RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
22ème Chambre C
ARRET DU 25 octobre 2007
(no , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/08855
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 septembre 2005 par le conseil de prud'hommes de Bobigny - section encadrement - RG no 05/00074
APPELANTE
Société CALDIC SPECIALITES
GARONOR - Bâtiment 14B
B.P. 530
93619 AULNAY SOUS BOIS CEDEX
représentée par Me Marie-Alice JOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : P.487
INTIME
Monsieur Patrick X...
...
95800 CERGY
comparant en personne, assisté de Me Claire MENDELSOHN, avocat au barreau de PARIS, toque : R 35 substitué par Me KRIEM Z..., avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 septembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Françoise CHANDELON, Conseiller
Madame Evelyne GIL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Francine ROBIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mme Francine ROBIN, greffier présent lors du prononcé.
Vu l'appel régulièrement interjeté par la société CALCIC SPECIALITES à l'encontre d'un jugement prononcé le 9 septembre 2005 par le Conseil de prud'hommes de BOBIGNY, qui a statué sur le litige qui l'oppose à Patrick X... sur les demandes du salarié relatives au licenciement dont il a été l'objet,
Vu le jugement déféré qui a condamné la société CALCIC SPECIALITES à payer à Patrick X...:
- 85.500 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- 1.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience, aux termes desquelles,
La société CALCIC SPECIALITES, appelante, poursuit l'infirmation du jugement déféré et sollicite que Patrick X... soit débouté de ses demandes;
Patrick X..., intimé, conclut à la confirmation du Jugement sauf en ce qui concerne le montant de son indemnisation, sollicitant de ce chef, sur le fondement principal du licenciement abusif et subsidiaire du non-respect des critères d'ordre, la somme de 171.000 € outre celle de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
CELA ETANT EXPOSE
Par contrat à durée indéterminée en date du 17 août 1970, Patrick X... a été engagé par la société PRODUITS CHIMIQUES PECHINEY en qualité d'ouvrier qualifié 1er échelon.
Son contrat de travail a été transféré le 18 juillet 1986 à la société Chimique de la Courneuve devenue, le 1er avril 2001, la société CALCIC SPECIALITES.
A la suite de diverses promotions, il exerçait, depuis le 2 février 2001, les fonctions de Directeur, chargé notamment des matières plastiques et caoutchouc, moyennant une rémunération mensuelle de 4.781,81 €.
Le 3 avril 2003, il était convoqué pour le 14 suivant à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Il était licencié en ces termes le 22 avril :
"... Comme vous le savez, le groupe CALDIC, et plus particulièrement la Société CALDIC SPECIALITES, a enregistré des résultats catastrophiques depuis 2002, notamment du fait des investissements réalisés par nos clients dans des outils informatiques leur permettant d'acheter en direct, notamment auprès de nos concurrents asiatiques.
Par ailleurs, les obligations concernant la protection de l'environnement et de la sécurité en Europe, impliquent des frais et des contraintes pour les distributeurs de produits chimiques, inexistantes dans beaucoup de pays hors d'Europe. Dans ce contexte, non seulement nos marges de distribution se sont très nettement réduites, mais de surcroît, les tarifs de nos concurrents non soumis à ces contraintes, sont apparus beaucoup plus attractifs.
Par conséquent, nos volumes de vente ont sensiblement diminué, ce qui a entraîné une concurrence encore plus accrue, avec des prix plus bas, mais assortis de frais incompressibles de manutention, de transport et administration au kilo, en constante augmentation.
Dès lors, nous avons dressé le constat de ce que notre gamme de produits apparaissait inadaptée au regard des réalités du marché.
Nous avons, dès lors, décidé d'arrêter certains produits vendus à marge réduite, ceci afin d'éviter plus de pertes et de développer d'urgence de nouveaux produits plus en phase avec l'évolution du marché dans lequel la société CALDIC SPECIALITES se trouve confrontée.
Le résultat d'exploitation enregistré pour l'année 2002 est déficitaire et s'élève à -727.727 Euros (contre +1.609.350 Euros en 2001).
Le chiffre d'affaires a diminué de près de 19% entre 2001 et 2002.
Le déficit de la Société ne cessant de croître, la Direction a été contrainte, compte tenu de la situation économique actuelle et de l'absence de perspectives d'amélioration pour l'année à venir, de prendre des mesures pour tenter de redresser la situation.
Face à cette situation, et en vue d'assurer la pérennité et la survie même de la Société, il a été décidé de supprimer neuf postes, dans les services commercial(4), administratif (3) et logistique (2).
C'est dans ce contexte que votre poste de Directeur est supprimé.
Les recherches de reclassement que nous avons menées tant au sein de la Société, que du Groupe, n'ont en effet, pas permis d'assurer votre reclassement effectif ..."
SUR CE
Sur le motif économique
Considérant que, pour avoir une cause économique, le licenciement pour motif économique doit être consécutif soit à des difficultés économiques, soit à des mutations technologies, soit à une réorganisation de l'entreprise, soit à une cessation d'activités; que la réorganisation, si elle n'est pas justifiée par des difficultés économiques ou par des mutations technologiques, doit être indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel la société CALCIC SPECIALITES appartient ;
Considérant qu'en l'espèce, la lettre de licenciement précise les difficultés économiques auxquelles elle se trouve confrontée, lui imposant une réorganisation de ses services, avec, pour conséquence, la suppression du poste de Directeur de l'intimé ;
Considérant que pour estimer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, Patrick X... conteste la réalité du motif économique avancé au regard des pièces comptables produites et prétend :
- que les difficultés alléguées avaient un caractère exceptionnel et temporaire,
- qu'elles n'affectaient pas le secteur d'activité du groupe auquel appartient la société CALCIC SPECIALITES,
pour en conclure que son licenciement ne visait qu'à améliorer les bénéfices de la société ;
Qu'il convient d'examiner chacun de ces moyens ;
Sur la réalité des difficultés alléguées
Considérant que Patrick X... qui les a stigmatisées dans l'exercice de ses fonctions de direction ne saurait venir dans cette procédure en nier la réalité ;
Qu'il résulte ainsi des nombreuses pièces produites, que la société CALCIC SPECIALITES, qui exerce dans le secteur de la distribution de produits chimiques, a perdu, en fin d'année 2001, l'exclusivité de la commercialisation des produits "Rhodia"au profit de la société GE Plastics qui, après lui avoir laissé miroiter une possibilité d'entente, s'est refusée à contracter ;
Qu'il en est résulté pour la société CALCIC SPECIALITES une perte conséquente, évaluée par Patrick X... à 24,7% du chiffre d'affaires, dans son courrier du 4 décembre 2001, précisant encore (pièce no11 de l'appelante) que ce marché représentait un volume de 1800 tonnes, 6.475.000 € de chiffre d'affaires, 999.000 de marge commerciale ;
Que cette circonstance contribuant à expliquer les raisons de la diminution des volumes de vente évoquée dans la lettre de licenciement, la société CALCIC SPECIALITES était en droit de l'expliciter dans le cadre de cette procédure ;
Considérant encore qu'en mars 2002, les mauvais résultats de l'année 2001 étaient portés à la connaissance de Patrick X..., notamment celui du département plastiques dont il avait la charge et qui enregistrait des pertes de 224.729 € ;
Qu'il ne conteste pas l'explication donnée par la lettre de licenciement sur la concurrence, notamment via INTERNET, d'opérateurs ne subissant pas les mêmes contraintes en matière de normes de sécurité et d'environnement ;
Qu'il ne constatait pas d'amélioration en 2002 ;
Que cela l'amenait, le 8 mars 2002, à proposer au personnel une année sans augmentation et à constater, le 13 mai suivant un surcroît de personnel par rapport au volume des commandes puis à rédiger des business reports précisant :
- le 4 septembre 2002, que la demande sur le marché des matières plastiques pour le 2ème trimestre était plus faible qu'en 2001 et que des dépôts de bilan sont envisagés dans plusieurs entreprises, signal de marges très serrées,
- le 12 novembre 2002, que les mêmes remarques s'imposaient pour le 3ème trimestre, les moulistes manquant de travail et qu'il n'y aurait pas de reprise au 4ème trimestre,
- le 3 février 2003, que dans le secteur de l'automobile, les ventes accusaient une baisse de l'ordre de 15 à 20%, faisant référence à la perte des produits évoqués ci-dessus et au fait que les clients ne souhaitent pas en changer et ajoutant que les prix s'écroulaient ;
Considérant que ces difficultés se reflètent dans les documents comptables, les résultats d'exploitation accusant un déficit préoccupant avec un chiffre d'affaires en diminution ;
Considérant qu'il est encore établi que la société a pris les mesures qui s'imposaient, changeant notamment le Directeur général, engageant une politique d'économie et de développement de nouveaux produits sans parvenir cependant à redresser ses comptes ;
Sur la nature temporaire des difficultés
Considérant que les documents comptables ne permettent pas de vérifier la réalité de cette assertion ;
Que le résultat d'exploitation de l'année 2004 est toujours négatif, le résultat comptable ne pouvant être pris en considération qui retient la distribution des réserves de la filiale CALDIC CENTRE pour un montant de 3.700.000 € ;
Sur l'appréciation des difficultés au niveau du secteur d'activité
Considérant que la société CALCIC SPECIALITES est une des trois filiales du groupe hollandais CALDIC INTERNATIONAL BV, un des cinq premiers distributeurs de produits chimiques en Europe, dont le chiffre d'affaires s'élève à 500 millions d'euros ;
Considérant cependant que les difficultés économiques n'ont vocation à être appréciées au niveau du groupe que lorsque ses différentes entités ont au moins pour partie, un même secteur d'activité ;
Considérant qu'en l'espèce, la société CALCIC SPECIALITES opère sur le marché français, ce qui n'autorise pas à estimer que son secteur d'activité est identique à celui des autres filiales installés dans huit autres pays européens ;
Considérant encore que les produits chimiques appartiennent, comme le précise le salarié à plusieurs familles dont deux principales, les "spécialités" et les "commodités", la société CALCIC SPECIALITES ne commercialisant que les premiers ;
Qu'ainsi son secteur d'activité se distingue des autres entités exerçant sur le territoire français, les sociétés CALDIC EST et CALDIC CENTRE distribuant des produits chimiques de base et CALDIC TECHNIQUE des produits techniques ;
Que c'est ce que rappelait notamment son Directeur Général au cours de la réunion du Comité d'entreprise du 26 mars 2003 incitant chaque société à s'occuper exclusivement de la commercialisation sur son pays et son secteur ;
Considérant ainsi qu'en raison de la spécificité de son activité, les difficultés économiques devaient s'apprécier au niveau de la société CALCIC SPECIALITES et qu'il ne saurait dès lors lui être fait grief de ne pas avoir communiqué les éléments comptables de l'ensemble des entreprises du groupe ;
Considérant qu'il est ainsi établi qu'en procédant à neuf licenciements en avril 2003, la société CALCIC SPECIALITES n'a pas visé à accroître ses bénéfices mais à assurer la pérennité de son activité ;
Sur l'absence de reclassement
Considérant que la société CALCIC SPECIALITES démontre avoir recherché, dans toutes les filiales du groupe, une possibilité de reclassement pour Patrick X... et qu'un seul poste correspondant à son niveau hiérarchique était disponible au sein de la société néerlandaise qui n'a pu lui être proposé du fait qu'il ne connaissait pas la langue ;
Considérant que Patrick X... ne saurait soutenir que sa maîtrise de la langue anglaise était suffisante pour rejoindre ce poste dès lors que s'il correspondait en anglais avec ses homologues de la société mère, les contraintes liées à son poste ne lui permettaient pas de communiquer dans cette langue avec un personnel subalterne qui ne connaît généralement que sa langue maternelle ;
Qu'il ne saurait davantage prétendre qu'une formation aurait pu être envisagée, la maîtrise d'une langue étrangère ne pouvant être acquise dans un délai lui permettant de combler la vacance d'un poste clé ;
Considérant que Patrick X... soutient encore que son employeur aurait pu lui proposer les postes de commerciaux plutôt que de recourir à un recrutement externe ;
Considérant cependant que si une offre de reclassement peut porter sur un poste de qualification et de rémunérations moindres, elle ne saurait concerner des fonctions sans rapport avec sa dernière qualification, lui imposant de se retrouver sous les ordres de ses anciens collègues avec une rémunération de plus de deux fois inférieure à celle qui était la sienne ;
Que tel étant le cas des deux embauches concomitantes à la procédure de licenciement, l'un étant en outre un CDD dans le département du Nord, Patrick X... ne saurait prétendre que la société CALCIC SPECIALITES n'a pas satisfait à son obligation de reclassement ;
Que le Jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a retenu cette argumentation ;
Sur l'ordre des licenciements
Considérant que Patrick X... ne saurait reprocher à son employeur de ne pas avoir retenu qu'il avait un enfant à charge, s'agissant d'un enfant naturel dont il n'a jamais estimé devoir lui révéler l'existence ;
Considérant par contre que l'employeur, qui avait défini les critères de licenciement, présentés au Comité d'entreprise le 26 mars 2003, à savoir charges de famille, ancienneté, existence d'un handicap ou salariés âgé et qualités professionnelles devait communiquer à la Cour les éléments lui ayant permis de sélectionner, en fonction des points affectés aux différents critères, ce salarié plutôt qu'un des cinq autres directeurs ;
Qu'ainsi aucun élément ne permet de justifier le choix de Patrick X... plutôt que celui de deux autres directeurs ayant une charge de famille modeste, un enfant, mais une ancienneté fort réduite de 13 et 17 ans ;
Considérant qu'il y a lieu de lui octroyer à ce titre la somme de 15.000 € de dommages et intérêts ;
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande de confirmer le montant alloué en première instance et de lui allouer la somme de 1.200 € au titre des frais exposés à ce titre en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré sauf du chef de l'indemnité allouée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Dit le licenciement justifié par un motif économique ;
Dit que la société CALCIC SPECIALITES a satisfait à son obligation de reclassement;
Constate le non-respect des dispositions sur l'ordre des licenciements;
Condamne de ce chef la société CALCIC SPECIALITES à payer à Patrick X... la somme de 15.000 € (quinze mille euros) de dommages intérêts ;
La condamne en outre au paiement d'une indemnité de 1.200 € (mille deux cents euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel ainsi qu'aux dépens.
LE GREFFIER : LE PRÉSIDENT :