N° 236
MF B
-------------
Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Usang,
le 26.06.2023.
Copie authentique délivrée à :
- Me Piriou,
le 26.06.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 22 juin 2023
RG 21/00455 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 134, rg n° 2018 000789 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 1er octobre 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 8 décembre 2021 ;
Appelante :
Mme [U] [P] [K] épouse [F], née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 4], de nationalité française, demeurant à [Adresse 3] ;
Représentée par Me Arcus USANG, avocat au barreau de Papeete ;
Intimée :
La Sarl Tahiti Art Maohi, à l'enseigne commerciale Tahiti Art, au capital de 1 821 000 FCP, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° 6315 B dont le siège social est sis à [Adresse 2] derrière le Supermarché Carrefour, représentée par son gérant en exercice ;
Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentéepar Me Yves PIRIOU, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 24 mars 2023 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 13 avril 2023, devant Mme BRENGARD, président de chambre, Mme DEGORCE, conseiller, Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Le 4 août 2016, Mme [U] [K] épouse [F] a engagé une action contre la société à responsabilité limitée Tahiti Art Maohi en exposant qu'elle est devenue la cogérante de la société le 1er septembre 2009, détenant 25 % du capital social, mais que le 28 juillet 2015, elle avait reçu signification d'un procès-verbal d'assemblée générale daté du 27 juillet précédent, aux termes de laquelle les associés avaient décidé de révoquer son mandat.
Elle demandait donc au tribunal d'annuler l'assemblée générale du 27 juillet 2016, et à titre subsidiaire, de condamner la société à lui payer des dommages-intérêts à titre de révocation abusive, non-respect des droits de la défense et pour révocation sans juste motif.
En réplique, la SARL Tahiti Art Maohi demandait au titre principal, le débouté de Mme [K] et à titre reconventionnel qu'il soit ordonné une expertise comptable ayant notamment pour objet de vérifier la régularité des comptes présentés pour les exercices 2009 à 2016.
Suivant jugement n° 134 rendu contradictoirement le 1er octobre 2021 (RG 2018 000789), le tribunal mixte de commerce de Papeete a débouté Mme [K] de sa demande et a rejeté également la demande d'expertise présentée par la société Tahiti Art Maohi puis a condamné Mme [K] au paiement des frais irrépétibles de la société Tahiti Art Maohi à hauteur de 300'000 Fcfp en plus des entiers dépens.
Le tribunal a notamment retenu que,
' sur la nullité du procès-verbal d'assemblée générale du 27 juillet 2016,
' Mme [K] avait été régulièrement convoquée,
' elle ne peut se prévaloir de l'absence de convocation régulière de Mme [J] [K],sa s'ur,
' s'agissant de l'absence de mention d'un résumé des débats sur le procès-verbal, l'article 42 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales ne prévoit aucune sanction à l'absence d'un tel résumé, et que Mme [K] n'invoque aucun grief résultant de cette omission,
' s'agissant de l'absence de l'examen des comptes annuels de l'exercice clos, Mme [K] n'établit ni subir un grief ni l'existence d'une obligation sanctionnée de nullité,
' s'agissant du non-respect de l'article 10 du décret du 23 mars 1967 prévoyant que les procès-verbaux sont établis sur un registre spécial mais qu'ils peuvent être établis également sur des feuilles mobiles numérotées sans discontinuité, Mme [K] ne rapporte la preuve ni d'un grief ni d'une obligation sanctionnée de nullité,
' s'agissant de l'abus de majorité alléguée, elle ne rapporte pas la preuve d'une résolution prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité.
' Sur le caractère abusif de la révocation de Mme [K], il apparaît que toutes les garanties ont été prises pour que la gérante soit convoquée puisse se défendre à l'assemblée générale, et qu'ainsi les dispositions de l'article L. 223 ' 25 du code de commerce n'ont pas été enfreintes.
' Sur la demande d'expertise de la société Tahiti Art Maohi, elle n'est pas justifiée.
Mme [K] a relevé appel suivant déclaration greffe reçu le 8 décembre 2021.
En ses dernières conclusions du 9 décembre 2022, elle demande à la cour, statuant après infirmation du jugement entrepris,
' d'annuler l'assemblée générale du 27 juillet 2016 ainsi que toutes les décisions ultérieures qui en sont les suites et conséquences,
' dire que la révocation de Mme [K] n'est pas fondée sur de justes motifs, sans respect des droits de la défense et qu'elle est intervenue dans des circonstances abusives,
' dire que les associés majoritaires ont commis un abus de majorité,
' désigner un administrateur provisoire,
' débouter la société Tahiti Art Maohi de toutes ses demandes puis la condamner à verser à l'appelante, les sommes suivantes :
' 3'600'000 Fcfp à titre de dommages-intérêts pour la révocation abusive,
' 3'600'000 Fcfp à titre de dommages-intérêts pour le non-respect des droits de la défense,
' 18'000'000 Fcfp au titre du gain manqué,
' 904'000 Fcfp en remboursement des frais irrépétibles de première instance d'appel, outre les entiers dépens.
En ses dernières conclusions du 7 octobre 2022, la société Tahiti Art Maohi entend voir la cour,
' confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'intégralité des moyens et demande de Mme [K],
' déclarer irrecevable la demande de désignation d'un administrateur provisoire, et en tout cas mal fondée,
' faisant droit à son appel incident, infirmer le jugement sur le rejet de la demande d'expertise, et par conséquent, ordonner une expertise comptable relative aux comptes des années 2009 à 2016 inclus,
' condamner Mme [K] au paiement d'une somme de 600'000 Fcfp en vertu de l'article 407 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la procédure, des prétentions des parties, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. Se conformant aux dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, la cour répondra aux moyens par les motifs ci-après.
MOTIFS DE LA DECISION :
Mme [P] [K] épouse [F] fait valoir en premier lieu qu'elle n'a pas été régulièrement convoquée à l'assemblée générale du 27 juillet 2016 à laquelle elle n'était ni présente ni représentée.
Il y a lieu de relever que l'appelante ne précise pas le fondement juridique de ses prétentions à cet égard comme l'y obligeaient pourtant les articles 18 (pour la requête introductive d'instance) et 21-2 ( pour les conclusions ultérieures) du code de procédure civile de Polynésie française, et ne met donc pas la cour en mesure de vérifier la pertinence de sa critique du jugement sur le rejet de son argumentation sur ce point.
Dès lors, au vu des éléments matériels produits, la cour confirmera par adoption des motifs circonstanciés et sérieux du tribunal, les dispositions de la décision querellée ayant considéré que Mme [K] [F] avait été régulièrement convoquée à l'assemblée générale du 27 juillet 2016.
En outre, comme l'a jugé le tribunal, Mme [F] ne peut invoquer à son profit, l'absence de convocation de sa soeur à l'assemblée générale car en France, nul ne plaide par procureur.
Mais sur la décision de révocation,
Il résulte du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire tenue le 27 juillet 2016, que les décisions suivantes ont été prises par la majorité des associés,
- première résolution : la révocation de Mme [P] [K] épouse [F] de ses fonctions de cogérant.
' Deuxième résolution : la prise d'acte de la démission de Monsieur [Z] [B] [K] de ses fonctions de cogérant.
- Troisième résolution : la désignation de M. [H] [T] [K] dans les fonctions de gérant de la société.
L'article 24 des statuts de la société Tahiti Art Maohi mis à jour le 16 juin 2003 édicte que l'assemblée générale est convoquée par «la gérance». En l'espèce, seul l'autre cogérant a convoqué une assemblée générale.
Mais surtout, l'article 19 2° relatif à la cessation des fonctions de la gérance, stipule que : «les gérants sont révocables par décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts. (')».
Ceci induit que la décision de révocation du gérant ou cogérant doit être décidée par la majorité des associés représentant plus de la moitié des parts sociales, pour un juste motif qui doit nécessairement être rapporté au procès-verbal de l'assemblée générale. Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque le procès-verbal ne comporte strictement aucune mention du motif retenu par la collectivité des associés pour révoquer le mandat de cogérant de Mme [P] [K] [F]. Ainsi, le juge n'est pas en mesure de s'assurer du bien-fondé de la décision de révocation.
La cour relève surabondamment que même si les stipulations statutaires ne prévoient pour toute sanction d'une révocation sans juste motif, que le paiement de dommages-intérêts au gérant irrégulièrement évincé, il est acquis que le juge peut toujours annuler une assemblée générale au cours de laquelle un abus de majorité a été commis.
Une décision sociale est constitutive d'un abus de majorité quand elle a été prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité des associés au détriment de la minorité.
Force est de constater que la partie intimée ne produit pas d'éléments concrets établissant que la révocation de la cogérante était conforme à l'intérêt général de la société et non seulement conforme à l'intérêt des associés qui ont voté pour cette révocation sans s'expliquer dans le procès-verbal de l'assemblée générale sur les motifs de cette décision prise en l'absence de la dirigeante concernée qui est en outre leur parente.
En conséquence, comme le sollicite Mme [K] [F], le procès-verbal de l'assemblée générale du 27 juillet 2016 doit être annulé.
Elle demande également l'annulation de toutes les décisions ultérieures qui en sont les suites et conséquences . Au vu des pièces produites, il apparait que cette demande concerne les procès-verbaux des assemblées générales réunies les 1er septembre 2017, 27 juin 2018, 14 septembre 2019 et 18 septembre 2020 qui ont été convoquées par M. [B] [Z] [K] qui n'avait pas qualité, compte tenu de l'irrégularité de la révocation de Mme [F]. Il sera fait droit à cette prétention.
S'agissant de la désignation d'un administrateur provisoire, elle n'a de sens que si le conflit au sein de la société est tel qu'elle ne peut plus fonctionner ; or, il n'est pas prouvé que l'entreprise se trouve dans cette situation de blocage. Au surplus, la mission qu'il est demandé à la cour de confier à l'administrateur, équivaut à une expertise judiciaire qui concernerait un litige distinct portant sur une action en responsabilité des gérants actuels.
Cette demande sera donc rejetée.
Sur la demande de dommages-intérêts présentée par l'appelante,
La cour relève que la demande fondée sur le non-respect des droits de la défense ne peut prospérer puisqu'il a été jugé que l'intéressé a été régulièrement convoquée à l'assemblée générale du 27 juillet 2016.
En outre, la demande présentée pour révocation abusive et celle pour révocation sans juste motifs sont fondées sur la même cause ; l'appelante ne produit absolument aucun élément permettant d'évaluer le dommage matériel ou moral qu'elle a effectivement subi, étant observé que la longueur de la procédure n'est pas un argument pertinent, car elle est due essentiellement à l'erreur d'orientation de l'action engagée à l'origine devant le tribunal civil qui n'a pu que se déclarer incompétent par jugement du 21 mars 2018 au profit du tribunal de commerce.
S'agissant de la demande au titre du gain manqué, Mme [K] [F] n'a fourni absolument aucun élément matériel relatif à la perte de rémunération ou de dividendes qu'elle aurait pu avoir subis.
Or, il appartient à la partie qui demande l'indemnisation d'un préjudice, de rapporter la preuve de sa matérialité et de son quantum.
Mme [K] sera donc déboutée de ses demandes de dommages-intérêts.
Par ailleurs, il n'existe aucun motif de faire droit à la demande d'expertise présentée par l'intimée.
La SARL Tahiti Art Maohi succombant en appel, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ainsi que le paiement à l'appelante, d'une indemnité de procédure de 400'000 Fcfp au titre des frais irrépétibles de première instance d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
Vu l'appel de Mme [U] [P] [K] épouse [F],
Infirme le jugement entrepris excepté en ses dispositions ayant débouté la SARL de sa demande d'expertise,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Vu le défaut de mention de la cause légitime de révocation de Mme [K] épouse [F],
Prononce l'annulation de l'assemblée générale ordinaire tenue le 27 juillet 2016 par les associés de la SARL Tahiti Art Maohi,
Par voie de conséquence, vu l'annulation de la décision de révocation de Mme [K] épouse [F] de ses fonctions de cogérante, prononce également l'annulation des procès-verbaux des assemblées générales tenues les 1er septembre 2017, 27 juin 2018, 14 septembre 2019 et 18 septembre 2020,
Vu les articles 406 et 407 du code de procédure civile de Polynésie française,
Condamne la SARL Tahiti Art Maohi à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [K] épouse [F], une indemnité de procédure de 400 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles,
Déboute Mme [K] épouse [F] de l'ensemble de ses prétentions.
Prononcé à Papeete, le 22 juin 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : MF BRENGARD