COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section H ARRET DU 18 FÉVRIER 2003
(N , 11 pages) Numéro d'inscription au répertoire général :
2002/13076 2002/13085, 2002/13722, 2002/13839, 2002/13845 Décision dont recours : décision n° 02-D-43 du Conseil de la concurrence en date du 02/07/2002 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision :
REFORMATION DEMANDERESSES AU RECOURS : - S.A. LYONNAISE DES EAUX FRANCE prise en la personne de son président directeur général, Monsieur M.-B. GUIRKINGER X... son siège 18, Square Edouard VII - 75009 PARIS Assistée de Maître L. RICHER, avocat au barreau de Paris, toque C 998 - Société EUROVIA STR anciennement STR HUYS prise en la personne de son président de conseil d'administration X... son siège rue Armand Carrel - ZI de Petite Synthe - 59640 DUNKERQUE Représentée par Maître TEYTAUD, avoués, 4-6, quai de la Mégisserie - 75001 PARIS Assistée de Maître MAITRE-DEVALLON, avocat au barreau de Paris, toque P 134 - S.A.R.L. EDGARD DUVAL prise en la personne de son gérant Monsieur Edgard DUVAL X... son siège 4, route des Plages - 59122 OOST-CAPPEL Assistée de Maître H. SENLECQ, 6 rue de Soubise - 59378 DUNKERQUE - Société TRAVAUX ET ENTREPRISE DES FLANDRES (TEF) prise en la personne de son gérant Monsieur René SIAUD X... son siège 95, rue de Cahors - 59640 DUNKERQUE Assistée de Maître S. BRASSART, avocat au barreau de Paris, toque R 87 - S.N.C. DEVIN LEMARCHAND ENVIRONNEMENT prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 78, rue de la Garde - BP 92823 - 44328 NANTES CEDEX 3 Représentée par la SCP JOBIN, avoués, 90, avenue Parmentier - 75011 PARIS, Assistée de Maître LESQUINS, avocat au barreau de Paris, toque E 1717 EN PRESENCE : du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, Représenté aux débats par Monsieur Y..., muni d'un mandat régulier. COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Madame RIFFAULT-SILK, Président Monsieur CARRE-PIERRAT, Président Monsieur
SAVATIER, Conseiller GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l'arrêt, Madame Z..., Greffier DEBATS : A l'audience publique du 14 janvier 2003. MINISTERE PUBLIC : Monsieur A... a déposé des observations écrites en début d'audience ARRET : Prononcé publiquement le DIX HUIT FÉVRIER DEUX MIL TROIS, par Madame RIFFAULT-SILK, Président, qui en a signé la minute avec Madame Z..., Greffier
[* Après avoir, à l'audience publique du 14 Janvier 2003, entendu le conseil des parties, les observations de Monsieur le représentant du Ministre chargé de l'Economie, le Ministère public ayant déposé ses observations écrites en début d'audience et les conseils des parties ayant eu la parole en dernier ; Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l'appui du recours;
*]
Le Syndicat intercommunal d'alimentation en eau de la région de Dunkerque (SIAERD, regroupant les 18 communes de la Communauté urbaine de Dunkerque et 8 communes rurales extérieures, a réalisé sur le réseau de distribution d'eau des investissements de renforcement et d'extension des canalisations de moins de 400 mm en procédant, entre 1993 et 1996, à des consultations d'entreprises de pose de canalisations sous la forme d'appels d'offres restreints pour un
nombre de marchés de 8 en 1993, 10 en 1994 et 1995, et 6 en 1996. Les marchés ont toujours été attribués à l'entreprise moins disante et à un prix inférieur à l'estimation qui en avait été faite.
Saisi le 11 février 1999 par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, des pratiques relevées à l'occasion de ces marchés, le Conseil de la concurrence a rendu le 2 juillet 2002 une décision par laquelle il a : - retenu que les sociétés Eurovia, Devin Lemarchand Environnement, Edgard Duval, Lamblin, Lyonnaise des Eaux, Eurovia STR, Travaux et Entreprise des Flandres, et Faignot, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, - infligé les sanctions pécuniaires suivantes :
- 50 000 euros à la société Eurovia,
- 1 500 000 euros à la société Devin Lemarchand Environnement,
- 115 000 euros à la société Edgard Duval,
- 200 000 euros à la société Lamblin,
- 4 500 000 euros à la société Lyonnaise des Eaux,
- 700 000 euros à la société Eurovia STR,
- 100 000 euros à la société Travaux et Entreprise des Flandres, - ordonné aux sociétés ainsi sanctionnées de faire publier dans un délai de trois mois partie de sa décision, à frais commun et à proportion des sanctions pécuniaires prononcées, dans une édition du quotidien La Voix du Nord.
Pour statuer comme il a fait, le Conseil a relevé trois indices de répartition des marchés. Le premier est tiré de la reconduction des entreprises attributaires d'année en année, l'adoption de comportement identiques des entreprises qui limitaient à quelques marchés leur objectif en concentrant sur ceux-ci leurs efforts sur les prix, et de ce que, en 1995 et 1996, "sauf exception, la meilleur offre de chacune des entreprises attributaires n'a jamais co'ncidé avec la meilleure offre d'une autre entreprise, mis à part le cas de
constitution d'un groupement". Le deuxième est tiré du recours aux groupements d'entreprises. Le troisième repose sur une liste manuscrite des 14 entreprises admises à concourir à l'appel à concurrence lancé en 1996 figurant sur l'agenda professionnel de M. B..., ingénieur à la société Lyonnaise des Eaux, chargé de la gestion d'eau potable dans le secteur s'étendant de la frontière belge au département du Pas de Calais. Il a retenu qu'il en résulte que les sociétés Cochery, DLE, Duval, Lamblin, LDE, STR, TEF et Faignot se sont concertées pour se partager les marchés de travaux sur le réseau de distribution d'eau passés par le SIAERD en 1995 et 1996, et que cette pratique avait un objet anticoncurrentiel et a eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés considérés.
LA COUR :
Vu les recours en annulation ou réformation formés par les sociétés Devin Lemarchand Environnement, Lyonnaise des Eaux France, Edgard Duval, Travaux et Entreprise des Flandres, et Eurovia STR ;
Vu le mémoire du 2 septembre 2002 par lequel la société Devin Lemarchand Environnement (ci-après DLE) conclut à la réformation de la décision en faisant valoir que la constitution par elle-même de groupements momentanés avec d'autres entreprises pour répondre aux appels d'offres de 1995 et 1996 a répondu aux exigences d'un comportement normal, sans présenter d'objet ni d'effet anticoncurrentiel et qu'il n'y a aucun autre indice de sa participation à une entente générale de répartition des marchés concernés, de sorte qu'une telle participation n'est pas établie, et, subsidiairement, demande que la sanction infligée soit réduite de manière significative afin de rétablir la proportionnalité adéquate entre les diverses sanctions prononcées et avec le bénéfice éventuel que l'entreprise a pu tirer d'une participation à une entente qui ne
peut avoir été qu'indirecte ;
Vu le mémoire du 2 septembre 2002 par lequel la société Lyonnaise des Eaux France conclut à la réformation de la décision en soulignant que le seul élément retenu à charge est l'existence de la note manuscrite de M. B..., dont elle conteste la date et l'interprétation qu'en a faite le Conseil, et, subsidiairement, demande la réduction de la sanction à la somme de 395 000 euros, le Conseil n'ayant tenu compte ni de la gravité des faits reprochés ni de l'importance du dommage causé à l'économie pour se fonder uniquement sur le chiffre d'affaires de la société et sur une précédente sanction de 1981 qui ne pouvait être invoquée ;
Vu le mémoire du 2 septembre par lequel la société Edgard Duval fait valoir que sa participation à une entente n'est pas établie, ce qui ne peut ressortir de la note de M. B... dont il n'est pas prouvé qu'elle a été rédigée avant le dépôt des offres de 1996, de faits antérieurs à la période non prescrite, ou d'une participation à des groupements, dés lors que celle-ci répondait à des raisons techniques, et, subsidiairement, demande la réduction de la sanction qui n'est pas proportionnée à la gravité de la pratique et de ses effets ;
Vu les mémoires du 2 septembre et 13 décembre 2002 par lesquels la société Travaux et Entreprise des Flandres (ci-après, TEF) conteste la pertinence des indices relevés par le Conseil pour fonder sa décision et, subsidiairement, sollicite la diminution du montant de la sanction ;
Vu le mémoire du 3 septembre par lequel la société Eurovia STR, qui vient au droits de la société Eurovia, demande à la cour de réformer la décision puisque la preuve de sa participation à l'entente n'est pas rapportée, l'indice tiré de la note étant, à lui seul insusceptible de l'établir alors, d'une part, que la participation à
un groupement était licite et qu'il n'est pas prouvé qu'elle n'avait pas de justification technique et que, d'autre part, l'indice tiré de la reconduction des attributaires n'est pas pertinent, dés lors que les lots attribués n'étaient pas identiques et que leur délimitation variait, et, subsidiairement, de réduire la sanction prononcée qui est manifestement disproportionnée et excessive ;
Vu les observations du Conseil de la concurrence déposées le 31 octobre 2002 ;
Vu les observations du ministre chargé de l'économie déposées le 4 novembre 2002 qui concluent au rejet des recours ;
Vu les mémoires en réponse des requérants ;
Vu les observations que le ministère public a déposées le jour de l'audience concluant au rejet des recours ;
Sur ce :
Considérant que, contrairement à ce que prétend la société Edgard Duval, c'est sans méconnaître les effets de la prescription que le Conseil de la concurrence a examiné la situation des entreprises concernées avant les années 1995 et 1996 pour apprécier leur comportement ces années là, la caractérisation d'une entente pouvant reposer sur des faits antérieurs à la période répréhensible dès lors que l'entente a perduré ;
Considérant qu'il est constant que, s'agissant de renforcement et d'extension de canalisations de distribution d'eau, les lots objets des consultations étaient différents chaque année tant dans leur délimitation géographique que dans l'importance des travaux à effectuer ce qui se traduisait par une variation de leurs montants ; qu'ainsi, pour l'année 1995, selon les estimations du SIAERD, les lots étaient d'un montant compris entre 352 640 F, pour le moins important et 852 599 F pour le plus important ; qu'il apparaît qu'en 1996, si le nombre de lots a été réduit, le volume de travaux
correspondant à chacun d'eux a augmenté puisque les estimations furent comprises cette année là entre 964 860 F et 1 447 273 F ;
Considérant que c'est sans être contredite par aucun élément du dossier que la société TEF explique qu'à raison de la procédure d'appel d'offres restreint auquel avait recours le SIAERD, celui-ci sélectionnait les entreprises autorisées à concourir chaque année, de sorte qu'il n'était pas indifférent au maître d'ouvrage que ces entreprises fassent des offres sur le plus grand nombre des lots à répartir ;
Considérant qu'il y a lieu d'observer que, si l'on retient les entreprises participantes à des groupements attributaires de lots, le nombre d'entreprises ayant accédé aux marchés pour avoir été attributaires d'un ou plusieurs lots a été de 5 en 1993, 6 en 1994 et 1995, 8 en 1996 ; qu'ainsi, il apparaît que les entreprises ayant bénéficié des marchés attribués par le SIAERD ont été plus nombreuses en 1996 qu'en 1995, et cette année là qu'en 1993 ;
Considérant que le Conseil qui n'a pas comparé les chiffres d'affaires réalisés selon les années par chacune des entreprises attributaires de lots au cours de la période qu'il a examinée, n'a pas procédé à l'analyse des parts de marché de chacune d'elles, alors même qu'il retenait qu'elles avaient entendu se répartir les lots ; qu'il s'est borné à observer que cinq sociétés (Lamblin, Faignot, Duval, TEF et LDE) ont été reconduites chaque année de 1993 à 1996 ; que, toutefois, il admet que la société LDE n'a été attributaire d'aucun lot en 1995 ; que, dès lors, le Conseil de la concurrence devait constater que seules quatre sociétés ont été reconduites pendant les quatre années considérées ;
Qu'en outre, cette constance ne peut être observée que si sont pris en considération les attributions de lots aux groupements constitués entre ces entreprises, mais aussi, aux deux groupements constitués,
en 1996, par des sociétés citées avec une nouvelle entreprise la société Cochery, laquelle si elle avait concouru seule en 1994 n'avait pas été attributaire d'un lot, et n'avait pas concouru en 1995 ; que cette année là, c'était la société DLE qui s'était introduite sur le marché en se groupant avec la société Faignot ;
Que l'observation des offres faites par toutes les entreprises participant aux consultations, révèle que les entreprises attributaires proposaient pour l'ensemble des lots des prix presque toujours inférieurs aux prix pour lesquels les entreprises qui n'ont jamais été retenues déposaient des offres (sociétés Entrepose, Sade et EI en 1995 ; sociétés Entrepose, Sade, SOGEA, STPV et SEMIP, en 1996) ; qu'il s'agissait donc des entreprises les plus compétitives ; qu'ainsi, pour l'année 1995, sur neuf entreprises qui ont participé, hors groupements, à l'appel d'offres qui concernait 10 lots, si l'on retient pour chaque lot les 5 meilleures offres de l'ensemble des participantes à l'appel, on retrouve la société Lamblin pour 9 lots, la société DUVAL pour 9 lots (elle n'a pas fait d'offre pour le dixième), la société LDE pour 9 lots, la société Faignot pour 8 lots (elle n'a pas fait d'offres pour les deux autres) ;
Considérant que l'affirmation du Conseil de la concurrence selon laquelle "les entreprises ont adopté ou reproduit un même comportement consistant en une limitation de leurs objectifs à quelques marchés sur lesquels elles concentraient leurs efforts en ce qui concerne les rabais qu'elles proposaient" n'est pas démontrée ;
Qu'en effet, si l'on examine le tableau de l'année 1995 tel qu'il figure dans la décision, il apparaît que la société Lamblin a déposé des offres qui la plaçaient dans les trois meilleures propositions pour 5 lots (elle a été retenue pour les 2 lots pour lesquels son offre était la meilleure) ; que les offres de la société LDE, laquelle n'a pourtant pas obtenu de lot, la situaient 6 fois en
deuxième rang, et 2 fois en troisième, ces offres étant pour 5 d'entre elles au dessous de l'estimation ; que les offres de la société Edgard Duval, qui n'a pas déposé d'offre pour un lot, étaient dans les trois meilleures pour 8 lots, en quatrième rang pour le neuvième (elle a été retenue pour les trois lots où elle était la moins disante) ;
Que comme le fait exactement remarquer la société TEF, les écarts entre les offres sont souvent minimes ; qu'ainsi, pour l'année 1995, les écarts entre les trois meilleures offres sont, selon les lots, de 8 914 francs, pour le plus réduit, à 80 827 francs, pour le plus important, et sont 5 fois inférieurs à 30 000 francs et 7 fois inférieurs à 40 000 francs ;
Que, dès lors, il est n'est pas possible d'affirmer que les entreprises limitaient leurs objectifs à quelques lots, ce qui, au demeurant, n'est pas illicite, alors que les faits révèlent une compétition entre elles pour la majorité des lots ;
Qu'en outre, il y a lieu de remarquer que les entreprises qui ont participé aux appels d'offres et n'ont jamais été retenues avaient un comportement semblable puisqu'elles ne concouraient pas plus pour chacun des lots, ce qui démontre que le parallélisme de comportement peut être la résultante de décisions identiques mais indépendantes, prises par des entreprises s'adaptant naturellement à un même contexte sur un même marché ;
Considérant que, comme le souligne avec raison le ministre dans ses observations, "le système des offres de couverture n'est efficace que pour autant que chacun des acteurs est certain de l'adhésion des autres, puisque la meilleure offre reste sans cela exposée à une soumission plus concurrentielle" ;
Qu'à cet égard, le Conseil de la concurrence ne peut fonder sa décision sur le motif selon lequel "sauf exception, la meilleure
offre de chacune des entreprises attributaires n'a jamais co'ncidé avec la meilleure offre d'une autre entreprise, mis à part le cas de constitution d'un groupement" ;
Qu'en effet, outre l'existence d'une exception, relevée sans autres précisions, de nature à relativiser le caractère absolu de cette affirmation, d'autant que l'examen des comportements ne porte que sur l'attribution de 16 lots, le Conseil de la concurrence n'explique pas ce qui lui permet de se prononcer ainsi ; qu'il faut relever que les lots étant de montants différents, les offres formées par une même entreprise pour des lots distincts ne peuvent être comparées et il ne peut y avoir qu'une meilleure offre pour chacun des lots, celle formée par l'entreprise la moins disante ;
Qu'il ne ressort aucunement de l'examen des résultats des consultations que les entreprises ne formaient pas des offres susceptibles de se contrarier sur un lot ; qu'il suffit d'ajouter aux motifs déjà exposés, que la décision, par exemple, ne pouvait pas affirmer en sa page 10, que "les 2 offres les plus compétitives de cette entreprise la société Lamblin, faites sur les marchés 5 et 10 n'ont pas rencontré de véritables concurrents, c'est à dire qu'aucune des autres entreprises mises en cause n'a choisi de privilégier ces deux marchés", alors que, le lot 5 de l'année 1995 considérée, attribué à la société Lamblin, moins disante, pour un prix de 493 608 francs, avait fait l'objet d'autres offres dont les montants étaient supérieurs, par exemple, seulement de 15 431 francs, 24 443 francs, 28 769 francs, 37 530 francs et 44 802 francs ; que sur le lot 10, attribué pour 806 700 francs, l'offre immédiatement supérieure était seulement de 24 620 francs plus élevée, et l'écart avec la cinquième offre plus onéreuse était de 52 902 francs seulement ;
Qu'il faut ajouter qu'alors qu'il n'est pas établi que les entreprises connaissaient l'estimation du marché retenue par le
SIAERD, retenir comme critère de compétitivité des offres cette estimation n'est pas pertinent ; que d'ailleurs, même si l'existence d'une concurrence réelle devait être mesurée, comme semble l'avoir fait la décision, selon un tel critère, il apparaît qu'en 1995, plusieurs lots ont donné lieu à au moins trois offres inférieures à l'estimation, ce qui contredit le motif de la décision précité ; qu'il en est de même en 1996, 3 lots ayant donné lieu à au moins trois offres, individuelles ou groupées, inférieures à l'estimation, étant observé que l'on ne voit pas pourquoi la décision ne prend pas en compte dans son appréciation de l'intensité de la concurrence les offres groupées ;
Considérant qu'il s'ensuit que le Conseil de la concurrence ne pouvait tirer de l'examen des offres, du comportement des entreprises et des conditions d'attribution des lots un indice d'entente de répartition des marchés ; Sur la constitution de groupements d'entreprises :
Considérant qu'il est apparu que des groupements ont été constitués entre sociétés lesquels ont fait une offre dans l'un des lots proposés en 1994 (sociétés STR et Lamblin), dans deux lots en 1995 (sociétés Faignot et DLE, pour l'un, sociétés Faignot et Edgard Duval pour l'autre), et dans 5 des 6 lots en 1996 (sociétés STR et Lamblin ; sociétés Edgard Duval, DLE et Faignot ; sociétés Edgard Duval, DLE et Cochery ; sociétés Edgard Duval et Cochery ; sociétés LDE et TEF), étant précisé que certains de ces groupements sont entrés en concurrence sur trois des lots de cette année là ;
Considérant que la décision a relevé qu'il n'était pas exclu que le groupement constitué entre les sociétés TEF et LDE en 1996 ait été justifié par une complémentarité technique des deux entreprises, la première ne disposant pas de la compétence nécessaire pour réaliser la pose de canalisations en polyéthylène ; que le seul fait que
celle-ci a cependant déposé des offres individuelles pour d'autres lots, ce qu'invoque le ministre, ne suffit pas à priver d'intérêt le groupement qui pouvait l'aider à acquérir la compétence qui lui faisait défaut ; qu'en outre, il faut observer que la société TEF n'a pas été attributaire personnellement, ce qui laisse penser que les offres qu'elle a faites n'étaient pas compétitives ou, que, si elles avaient été acceptées, leur montant lui aurait permis de faire face à la difficulté technique qu'elle aurait rencontrée ; que la participation de ces sociétés à ce groupement ne peut donc constituer pour celles-ci un indice d'entente de répartition des marchés pour l'année 1996 ;
Considérant que, comme le rappelle justement la décision, la constitution de groupements pour répondre à des appels d'offres n'est pas, en soi, illicite ; qu'elle ne constitue une pratique anticoncurrentielle que dans certaines circonstances, qui ne sont pas, en l'espèce, caractérisées par la décision attaquée qui se borne à retenir que "les groupements formés par les sociétés Lamblin, Duval, Faignot, DLE et Eurovia n'étaient pas motivés par la recherche d'une complémentarité technique et constituent un indice supplémentaire d'entente entre ces entreprises" ;
Que, cependant, les déclarations citées dans la décision révèlent que les entreprises cherchaient, en se groupant, à s'assurer de meilleures chances de succès dans des appels d'offres qui restaient ouverts afin d'entrer sur le marché (société DLE en 1995) ou de répartir, entre deux ou trois entreprises, la charge de travail correspondant au lot pour lequel le groupement soumissionnait, afin de gagner en souplesse, ce qui explique la multiplication des groupements en 1996, année qui a vu l'importance des lots très largement augmentée, ce qui rendait plus difficile la réalisation des travaux correspondants par une seule entreprise ; que ces
préoccupations techniques ne sont pas contredites par le fait qu'après attribution d'un lot, l'une ou l'autre des entreprises d'un groupement a pu réaliser seule les travaux, cette situation confirmant les déclarations des dirigeants selon lesquels il pouvait être difficile à une entreprise isolée d'inscrire son intervention, dont la période était fixée par le SIAERD, dans son plan de travail ; Que les conditions dans lesquelles les entreprises qui se regroupaient formaient leur prix n'établissent pas que ces groupements, qui au demeurant pouvaient rassembler des entreprises différentes selon les lots, la société Faignot avec soit la société Edgard Duval, soit la société DLE, en 1995, la société Edgard Duval avec soit la société Cochery seule, soit avec les sociétés Cochery et DLE, soit encore avec les sociétés DLE et Faignot, en 1996, ne répondaient à aucune préoccupation technique ;
Qu'ainsi, si ententes il y a eu, elles ne concernaient, non l'ensemble des entreprises répondant aux appels d'offres, mais seulement, à l'intérieur de chaque groupement, les deux ou trois sociétés qui se mettaient d'accord pour former une offre commune à l'un des lots proposés ; que dés lors, aucun élément du dossier ne vient soutenir l'affirmation du Conseil de la concurrence selon lequel les groupements constitués "avaient essentiellement pour objet d'assurer une répartition de l'ensemble des travaux entre les entreprises" ;
Que, d'ailleurs, comme il a déjà été relevé, la constitution de groupements n'a pas diminué le nombre d'entreprises attributaires de lots ou de parties de lots (par l'intermédiaire de ceux-ci) et n'a pas empêché de nouvelles entreprises d'entrer sur le marché ; qu'en 1995, pour 10 lots, 86 offres, soit individuelles, soit émanant de groupements, ont été déposées ; qu'en 1996, pour 6 lots, ce sont 52
offres qui ont été déposées ; que, dès lors, il n'apparaît pas que l'existence de tels groupements a eu un effet anticoncurrentiel ;
Qu'enfin, la Conseil de la concurrence ne justifie pas l'affirmation selon laquelle "l'harmonieuse répartition des marchés qui en résultait ne peut être attribuée au hasard" ; qu'en effet, on cherche en vain en quoi la répartition intervenue était "harmonieuse", alors que seules quatre entreprises ont toujours bénéficié d'un lot ou d'une partie de lot, tandis que le nombre de bénéficiaires augmentait, ce qui témoignerait plus sûrement, de l'accroissement de la concurrence ;
Considérant qu'il n'est pas établi que la constitution des groupements avait pour objet ou a eu pour effet d'affecter l'intensité globale de la concurrence ; que dès lors, la formation de ces groupements ou la participation à ceux-ci, ne constitue pas un indice d'entente de répartition des marchés ;
Considérant, qu'il s'ensuit, qu'il n'y pas lieu d'examiner la pertinence de l'analyse faite par le Conseil de la concurrence de la note manuscrite de M. B..., qui si elle était adoptée par la cour, ne constituerait qu'un indice isolé qui ne serait pas de nature, à lui seul, à apporter la preuve de l'entente retenue par la décision attaquée laquelle relève elle-même que "les indications de la note manuscrite ne suffisent pas à elles seules à établir que chacune des entreprises, dont le nom est suivi de la mention du numéro de téléphone, a participé à la concertation visée dans la notification de grief", et qu'elle ne consitue qu'un "indice supplémentaire venant s'ajouter aux indices précédemment relevés pour établir la réalité de cette participation" ;
Considérant, en conséquence, que la décision attaquée sera réformée, et la cour, statuant à nouveau, dira que la preuve de l'entente reprochée aux sociétés requérante n'est pas rapportée ;
Considérant qu'il n'y avait donc lieu à sanctions ;
Qu'en conséquence le Trésor Public devra restituer les sommes perçues au titre de celles-ci avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt, la capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l'article 1154 du Code civil étant dès à présent ordonnée au profit de la société Eurovia qui en a formé la demande dans son mémoire du 3 septembre 2002 ;
PAR CES MOTIFS :
Réforme la décision n° 02-D-43 du 2 juillet 2002,
Statuant à nouveau,
Dit qu'il n'est pas établi que les sociétés Devin Lemarchand Environnement, Lyonnaise des Eaux France, Edgard Duval, Travaux et Entreprise des Flandres, et Eurovia STR ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,
Dit n'y avoir lieu à sanction,
Dit que les sommes perçues au titre des sanctions prononcées seront remboursées avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt, la capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l'article 1154 du Code civil étant dès à présent ordonnée au profit de la société Eurovia,
Laisse les dépens à la charge du du Trésor Public. LE GREFFIER
LE PRESIDENT