Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
5ème Chambre - Section B
ARRET DU 31 MAI 2007
(no , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 07/02688
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Décembre 2006 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 05/08260
APPELANTS
UNION DES EDITEURS VIDEOGRAPHIQUES INDEPENDANTS représentée par la société EDITIONS MONTPARNASSE prise en la personne de ses représentants légaux
1 bis rue du Havre
75008 PARIS
représentée par Me Dominique OLIVIER, avoué à la Cour
assistée de Me Hervé LEHMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P 286, plaidant pour la SCP LEHMAN & Associés, avocat
CHAMBRE SYNDICALE DES PRODUCTEURS DE FILMS prise en la personne de ses représentants légaux
5, rue du Cirque
75008 PARIS
représentée par Me Dominique OLIVIER, avoué à la Cour
assistée de Me Hervé LEHMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P 286, plaidant pour la SCP LEHMAN & Associés, avocat
SYNDICAT DES PRODUCTEURS INDEPENDANTS pris en la personne de ses représentants légaux
1 bis, rue du Havre
75008 PARIS
représenté par Me Dominique OLIVIER, avoué à la Cour
assisté de Me Hervé LEHMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P 286,plaidant pour la SCP LEHMAN & Associés, avocat
SYNDICAT NATIONAL DE LA VIDEO LOCATIVE pris en la personne de ses représentants légaux
338, boulevard de la Libération
04100 MANOSQUE
représenté par Me Dominique OLIVIER, avoué à la Cour
assisté de Me Hervé LEHMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P 286, plaidant pour la SCP LEHMAN & Associés, avocat
INTIMEES
S.A. EDITRICE DU MONDE prise en la personne de ses représentants légaux
80, boulevard Auguste Blanqui
75013 PARIS
représentée par la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avoués à la Cour
assistée de Me Michel RASLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 298, plaidant pour la SCP CARBONNIER- LAMAZE- RASLE et Associés, avocat
MONDADORI MAGAZINES FRANCE venant aux droits de la société
EMAP FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux
48, rue Guynemer
92865 ISSY LES MOULINEAUX
représentée par la SCP RIBAUT, avoués à la Cour
assistée de Me Benoît GOULESQUE-MONAUX, substituant M. Le Bâtonnier Paul-Albert IWEINS, avocat au barreau de PARIS, toque : J 10, plaidant pour le Cabinet TAYLOR WESSING, avocat
Société FIGARO
37, rue du Louvre
75002 PARIS
représentée par la SCP LAGOURGUE - OLIVIER, avoués à la Cour
assistée de Me Gilbert PARLEANI, avocat au barreau de PARIS, toque : C 156
Société CONCEPTION DE PRESSE ET D'EDITION
149, rue Anatole France
92300 LEVALLOIS PERRET
représentée par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués à la Cour
assistée de Me Aude ESTRANGIN, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Marie-Christine DE PERCIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1301
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Mars 2007, en audience publique, après qu'il en a été fait rapport conformément aux dispositions de l'article 785 du nouveau Code de procédure civile devant la Cour composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, Président
Monsieur Christian REMENIERAS, Conseiller
Madame Catherine LE BAIL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : M. Loïc GASTON
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président, et par M. Loïc GASTON, greffier auquel le magistrat signataire a remis la minute.
LA COUR,
VU l'appel, plaidé à jour fixe, relevé par l'Union des éditeurs vidéographiques indépendants (unevi), la Chambre syndicale des producteurs de films (cspf), le Syndicat des producteurs indépendants (spi) et le Syndicat national de la vidéo locative (snvl) du jugement du tribunal de grande instance de Paris (4ème chambre, 2ème section, no de RG : 05/8260), prononcé le 21 décembre 2006 ;
VU les dernières conclusions des appelants (16 mars 2007) ;
VU les dernières conclusions des intimées :
- la s.a.s. Mondadori magazines france, venant aux droits de la société Emap France (14 mars 2007),
- la société du Figaro (19 mars 2007),
- la société Éditrice du Monde (21 mars 2007),
- la société conception de presse et d'édition (scpe) (22 mars 2007),
* *
SUR QUOI,
Considérant que, dans le courant de l'année 2005, les éditeurs de presse intimés ont mis en vente avec certaines de leurs publications quotidiennes, hebdomadaires ou mensuelles, des DVD à bon marché ; que les organisations syndicales appelantes, estimant que cette pratique était fautive et préjudiciable aux intérêts collectifs des professions qu'elles avaient pour mission de défendre, les ont assignés aux fins de leur voir interdire, sous astreinte, la poursuite de telles opérations et en paiement de dommages-intérêts ; que emap france et scpe ont reconventionnellement demandé la condamnation de certaines des demanderesses à leur payer des dommages-intérêts en réparation du dénigrement de leurs publications par un communiqué de presse qu'elles avaient fait paraître ; que le tribunal, par le jugement dont appel, a constaté l'incapacité du spi à agir en justice, a déclaré la cspf, l'unevi, le spi et le snvl irrecevables faute d'intérêt à agir et a partiellement fait droit aux demandes reconventionnelles de emap france et de scpe ;
1. Sur la capacité à agir du spi :
Considérant que le spi verse au débat le procès-verbal de la réunion de son comité directeur d'où il ressort que ce dernier a décidé de donner à son président les pouvoirs nécessaires pour agir en justice contre les éditeurs de presse effectuant la vente couplée de DVD à la condition que le Bureau long métrage décide de se joindre lui-même à ce recours et que, en cas contraire, cette décision serait nulle et non avenue ;
Considérant que le Bureau long métrage, réuni le 19 avril 2005, a décidé, aux termes du procès-verbal de cette réunion, que le spi se joigne à cette procédure ; que cette décision ne peut se lire autrement que comme la manifestation de la volonté de répondre par l'affirmative à la question posée par le comité directeur et de satisfaire ainsi à la condition requise par celui-ci pour que sa décision d'habiliter son président à agir aux côtés des autres organisations prenne effet ; que le tribunal a exactement analysé la portée de cette décision ;
Considérant que la société du Figaro, à supposer qu'elle ait qualité pour se prononcer sur la validité d'une délibération du comité directeur du spi, n'est pas fondée à prétendre que celle du 7 avril 2005 autorisant son président à agir aux côtés des autres syndicats demandeurs serait nulle au motif que la moitié des personnes présentes à cette réunion et présentées comme membres titulaires de ce comité ne figurent pas sur la liste déposée en mairie en mars 2002 ;
2. Sur l'intérêt à agir des organisations syndicales appelantes :
Considérant que l'article 31 du nouveau Code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention » ; que, selon l'article L.411-1 du code du travail Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leur statut » ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions, rapprochées des statuts des organisations syndicales appelantes, que celles-ci peuvent agir pour la défense des intérêts :
- la cspf et le spi, des producteurs d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles,
- l'unevi, des éditeurs d'oeuvres vidéographiques,
- le snvl, de la profession de la vidéo locative ;
Considérant que les appelants, qui soutiennent que la pratique qu'elles dénoncent, fautive selon elles à plusieurs titres, en ce qu'elle contribue à dévaloriser les oeuvres audiovisuelles, cause aux intérêts des professions qu'elles ont la charge de défendre, un préjudice non seulement économique, mais aussi moral, ont intérêt à agir pour prévenir le renouvellement du préjudice qu'ils invoquent et en obtenir réparation ;
Considérant, à cet égard, qu'il importe peu que les appelants qualifient leur action d'action en concurrence déloyale ; que leur intérêt à agir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en réparation du préjudice qu'ils allèguent et qu'ils imputent aux fautes qu'ils reprochent aux sociétés intimées ne dépend pas de la question de savoir s'ils se trouvent ou non en situation de concurrence avec elles ; que les développements des parties sur cette question sont dès lors sans intérêts pour la solution du litige ;
Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a déclaré l'action des syndicats demandeurs irrecevable ; qu'il y a lieu, dès lors, d'examiner le bien fondé de leurs prétentions ;
3. Sur les préjudices invoqués :
Considérant que les appelants font état, d'une part, d'un préjudice économique qui serait la conséquence du prix excessivement bas auquel les éditeurs de presse intimés vendent les DVD, d'autre part, d'un préjudice lié à la dévalorisation des DVD, dû non seulement au niveau du prix, mais aussi aux formes de la vente ;
3.1. Sur le préjudice économique:
Considérant que les appelants affirment que les consommateurs, s'ils peuvent chaque semaine acheter des DVD à très bas prix avec leur journal ou magazine habituel, réduiront leurs achats dans les espaces de vente spécialisés, où les prix sont près de cinq fois supérieurs, et n'auront même plus aucun intérêt à louer les DVD dans la mesure où le coût de la location pourra être supérieur au prix d'achat du produit vendu avec la presse ;
Considérant cependant que les syndicats ne produisent aucune analyse de l'évolution du marché qui mettrait en évidence la réalité du préjudice économique allégué ; qu'ils ne font état d'aucune information précise sur une régression ou même un simple tassement de l'activité des producteurs d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles, des éditeurs d'oeuvres vidéographiques ou des loueurs de vidéos ; qu'ils ne produisent aucune donnée chiffrée de nature à donner une consistance quelconque à leur affirmation, d'ailleurs indifférenciée entre les professions dont ils sont supposés défendre les intérêts, et dont rien ne permet a priori de penser qu'ils seraient nécessairement convergents ;
Considérant qu'il est pour le moins surprenant de constater que les seules données économiques précises intéressant le litige se trouvent, non dans les écritures des appelants, auxquels incombe pourtant la charge processuelle de prouver le préjudice qu'ils allèguent, mais dans celles des sociétés intimées, lesquelles démontrent que l'évolution à la baisse des prix de vente du DVD est, en toute hypothèse, structurelle, liée à l'évolution des techniques de diffusion des oeuvres sur supports numériques, et ne saurait être mise en relation de causalité avec les opérations commerciales dénoncées ;
Considérant, de plus fort, que les appelants s'abstiennent de tenter de démontrer que les prix de vente des DVD pratiqués dans les opérations incriminées seraient excessivement bas par rapport aux prix constatés sur le marché ; que, s'il s'agit de rapprocher les prix de DVD diffusés de longue date dans le public par divers canaux de distribution et déjà largement amortis, tels que ceux vendus par les sociétés intimées, à des produits nouvellement mis en vente seulement dans les magasins spécialisés dans la vente de biens culturels, où les prix peuvent être en effet cinq fois supérieurs, une telle comparaison n'aurait aucun sens, à moins de considérer le DVD en général comme une chose de genre, chaque titre étant parfaitement substituable à un autre ; que, s'il s'agit, au contraire, de mettre en rapport les prix pratiqués par les éditeurs de presse avec ceux que l'on rencontre couramment dans les lieux consacrés aux soldes ou autres ventes à bas prix, la preuve que les premiers seraient manifestement inférieurs aux seconds fait défaut ;
Considérant, en synthèse, que le préjudice économique allégué relève de la pétition de principe, d'une simple affirmation nullement démontrée mais au contraire démentie par les données produites par les intimées ;
3.2. Sur le préjudice lié à la dévalorisation du DVD :
Considérant que le préjudice invoqué sous cette rubrique s'apparente à un préjudice moral qui résulterait, non seulement des prix bas, mais encore du procédé de vente qui associe le DVD à un produit par nature rapidement périssable comme l'est un magazine périodique et plus encore un quotidien, et qui aboutirait à ce que le consommateur oublie la valeur culturelle du DVD pour le regarder comme un produit jetable » ou un cadeau bonus » ;
Mais considérant, outre ce qui a été dit précédemment sur l'absence de preuve de ce que les prix pratiqués devraient être regardés comme excessivement bas, qu'il n'est nullement établi que le consommateur qui peut profiter d'une occasion d'acheter un DVD bon marché réduirait nécessairement ses achats de DVD à prix courants ; qu'il est au contraire établi par les exemples produits par les sociétés intimées que les ventes critiquées peuvent être suivies d'un regain d'intérêt commercial pour des films qui, sans ces opérations, auraient été durablement délaissés ;
Considérant, d'ailleurs, que la thèse implicite des appelants, selon laquelle l'idée que se fait le public de la valeur d'un DVD dépendrait, non de la réputation du metteur en scène, de la qualité des acteurs, de l'intérêt du scénario, ou du statut artistique de l'oeuvre, mais seulement de la contrepartie économique qu'il faut consentir pour l'acquérir, ou des conditions matérielles dans lesquelles elle est offerte à la vente, peut difficilement être admise ; qu'elle n'est en tout cas certainement pas démontrée ;
Considérant, en définitive, que les appelants échouent à apporter la preuve d'un préjudice ; qu'ils ne réussissent pas davantage à établir un lien de causalité entre celui qu'ils invoquent et la pratique qu'ils dénoncent ; que leur prétentions ne peuvent qu'être rejetées comme non fondées ;
4. Sur les demandes reconventionnelles de mondadori magazines france et spce :
Considérant que le communiqué de presse publié à l'initiative de la cspf, du spi et de l'unevi le 9 mai 2005 accusait explicitement les sociétés défenderesse en ces termes :
Ces opérations contribuent fortement à dénaturer la valeur psychologique et économique des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles vis-à-vis du grand public en laissant croire que la valeur d'une oeuvre n'est que de quelques euros.
Elles contribuent également à créer les conditions d'une concurrence faussée du fait des aides dont bénéficie la presse. » ;
Considérant que, en accusant ainsi publiquement de grands médias de trahir leur vocation culturelle en dénaturant des créations artistiques, oeuvres de l'esprit ainsi sacrifiées à des intérêts mercantiles, et en annonçant leur action en justice, les syndicats qui ont procédé à la diffusion de cette avis étaient nécessairement conscients du caractère dénigrant de celui-ci, justifiant la demande de dommages-intérêts présentée reconventionnellement par emap france, aux droits de laquelle se trouve mondadori magazines france, et spce ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a fait droit à ces demandes ;
* *
PAR CES MOTIFS :
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de l'Union des éditeurs vidéographiques indépendants, de la Chambre syndicale des producteurs de films, du Syndicat des producteurs independants, et du Syndicat national de la vidéo locative,
STATUANT à nouveau de ce chef,
DÉCLARE l'action recevable,
AU FOND,
DÉBOUTE l'Union des éditeurs vidéographiques indépendants, la Chambre syndicale des producteurs de films, le Syndicat des producteurs independants, et le Syndicat national de la vidéo locative de toutes leurs prétentions,
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;
CONDAMNE l'Union des éditeurs vidéographiques indépendants, la Chambre syndicale des producteurs de films, le Syndicat des producteurs independants, et le Syndicat national de la vidéo locative aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile et à payer, par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, 5.000 euros à chacune des sociétés intimées.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT