La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/05/2008 | FRANCE | N°07/03410

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 21 mai 2008, 07/03410


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 21 MAI 2008

No du répertoire général : 07/03410

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 6 mars 2007 par Maître Deni

s GIRAUD, avocat de Monsieur Franck X..., demeurant ... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclus...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 21 MAI 2008

No du répertoire général : 07/03410

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 6 mars 2007 par Maître Denis GIRAUD, avocat de Monsieur Franck X..., demeurant ... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception et celles récapitulatives ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception et celles additivites ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 26 mars 2008 ;

Vu les notes en délibéré du 27 mars 2008 de Monsieur X... et de celle du 2 avril 2008 de Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor ;

Vu la présence de Monsieur Franck X... ;

Ouï, Monsieur Franck X..., Maître Denis GIRAUD, avocat assistant Monsieur Franck X..., Maître Fabienne Z..., avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 26 mars 2008, le requérant ayant eu la parole en dernier;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

* *

Monsieur X..., né le 24 mai 1966, a été mis en examen du chef de vol en bande organisée avec armes. Il a été placé en détention provisoire le 31 mars 1998. Il a été remis en liberté le 19 octobre 1999 et placé sous contrôle judiciaire. Il a fait l'objet d'une décision d'acquittement par arrêt de la Cour d'assises de Seine et Marne du 15 septembre 2006, après, donc, une incarcération de 568 jours, ou de 295 jours, déduction faite d'une détention pour autre cause, ayant pris effet le 6 mars 1998 pour s'achever le 29 décembre 1998, cette décision étant définitive.

Par requête déposée le 6 mars 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, Monsieur X... fait valoir :

- S'agissant de son préjudice moral :

que son incarcération était d'autant plus pénible qu'il était porteur de deux infections virales graves depuis 1987 ; qu'un expert a estimé que la poursuite d'une surveillance clinique et biologique était absolument nécessaire, une biopsie étant envisagée ; que son état était alors stabilisé, mais susceptible de s'aggraver ; qu'il a durement ressenti l'incarcération, sur le plan moral et physique, subissant une perte de poids et ayant des bilans sanguins très variables en fonction du stress de la détention, ce qui ne lui a pas permis de se remettre facilement de cette détention ; que l'audience de jugement a été reportée à une session ultérieure du fait qu'il a été victime de malaises ; qu'un expert a confirmé qu'il avait fortement besoin de la présence de son épouse, du fait de leurs maladies identiques ; que son incarcération a été durement ressentie pas son épouse, contrainte de faire face seule à sa situation sur le plan humain et médical, alors qu'elle subit aujourd'hui, physiquement, les conséquences de cette situation.

Il sollicite, de ce chef, une indemnité de 100.000 €.

- S'agissant de son préjudice économique :

qu'après avoir été vendeur, louageur, négociant automobile, il était, au moment de son incarcération, en train de monter sa propre structure immobilière ; qu'il avait créé la SARL SAB IMMO, société à caractère familial, sa mère et son épouse en étant les seuls associés; qu'il a été décidé, en dépit de son incarcération, de la poursuite de l'activité de cette société, qui a commencé le 15 septembre 1998 ; que son absence a nui au développement de cette structure qui a végété pendant sa détention ; qu'il a été embauché par sa société en qualité d'agent commercial, mais n'a pas réussi à sauver la dite société, compte tenu des pertes accumulées de 1998 à 2000 ; que la dite société a cessé son activité le 31 décembre 2001, sans passif à régler.

Il réclame, de ce chef, une indemnité de 20.000 €.

Dans ses conclusions du 15 novembre 2007, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :

- que le requérant a été détenu pour autre cause, du 31 mars 1998 au 29 décembre1999 ; que la période indemnisable est, donc, de 9 mois et 22 jours,

- S'agissant du préjudice moral :

- que le requérant était âgé de 32 ans au moment de son incarcération, était marié et père d'une fille de 11 ans ; qu'il doit être tenu compte de la pathologie évoquée par le requérant; que le préjudice de son épouse ne peut être pris en considération, puisqu'il n'est pas personnel au requérant ; que l'état de santé de sa femme a, cependant, certainement accentué l'anxiété de Monsieur X... ; qu'il peut lui être alloué, de ce chef, une indemnité de 12.000 €.

- S'agissant du préjudice économique invoqué :

que le préjudice éventuel de la société du requérant n'est pas un préjudice personnel du requérant, salarié à compter du 17 janvier 2000 ; que seule une perte de salaire pendant la détention pourrait être prise en considération, alors que Monsieur X... ne justifie ni d'emploi ni de revenus à la date de son incarcération ; que le requérant pourrait prétendre à la réparation d'une perte de chance d'avoir occupé un emploi pendant son incarcération, qui ne peut, cependant, pas être évaluée.

Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable, que la détention susceptible d'être indemnisée est de 9 mois et 22 jours, déduction faite d'une détention pour autre cause,

- S'agissant du préjudice matériel :

que lors de son incarcération, le requérant n'exerçait aucune profession, qu'il ne peut obtenir que la réparation d'une perte de chance d'avoir occupé l'emploi d'agent commercial,

- S'agissant du préjudice moral :

qu'il doit être tenu compte de l'âge du requérant, du fait qu'il était marié, père d'une enfant née en 1987 ; qu'il a supporté des conditions de détention aggravées par son état de santé et d'un stress important en lien avec la détention ; que le requérant a dû vivre sa détention plus difficilement et avec plus d'anxiété que d'autres détenus, compte tenu de la situation médicale de son épouse ; qu'il avait été précédemment incarcéré.

Par une note en délibéré du 27 mars 2008, Monsieur X... fait valoir que la détention distincte qu'il a subie a été suivie d'une décision de non-lieu, mais qu'il n'a pas diligenté de requête distincte aux fins d'indemnisation de ce chef ; qu'il sollicite, dans un souci d'équité que cette détention distincte soit prise en considération dans le cadre de la présente procédure.

Par note en délibéré du 2 avril 2008, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor fait valoir qu'il maintient, quant à lui, ses conclusions.

Par des conclusions additives du 2 avril 2008, Monsieur le Procureur général fait valoir que l'ordonnance de non-lieu déposée par le requérant est recevable, et, modifiant ses précédentes conclusions, qu'il y a lieu de ne pas déduire cette période de détention distincte dans la mesure où il s'agissait d'une détention injustifiée et que sa déduction reviendrait à refuser toute réparation pour une période de temps couverte à deux reprises par une détention injustifiée.

SUR QUOI,

Sur la requête

Attendu que la présente requête est recevable au regard des dispositions des articles 149 à 149-2 du Code de procédure pénale ;

Sur la détention indemnisable

Attendu que le requérant ayant été détenu pour autre cause, du 31 mars 1998 au 29 décembre 1998, cette détention distincte, dont il n'est pas contesté qu'elle a été suivie d'une décision de non-lieu, aurait pu donner lieu à indemnisation dans le cadre d'une procédure distincte, que le requérant n'a, cependant, pas engagée ;

Que l'équité, invoquée par le requérant, ne peut conduire la présente juridiction, pour ne pas déduire ce temps de détention distincte et l'indemniser, à se saisir d'office d'une demande qui n'a pas été engagée conformément à la loi ;

Que si la présente procédure doit conduire les juridictions compétentes à veiller à indemniser totalement le préjudice résultant des détentions dont elles sont saisies, ces juridictions ne peuvent, pour autant, s'affranchir des exigences légales définissant les conditions de leur saisine ;

Que la durée de cette détention distincte doit, donc, être déduite de celle de la détention ici indemnisée ; qu'il y a, donc, lieu à indemnisation d'une détention de 295 jours ;

Sur le préjudice matériel

Attendu que le requérant produit, à l'appui de sa demande de réparation d'un préjudice économique, divers documents dont il résulte qu'une SARL SAB IMMO a été constituée le 15 septembre 1998, dont la gérante était son épouse, que cette dernière atteste de ce que le requérant a été employé de cette société du 17 janvier 2000 au 31 décembre 2001, en qualité d'agent commercial, qu'à compter de cette date, ladite société a été sans activité et a fait l'objet d'une dissolution le 20 juin 2002 ;

Que Monsieur X... ne justifie, ni ne précise le montant de la rémunération qu'il a pu percevoir en qualité d'agent commercial ;

Que le requérant ne démontre pas la réalité du préjudice économique direct qu'il aurait pu subir, du fait de sa détention, à raison de la constitution, de l'évolution et de la dissolution de la SARL SAB IMMO ;

Que le requérant pourrait, sous réserve de préciser et de justifier de la réalité et du montant de sa rémunération en tant qu'agent commercial, prétendre à la réparation de la perte de chance d'exercer cette activité pendant le temps de son incarcération ; qu'une telle indemnisation ne peut, cependant, être ordonnée, faute de précision et de justificatifs supplémentaires ; que la demande, de ce chef, doit, donc, être rejetée ;

Sur le préjudice moral

Attendu que le choc carcéral incontestable qu'a subi Monsieur X..., du fait de sa détention, doit donner lieu à réparation ;

Que le requérant était âgé de 32 ans lorsqu'il a été placé en détention pour une durée de 295 jours à raison de la présente affaire ; qu'il doit être tenu compte, pour fixer le montant de cette réparation, des circonstances d'aggravation du préjudice considéré et, plus particulièrement, du fait qu'il était marié, père d'une enfant née en 1987, qu'il était porteur de deux infections virales graves depuis 1987, qu'il a dû être traité pendant le cours de sa détention, que des changements de traitement ont été prescrits, qu'il a mal toléré certains de ces traitements, ce qui a remis en cause une première comparution à une première audience de jugement ; qu'il a, de ce fait, durement ressenti l'incarcération, sur le plan moral et physique, cette incarcération s'accompagnant d'un stress manifeste ;

Que s'il ne peut être indemnisé à raison du préjudice subi par son épouse à raison de sa détention, il doit être tenu compte de ce que les conditions de cette détention ont été nécessairement aggravées par le souci qu'a suscité chez lui la séparation de son épouse, elle-même atteinte d'affections virales et de complications ; que le médecin traitant du requérant a pu, en effet, attester de ce que ce dernier et son épouse, compte tenu de leurs maladies identiques, avaient fortement besoin de leurs présences réciproques, s'appuyant sur l'un et l'autre pour affronter leurs problèmes communs ;

Qu'il doit être tenu compte de ce que le requérant avait été précédemment placé en détention pour autre cause à compter du 6 mars 1998 ;

Qu'il y a lieu de faire droit à la demande de Monsieur X..., de ce chef, en lui allouant la somme de 20.650 € ;

PAR CES MOTIFS

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

Disons la requête recevable,

Allouons à Monsieur X... :

- une indemnité de 20.650 €, en réparation de son préjudice moral,

Rejetons les autres demandes.

Décision rendue le 21 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 07/03410
Date de la décision : 21/05/2008

Références :

Décision attaquée : Cour d'assises de la Seine-et-Marne, 15 septembre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-21;07.03410 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award