COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section H ARRET DU 10 DÉCEMBRE 2002
(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2002/10760 Pas de jonction Décision dont recours : décision 02-38-01 du Conseil de la concurrence en date du 2 mai 2002 Nature de la décision :
CONTRADICTOIRE Décision : REJET DEMANDERESSE AU RECOURS : La REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS (RATP ), prise en la personne de son Directeur de département juridique, Monsieur D. X..., Y... son siège 54, quai de la Rapée - 75012 PARIS Représentée par la SCP VARIN-PETIT, avoués, 22, rue Saint Augustin -75002 PARIS Assistée de Me M. GUENAIRE, avocat, 26, cours Albert 1er - 75008 PARIS, toque T 03 DEFENDEUR AU RECOURS : E.D.F, en qualité de gestionnaire du Réseau Z... de Transport d'Electricité (RTE), pris en la personne de son Directeur, Monsieur A. MERLIN Y... son siège 34/40, rue Henri Régnault - 92048 PARIS LA DEFENSE Assisté de Me VOGEL, avocat, 30, avenue d'Iéna - 75116 PARIS, toque P 151 EN PRESENCE DE: LA COMMISSION DE REGULATION DE L'ELECTRICITE, 2, rue du Quatre-Septembre - 75002 PARIS, représentée par son Président, Monsieur J. SYROTA A... de Me H. CALVET, avocat, 130, rue du Faubourg Saint-honoré - 75008 PARIS, toque T 12 COMPOSITION DE LA COUR : B... des débats et du délibéré, Monsieur COULON, Premier Président Madame PEZARD, Président Madame PENICHON, Conseiller GREFFIER : B... des débats : Madame PADEL B... du prononcé de l'arrêt : Madame JAGODZINSKI MINISTERE Z... : Monsieur C..., Substitut Général DEBATS : A l'audience publique du 29 octobre 2002. ARRET : Prononcé publiquement le DIX DÉCEMBRE DEUX MILLE DEUX, par Madame PENICHON, Conseiller ayant délibéré et signé par Monsieur COULON, Premier Président, avec Madame JAGODZINSKI, greffier.
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Après avoir, à l'audience publique du 29 Octobre 2002, entendu les
conseils des parties et de la Commission de Régulation de l'Electricité, les observations du Ministère public, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ; Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l'appui du recours; * * *
Transposant la directive du Parlement européen et du Conseil n° 96/92/CE du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a ouvert à la concurrence le marché de l'électricité en France, en distinguant les fonctions de production, de transport et de distribution de l'électricité.
Dans ce nouveau cadre juridique, Réseau de Transport d'Electricité (R.T.E.), entité créée au sein d'Electricité de France (E.D.F.), assure, en tant que concessionnaire du réseau de transport d'électricité, la livraison de l'énergie aux clients raccordés au réseau public, notamment à la Régie Autonome des Transports Parisiens (R.A.T.P.).
Le réseau électrique de la R.A.T.P. est alimenté à partir de sept points de livraison en haute tension et de 12 liaisons de raccordement en HTB au réseau public de transport. La plupart des postes de transformation bénéficient d'une double alimentation par R.T.E. Deux seulement (Père Lachaise C et Ney) ne disposent que d'une seule liaison d'alimentation mais sont sécurisés par le réseau intérieur de la R.A.T.P, avec un bouclage interne respectivement sur les postes de Père Lachaise AB et Lamarck. On entend par point de livraison un point physique convenu contractuellement pour le soutirage de l'énergie entre le réseau public de transport et le réseau interne d'un client.
A la suite de l'adoption de la loi du 10 février 2000, la R.A.T.P., se prévalant de sa qualité de client éligible au sens de l'article 22
de ce texte, a dénoncé le contrat du 5 février 1985 conclu avec E.D.F. concernant la fourniture et le transport de l'électricité, et a passé avec R.T.E., pour chacun des points de livraison raccordés au réseau, sept conventions relatives à la mise à disposition de l'énergie électrique, applicables, à compter du 7 février 2000, pour une durée d'un an. A l'échéance, la R.A.T.P. a subordonné son acceptation des nouvelles dispositions contractuelles proposées par R.T.E. à l'obtention de la mesure de regroupement de ses points de livraison prévue par l'article 18 du cahier des charges de la concession à E.D.F. du réseau d'alimentation générale en énergie électrique (le cahier des charges).
Cette disposition, qui impose au concessionnaire du réseau "de signer un contrat de fourniture par point de livraison", prévoit des dérogations, octroyées avec l'accord du ministre chargé de l'électricité, notamment "(...) dans le cas où, pour des raisons de continuité de la fourniture, une même installation est alimentée par plusieurs points de livraison" . Il est alors "signé un seul contrat de fourniture avec le client pour l'ensemble des points de livraison concernés".
R.T.E. ne lui ayant pas accordé cette dérogation, la R.A.T.P. a refusé de signer le contrat. R.T.E. assurant cependant ses prestations conformément à la convention du 1er février 2000, qui ne prévoyait pas de regroupement, la R.A.T.P. a limité ses règlements, depuis le 1er février 2001, aux montants qu'elle aurait dû payer si le regroupement des contrats lui avait été accordé.
C'est dans ces conditions que, sur le fondement de l'article 38 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 précitée, R.T.E. a saisi la Commission de régulation de l'électricité (la Commission) du différend l'opposant à la R.A.T.P. sur les conditions contractuelles d'accès au réseau public du transport d'électricité.
Par décision du 2 mai 2002, la Commission s'est prononcée sur ce différend dans les termes suivants : "Art. 1ER : R.T.E. est fondé à refuser le regroupement des sept points de livraison de la R.A.T.P. ; ce refus n'est, en l'état, pas discriminatoire ; chaque point de livraison doit faire l'objet de contrats d'accès séparés. Art. 2 :
Les sept contrats proposés par R.T.E. à la R.A.T.P. ne comportant pas le regroupement des points de livraison prendront effet, après leur signature, au 1er février 2001, les factures pendantes étant régularisées sur leur base et les montants non versés à la date de signature portant intérêt au taux légal depuis le 1er février 2001". Depuis lors, le décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002 fixant les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, qui traite, dans sa section 3 intitulée "Multiplicité des points de raccordement", des règles applicables au regroupement, est entré en vigueur le 1er novembre 2002. Il prévoit la possibilité pour les utilisateurs du réseau de bénéficier du regroupement tarifaire de ces points moyennant certaines conditions techniques et de tarification. LA COUR,
Vu le recours régulièrement formé le 17 juin 2002 par la Régie Autonome des Transports Parisiens (R.A.T.P.) et le mémoire contenant l'exposé des moyens déposé le 17 juillet 2002, dans le délai visé à l'article 9 du décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000, par lequel cette partie demande à la cour : - d'annuler la décision de la Commission de régulation de l'électricité du 2 mai 2002 sur le différend l'opposant à R.T.E. ; Subsidiairement, - de réformer la décision de la Commission du 2 mai 2002 l'opposant à R.T.E. ; - en conséquence, de dire et juger qu'elle doit bénéficier d'un regroupement de ses points de livraison au titre de l'accès au réseau public de transport à compter du 1er février 2001 ; - de condamner
R.T.E. à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu le mémoire en réponse du 30 août 2002 par lequel Electricité de France (E.D.F.), en qualité de gestionnaire du Réseau de transport d'électricité (R.T.E.), demande à la cour de : - confirmer la décision rendue par la Commission de régulation de l'électricité du 2 mai 2002 dans le différend l'opposant à la R.A.T.P. ; - dire, en conséquence, que R.T.E. était fondé à refuser le regroupement des sept points de livraison de la R.A.T.P., que ce refus n'était pas discriminatoire, chaque point de livraison devant à l'époque des faits faire l'objet de contrats séparés ; - dire que les factures pendantes devront être régularisées sur la base des sept contrats proposés le 1er février 2001 et que les montants non versés porteront intérêt au taux légal depuis le 1er février 2001 ; - condamner la R.A.T.P. au paiement d'une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - condamner la R.A.T.P. aux dépens ;
Vu les observations écrites du 20 septembre 2002 par lesquelles la Commission de régulation de l'électricité demande à la cour de rejeter le recours ;
Vu les mémoires en réponse du 7 octobre 2002 de la R.A.T.P. et du 17 octobre 2002 d'E.D.F. en qualité de gestionnaire du Réseau de transport d'électricité (RTE) ;
Ou' à l'audience du 29 octobre 2002, les conseils du requérant et du défendeur au recours, le conseil de la Commission de régulation de l'électricité et le ministère public en leurs observations tendant au rejet du recours, préalablement mises à la disposition des parties, le requérant ayant eu la parole en dernier ; SUR CE,
Considérant que le 28 octobre 2002, à la veille de l'audience, la R.A.T.P. a communiqué deux courriers en date des 22 et 25 octobre
2002 (pièces n° 10 et 11) ; que la date-limite de dépôt des observations ayant été fixée par le délégué du Premier Président au 17 octobre 2002, en application de l'article 11 du décret du 11 septembre 2000, les parties et la Commission n'ont pu s'expliquer contradictoirement sur ces pièces dans leurs mémoires, alors que, selon le texte sus-visé, la procédure est écrite ; que, sur la demande du conseil de la Commission formulée à l'audience, ces documents sont écartés des débats ; Sur les moyens tendant à l'annulation de la décision
Considérant, en premier lieu, sur le défaut de réponse à conclusions, que la R.A.T.P. a évoqué l'existence d'un abus de position dominante de R.T.E., dans un rapport intitulé "La facturation par point de livraison appliquée par RTE et EDF-ARD à compter du 1er février 2000" (production n° 9), lequel était annexé à ses observations du 18 mars 2002, présentées en réponse à la saisine de la Commission par R.T.E. (production n° 8) ; que cette simple allégation, non mentionnée dans le corps des observations déposées par la R.A.T.P. lors de l'instruction du dossier, ne constitue pas un moyen soumis à l'examen de la Commission, au sens de l'article 4, dernier alinéa, du décret du 11 septembre 2000 relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l'électricité ; qu'en conséquence, cette Autorité n'était pas tenue d'y répondre ;
Que, par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu par le requérant, la Commission a statué sur le moyen concernant la situation d'autres utilisateurs du réseau de transport public d'électricité disposant de plusieurs points de livraison, dans un développement intitulé "Sur la discrimination contractuelle"et figurant à la page quatre de sa décision ;
Qu'ainsi les moyens relatifs à un prétendu défaut de réponse à conclusions doivent être écartés ;
Considérant, en second lieu, sur la prétendue contradiction de raisonnement commise par la Commission, que les dispositions de la décision critiquées par la R.A.T.P., selon lesquelles, d'une part, "la continuité et la sécurité de la fourniture impliquent la multiplicité des liaisons, mais pas celle des points de livraison" et, d'autre part, "... les possibilités de report (sur le réseau RATP) en cas d'incident sur le réseau RTE servent essentiellement et directement à garantir la sécurité d'alimentation de la RATP et non à sécuriser l'alimentation des autres utilisateurs et distributeurs à Paris", ne sont nullement en opposition ; qu'en effet, tandis que la première de ces assertions a trait à la continuité de la fourniture d'énergie livrée au client par le réseau public de transport, grâce au report entre points d'alimentation de R.T.E., critère visé par l'article 18 du cahier des charges, la seconde porte sur un autre aspect du différend entre les parties, à savoir le service fourni par la R.A.T.P. à R.T.E., et a trait à l'amélioration de la qualité résultant des modalités d'exploitation du réseau électrique interne de la R.A.T.P., à travers les reports de puissance que permet ce dernier, lesquelles modalités n'entrent pas dans les prévisions du texte précité ;
Qu'ainsi le moyen tiré d'une prétendue contradiction de raisonnement ne peut être accueilli ; Sur les moyens tendant à la réformation de la décision
Considérant, en premier lieu, que la R.A.T.P. ne produit aucun élément technique de nature à conforter ses affirmations selon lesquelles "les reports de puissance d'un point de livraison à un autre permettent d'assurer la continuité de la fourniture d'énergie" (...) "au même titre que l'existence de plusieurs lignes d'alimentation", (...) "lignes d'alimentation et postes électriques participant d'une même logique de reports de charge, afin de
garantir, au total, la continuité de la fourniture " et à justifier l'application de l'article 18 du cahier des charges ;
Considérant, en second lieu, que ne sont pas davantage étayés les moyens développés par la R.A.T.P. à l'appui de son argumentation relative à des irrégularités commises par R.T.E. dans la mise en oeuvre de son pouvoir discrétionnaire d'accorder une mesure de regroupement des points de livraison, et selon lesquels R.T.E. aurait fait "une erreur d'appréciation dans la prise en compte des contrats antérieurs entre les parties", rompu "l'égalité entre les gestionnaires de réseau public de distribution et elle-même", et méconnu le principe de "non-discrimination au regard des autres consommateurs placés dans une situation identique à la sienne" ;
Que, tout d'abord, contrairement à ce qui est soutenu par le requérant, la situation de droit et de fait des parties contractantes diffère de celle précédemment en vigueur où E.D.F. disposait d'une situation de monopole pour l'ensemble de ses prestations et concluait des contrats intégrés couvrant à la fois la fourniture d'énergie et son transport, alors qu'aujourd'hui ces deux activités sont indépendantes et soumises à des impératifs de concurrence, peu important que, dans un cas comme dans l'autre, E.D.F. ait eu un pouvoir discrétionnaire d'accorder une mesure de regroupement ; qu'en outre, la requérante ne saurait se prévaloir d'une situation contractuelle passée, à laquelle elle a volontairement mis fin en invoquant, dans le cadre du nouveau régime issu de la loi du 10 février 2000, son droit à l'éligibilité pour la fourniture d'énergie et en acceptant de conclure avec R.T.E. des contrats spécifiques pour l'accès au réseau public de transport, indépendant du ou des contrats d'approvisionnement conclus pour la fourniture d'électricité ;
Qu'ensuite, la R.A.T.P. n'établit pas l'existence d'une rupture d'égalité avec les gestionnaires du réseau public de distribution dès
lors qu'aucune preuve n'est apportée de ce que ceux-ci bénéficient d'une mesure de regroupement, l'extrait de l'avis n° 00-A-21 du 6 septembre 2000 du Conseil de la concurrence cité par la requérante, qui porte sur un projet de décret ayant pour objet de réglementer les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution de l'électricité, étant insuffisamment probant en ce qu'il a seulement pour objet d'appeler l'attention du ministre de l'économie sur un risque de discrimination, dont il ne démontre pas l'existence, et qu'en outre, la R.A.T.P. n'entre pas dans le champ des prévisions des articles 17 à 20 de la loi du 10 février 2000 sus-mentionnée, qui définissent les gestionnaires du réseau public de distribution et les soumettent à un régime spécifique ;
Qu'enfin, la R.A.T.P. ne justifie pas davantage être l'objet d'une discrimination par rapport à d'autres consommateurs placés dans une situation identique à la sienne et n'apporte, en particulier, aucun élément de nature à combattre la position de R.T.E. selon laquelle les avantages conférés à Réseau Ferré de France résultent d'économies de réseau dues à une configuration du réseau public alimentant ce client différente de la sienne ;
Que les moyens tendant à la réformation de la décision apparaissent, en conséquence, inopérants ;
Considérant qu'aucune circonstance ne justifie l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS,
Rejette le recours,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la R.A.T.P. aux dépens. LE GREFFIER
LE PRESIDENT