RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre C
ARRET DU 28 Juin 2007
(no7, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/13483
: S 06/13811
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 Octobre 2006 par le conseil de prud'hommes d'Evry RG no 03/00327
DEMANDEURS AU CONTREDIT ET APPELANTS
Monsieur Jean-Joël X...
...
80200 PERONNE
Madame Felazah X...
...
80200 PERONNE
comparants en personne, assistés de Me Joëlle GALIMIDI, avocat au barreau de PARIS, E792
DÉFENDERESSE AU CONTREDIT ET INTIMÉE
SOCIÉTÉ COMMERCIALE DES HÔTELS ÉCONOMIQUES - SCHE
6-8 Rue du Bois Briard
91080 COURCOURONNES
représentée par Me Caroline CANAVESE, avocat au barreau de PARIS, T09
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Avril 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine TAILLANDIER, Présidente
Madame Catherine MÉTADIEU, Conseillère
Madame Catherine BÉZIO, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIÈRE : Mademoiselle Céline MASBOU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame Catherine TAILLANDIER, Présidente
- signé par Madame Catherine TAILLANDIER, Présidente et par Mademoiselle Céline MASBOU, Greffière présente lors du prononcé.
LA COUR,
FAITS. PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SA Société Commerciale des Hôtels Economiques (SCHE), filiale du groupe ACCOR, possède des établissements hôteliers et a conclu avec la société ACCOR, propriétaire de la marque FORMULE 1, un contrat de franchise en vue de l'exploitation de cette marque.
Après avoir reçu une formation dispensée par l'AFPEHEC (Association pour la Formation du Personnel d'Exploitation des Hôtels Economiques) appartenant au groupe ACCOR, Monsieur Jean-Joël X... et Madame Felazah X... ont constitué la SARL VANSMITH, laquelle a conclu le 30 décembre 1996 un contrat de gérance-mandat avec la SCHE pour exploiter un hôtel FORMULE 1.
Le 15 février 2003, la SARL VANSMITH a procédé à la fermeture de l'hôtel et par lettre en date du 10 mars 2003, la SCHE a résilié sans préavis le contrat de gérance-mandat pour manquement à la règle de continuité d'ouverture du fonds de commerce, en application des stipulations contractuelles.
Soutenant que la SARL qu'ils avaient constituée n'était qu'un support juridique apparent et que ledit contrat de gérance-mandat devait être requalifié en un contrat de travail, les époux X... ont saisi le Conseil de Prud'Hommes d'Evry en juin 2003 aux fins de se voir allouer diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, et remettre des bulletins de paie ainsi que les documents de fin de contrat sous astreinte.
Lors de l'audience de conciliation, la société défenderesse a soulevé une exception d'incompétence du Conseil de Prud'Hommes d'Evry au profit du Tribunal de Commerce de Paris et demandé, à titre subsidiaire, que soit ordonnée une expertise sur la SARL constituée par les époux X... afin d'établir qu'elle n'avait aucun caractère fictif.
Par une ordonnance du 3 septembre 2003, le Bureau de Conciliation du Conseil de Prud'Hommes d'Evry a ordonné une expertise sur le fonctionnement de la SARL VANSMITH ;
Devant le Bureau de jugement, la SCHE a soutenu l'exception d'incompétence soulevée devant le Bureau de conciliation, se prévalant de la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 18 du contrat de gérance-mandat litigieux, des dispositions de la loi du 2 août 2005 ainsi que des articles L. 146-1 à L. 146-4 du code de commerce d'une part, d'autre part de l'absence d'apparence de la société litigieuse et de l'indépendance dont auraient joui les demandeurs dans l'exécution du mandat confié à leur SARL.
Par un jugement du 31 octobre 2006, le Conseil de Prud'Hommes d'Evry (section Encadrement) a constaté la réalité juridique de la SARL VANSMITH et s'est déclaré matériellement incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Paris, retenant l'argumentation développée par la société mandante.
Les époux X... ont interjeté appel puis formé contredit à l'encontre de cette décision et dans leurs conclusions et observations orales du 5 avril 2007, ils demandent à la Cour :
- d'accueillir leur contredit,
- de dire le Conseil de Prud'Hommes d'Evry compétent pour statuer sur les demandes qu'ils ont formées contre la SCHE,
- d'évoquer le fond de l'affaire et de mettre les parties en mesure de conclure sur les points que la Cour se proposera d'évoquer,
- de condamner la SCHE à leur verser une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dans ses conclusions et observations orales du 5 avril 2007, la SA SCHE demande à la Cour de :
vu les articles L. 146-1 et suivants du code de commerce et les articles 76 et 80 et suivants du nouveau code de procédure civile,
- ne statuer que sur la compétence et déclarer irrecevable l'appel interjeté par les époux X... après qu'ils aient formé contredit,
- rejeter ledit contredit, en conséquence,
- confirmer le jugement entrepris et renvoyer l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Paris en application de la clause attributive de juridiction stipulée au contrat de gérance-mandat, à titre subsidiaire, si la Cour accueillait le contredit,
- ne pas évoquer le fond de l'affaire et renvoyer les parties devant le Conseil de Prud'Hommes d'Evry afin que ces dernières bénéficient du double degré de juridiction,
à titre infiniment subsidiaire, si la Cour décidait d'évoquer,
- mettre les parties en demeure de conclure sur le fond, en toutes hypothèses,
- condamner les demandeurs à lui verser une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
Sur la recevabilité de l'appel
Considérant que les époux X... ont formé à la fois un appel et un contredit à l'encontre du jugement entrepris ; que celui-ci ayant statué uniquement sur la compétence du Conseil de Prud'hommes, seule la voie du contredit était ouverte et qu'il convient de dire l'appel sans objet ;
*
Sur la requalification requise
Considérant qu'il y a lieu de rappeler que le contrat de travail est celui par lequel une personne physique met sa force de travail au service d'une autre personne,- physique ou morale-, et perçoit en contrepartie, une rémunération, tandis que l'employeur qui la rémunère dispose à son égard d'un pouvoir de directive et de surveillance, et d'un pouvoir de sanction, en cas de manquement de l'intéressé à ses directives;
Que, pour sa part, le mandataire est investi d'une mission qu'il accomplit pour le compte et au nom du mandant ; qu'il ne répond pas de l'échec de sa mission dès lors qu'elle n'est pas imputable à sa mauvaise gestion ; qu'en ce cas, le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais engagés pour l'exécution du mandat et, le cas échéant, l'indemniser des pertes qu'il aurait subies ;
Que la différence essentielle entre mandat et contrat de travail, résulte de l'obligation spécifique qu'a le mandataire, de rendre compte de sa gestion à son mandant, celle-ci supposant, contrairement au contrat de travail, une latitude certaine, laissée au mandataire dans l'exercice de son mandat, notamment quant aux moyens mis en oeuvre pour l'accomplissement de celui-ci, à la seule initiative du mandataire et susceptibles en conséquence de générer précisément des frais ou avances ; que dans le contrat de travail, le lien de subordination entre employeur et salarié, résultant de l'exercice du triple pouvoir de l'employeur, défini ci-dessus, exclut, lui, l'existence d'une telle initiative laissée au salarié qui se doit d'exécuter une prestation conforme aux directives de l'employeur, sous la surveillance et, le cas échéant, la sanction de celui-ci ;
Qu'ainsi, c'est à l'aune du pouvoir d'initiative du mandataire-gérant, apprécié de manière concrète, et pas seulement à travers les dispositions du contrat de gérance mandat, que la Cour se doit de rechercher l'exacte qualification des conventions litigieuses ;
* Un mandat confié en réalité à des personnes physiques :
Considérant que le contrat de gérance mandat litigieux a été confié par les sociétés SCHE à une SARL, préalablement constituée entre les deux époux d'un même couple, à savoir les époux X...
Que cependant, la constitution de cette SARL a fait, elle-même, suite à une candidature personnelle des intéressés adressée à la société , propriétaire des hôtels, puis à un stage de formation de deux mois (payé par les stagiaires) -concernant exclusivement les politiques et pratiques commerciales suivies au sein des sociétés du groupe ACCOR- à l'issue duquel, en fonction d'une évaluation strictement personnelle des qualités et des connaissances des stagiaires-candidats, ceux-ci ont été sélectionnés par la société, comme gérants d'un hôtel FORMULE I ; qu'alors seulement, le couple a constitué la SARL, avec laquelle la société SCHE a signé le contrat de gérance mandat ;
Considérant que ce contrat qui a officiellement pour effet de confier l'exploitation de l' hôtel concerné à la SARL, confie en réalité, selon ses propres termes, cette exploitation, aux personnes physiques, gérants associés de la SARL ; qu'en effet, les dispositions contractuelles, évoquant le caractère "intuitu personae"de la relation contractuelle, mêlent étroitement, au point de les confondre, le sort de la SARL et celui de ses gérants, puisqu'aussi bien l' "intuitu personae" ainsi souligné vise la personne des gérants, pourtant, tiers au contrat ;
Considérant qu'il est ainsi rappelé dans le contrat aujourd'hui en cause, que la société, propriétaire de l'hôtel, n'a signé avec la SARL qu' "en considération de la personne des gérants et de l'engagement pris par ceux-ci de diriger et d'exploiter personnellement" ou "sous leur responsabilité" son fonds de commerce d'hôtellerie ; qu'en conséquence, le contrat est stipulé "non transmissible" ou "incessible" sauf dans l'hypothèse où le cessionnaire des parts des gérants, recevrait l'agrément de la société propriétaire ; que, de même, la démission des gérants de leurs fonctions de gérants, ou la perte de leur qualité d'associé figurent au nombre des événements, susceptibles d'entraîner, à la demande de la société, la résiliation sans préavis du contrat de gérance mandat ;
Que le contrat impose aux mandataires gérants de respecter les normes de l'exploitation de la chaîne FORMULE1 ;
Qu'en effet, ces normes et procédures d'exploitation, unilatéralement édictées par la "Chaîne pour assurer la conformité du systéme Formule 1 et promouvoir son nouveau concept hôtelier" figurent, en annexe du contrat, dans le livret d'exploitation tandis que le contrat précise: "Les gérants devront respecter les normes de la chaîne FORMULE 1, normes qui sont impératives"; qu'ainsi se trouve imposé à la SARL le respect de procédures dont, seuls, ses gérants étaient informés, de la même façon que les dispositions contractuelles, précédemment citées, subordonnent l'effectivité du contrat au maintien d'un engagement de diriger personnellement l'hôtel, "pris par les gérants", dans des conditions qui toutefois ne résultent pas du contrat, ni d'ailleurs d'aucune autre pièce produite ;
Considérant qu'il résulte des énonciations précédentes que, pour la société propriétaire, l'élément premier et déterminant du contrat de gérance mandat résidait bien dans la personne même des gérants d'hôtel, choisis et formés par ses soins au cours du stage où leur était remise une imposante documentation, destinée à les familiariser avec les normes et les nombreuses "procédures" mises en place par le groupe ACCOR pour la gestion de ses hôtels ;
Que, sans être parties au contrat de gérance mandat et avant même la conclusion de celui-ci, les personnes physiques, gérants de la SARL, étaient considérées, d'un commun accord entre les parties, comme déjà engagées à l'égard de la société SCHE exploitant l'enseigne FORMULE I ; qu'en définitive, l'exploitation juridique de l'hôtel consentie à la SARL, par le biais du contrat de gérance mandat, était subordonnée à l'exploitation matérielle de l'hôtel par ce couple de gérants, dans les conditions qu'il avait apprises et acceptées lors du stage de formation ;
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Un mandat de gestion contractuellement très réduit
Et considérant que cette importance déterminante accordée par la société propriétaire d'hôtel à la personne des gérants de la SARL, doit être rapprochée de l'étendue du mandat conféré à la SARL, caractéristique d'une absence d'initiative véritable, laissée au mandataire gérant ;
Considérant qu'en effet, après avoir proclamé le principe selon lequel les SARL jouissent "de par leurs statuts d'une autonomie dans l'accomplissement de (leurs) missions," le contrat contesté par les appelants restreint, aussitôt, ces missions à la gestion courante de l'hôtel : permanence sécurité 24 heures sur 24, accueil du public, préparation des petits déjeuners, entretien des chambres et des espaces verts ;
Que cette stricte définition des missions est encore renforcée par les dispositions financières insérées au contrat sous le titre "limitation des pouvoirs", qui, en premier lieu, prévoient que "la SARL ne peut passer de contrat ou d'engagement pour le compte de la société propriétaire pour une somme supérieure à 20 000 F HT par acte" - les frais, comme la gestion du personnel étant à la charge de la seule SARL- qui en second lieu, précisent : les "contrats pris pour les sociétés propriétaires" sont limités à la gestion courante de l'hôtel (frais de blanchissage, achat de produits alimentaires et d'entretien, de petit matériel, frais de dépannage) et qui, en dernier lieu, ajoutent que la SARL doit "veiller à ce que ses gérants n'engagent aucun règlement pour le compte de SCHE, au profit de la SARL ou à leur propre profit, sans accord préalable"de celle-ci ;
*
Un mandat exécuté sous les directives des sociétés propriétaires
Mais considérant qu'au-delà de la stricte définition de la mission ainsi confiée par le contrat à la SARL exploitante, la façon dont celle-ci devait s'acquitter de sa mission venait réduire à néant la mince part d'initiative que lui concédaient ainsi les dispositions contractuelles ; que les pièces produites et particulièrement "le dossier d'exploitation", remis aux futurs gérants des SARL lors de leur stage de formation, démontrent que la société SCHE imposaient aux gérants de la SARL l'emploi de moyens de gestion qui, en réalité, faisaient d'eux les simples exécutants de leurs directives ;
Qu'il convient de rappeler ici que lors du stage de formation suivi par les candidats-gérants, avant la signature du contrat de gérance mandat au profit de leur SARL, était en effet remis aux intéressés un "dossier d'exploitation"qui ne contenait pas que les normes admissibles, instituées par la chaîne en corrélation avec le contrat de franchise ou de marque qui la liait à la société ACCOR - telles que la fixation d' heures d'accueil du public, compatibles avec un système hôtelier particulier, très automatisé, ou le respect pour les petits déjeuners de certains produits et tarifs ;
Qu'en effet, ce dossier d'exploitation comportait aussi la description de nombreuses "procédures d'exploitation"que les stagiaires auraient à mettre en oeuvre et, donc, à respecter s'ils devenaient directeur d'un hôtel de la "chaîne" ; que le respect de ces procédures s'imposait à la SARL, -celles-ci étant, selon les contrats, visées et annexées au contrat sous les termes "dossier d'exploitation", ou, comme dit précédemment, non jointes au contrat mais considérées comme opposables à la SARL dès lors que les "procédures d'exploitation" avaient été "remises à ses mandataires sociaux", précisément dans le cadre de leur stage de formation ;
Or considérant que cet ensemble de "procédures" ainsi contractualisées avaient tout d'abord pour effet dans les faits d'obliger les gérants de la SARL à passer leurs commandes aux fournisseurs "référencés" par la société SCHE, -c'est-à-dire des fournisseurs avec lesquels ces sociétés avaient négocié des contrats à des tarifs inférieurs à ceux habituels, du marché; que compte tenu de la contractualisation des procédures d'exploitation,-l'intimée ne pouvant sérieusement prétendre qu'il ne se serait agi là que de simples recommandations de sa part, d'autant que la liste des fournisseurs "référencés"remise aux gérants comportant deux types d'activités (la blanchisserie et la boulangerie) sans fournisseur référencé, il était demandé aux gérants des SARL de faire agréer leur fournisseur dans ces domaines ;
Que cette liste très détaillée, établie par type de produits, privait donc les gérants, une fois en fonction, de toute liberté de choix de leurs fournisseurs, et pas seulement pour répondre aux exigences et au besoin d'uniformisation, inhérents aux contrats de franchise ou de marque, puisque ce référencement existait aussi bien, pour le couteau à pain, que les filtres d'aspirateur ou encore l'agrafeuse ;
Qu' ensuite, et toujours en application de ces "procédures d'exploitation", la société propriétaire de l' hôtel soumettait les gérants de la SARL -qui devaient déposer les recettes de l'hôtel presque quotidiennement sur le compte bancaire de SCHE- à l'établissement de comptes rendus fréquents et multiples; qu'ainsi, les gérants devaient adresser aux antennes comptables de la société un état des dépenses par décades, et chaque mois, un compte rendu mensuel de l'activité de l'hôtel et de l'état du matériel ainsi qu'un inventaire du stock et de la lingerie ; que des dates précises leur étaient fixées à cette fin et rappelées dans des "memo" et notes, souvent d'ailleurs sur papier à entête du seul groupe "ACCOR", adressés directement ,de manière anonyme et générale aux gérants des SARL, et non à la SARL, en théorie pourtant seule gérant mandataire ; que la transmission de ces divers documents allait, en conséquence, bien au delà de la simple reddition de comptes incombant à un mandataire et traduisait un véritable assujettissement des intéressés aux instructions du propriétaire de l'hôtel, comparable à la situation d'un salarié soumis au pouvoir de direction que son employeur exerce sur lui ; qu'à titre d'exemple, il sera relevé les deux avertissements reçus par les appelants en février et août 1998 pour avoir effectué des dépôts supérieurs à 20.000 francs ;
Qu'en vain, pour justifier l'indépendance de la SARL (et de leurs gérants) la société intimée invoque la responsabilité qui étaient contractuellement confiée à celle-ci en matière d'embauche du personnel nécessaire à l'exploitation de l'hôtel, alors que ce pouvoir était plus théorique que réel ;
Que, de fait, les salaires de ce personnel étaient précalculés par la société SCHE dans le compte prévisionnel joint au contrat ,établi chaque année en fonction du taux d'occupation de l'hôtel prévu pour l' année considérée; qu'ils étaient de plus compris, comme les salaires des gérants, dans le montant de la commission mensuelle versée à la SARL en contrepartie de sa gestion, de sorte que la marge de manoeuvre dont disposait en la matière les gérants était illusoire; qu'enfin, les techniques et exigences requises de ces personnels (nettoyage, en particulier) étaient si précisément standardisées en vertu des normes de la chaîne, que les gérants des SARL ne faisaient pas preuve à leur égard d'un véritable pouvoir propre de direction et n'agissaient en définitive auprès de ces salariés que comme des délégataires de la société SCHE ;
Qu'au contraire, le statut personnel qui était réservé aux gérants de la SARL confirmait bien, lui, la réalité d'un pouvoir de direction exercé par la société propriétaire sur leurs personnes ; qu' il était en effet, prescrit au titre des "procédures d'exploitation" (page 39, au chapitre "le gérant") que l'un des deux époux du couple de gérants devrait assurer lui-même la permanence de sécurité 24 heures sur 24 ; que cette particulière sujétion de l'un des deux gérants était même, aggravée par l'obligation qu'avaient les deux gérants d'occuper le (petit) logement de fonction mis à leur disposition ;
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Un mandat exécuté sous la surveillance des propriétaires d'hôtel
Considérant que toujours en vertu des procédures d'exploitation auxquelles la SARL et leurs gérants devaient se conformer, la société propriétaire était régulièrement et très précisément tenues informée dans le détail de la gestion de son hôtel par un système, à la fois, d'autorisation préalable à l'engagement des dépenses, -réducteur par rapport aux prévisions contractuelles- et de suivi des factures payées ou à payer ;
Qu'ainsi, tout d'abord, était-il distingué entre les charges directement payées par la SARL dont elle adressait néanmoins tous les mois les factures à son "mandant" et les "dépenses d'investissement", supérieures à 1500 Frs, lesquelles devaient être engagées, seulement après autorisation préalable du directeur technique régional de la société propriétaire et n'étaient réglées que par celle-ci, sur présentation des factures que leur adressaient les gérants d'hôtel ;
Que concrètement, selon les pièces produites par les appelants, une telle pratique conduisait les gérants à solliciter l'autorisation de la société propriétaire, dès qu'il s'agissait d'un remplacement de téléviseur ou d'un aspirateur ou d'un lave-linge ; que cette nouvelle sujétion n'était pas seulement une contrainte dans l'exercice de leur "mandat" mais la négation de tout le pouvoir d'initiative des gérants, puisque selon l'état d'avancement de leur budget réalisé par rapport au budget prévisionnel de l'année en cours, au jour de la demande d'autorisation, le directeur technique pouvait refuser aux intéressés l'engagement de la dépense envisagée, ce qui est justifié par le refus d'accepter, par exemple, le remplacement d'un téléviseur ;
Que, de plus, le traitement précis des factures que les gérants étaient chargés de faire "remonter", en totalité, à l'antenne comptable du propriétaire, ôtait aux gérants tout pouvoir de régler eux-mêmes, quel que soit leur montant, les factures dites "non conformes" -ne correspondant pas à la commande ou relatives à des livraisons de mauvaise qualité- ; qu'en ce cas, ils transmettaient ces factures à la société d'hôtel qui traitait, elle, avec les fournisseurs concernés ;
Considérant en conséquence que les pratiques résultant des "procédures d'exploitation", mises en oeuvre dans les relations "gérant mandant-gérant mandataire" ne visaient en définitive qu'à laisser le propriétaire des hôtels, totalement maître de la gestion de son hôtel, sous couvert de mandataires qui, en réalité n'agissaient que comme leurs délégataires ;
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Considérant que d'ailleurs cette conclusion est confirmée par les exemples concrets des multiples interventions du propriétaire, s'adressant au quotidien et directement, comme dit ci-dessus, aux gérants de la SARL ,dans les domaines les plus divers ;
Qu'à cet égard, la Cour relève notamment, que la SCHE concluait et gérait seule les contrats de maintenance des diverses installations de l'hôtel -demandant que lui soit "remonté" tout dysfonctionnement du matériel, (tel celui affectant des portails automatiques) ; qu'elle traitait elle-même le remboursement éventuel des chambres, - la SARL soumettant celui-ci à une autorisation préalable de leur directeur technique régional qui, selon les circonstances, pouvait le laisser à sa charge ;
Qu'elle s'immisçait véritablement dans les tâches les plus matérielles accomplies ou non au sein de l'hôtel, veillant ainsi, par l'envoi des notes et memo susvisés, à ce que les téléphones n'y soient pas décrochés par le personnel afin de pouvoir répondre aux mieux aux appels de la clientèle, ou communiquant aux gérants les coordonnées d'une nouvelle entreprise de dépannage en raison de la panne qui affectait le propre standard de celle-ci ;
Considérant qu'il apparaît dans ces conditions que, par l'effet du contrôle et du suivi étroits dont la SARL faisaient l'objet, l'autonomie de celle-ci, affichée dans le contrat de gérance mandat -et dont l' intimée n'apporte aucune preuve- était bien illusoire ; que la mission confiée dans le contrat de gérance mandat consistait, en définitive, essentiellement en la réalisation d'actes matériels plus que juridiques, accomplis pour le compte et sous l'autorité de la société propriétaire, par les gérants, personnes physiques, de la SARL ;
Considérant que ces constatations permettent ainsi à a Cour de requalifier en contrat de travail, les relations contractuelles apparentes instaurées entre les parties par les contrats de gérance mandats contestés ;
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Considérant que vainement l'intimée objecte que les énonciations précédentes ne suffiraient pas à retenir cette requalification, au motif allégué de l'absence de pouvoir de sanction exercé par les "mandants" sur leur "mandataire"; qu'en effet, les gérants associés, placés sous la subordination de la société propriétaire, ainsi qu'il vient d'être démontré, étaient soumis en permanence au risque de résiliation du contrat consenti à leur SARL, et par conséquent à la perte de leur emploi, dès lors notamment que la gestion de l'hôtel ne serait pas assurée conformément aux obligations résultant de l'observation des diverses normes contractuelles applicables ; qu'ils recevaient des avertissements de la part de leur directeur régional, l'un comportant la mention "rappel" et pouvaient se voir privés des primes ou cadeaux offerts par la société SCHE en cas de "bonne gestion" ;
Que la faculté de résiliation dont disposait la société d'hôtel constituait donc une indéniable sanction possible à l'encontre la personne même des gérants, en même temps qu'elle garantissait à la société la totale subordination des intéressés ;
Considérant qu'enfin, il importe peu que la SARL, fondée par les appelants, ait eu une activité sociale réelle -comme l'ont montré les experts désignés par les premiers juges- et, notamment, que leurs gérants aient, dans ce cadre bénéficié de dividendes ; que ces circonstances invoquées par les intimées demeurent sans incidence sur la réalité du lien de subordination reconnu dans les conditions qui ont été établies ci-dessus et qu'aucune constatation des experts ne vient contredire, -étant précisé que, dans la discussion au fond à venir, les dividendes perçus pourront, éventuellement, être déduits des salaires qui auraient dus être versés aux intéressés par la société SCHE ;
Qu'il n'est pas en revanche négligeable d'observer que la constitution de la SARL apparaît comme un véritable système, mis en place à la requête de la société ; qu'en effet, celle-ci, lors du stage de formation des candidats-gérants, a incontestablement remis aux appelants des statuts-type, les ont dirigés pour les démarches à entreprendre vers un organisme ( l'OPLEC) commun à l'ensemble des sociétés exploitantes d'hôtels en gérance-mandat et leur a procuré ou, du moins, a reversé à leur SARL, sous forme de "remboursement de frais d'installation", une somme dont le montant coïncidait avec celui du capital de la SARL (égal à chaque fois, à 50 000 FRS), et aux frais de stage exposés par les intéressés ;
Qu'il résulte de cette création de la SARL sur l'initiative ainsi "unilatérale" du propriétaire d'hôtel, alliée au caractère déterminant que revêtait aux yeux de celui-ci-ci, la personne même des associés pour la conclusion du contrat de gérance mandat, que sous l'apparence d'un contrat avec une SARL, la société intimée a manifestement entendu conclure avec les appelants un contrat plaçant ceux-ci sous sa subordination ;
Considérant que les demandeurs au contredit soutiennent donc à juste titre qu'à travers le contrat de gérance-mandat, conclu entre la société SCHE et leur SARL, ils étaient en réalité personnellement liés à celle-ci par un contrat de travail ;
*
Considérant qu'il convient d'accueillir, en conséquence, le contredit formé par les époux X... et de dire que le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer sur leurs demandes ;
Considérant qu'il apparaît, en outre, de bonne justice de donner à cette affaire une solution définitive ; qu'il convient en conséquence d'évoquer et de renvoyer la cause et les parties à une audience ultérieure, afin de les mettre en mesure de présenter leurs conclusions au fond ;
Considérant que les frais du contredit seront à la charge de la société SCHE ; qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur la demande de condamnation, formée par les demandeurs au contredit en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
PRONONCE la jonction des deux dossiers sus-visés ;
DIT les époux X... recevable et bien fondé en leur contredit;
DIT sans objet leur appel ;
DIT que le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer sur leurs demandes ;
ÉVOQUANT,
RENVOIE la cause et les parties contradictoirement à l'audience du jeudi 10 janvier 2008 à 13h30 pour plaider l'affaire au fond ;
DIT que la notification de la décision vaudra convocation des parties à cette audience ;
SURSOIT à statuer sur les prétentions formées par les demandeurs au contredit, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
MET à la charge de la société SCHE les frais du contredit.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE