X... / Y... Responsabilité et accident au cours d'un jeu de paintball 1382 - 1384 alinéa 1 et 4 COUR D'APPEL DE PARIS 7 chambre, section Z... ARRET DU 9 AVRIL 2002
(N , 7 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2000/10461 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 18.02.2000 par le tribunal de grande instance de Paris, 4ème chambre Date ordonnance de clôture : 29.01.2002 APPELANT : Monsieur Albert X... 119 rue du Théâtre PARIS 15ème Représenté par la SCP MENARD-SCELLE-MILLET, avoué Assisté de Me WOOG, avocat INTIMES : Monsieur Laurent Y... Monsieur Vincent Y... Madame Dominique A... épouse Y... 80 boulevard Saint Germain PARIS 5ème AXA COURTAGE IARD 26 rue Louis Le Grand PARIS 2ème Représentés par la SCP BOMMART-FORSTER, avoué Assistés de Me J. CHARPENTIER, avocat La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Paris 173 rue de Bercy PARIS 12ème Représentée par Me MELUN, avoué COMPOSITION DE LA COUR Lors des débats et du délibéré : PRESIDENT : Monsieur Alain DECHEZELLES B... : Monsieur Michel C... et Mme Dominique DOS REIS GREFFIER Dominique BONHOMME-AUCLERE DEBATS Z... l'audience publique du 19.02.2002 ARRET contradictoire prononcé publiquement par M. Alain DECHEZELLES, président, qui a signé la minute avec D. BONHOMME-AUCLERE, greffier.
Le 22 février 1997, Albert X... a été blessé au visage par un tir de Laurent Y..., (mineur lors des faits), alors qu'il se livrait dans la forêt de St Germain en Laye à une partie de paint-ball, en compagnie de ce dernier et de onze autres joueurs.
Comme il avait ôté son casque protecteur afin d'en essuyer la buée, il a été gravement atteint et a perdu l'oeil à la suite de cet accident.
Par assignation du 30 septembre 1998, Albert X... a assigné Laurent
Y... et les parents de celui-ci, ainsi que leur assureur AXA COURTAGE IARD, et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de Paris, afin de voir les premiers condamnés solidairement à lui régler la somme de 480 000 F en réparation de son préjudice et 7 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il a été débouté de ses demandes par jugement du 18 février 2000, dont il a relevé appel, demandant à la Cour de condamner solidairement Laurent Y... et ses parents, ou les uns à défaut des autres avec AXA COURTAGE IARD, sur le fondement des articles 1382, 1384 alinéa 1 et 4 du Code Civil, au paiement de la somme de 150 147,04 euros toutes causes confondues, subsidiairement d'ordonner une expertise judiciaire à l'effet de fixer ses chefs de préjudice, enfin de condamner les intimés au paiement d'une indemnité de 3 048,98 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, aux motifs essentiels que : - Laurent Y..., gardien de l'arme qui a tiré le coup de feu est responsable de plein droit du dommage causé par son tir malencontreux : il ne peut s'exonérer de la présomption de responsabilité qui pèse sur lui en invoquant un cas de force majeure, car aucun élément imprévisible, irrésistible ou étranger n'est venu perturber son tir, ni davantage la faute de la victime qui avait retiré son casque protecteur sans en aviser les autres joueurs, car la partie n'était pas commencée quant Laurent Y... a tiré ; quant à l'acceptation des risques, elle ne peut lui être opposée, s'agissant d'une activité de loisirs pratiquée hors compétition par des joueurs novices, dont les risques normalement prévisibles consistent en ecchymoses sur le corps ou tâches de peinture sur les vêtements, - Laurent Y... a commis une faute d'imprudence caractérisée en tirant sur la victime sans s'assurer qu'il pouvait le faire sans risque, alors qu'il disposait d'un champ de vision suffisant pour voir qu'Albert X... avait ôté son masque, - la
responsabilité des parents de Laurent Y..., mineur lors des faits, est engagée, dans la mesure où l'acte commis par leur enfant, même non fautif, est à l'origine du dommage subi, - le préjudice résultant de la perte d'un oeil doit être fixé au vu du rapport du docteur D..., effectué contradictoirement avec l'accord des deux parties.
Les intimés ont conclu à la confirmation du jugement, au débouté des demandes d'Albert X... et subsidiairement à un partage de responsabilité en faisant valoir essentiellement que les dispositions des articles 1882 et 1384 du Code Civil doivent être écartées car il n'est pas établi que Laurent Y... a commis une faute en tirant sur Albert X... alors que le jeu de paint-ball consiste justement à tirer et à atteindre les joueurs adverses, en raison par ailleurs de l'acceptation des risques par Albert X... qui participait à un sport dangereux, que la responsabilité des parents de Laurent Y... ne peut être davantage retenue en raison de la faute de la victime, que la concomitance du mouvement de la tête de Albert X... pour chercher ses adversaires et du tir de Laurent Y... exclut la possibilité pour ce dernier de voir qu'Albert X... avait ôté son masque, que par conséquent l'imprévisibilité et l'irrésistibilité de la faute de Albert X... constituent la cause exclusive de l'accident et exonèrent Laurent Y... et ses parents de toute responsabilité, que ce soit sur le fondement des articles 1382 ou 1384 du Code Civil.
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de PARIS a conclu à l'infirmation du jugement en s'associant à l'argumentation de l'appelant et a demandé à la Cour de condamner les intimés in solidum au remboursement de ses prestations s'élevant à 4 670,47 euros pour les frais médicaux, à 11 893,33 euros pour les frais futurs capitalisés, assortis des intérêts au taux légal à compter de la première demande pour les prestations déjà versées et à compter de
leur versement pour les autres, outre le paiement d'une indemnité de 750 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. SUR CE, LA COUR
Considérant qu'Albert X... a été blessé au cours d'un jeu au cours duquel douze participants armés de fusils chargés de balles de peinture se tirent les uns sur les autres, pour se neutraliser, dans une parodie d'actions de guerre et de combats rapprochés ; Qu'afin de se protéger des impacts de balles, notoirement dangereux sur le corps, ils sont casqués et revêtus de combinaisons spéciales, de protections sur les coudes et genoux ; Que ces "joueurs" s'exposent donc délibérément au risque de blessures, risque très aggravé en cas de retrait du casque protecteur ;
Considérant que Albert X... a déclaré après l'accident :
"à un moment donné, chacun de nous s'est trouvé dissimulé derrière un arbre, Laurent se trouvant à une douzaine de mètres de moi. Mon masque s'étant trouvé embué et ne permettant plus une vision suffisante, je l'ai baissé. Mais, du fait de notre déplacement continuel, j'ai craint que Laurent ne me touche. Je me suis retourné pour tenter de localiser Laurent Y... et j'ai dû alors sans doute passer la tête sans m'en rendre compte. Le coup m'a atteint au même instant" ; Que cette déclaration démentit la version des faits de l'appelant qui évoque à ses écritures un "entraînement" avant que la partie ne commence et des "tirs d'essai", circonstances qui seraient, en tout état de cause, dépourvues d'incidence quelconque sur la solution du litige, les tirs d'essai n'étant pas moins dangereux que les autres tirs, pratiqués en cours de partie ; Sur la responsabilité de Laurent Y... - sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil :
Considérant que le jeu de paint-ball consistant à tirer sur les joueurs adverses avec le maximum de rapidité et de précision, Laurent
Y... n'a fait que respecter les règles en tirant sur Albert X..., dès qu'il l'a aperçu, n'ayant aucune obligation de vérifier d'abord que ce dernier était muni de son casque protecteur, cette précaution étant présupposée accomplie et respectée, puisque normalement préalable à l'engagement de chaque participant dans une partie de paint-ball ; Que, surabondamment et à supposer que le jeune Y... ait commis une faute qui consisterait en un manquement technique, au demeurant non démontré au cas d'espèce, son geste ne saurait engager sa responsabilité dès lors que le jeu de paint-ball n'étant pas dépourvu de risques, il n'a agi ni avec maladresse caractérisée, ni de façon déloyale, qu'il n'a donc pas joué dans des conditions créant pour son partenaire un risque anormal, alors que ce dernier s'exposant imprudemment et en connaissance de cause à un tel danger, de surcroît démuni de son casque protecteur qu'il avait retiré sans demander un arrêt de jeu, a accepté les risques normalement prévisibles d'un sport de combat à haut risque ; -sur le fondement de l'article 1384 du Code Civil
Considérant qu'en ôtant son masque protecteur au cours d'une partie de paint-ball, Albert X... a commis une faute imprévisible pour Laurent Y..., dès lors que la dangerosité du jeu impose à tous les participants le port de ce casque qui ne doit être retiré en aucune occasion ou prétexte, dès lors que la partie est commencée, que cette faute est devenue irrésistible pour l'intimé lorsque Albert X... a passé sa tête de derrière l'arbre qui le dissimulait, s'exposant ainsi sans défense ni protection dans sa ligne de tir, de par les règles du jeu auquel ils participaient tous deux ; Que cette faute revêtant les caractéristiques de la force majeure exonère Laurent Y... de la présomption de responsabilité pesant sur lui, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 du Code Civil ; Sur la responsabilité des parents de Laurent Y...
Considérant que si les parents sont responsables de plein droit de l'acte dommageable commis par leur enfant mineur, dés lors que cet acte est la cause directe du dommage subi par la victime, les parents de Laurent Y... s'exonèrent de la présomption de responsabilité pesant sur eux en établissant que la faute de la victime, constitutive pour eux d'un cas de force majeure, est exclusivement à l'origine du dommage survenu à Albert X..., puisque ce dernier qui avait ôté son casque de protection, s'exposait imprudemment, sans raison valable, et en connaissance de cause à un risque aggravé, alors que se sachant environné de tireurs armés embusqués dans les bois, il ne pouvait ignorer qu'il constituait, sans casque, une cible anormalement vulnérable au regard des règles du jeu de paint-ball ; Que ce comportement aberrant de la victime, que nul ne pouvait prévoir ou empêcher revêt ainsi les critères d'imprévisibilité, d'irresistibilité et d'extranéité caractérisant la force majeure pour les parents du jeune Y... ; Que les parents de Laurent Y... n'ont par ailleurs commis aucune faute de surveillance ou d'éducation de nature à engager leur propre responsabilité ;
Considérant au vu de ces éléments qu'il convient de confirmer en toutes ses dispositions la décision du premier juge, qui a relevé que Albert X... avait commis une faute d'imprudence de nature à exonérer Laurent Y... ou ses parents de leur responsabilité tant sur le fondement de l'article 1382 que sur celui de l'article 1384 alinéa 1 et 4 du Code Civil ; PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel, par motifs propres et adoptés,
Déboute les partis de toutes demandes plus amples ou contraires,
Condamne Albert X... aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés par la SCP MENARD SCELLE- MILLET, avoué, dans les
conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le Président, Le Greffier,