Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
15ème Chambre - Section B
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2006
(no06/ , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 05/05615
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Décembre 2004 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 03/06101
APPELANTS
Monsieur Jean-Jacques X...
et Madame Janine Y... épouse X...
demeurant ...
93340 LE RAINCY
représentés par Me Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour
assistés de Me Jean-Louis LAGARDE, avocat au barreau de PARIS, toque : D 127
INTIMEE
SAS AMERICAN EXPRESS PARIS
venant aux droits de la SA AMERICAN EXPRESS BANK FRANCE
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège 11 rue Scribe
75009 PARIS
représentée par la SCP ROBLIN - CHAIX DE LAVARENE, avoués à la Cour
assistée de Me Olivier PASTUREL, avocat au barreau de PARIS, toque: R 279
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2006, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Evelyne DELBES, Conseiller
Monsieur Thierry PERROT, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du nouveau Code de procédure civile
Greffier, lors des débats : Mlle Sandrine KERVAREC
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de Président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Madame Claire DAVID, conseiller faisant fonction de président et par Mlle Céline SANCHEZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
Le 31 mai 2000, M. Jean-Jacques X... a déposé la somme de 776 954 € sur son compte rémunéré ouvert dans les livres de l'American Express.
Entre le 2 juin et le 28 juillet 2000, il a procédé à plusieurs retraits d'un montant total de 434 632 €.
Les 13, 14 et 15 septembre 2000, M et Mme X... ont souscrit un certain nombre de parts sur différents placements (Sicav et FCP) pour un montant total de 358 203,45 € au 30 septembre 2000.
Les époux X... ont réalisé une moins-value sur ces placements et ont assigné le 2 avril 2003 la société American Express Paris venant aux droits de la société American Express Bank devant le tribunal de grande instance de Paris afin de voir cette dernière condamner à lui payer la somme de 233 768,22 € en réparation de préjudice subi en raison de la faute commise dans le cadre de l'exécution de son obligation de conseil.
Par jugement du 8 décembre 2004, le tribunal de grande instance de Paris a débouté M. et Mme X... de l'ensemble de leurs demandes.
La déclaration d'appel de M. et Mme carré a été remise au greffe de la Cour le 1er février 2005.
Dans leurs dernières écritures, au sens de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, déposées le 8 mars 2006, les époux X... demandent :
- d'infirmer le jugement,
- de juger qu'American Express a commis plusieurs fautes qui engagent sa responsabilité civile à leur encontre,
- de condamner American Express à leur payer une somme de 233 768,22 €,
- de condamner American Express au paiement de la somme de 5 000 €sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions d'incident de communication de pièces du 14 juin 2006, les époux X... demandent d'enjoindre à la Société American Express Paris de communiquer:
- l'accord préalable écrit de l'American express précisant le lien éventuel du découvert avec le compte spécial rémunéré ainsi que les modalités d'utilisation du découvert conformément à l'article 7 des conditions générales de leur compte spécial rémunéré,
- l'original signé des conditions particulières et les conditions générales du compte de titres, et ce sous astreinte de 76 euros par jour de retard à compter du troisième jour suivant la signification de l'ordonnance.
L'incident a été joint au fond.
Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, déposées le 12 juin 2006, la Société American Express Paris, demande :
- de confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise,
- de condamner M et Mme X... à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
CELA ÉTANT EXPOSÉ,
LA COUR,
Sur l'incident de communication de pièces
Considérant que M et Mme X... sollicitent la communication de l'accord préalable écrit de la société American Express et de l'original signé des conditions particulières et des conditions générales du compte de titres, ce à quoi la société American Express indique qu'elle a déjà communiqué l'ensemble des éléments et notamment l'original signé de l'ouverture de compte spécial rémunéré en date du 14 juin 1992 ;
Considérant que dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande ;
Sur les fautes reprochées à la société American Express
Considérant qu'il est acquis aux débats qu'aucun mandat de gestion n'a été signé entre les parties ;
Considérant que le 8 juin 2000, la société American Express écrivait par courrier électronique à M. X... pour lui "conseiller d'investir le plus tôt possible les fonds dont vous n'avez pas besoin sur le court terme" ; qu'il ne peut être fait grief à la banque d'avoir donné ce conseil à ses clients, dès lors qu'il leur était loisible de ne pas le suivre ;
Considérant que les dispositions prévues à l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier imposent à l'établissement financier de s'enquérir de la situation financière de ses clients, de leur expérience, de leurs objectifs et de leur communiquer d'une manière appropriée les informations utiles ;
Que l'importance de l'obligation d'information à la charge de la banque dépend du caractère averti ou non de ses clients ;
Que pour établir que M. X..., ingénieur, était averti, la société American Express se fonde sur le mail qu'il a adressé le 26 mars 2001 et qui parle de rendement de 4% en rolling calender et sur les ordres qu'il a passés au cours des mois de juin, août et septembre 2000sur les Sicav CIC Trésorerie plus, AE Sécurité C et AE Monétaire C ;
Mais considérant que le caractère averti doit s'apprécier au moment où le choix du placement se pose ; que le mail postérieur de mars 2001 fait état de discussions qu'aurait eu M. X... avec des spécialistes américains ; qu'enfin, les avis d'opéré au cours de l'été 2000 ne démontrent pas que M. X... est à l'origine des opérations envisagées ;
Considérant qu'il n'est pas soutenu que Mme X... était avertie ;
Qu'il n'est donc nullement établi que M et Mme X... étaient des opérateurs avertis ; que la banque était alors tenue de les informer de la teneur de leurs placements et des risques éventuels encourus, ce qu'elle ne démontre pas ; qu'elle ne produit pas la moindre pièce permettant de vérifier qu'elle a informé ses clients sur les placements qu'elle leur a proposés par la remise de notes d'information ; qu'une seule lettre du 1er août 2000 annonce une brochure concernant la SICAV World Express Fund, brochure qui n'est pas produite aux débats ;
Considérant que les placements ont été faits les 13, 14 et 15 septembre 2000 en souscription de parts d'OPCVM Invesco Euroka C, Eurosicav et Invesco Actions Françaises, Amex World Express Fund, Nippon GAN, Indocam Nouveau Marché ;
Considérant que la société American Express ne produit pas la moindre pièce selon laquelle M et Mme X... lui auraient passé l'ordre d'achat de toutes les parts d'OPCVM ci-dessus énoncées ; qu'il en résulte qu'elle a, à l'évidence, guidé ses clients dans le choix des placements ; que d'ailleurs, par courrier électronique du 8 janvier 2001, elle indique à M. X... : "je vous ai établi une répartition effectivement tout à fait diversifiée au niveau géographique et sectoriel" ;
Mais considérant par contre que M et Mme X... n'apportent pas la preuve que la société American Express se serait engagée à leur égard à obtenir un rendement d'au moins 5 %, qui est celui qui était apporté à l'époque par le compte rémunéré dont ils disposaient ; qu'il leur appartenait alors de laisser les sommes sur ce compte rémunéré, si le rendement était identique, M et Mme X... ne pouvant raisonnablement présumer que les rendements des marchés boursiers étaient stables ; que M. X... soutient au surplus qu'il avait demandé une disponibilité "rapide" de ses fonds ; que s' il n'apporte pas la preuve d'avoir indiqué cette exigence, celle-ci est même contredite par le fait qu'il a fait le choix de placer les fonds dont il disposait en bourse, alors même qu'il était déjà titulaire d'un compte rémunéré ;
Considérant que l'intensité de l'obligation d'information pesant sur la banque dépend de la connaissance que le client a des risques encourus et du caractère spéculatif des opérations entreprises ; qu'il n'est pas établi, ni même soutenu, que les parts d'OPCVM souscrites par M et Mme X... présentaient un caractère spéculatif particulier ;
Considérant que M et Mme X... reprochent ensuite à la banque de ne pas avoir vendu leur portefeuille ; qu'il est constant qu'ils n'ont jamais donné l'ordre express de vente ;
Considérant par contre, qu'à l'inquiétude de M. X... sur l'évolution de son portefeuille, la société American Express lui a répondu, d'une part, à une date non précisée sur le courrier électronique et, de même par un nouveau courrier du 8 janvier 2001, en ces termes : "je vous recommande de ne rien changer à la répartition actuelle qui est calculée sur le long terme en attendant la reprise des marchés" et encore : "je vous conseille de ne rien changer pour le moment, car vous détenez les meilleurs fonds possible pour bénéficier du rebond des marchés et car toute modification engendrerait des frais, ce que je veux éviter" ; qu'elle lui répondait encore le 21 mars 2001 : "vous pouvez compter sur mon attention constante pour vendre au meilleur moment chacun de vos supports lorsque les marchés financiers auront repris une courbe ascendante" et le 2 avril 2001 : "nous attendons un fort rebond pour le dernier trimestre 2001, la gestion monétaire risque de s'avérer la moins judicieuse ... quoi qu'il en soit, le moment n'est plus à un tel changement car le rebond peut avoir lieu n'importe quand" ;
Considérant qu'il résulte de ces courriers que la société American Express s'est nettement immiscée dans la gestion en leur déconseillant fermement de vendre leur portefeuille en 2001 ;
Mais considérant que ce conseil n'est pas à lui seul constitutif d'une faute ; que M et Mme X... n'apportent pas la moindre preuve qu'il était acquis à cette époque, non seulement que la bourse allait connaître une chute durable sur une longue durée, mais encore que tous les spécialistes conseillaient de vendre rapidement ; que s'ils affirment que la presse économique avait, début 2001, insisté sur le caractère durable de la crise, ils n'apportent pas la preuve que tous les spécialistes s'accordaient sur cette analyse, qu'il est aisée de faire a posteriori ;
Considérant que faute pour M et Mme X... de démontrer que la vente de leur portefeuille était plus judicieuse que le paiement d'intérêts sur leur découvert bancaire, il ne peut être considéré que la société American Express ait manqué à son obligation de conseil à leur égard ;
Considérant enfin que si M et Mme X... reprochent à la société American Express de ne pas avoir vendu, alors qu'ils avaient clairement indiqué qu'ils avaient besoin de disponibilités, il est établi qu'ils n'ont jamais donné d'ordre de vente, alors que la société American Express le leur demande à deux reprises le 21 mars 2001, en ces termes : "je ne suis pas habilité à passer des ordres sans votre accord" et encore dans son courrier du 21 juin 2001 : "vous avez deux possibilités : verser sur votre compte la somme nécessaire ou nous transmettre un ordre de vente, par courrier, télécopie ou téléphone, de tout ou partie de vos placements" ; que bien plus, M. X... a répondu le même jour : "Veuillez arrêter de m'envoyer des documents avec votre signature sur des bases émises par ordinateur suivant des critères qui vous sont propres et qui ne reflètent aucun suivi client de votre part" ;
Considérant que M et Mme X... font encore grief à la société American Express de leur avoir consenti "sans offre de crédit" un découvert sur leur compte rémunéré, au mépris de l'article 7 du contrat de fonctionnement du compte rémunéré qui dispose que "toute facilité de crédit sous quelque forme que ce soit, devra faire l'objet d'un accord préalable écrit de l'American Express qui précisera le lien éventuel avec ce compte ainsi que les modalités d'utilisation" ;
Considérant en effet qu'aucune offre de crédit n'a été proposée à M. X... lors de la mise en place de son découvert bancaire ; que faute pour la banque d'avoir proposé cette offre, elle doit être déchue des intérêts conventionnels, comme le demandent les appelants en réclamant le remboursement de la somme justifiée de 22 329,76 € ;
Considérant par contre que les autres demandes de dommages et intérêts doivent être écartées, dès lors qu'il n'est pas établi que le choix des OPCVM ait fait subir à M et Mme X... un préjudice particulier, autre que l'aléa de la bourse qui ne peut être supporté par la banque ;
Considérant que le jugement doit donc être infirmé ;
Qu'il est équitable d'allouer à M et Mme X... la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Condamne la société American Express à payer à M et Mme X... la somme de 22 329,76 €,
Condamne la société American Express à payer à M et Mme X... la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la société American Express aux dépens de 1ère instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT