COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section C ARRET DU 5 DECEMBRE 2002
(N , 8 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2001/20954 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 31 juillet 2001 par le Tribunal de Grande Instance de CRETEIL (1ère chambre) RG n : 2001/01425 déclarant exécutoire en France la décision rendue le 4 mars 1998 par le Tribunal de Première Instance d'ATHENES (Grèce) Date ordonnance de clôture : 12 septembre 2002 Nature de la décision :
CONTRADICTOIRE Décision : AU FOND APPELANTE :
La S.A. SURGIL TRANS EXPRESS
dont le siège social est
...
SENIA 403
94567 ORLY CEDEX
Représentée par la S.C.P. NARRAT - PEYTAVI, avoué
Assistée de Maître Y...,
avocat à la Cour (E 1231) INTIMEE :
La société AGF KOSMOS ASSURANCE GENERALE
dont le siège social est
45, boulevard Vas Sophias
ATHENES (Grèce)
Représentée par la S.C.P. Annie BASKAL, avoué
Assistée de Maître X...
remplacé à l'audience par Maître Philippe Z...,
avocat à la Cour (B 96)
COMPOSITION DE LA COUR :
lors du délibéré
Président : Madame PASCAL
Conseiller : Monsieur MATET
Conseiller : Monsieur HASCHER
GREFFIER
lors des débats et du prononcé
de l'arrêt : Mlle FERRIE
MINISTERE PUBLIC
Représenté aux débats par Monsieur PEROL,
Avocat Général, qui a été entendu en ses explications.
DEBATS
à l'audience publique du 7 novembre 2002,
Madame PASCAL, Magistrat chargé du rapport, a
entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET - CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par Madame PASCAL,
Président, qui a signé la minute avec Mlle FERRIE, Greffier. * * *
Par ordonnance du 31 juillet 2001, le délégataire du président du tribunal de grande instance de Creteil a déclaré exécutoire en France, au visa des articles 31, 32, 27 et 28 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, la décision rendue le 4 mars 1998 par le tribunal de première instance d'Athènes(Grèce) dans l'instance opposant en particulier la société AGF Kosmos Assurances Générales SA à la SARL Tracq Express et à la SARL Surgil Trans Express.
Cette décision condamne notamment la SARL Eurofrigo, la SARL Tracq Express et la société Surgil Trans Express, outre aux dépens, à verser à la société AGF Kosmos Assurances Générales SA "étant responsables en total, la somme de seize millions six cent soixante huit mille sept cent cinquante six drachmes à intérêt légal depuis la signification de l'action".
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Appelante de cette ordonnance dont elle poursuit l'infirmation, la SARL Surgil Trans Express demande à la Cour de : - dire que la décision rendue le 4 mars 1998 par le tribunal de première instance d'Athènes (Grèce) dans l'instance opposant notamment la société AGF Kosmos Assurances Générales SA à la société Krekom (il est indiqué Kerkom dans la traduction officielle de la décision grecque) à la SARL Surgil Trans Express est inconciliable avec la décision rendue le 22 décembre 1993 par le Président du tribunal de commerce de
Creteil opposant la société Surgil Trans Express à la société Krekom et à la société Dimitris Vassiliou, - dire en conséquence que la décision grecque ne peut être reconnue en France et rejeter la demande d'exequatur, - condamner la société AGF Kosmos Assurances Générales SA, outre aux dépens, à lui payer une somme de 2 300 ä au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle indique en effet avoir obtenu, le 22 décembre 1993, dans une instance l'opposant, en tant que commissionnaire de transport, à la société Krekom et à la société SA Dimitris Vassiliou une ordonnance de référé rendue sur le fondement de l'article 95 du code de commerce devenu l'article L 132-2 du même code, dans laquelle le président du tribunal de commerce de Creteil a pris acte de ce que la société Krekom reconnaissait devoir la somme de 388 650 F. et s'était engagée à débloquer les fonds dès la production des CMR correspondant à chaque facture et a attribué à la SARL Surgil Trans Express à due concurrence de la somme de 388 650 F les marchandises sur lesquelles elle exerçait son droit de rétention.
Elle expose premièrement que la SA Dimitris Vassiliou, se prétendant propriétaire des marchandises sur lesquelles le droit de rétention avait été exercé, les avaient assurées auprès de la société AGF Kosmos Assurances Générales qui l'a indemnisée et qui est ainsi subrogée dans les droits de cette société et deuxièmement que la condamnation prononcée, sur la demande de la Compagnie d'assurances, par la juridiction grecque qui l'a considérée comme un transporteur tenu d'une obligation de résultat, est fondée sur cette subrogation. Elle en tire la conclusion que les deux décisions française et grecque, sont bien inconciliables au sens de l'article 27, 3° de la Convention de Bruxelles.
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La société AGF Kosmos Assurance Générale conclut, au visa des articles 27,3° de la Convention de Bruxelles et 488 du nouveau code de procédure civile, à la confirmation de l'ordonnance du 3 juillet 2001, les deux décisions, française et grecque, n'étant pas inconciliables. Elle réclame la condamnation de l'appelante à lui payer une somme de 2 300 ä au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Reconnaissant que les deux décisions entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement au sens de la jurisprudence de la CJCE, elle affirme toutefois qu'elles ne sont pas inconciliables car elles ne présentent pas une force ou une autorité de la chose jugée identique.
Elle indique en effet que l'ordonnance de référé du 22 décembre 1993, par nature provisoire, n'a pas autorité de la chose jugée au principal et soutient que par conséquent, la décision grecque, postérieure, rendue sur le fond du litige, prévaut et doit recevoir l'exequatur. Sur ce, la Cour,
Considérant qu'aux termes de l'article 27, 3° de la Convention de Bruxelles :
"Les décisions ne sont pas reconnues :
3° si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'Etat requis" ;
Qu'afin d'établir s'il y a inconciliabilité au sens de ce texte, il
convient de rechercher si les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement ;
Considérant en l'espèce qu'à la lecture de l'ordonnance et du jugement produits ainsi que des conclusions des parties, les faits nécessaires à la solution du litige peuvent être résumés de la manière suivante : - la société de droit français Surgil Trans Express, qui a, entre autres, une activité de commissionnaire de transports, a été, en juillet et août 1993, en relations commerciales avec la société grecque Krekom, pour le compte de laquelle elle a organisé ou exécuté divers transports de marchandises entre la France, la Belgique et la Grèce ; - la société Krekom n'ayant pas mis en place la garantie bancaire qu'elle s'était engagée à constituer et n'ayant procédé à aucun règlement des sommes qu'elle lui devait, la société Surgil Trans Express a exercé le 19 août 1993 un droit de rétention, fondé sur le privilège du commissionnaire de transports, sur des marchandises qu'elle disait lui avoir été confiées par la société Krekom mais dont la société grecque Dimitris Vassiliou revendiquait la propriété ; - la société Surgil Trans Express a saisi de cette question le Président du tribunal de commerce de Creteil, statuant en référé, sa demande étant dirigée contre la société Krekom alors que la société Dimitris Vassiliou, qui contestait la qualité de commissionnaire de transport de la société Surgil Trans Express, sollicitait restitution de la marchandise sous peine d'astreinte ; - par ordonnance de référé du 22 décembre 1993, le Président du tribunal de commerce de Creteil, sans répondre à l'argumentation de la société Dimitris Vassiliou, a
- pris acte de ce que la société Krekom reconnaît devoir la somme de 388 650 francs et s'est engagée à débloquer les fonds dès la production des CMR correspondant à chaque facture,
- attribué à la société Surgil Trans Express à due concurrence de 388 650 francs les marchandises sur lesquelles elle exerce son droit de rétention,
- condamné la société Krekom au paiement de la somme de 5 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- rejeté toute autre demande. - le tribunal de première instance d'Athènes a été saisi, dès 1994 puis par assignations échelonnées dans le temps, par la société AGF Kosmos Assurances Générales, subrogée dans les droits de la société Dimitris Vassiliou, d'une action en paiement du prix des marchandises non parvenues à son assurée dirigée contre la société Eurofrigo dont le siège est au Pirée, la société de droit grec Krekom et les sociétés de droit français Tracq Express Frères Transports Internationaux et Surgil Trans Express, - la juridiction grecque, après avoir statué sur la recevabilité des actions principale et incidente ainsi que sur celle des interventions forcées et des recours croisés, dans son jugement du 4 mars 1998 :
-" admet l'action,
-astreint la première, troisième et quatrième défenderesses sociétés Eurofrigo, Track Express et Surgil Trans Express verser à la demanderesse société AGF Kosmos Assurances Générales, étant responsables en total, la somme de seize millions six cent soixante huit mille sept cent cinquante six drachmes, à intérêt légal depuis la signification de l'action,
- impose contre les défenderesses les dépens de la demanderesse, fixés à la somme de sept cent cinquante mille drachmes" - les juges athéniens dont le raisonnement est reconstitué en fonction des incertitudes de la traduction, pour condamner la société Surgil Trans Express, ont écarté son argumentation selon laquelle premièrement aucun "risque d'assurance" n'était survenu, les
marchandises n'ayant pas été perdues mais vendues aux enchères en vertu d'une décision judiciaire et deuxièmement elle avait exercé de bonne foi son droit légal en procédant à la constitution d'un gage sur les marchandises contre la société Krekom qu'elle avait considérée de bonne foi comme "ayant droit" des marchandises et comme agissant à son nom et pour son compte ; ils ont considéré en effet que les marchandises transportées, propriété de la société Dimitris Vassiliou assurée par la société AGF Kosmos Assurances Générales, n'étaient jamais parvenues à cette société et étaient par conséquent perdues pour elle et que la société Surgil Trans Express, reconnaissant la subrogation de l'assureur, ne pouvait ni se prévaloir de ce qu'elle croyait la société Krekom "ayant droit" des marchandises ni échapper à sa responsabilité en qualité de transporteur car elle ne justifiait d'aucune circonstance pouvant l'exonérer de son obligation de livrer les marchandises ;
Considérant que, si l'article 27,3° de la Convention ne prend en compte que des décisions rendues entre les mêmes parties, il convient, respectant l'esprit du texte, de considérer en l'espèce, en l'état de la subrogation de l'assureur dans les droits de l'assuré, que les parties étaient les mêmes devant les deux juridictions :
société Surgil Trans Express, société Krekom et société Dimitris Vassiliou pour l'ordonnance de référé du Président du tribunal de commerce de Creteil, société AGF Kosmos Assurances Générales subrogée dans les droits de la société Dimitris Vassiliou, société Krekom et société Surgil Trans Express pour le jugement du tribunal de première instance d'Athènes, le fait que cette dernière décision concerne encore deux autres parties étant indifférent ;
Considérant que les deux parties admettent que les deux décisions
entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement, selon la définition donnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes qui s'impose aux juridictions nationales ;
Considérant, contrairement à ce que prétend l'assureur, que, pour l'appréciation de l'inconciliabilité de deux décisions au sens de l'article 27, 3° précité, le fait que l'une d'entre elles n'ait pas autorité de la chose jugée au principal est sans incidence ; que néanmoins une décision accordant une somme d'argent à un demandeur, rendue en référé dans l'un des Etat, peut être provisoire au sens de la Convention - et par conséquent ne pas être inconciliable avec une décision rendue au fond dans un autre Etat contractant - à condition que le défendeur ait la garantie d'obtenir le remboursement s'il obtient gain de cause devant le juge du fond et que la mesure porte sur des biens situés dans le ressort du juge des référés ;
Or considérant en l'espèce que l'ordonnance de référé du Président du tribunal de commerce de Creteil, reconnaissant implicitement mais nécessairement à la société Surgil Trans Express la qualité de co