COUR D'APPEL DE PARIS 5è chambre, section C ARRET DU 21 AVRIL 2000
(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1998/02532 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 05/12/1997 par le TRIBUNAL DE COMMERCE de PARIS 15/è Ch. RG n : 1997/59596 Date ordonnance de clôture : 20 Janvier 2000 Nature de la décision :
CONTRADICTOIRE Décision : INFIRMATION PARTIELLE APPELANTS : S.A. LAFONT ET FILS prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 11 rue vignon 75008 PARIS S.A. OPTIQUE PHILIPPE LAFONT prise en la personne de ses repr sentants l gaux ayant son siège 29 rue Hoche ISSY LES MOULINEAUX représentées par la SCP BOMMART-FORSTER, avoué assistées de Maître MISSIKA, Toque W11, Avocat au Barreau de PARIS, CABINET DOLFI MISSIKI MINCHIELLA INTIME : S.A. L.V.T. prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 13 Boulevard Raspail 75007 PARIS représentéE par Maître CORDEAU, avoué assistéE de Maître GLODSTEIN, Toque R191, Avocat au Barreau de PARIS, CABINET LEBAUVY -BDLT COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Président : Madame DESGRANGE X... : Monsieur BOUCHE X... : Monsieur SAVATIER Y... : A l'audience publique du 25 février 2000 GREFFIER : Lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt Greffier : Madame Z..., ARRET :
Prononcé publiquement par Madame le Président DESGRANGE, qui a signé la minute avec Madame Z..., Greffier.
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Le 25 septembre 1981, les sociétés LAFONT et FILS, et OPTIQUE PHILIPPE LAFONT (les sociétés LAFONT) ont concédé à la société L.V.T. le droit d'utiliser l'enseigne "Lunettes Jean LAFONT" pour un territoire délimité par la SEINE, l'avenue BOSQUET, l'avenue DUQUESNE, le boulevard MONTPARNASSE et la rue SAINT JACQUES à PARIS et la distribution non exclusive des montures de lunettes de la marque. Ce contrat, qui ne comportait pas de clause de non concurrence, était d'une durée de cinq ans et renouvelable par tacite reconduction, sauf préavis donné un an avant l'expiration de la période en cours. Il a été renouvelé deux fois en 1986 et 1991.
Le 20 septembre 1995, les sociétés LAFONT ont informé la société L.V.T. de ce qu'ils ne renouvelleraient pas le contrat à son terme le 24 septembre 1996.
Le 25 janvier 1997, les sociétés ont ouvert une boutique sous l'enseigne "LAFONT" au 17 boulevard RASPAIL, alors que le fonds exploité par la société L.V.T. l'était au 13 de la même voie.
La société L.V.T. a assigné les sociétés LAFONT en paiement d'indemnités en réparation du préjudice causé par la rupture abusive du contrat et pour préjudice commercial ainsi que pour leur voir interdire d'exercer sous l'enseigne "LAFONT" à cet emplacement.
Par jugement du 5 décembre 1997, le tribunal de commerce de PARIS a condamné les sociétés LAFONT à payer solidairement à la société L.V.T. la somme de 200 000 F de dommages intérêts, outre celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Les sociétés LAFONT ont formé appel. La société L.V.T. a formé un appel incident.
Dans ses dernières écritures en date du 24 novembre 1999, auxquelles
il est renvoyé, la société L.V.T. fait valoir qu'à raison des conditions dans laquelle elle est intervenue, la résiliation est abusive. Elle soutient que la motivation invoquée est fausse et que les sociétés LAFONT ont abusé de leur droit. Elle invoque la concurrence déloyale de celles-ci, l'installation à proximité immédiate étant destinée à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle alors qu'elles auraient dû respecter un délai minimum de trois ans et demi, délai moyen de renouvellement des lunettes, pour ouvrir une nouvelle boutique d'optique à cet emplacement.
La société L.V.T. demande : - qu'il soit fait injonction aux sociétés LAFONT de cesser d'utiliser l'enseigne LAFONT jusqu'au 24 mars 2000, pour leur fonds de commerce situé 17 boulevard RASPAIL, - qu'il soit jugé qu'elles ont abusé de leur droit de résilier le contrat, - qu'elles soient, en conséquence, condamnées à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts, - qu'il soit jugé qu'elles se sont livrées à des actes de concurrence déloyale, - qu'elles soient, en conséquence, condamnées à lui payer la somme de 585 224 F en réparation du préjudice subi au 31 décembre 1997, - qu'elles soient condamnées à lui verser la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les sociétés LAFONT, dans leurs dernières écritures en date du 27 octobre 1999, auxquelles il est renvoyé, concluent à l'infirmation du jugement. Elles soutiennent que la résiliation n'a aucun caractère abusif mais répond à un changement de politique commerciale et qu'il n'est pas établi qu'elles se sont rendues coupables de détournement de clientèle en l'absence de toute clause de non concurrence, celle-ci étant attachée à la marque plus qu'au fonds exploité par le franchisé.
Elles demandent le rejet des prétentions de la sociétés LAFONT et sa condamnation à leur verser la somme de 60 000 F de dommages intérêts
pour procédure abusive, outre celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. SUR CE, LA COUR : Sur les conditions de la résiliation :
Considérant qu'il n'est pas discuté que la résiliation est intervenue dans les termes du contrat ; que les sociétés LAFONT avaient donc le droit de procéder comme elles ont fait ;
Considérant que la société L.V.T. n'établit pas l'abus de droit qu'elle invoque ; qu'en particulier, elle se borne à de simples allégations, dénuées de toute offre de preuve, sur l'inexactitude des motifs de la résiliation, d'autant que celles-ci n'étaient pas tenues de les exprimer, ce qu'elles n'ont d'ailleurs fait qu'en cours de procédure, la lettre de résiliation n'étant pas motivée ; qu'en effet, la simple référence faite dans cette lettre à l'espoir qu'un accord permettant de poursuivre la collaboration après la date d'expiration du contrat pourra être trouvé, n'est pas l'expression d'un motif ; que la société L.V.T. ne prouve donc pas que les sociétés LAFONT l'aient induite en erreur sur les véritables raisons de leur décision telles qu'elles les ont indiquées à la Cour ;
Considérant qu'elle ne rapporte pas plus la preuve des manoeuvres qu'elle impute aux sociétés LAFONT qui consisteraient à avoir refusé, ou tout au moins retardé, toute négociation d'un nouveau contrat afin de récupérer l'emplacement et la clientèle de la société L.V.T. ; qu'à cet égard, la seule pièce qu'elle produit, émanant d'un de ses salariés, dont l'indépendance à l'égard de la partie qui se prévaut de son attestation est relative, ne fait état que de difficultés à joindre au téléphone un responsable des sociétés LAFONT ; que si celles-ci n'ont formé une offre d'achat du fonds exploité par la société L.V.T., qu'après que cette dernière les ait mises en demeure, cette circonstance est sans portée, puisqu'elles n'étaient pas tenues de proposer une telle acquisition ; que, de même, est inopérante la
discussion sur le sérieux de cette offre dont la société L.V.T. prétend qu'elle ne correspond pas à la valeur du fonds, dès lors qu'elle ne le justifie pas, si ce n'est par de simples allégations dénuées de toute valeur probante ou par l'affirmation qu'elles ont exposé des frais supérieurs en créant leur propre boutique, ce qui n'est pas lié ;
Considérant que la société L.V.T. n'est pas mieux fondée à se réclamer de l'attitude des sociétés LAFONT après la fin du contrat pour établir leur faute dans les conditions de la rupture de celui-ci, alors qu'il apparaît que ce n'est que postérieurement au terme du contrat qu'elles ont cherché à ouvrir un point de vente pour remplacer celui de la société L.V.T., la promesse de cession du bail commercial qui leur a été consenti pour le local dans lequel elles ont installé leur boutique à compter de la fin janvier 1997, étant datée du 24 octobre 1996 ;
Considérant que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité de ce chef ; Sur la concurrence déloyale :
Considérant que comme le reconnaît dans ses écritures la société L.V.T., les fautes résultant, d'une part, de la résiliation abusive et, d'autre part, du détournement de clientèle, qui sont alléguées par celle-ci, sont indépendantes l'une de l'autre ;
Considérant qu'ayant régulièrement résilié le contrat à son terme, les société L.V.T. n'étaient plus liées à leur ancien franchisé et, en l'absence de toute clause de non concurrence conventionnelle, étaient libres d'exploiter leur marque comme elles l'entendaient, notamment en ouvrant un nouveau commerce à leur enseigne ; qu'à cet égard il ne leur était pas interdit de choisir un emplacement proche du fonds qui bénéficiait du contrat venu à terme ; que, contrairement à ce qu'à retenu le tribunal, le seul fait qu'en choisissant de s'implanter à proximité de la société L.V.T., les sociétés LAFONT ont
créé un trouble dans l'exploitation de celle-ci ne suffit pas à établir leur responsabilité, ce trouble n'étant pas en lui-même illicite, mais pouvant résulter du jeu de la libre concurrence ;
Considérant que cette création n'a pas entraîné une concurrence portant sur la marque et ses produits puisque la société L.V.T. avait perdu tout droit d'exploiter celle-ci, qu'elle avait immédiatement choisi une autre enseigne et qu'elle ne prétend pas avoir tenté de poursuivre la vente des produits de la gamme des sociétés LAFONT, qui lui ont d'ailleurs racheté le stock qu'elle détenait au terme du contrat ; que si son ancienne clientèle s'est adressée à la boutique créée par ces dernières, c'est que celle-ci était attachée, non à son fonds, mais à cette marque, ce dont elle n'est pas fondée à faire grief aux sociétés LAFONT ;
Considérant que le seul acte positif qu'elle dénonce, hormis l'installation à proximité, est l'information du public afin de faire croire à un simple changement d'adresse ; que cependant, il n'est produit aucun document qui serait de nature à créer une confusion sur la continuation de l'exploitation de la société L.V.T. à l'adresse du fonds créé par les sociétés LAFONT ; que l'indication "attention nouvelle adresse" figurant sur l'un des encarts inséré dans les pages jaunes de l'annuaire 1997, sous le seul nom des sociétés LAFONT, et sans qu'y soit associée le nom de la société L.V.T., comme il en était auparavant, n'établit pas la volonté de créer une telle confusion ; qu'il faut relever que différents encarts précédents rassemblaient l'adresse des différents points de vente de la marque, de sorte qu'il était naturel que l'attention des lecteurs soit attirée sur l'existence d'une modification de l'adresse de l'un de ceux-ci ; qu'enfin, il n'est pas établi que ce sont les sociétés LAFONT qui ont rédigé le texte des articles parus dans la presse spécialisée annonçant la création de la nouvelle boutique ;
Considérant que, comme il a déjà été relevé, la décision de s'installer au 17 boulevard RASPAIL n'a été concrétisée que postérieurement à la fin du contrat, puisque le local n'a été acquis que le 24 octobre 1995, ce qui tend à montrer que si cette opportunité a été saisie, elle ne révèle pas nécessairement une volonté de nuire à l'ancien franchisé que celui-ci allègue sans en apporter la preuve ;
Considérant qu'ainsi le caractère déloyal de la concurrence qui est invoqué n'est pas établi ; qu'en conséquence le jugement sera réformé de ce chef et les demandes formées par la sociétés LAFONT seront rejetées ;
Considérant que les sociétés LAFONT ne caractérisent pas en quoi l'attitude de la société L.V.T. a fait dégénérer en abus son droit de saisir la justice de ses demandes ; qu'elle seront déboutées de leur demande de ce chef ;
Considérant que l'équité et la situation économique des parties ne commandent pas qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement attaqué sauf en ce qu'il a débouté la société L.V.T. de sa demande fondée sur le caractère abusif de la résiliation,
Statuant à nouveau,
La déboute de toutes ses demandes,
Déboute les sociétés LAFONT et FILS, et OPTIQUE PHILIPPE LAFONT de leur demande de dommages intérêts pour procédure abusive,
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne la société L.V.T. aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront recouvrés par l'avoué concerné comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT