dommages et intérêts pour préjudice moral : 1.000.000 FCP,
- frais irrépétibles de première instance : 350.000 FCP,
- donner acte à la concluante de ce qu'elle a attrait en la cause Mme [B] de sorte que la décision à intervenir lui soit opposable,
- condamner encore Mme [E] à payer à la concluante la somme de 500.000 FCP au titre de ses frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction d'usage.
Suivant conclusions reçues par RPVA au greffe le 6 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et arguments, Mme [L] [B] demande à la cour de :
-vu l'acte de vente du 02 février 2018,
-donner acte à Mme [L] [B] qu'elle autorise tous les travaux utiles et nécessaires à la solution du litige, tels qu'ils seront finalement arrêtés, déterminés et chiffrés,
-condamner Mme [K] [A] veuve [E] à l'indemniser de tous les préjudices qui découleront de l'exécution de ces travaux,
-condamner Mme [K] [A] veuve [E] à lui payer la somme de 300.000 FCP au titre de ses frais irrépétibles,
-condamner le même aux entiers dépens d'appel, dont distraction d'usage.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de l'appel :
la recevabilité de l'appel n'est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la cour d'en relever d'office l'irrégularité.
Sur la responsabilité :
Il est versé aux débats l'expertise de M. [P], ordonnée par référé du18 septembre 2017 qui conclut que le sinistre intervenu les 22 janvier et 03 février 2017, consistant dans l'effondrement du mur de [K] [E], situé sur son fonds, a pour "cause initiale la pente du talus, trop importante, provoquant de petits éboulements année après année et finalement deux éboulements plus importants au début de l 'année 2017.Le recul de la tête du talus est telle que les fondations de la maison de Mme [I] sont maintenant sur le point d'être déchaussées. Les fondations de la maison de Mme [I] sont maintenant menacées. Ce sont la forte pente du talus et l'absence d'ouvrage de soutènement du talus qui sont, à notre avis, les causes de ce sinistre''.
Il n'est pas contesté que Mme [K] [E] était bien la propriétaire du fonds en question au moment du sinistre et par ailleurs il ressort du rapport d'expertise, et des investigations contradictoires menées par l'expert sans que cela soit utilement contesté en appel que la forte pente du talus résulte de terrassements importants réalisés par Mme [E], afin de modifier la pente du chemin d'accès à son lot, qui ne lui convenait pas.
Défaillante en première instance bien que régulièrement assignée, Mme [K] [E] produit en appel 'un avis technique de geotechnicien' réalisé par M. [F] le 4 juillet 2019 dont les conclusions contestent celles de l'expert nommé et qui sont les suivantes : 'Pas de distinction de la partie inférieure et de la partie supérieure du talus de caractéristiques géométrique et mécanique différentes : la partie inférieure compacte et cohérente permet un raidissement de la partie inférieure sans nécessité de soutènement comme en témoigne la prolongation du talus coté route.
- Absence de protection superficielle de la partie haute du talus taillée dans des formations plus lâches et peu coherentes générant des chutes de matériaux sur le lot 2.
- Surélévation du mur qui permet une accumulation plus importante des matériaux issus de l'érosion du haut du talus : la poussée sur le mur est proportionnelle au carré de la hauteur du mur.
- Présence d'une cuve d'eau en tête de talus apportant une surcharge néfaste à la stabilité du haut du talus
- Présence d'une canalisation d'eau pluviale sur le lot 3 débouchant sur le haut du talus.3
L'avis préconisait une solution de confortement du talus actuel par gunitage renforcé ancré à moindre coût et sans terrassement particulier.
La réalité de ces assertions factuelles et solutions sont contestées.
L'expert judiciaire nommé a produit en annexe de son expertise, une étude géotechnique de la société Apigeo sur le talus qui décrit la consistance de celui-ci et retient qu'il est impératif de traiter le talus sur tout son linéaire.
Les conclusions de l'expert judiciaire qui s'y réfère sont claires et détaillées et reposent sur un historique complet du litige.
Si Mme [E] entendait contester les conclusions de M. [P], elle pouvait lui adresser un dire, ou solliciter l'organisation d'une contre expertise, demande qu'elle ne forme même pas devant la Cour.
La responsabilité de Mme [K] [E] est dès lors engagée du fait de l'effondrement du mur lui appartenant, et qui était sous garde.
Il y a lieu par suite de confirmer le premier juge en ce qu'il a retenu, par des motifs pertinents que la cour adopte, que Mme [K] [E] était tenue à indemnisation des préjudices subis par Mme [R] [Y] [U] [I].
Sur le préjudice :
Les conclusions de l'expert sur les travaux à entreprendre ont été justement retenus en première instance. Ils consistent en la réalisation d'un mur de soutènement le plus loin possible des dites fondations, empiétant en grande partie sur la parcelle appartenant à [K] [E], pour un coût total estimé en 2018 à 12.519.534 F CFP.
Le coût de l'intervention la société GLC est désormais évalué à 14.779.651 FCP soit une différence de 3.059.647 FCP, montant qui en l'absence de contestation sur le devis excipé, sera rajoutée à l'évaluation de l'expert, de sorte que les travaux de réfection s'élèveront finalement à la somme de (12.519.534 FCP + 3.059.647 FCP) 15.579.181 FCP.
En l'absence de contestation utile, il y a lieu de confirmer les autres montants arbitrés par le premier juge, qui a fait une juste appréciation des éléments de la cause.
Sur la mise en cause de Mme [B] :
Madame [U] [I] a régulièrement appelé en cause Mme [L] [B] qui a acquis la propriété de Mme [K] [A] veuve [E] par acte du 02 février 2018 de la SCP [V] - [W], notaires associés à Papeete.
L'acte de vente dispose (page 2) : 'Observation faite qu'un litige est né avec le voisin à l'occasion de l'écroulement d'un mur mitoyen.
Mme [E], venderesse aux présentes, déclare vouloir faire son affaire personnelle de toutes conséquences quelles qu'elles soient relatives à ce litige, de sorte que l'ACQUEREUR ne sera ni inquiété ni recherché à ce sujet".
Il est donné acte à Mme [L] [B] qu'elle autorise tous les travaux utiles et nécessaires à la solution du litige.
Mme [L] [B] sera déboutée à ce stade de la procédure de sa demande prématurée de voir condamner Mme [K] [A] veuve [E] à l'indemniser de tous les préjudices qui découleront de l'exécution de ces travaux.
Sur l'article 407 du code de procédure civile de Polynésie française :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [R] [Y] [U] [I] les frais irrépétibles du procès. Mme [K] [E] sera condamnée à lui payer la somme de 400 000 F CFP au titre de l'article 407 du code de procédure civile.
Pour la même raison elle devra régler la somme de 300 000 FCP au titre des frais irrépétibles de Mme [L] [B].
Sur les dépens :
En application de l'article 406 du code de procédure civile, selon lequel toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, Mme [R] [Y] [U] [I] sera condamnée aux dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné Mme [K] [E] à payer à Mme [R] [Y] [U] [I] à payer la somme de 12.519.534 F CFP au titre des travaux à réaliser ;
Statuant à nouveau,
Condamne Mme [K] [E] à payer à Mme [R] [Y] [U] [I] la somme de 15.579.181 FCP F CFP au titre des travaux à réaliser ;
Y ajoutant :
Donne acte à Mme [L] [B] qu'elle autorise tous les travaux utiles et nécessaires à la solution du litige ;
Déboute Mme [L] [B] de sa demande prématurée de voir condamner Mme [K] [A] veuve [E] à l'indemniser de tous les préjudices qui découleront de l'exécution de ces travaux ;
Condamne Mme [K] [E] à payer à Mme [R] [Y] [U] [I] la somme de 400 000 F CFP et à Mme [L] [B] la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Condamne Mme [R] [Y] [U] [I] e aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 409 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Prononcé à Papeete, le 9 mars 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : N. TISSOT