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14/05/2008 | FRANCE | N°07/06499

France | France, Cour d'appel de Paris, 1ère chambre-section n, 14 mai 2008, 07/06499


1ère CHAMBRE-Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/ 06499 Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception et reçue au greffe le 10 avril 2007 par Maître Jean-Louis LEMARIE, avocat de Monsieu

r Claude X..., demeurant... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'A...

1ère CHAMBRE-Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/ 06499 Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception et reçue au greffe le 10 avril 2007 par Maître Jean-Louis LEMARIE, avocat de Monsieur Claude X..., demeurant... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception et celles récapitulatives ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 mars 2008 ;
Vu l'absence de Monsieur Claude X... ;
Ouï, Maître Jean-Louis LEMARIE, avocat représentant Monsieur Claude X..., Maître Carole PASCAREL, avocat plaidant pour la SCP UETTWILLER GRELON GOUT CANAT, avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 12 mars 2008, la requérante ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

* *

Monsieur X..., né le 20 juin 1948, a été mis en examen le 14 mars 2002 du chef de viols sur mineures de 15 ans par personne ayant autorité. Il a été placé sous contrôle judiciaire le même jour. Le 22 novembre 2003, il a été condamné par la Cour d'Assises du Cher à 10 ans de réclusion criminelle du chef de l'infraction susvisée et placé en détention.
Sur appel, le 19 mai 2004, la Cour d'Assises de la Nièvre a confirmé cette peine, y ajoutant une interdiction de tous les droits civiques et civils et de famille pendant 5 ans.
Par arrêt du 2 septembre 2005, la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé l'affaire devant la Cour d'Assises de l'Yonne qui a acquitté Monsieur X... le 17 octobre 2006. Il a été libéré le même jour, après une incarcération de 1060 jours.
Par requête déposée le 10 avril 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, suivie de conclusions du 26 décembre 2007, Monsieur X... fait valoir :- S'agissant de son préjudice économique :- qu'il a un statut d'adulte handicapé (AH) et n'a pu, du fait de son incarcération, percevoir l'intégralité de l'allocation AH, celle-ci étant minorée, que dans sa requête initiale, il demandait 18. 223, 33 €, et qu'après vérification auprès de la CAF, et compte tenu du changement de législation à partir du 1er juillet 2005, il est fondé à obtenir réparation au titre de la minoration de l'AAH et complément d'AHH, soit la somme de 8. 007, 08 € correspondant à la différence entre le montant des sommes perçues et celles qu'il aurait dû percevoir,- qu'il a perdu son logement et a dû brader tous ses meubles : il sollicite une réparation, de ce chef, de 15. 000 €.- S'agissant du préjudice moral : que les accusations, particulièrement graves, dont il a fait l'objet, de viols commis sur les deux filles de son épouse, qu'il considérait comme ses propres enfants, ont porté atteinte à sa dignité et affecté les relations avec ses propres enfants et petits-enfants ; qu'il été éloigné de ces derniers, ceux-ci étant domiciliés loin du centre de détention de Bourges où il était incarcéré, qu'il n'a pu profiter de la naissance de ses quatre petits-enfants nés pendant la période de détention, ni rencontrer ses huit autres petits-enfants ; que consécutivement à la révélation des faits, les deux fillettes prétendument victimes et le fils qu'il a eu avec Madame A... épouse X... ont été placés ; que les accusations faites contre lui ont engendré une instabilité psychologique importante pour les enfants constituant également un préjudice moral pour lui et son épouse. Il demande une somme de 200. 000 € en réparation de son préjudice moral.- ll sollicite, par ailleurs, une somme de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 27 septembre 2007 et 21 janvier 2008, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor fait valoir :- Sur la recevabilité : qu'il appartient à Monsieur X... de prouver le caractère définitif de l'arrêt rendu par la Cour d'Assises de l'Yonne le 17 octobre 2006, que sous cette réserve la requête serait, d'un point de vue des délais, recevable,

- Sur le préjudice économique invoqué :- que sur le versement de l'allocation adulte handicapé, il résulte des pièces produites que les prestations versées concernent Madame X... et non le requérant et que la carte d'invalidité fait état de droits à compter du 1er mai 2006, d'où une incertitude quant au point de départ de l'allocation à Monsieur X..., qu'en outre une lettre de la CAF du 14 novembre 2006 mentionne un montant de 509, 51 € dans l'intérêt de Monsieur X... et non la somme retenue par celui-ci, qu'enfin, le texte de la législation applicable n'est pas produit,- que le requérant ne produit aucune pièce attestant de la réalité du préjudice lié à la perte du logement. Il sollicite donc le rejet des demandes au titre du préjudice économique.- S'agissant du préjudice moral : que Monsieur X... a été détenu pendant près de 35 mois, qu'il s'agissait d'une première incarcération, qu'il n'a, à aucun moment, été placé en détention durant l'instruction mais seulement à la suite de sa première condamnation, en application de l'article 367 du code de procédure pénale, que les conséquences de la gravité des accusations contre lui ne sont pas la conséquence directe de son placement en détention mais du rejet social et familial lié aux faits de pédophilie et de viols, qu'elles ne pourront donc être prises en compte ; qu'il ressort du jugement du TGI de Bourges du 2 mars 2005 que son incarcération a joué un rôle dans le placement de son fils, et qu'il conviendra d'en tenir compte. Il propose une indemnisation de 54. 000 € au titre du préjudice moral.- Il demande, enfin, la réduction de la somme réclamée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable :- S'agissant du préjudice matériel : que compte tenu des documents produits, il convient de faire droit à la demande de réparation au titre de la minoration de l'allocation AH mais non à celle portant sur les préjudices liés à la perte de logement et des meubles, qui n'est pas prouvée, et que les frais engagés par les quatre enfants adultes de Monsieur X... pour venir le voir en détention ne peuvent être indemnisés, le préjudice n'étant pas personnellement subi par le requérant,- S'agissant du préjudice moral : que doivent être pris en compte la durée de la détention, le fait que lors de son incarcération, Monsieur X... était âgé de 55 ans, qu'il était séparé, qu'il avait quatre enfants majeurs, qu'il souffre " d'une insuffisance respiratoire sévère ", qu'il n'a pu assister à la naissance de quatre de ses petits-enfants ni rencontrer ses autres petits enfants, que sa détention a joué un rôle dans le placement de son enfant Maxime, que la nature des faits qui lui étaient reprochés a dû contribuer à rendre sa détention plus difficile, qu'il s'agissait d'une première incarcération.

SUR QUOI

Sur la requête :
Attendu qu'il n'est pas contesté par Monsieur le Procureur Général que l'arrêt de la Cour d'Assises de l'Yonne du 17 octobre 2006 ayant acquitté Monsieur X... est définitif ; qu'est produit un certificat de non pourvoi, du 27 mars 2007, contre l'arrêt de la Cour d'Assises de l'Yonne du 17 octobre 2006 ; que la requête, déposée dans les délais et formes de la loi, est, par conséquent, recevable ;

Attendu qu'en vertu de l'article 149 du code de procédure pénale, seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, des mesures d'instruction autres que la détention provisoire, du retentissement public de l'affaire ou qui ont été causés à des proches ou à des tiers ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu, sur la perte de revenus, que l'" Attestation de droits " du 2 octobre 2007 émanant de la Caisse d'allocations familiales adressé à Madame X... fait mention de différentes prestations (allocations familiales, AAH, allocation de logement, complément familial, complément d'AAH) accordées à compter de janvier 2002 et jusqu'en août 2007 ; que s'il est mentionné que ces prestations ont bénéficié à Madame X..., une lettre de la CAF du 8 novembre 2006 montre que les prestations sont versées à " Madame et Monsieur " X..., l'" AAH pour Monsieur " ; qu'il n'a, par ailleurs, jamais été contesté que Madame X... ne bénéficiait à titre personnel d'aucune allocation au titre d'un quelconque handicap ; qu'une lettre de la CAF du 26 octobre 2007, qui cite la législation applicable avant et après le 1er juillet 2005, indique qu'une " réduction d'AHH en cas d'incarcération " a été appliquée et précise les montants mensuels que Madame X... aurait perçus-pour son mari-en 2004, 2005 et 2006 si cette réduction n'avait pas été appliquée ; que Monsieur X... est fondé à être indemnisée de la différence qu'il réclame, entre la somme qu'il aurait perçue s'il n'avait pas été incarcéré et celle qu'il a réellement perçue soit un manque à gagner de 8. 007, 08 € ;
Attendu, sur la perte de logement, qu'aucune pièce n'est produite permettant d'attester de la réalité et du montant du préjudice allégué au titre de la perte du logement et des meubles que Monsieur X... soutient avoir été contraint de " brader " et qui serait due à sa détention ; qu'il y a lieu de rejeter la demande formée à ce titre ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que le choc carcéral qu'a subi Monsieur X... du fait de sa détention doit donner lieu à réparation ;
Que le requérant était âgé de 55 ans au moment de son incarcération ; qu'il n'a pas subi de détention pendant l'instruction mais a été incarcéré après condamnation par la Cour d'Assises du Cher ; qu'il n'avait jamais été condamné ni détenu auparavant ; qu'il doit être tenu compte de la longue durée de la détention, près de trois ans, de son état de santé, les expertises produites faisant mention " d'une insuffisance respiratoire sévère s'accompagnant d'un retentissement fonctionnel important et d'une perte d'autonomie notoire au niveau de la vie quotidienne " et de la nature des faits qui lui étaient reprochés, qui n'ont pu que contribuer à rendre plus difficile cette incarcération ; qu'il était séparé de son épouse au moment de son incarcération, qu'il apparaît avoir bénéficié d'un " parloir interne deux fois par mois " avec celle-ci, incarcérée pour la même affaire ; qu'il n'a pu recevoir facilement la visite de ses quatre enfants majeurs en raison de l'éloignement géographique, qu'il n'a pu profiter de la naissance de quatre de ses petits-enfants pendant son incarcération ni rencontrer ses autres petits-enfants ; qu'il résulte du jugement du tribunal de grande instance de Bourges du 2 mars 2005 que l'incarcération de Monsieur X... est, parmi d'autres, une des causes du placement de son fils Maxime auprès des services sociaux ;

Qu'il y a lieu d'indemniser le préjudice moral subi en lui allouant une somme de 62. 000 € ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X... les frais irrépétibles qu'il a exposés pour la présente instance ; qu'il lui sera alloué, de ce chef, la somme de 1. 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
DISONS la requête recevable,
ALLOUONS à Monsieur X... :- une indemnité de 8. 007, 08 € au titre de son préjudice matériel,- une indemnité de 62. 000 € au titre de son préjudice moral,- la somme de 1. 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Décision rendue le 14 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre-section n
Numéro d'arrêt : 07/06499
Date de la décision : 14/05/2008

Références :

Décision attaquée : Cour d'assises de l'Yonne, 17 octobre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-14;07.06499 ?
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