RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre B
ARRÊT DU 05 Juin 2008
(no , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/00841/BF
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Mars 2006 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG no 0500042
APPELANT
Monsieur Jérôme X...
...
75008 PARIS
représenté par Me Olivier ELBAZ, avocat au barreau de PARIS, toque : A0920
INTIMÉE
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE (CNAV)
110-112, rue de Flandres
75951 PARIS CEDEX 19
représentée par Mme DELACHERIE en vertu d'un pouvoir général
INTERVENANTE VOLONTAIRE
HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'ÉGALITÉ (HALDE)
11-15 rue Saint-Georges
75009 PARIS,
représentée par Me Pascale LEGENDRE GRANDPERRET, avocat au barreau de PARIS, toque : P 392
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
58-62, rue de Mouzaia
75935 PARIS CEDEX 19
régulièrement avisé - non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Avril 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseiller
Madame Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier : Madame Claire AUBIN-PANDELLÉ, lors des débats
MINISTÈRE PUBLIC : Monsieur HENRIOT, substitut général en ses observations
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Madame Claire AUBIN- PANDELLÉ, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Jérôme X... d'un jugement rendu le 20 Mars 2006 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS (3ème Section) dans un litige l'opposant à la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse (CNAV) ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que suite à son divorce et à l'homologation par le juge des affaires matrimoniales des conventions passées avec son ex épouse par ordonnances des 24 Janvier et 13 Novembre 1984 Jérôme X... a élevé seul ses deux enfants Edouard et Charlotte à compter du 2 Novembre 1983 ; il a aussi élevé Virginie, fille naturelle de la femme qu'il a épousée en 1989 ; depuis le 1er Mars 2004 il est retraité de la CNAV ; la "majoration pour enfants" de 10% du montant brut de sa pension prévue pour les assurés ayant eû trois enfants par les dispositions des articles L351-12 et R 351-30 du Code de la Sécurité Sociale lui a été accordée ; par courrier du 16 Mai 2005 Jérôme X... a aussi demandé à la CNAV le bénéfice d'une majoration de la durée de son assurance prévue par les dispositions de l'article L 351-4 du même Code, ce texte disposant que "Les femmes assurées sociales bénéficient d'une majoration de leur durée d'assurance d'un trimestre pour toute année durant laquelle elles ont élevé un enfant, dans les conditions fixées par décret, dans la limite de huit trimestres par enfant" ; sur décision de rejet implicite, l'intéressé a par courrier du 5 Septembre 2005 saisi la Commission de Recours Amiable, qui, en sa séance du 27 Septembre 2005 a rejeté sa requête ; il s'est alors pourvu devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS qui par le jugement déféré l'a débouté de son recours ;
Jérôme X... fait déposer et développer oralement par son conseil des conclusions où il est sollicité ce qui suit :
"Vu l'article 141 du Traité de Rome instituant la Communauté Européenne du 25 mars 1957,
Vu l'article 4 de la directive 79/7 du 19 décembre 1978,
Vu les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et l'article 1er du Protocole additionnel no1,
Vu l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale,
Vu l'arrêt Cass. 2ème civ., 21 décembre 2006, pourvoi no04-30.086,
Vu les pièces,
RECEVOIR Monsieur Jérôme X... en ses demandes et l'y déclarer bien fondé.
DIRE ET ARRÊTER que l'instauration d'une différence de traitement entre homme et femme ayant chacun élevé un enfant résultant de l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale n'est pas proportionnée ni adéquate au but poursuivi.
DIRE ET ARRÊTER que les dispositions de l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale sont contraires à l'article 4 de la directive 79/7 du 19 décembre 1978 et aux articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et 1er du Protocole additionnel no1.
ANNULER la décision de rejet de la Commission de Recours Amiable de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse du 27 Septembre 2005.
En conséquence,
CONDAMNER la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse à attribuer à Monsieur Jérôme X... 16 trimestres supplémentaires au titre de sa durée d'assurance.
CONDAMNER la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse à payer à Monsieur Jérôme X... la somme de 180,88€ par mois à titre de rappel de pension depuis mars 2004, soit 180,88 x 40 mois = 7235,20€ de mars 2004 à juin 2007 inclus.
CONDAMNER la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse à payer à Monsieur Jérôme X... la somme de 3.000€ par application de l'article 700 du NCPC.
CONDAMNER la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse aux dépens" ;
La CNAV fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions où il est demandé à la Cour :
"De confirmer le jugement entrepris ;
de débouter Monsieur Jérôme X... de sa demande de 3000€ au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile" ;
Par conclusions déposées et soutenues oralement par son représentant la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE) émet un avis tendant à infirmation ;
Le représentant du Ministère Public dépose et développe oralement des observations allant dans le même sens ;
Il est fait référence aux écritures déposées par Jérôme X... et par la CNAV pour un plus ample exposé des moyens et arguments proposés par ces derniers au soutien de leurs prétentions ;
Sur quoi la Cour :
Considérant qu'à l'occasion de la réforme des retraites le législateur a abrogé certaines dispositions ne profitant qu'aux femmes ; que cependant l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale, présent depuis la Loi du 21 Décembre 2001 a été maintenu par la Loi du 21 Août 2003 ; qu'il en résulte que le législateur a entendu réserver aux femmes assurées sociales une majoration de leur durée d'assurance lorsqu'elles ont eû la charge effective et permanente de leurs enfants ; qu'au regard ainsi du droit interne et observation faite que la Conseil Constitutionnel saisi de la loi réformant les retraites de 2003 a apporté une justification à cette différence de traitement Jérôme X... ne peut pas bénéficier de la majoration de la durée d'assurance vieillesse ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que le régime applicable à la situation de Jérôme X... est le régime général de la sécurité sociale ; qu'il s'agit d'un régime de retraite légal, soumis comme tel à la directive no79-7 CEE du 19 Novembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ; que quoique posant le principe d'égalité de traitement entre les sexes ce texte tolère des dérogations ; qu'en effet son article 7 dispose que les Etats membres tout en prenant les mesures nécessaires à la suppression des dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires à ce principe peuvent néanmoins exclure de son champ d'application les avantages accordés en matière d'assurance vieillesse aux personnes ayant élevé des enfants ; que ces avantages ne constituent pas des rémunérations au sens de l'article 141 du Traité instituant la Communauté Européenne et ne sont pas de ce fait soumis à l'application directe du principe d'égalité des rémunérations prévu par cet article ; qu'ainsi l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale qui entre dans le champs de dérogation de la directive communautaire précitée est conforme au droit communautaire dans son état actuel ;
Considérant par contre qu'aux termes de l'article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) "La jouissance des droits et libertés dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucun, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation" ; que l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention stipule quant à lui que "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international" ;
Considérant qu'en l'espèce Jérôme X... sollicite la majoration de sa durée d'assurance ; que dès lors qu'un Etat contractant met en place une législation sociale prévoyant le versement automatique d'une prestation sociale, cette législation engendre un intérêt patrimonial relevant du champs d'application de l'article 1er du Protocole additionnel no1" ; que l'avantage accordé en matière d'assurance vieillesse par l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale constitue donc un bien au sens de ce texte et qu'à ce titre il entre dans le champ d'application de l'article 14 de la CESDH relatif à l'interdiction des discriminations ; qu'ainsi une différence de traitement entre hommes et femmes ayant élevé des enfants dans une situation analogue ne peut être admise que si elle est assortie de justifications objectives et raisonnables, eû égard à l'objet des majorations d'assurance ; que les avantages accordés aux femmes ayant élevé des enfants ne visent manifestement pas à compenser les désavantages liés au congé de maternité ou à l'éloignement du service après l'accouchement, ni à les aider à mener une vie professionnelle sur un plan d'égalité avec les hommes ; que bien au contraire et d'après même la circulaire CNAV no2004-22 du 30 Avril 2004 le bénéfice de l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale suppose exclusivement que soient remplies deux conditions cumulatives, qui sont celles caractérisant la charge effective et permanente d'un enfant au sens de l'article L521-2 du même Code relatif à l'attribution des allocations familiales, à savoir d'une part une condition d'éducation qui comporte l'accomplissement des responsabilités parentales relative au devoir de garde de surveillance et d'éducation, d'autre part une condition de charge pécuniaire dudit enfant correspondant aux dépenses d'entretien ; que compte tenu de ces conditions totalement étrangères à la maternité, et s'agissant uniquement d'offrir aux bénéficiaires au moment de leur départ à la retraite certains avantages liés à la période consacrée à l'éducation des enfants, il n'existe aucune raison pour qu'un homme ayant assuré la charge effective, éducative et financière d'un enfant soit exclu du champ d'application de l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale ;
Considérant enfin que la CNAV ne saurait être suivie en ce qu'elle fait valoir que Jérôme X..., remarié le 27 Septembre 1989, n'aurait pas élevé seul ses enfants, cette circonstance justifiant dit-elle qu'il soit écarté du bénéfice des dispositions de l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale ; qu'en effet le fait d'avoir élevé seul ses enfants, circonstance de nature à laisser présumer l'interruption de l'activité professionnelle, ne figure pas au rang des conditions requises pour l'obtention de la majoration de durée d'assurance ; q u'en d'autres termes, le texte ne distinguant pas selon que les femmes ont élevé seules ou en couple leurs enfants il n'y pas lieu d'établir, s'agissant des hommes une telle distinction ; qu'ainsi aucun raison objective ne parait pouvoir justifier que la majoration litigieuse soit accordée à une femme qui n'a pas élevé seule ses enfants, alors qu'elle serait refusée à un homme au motif qu'il n'aurait pas, lui-même, élevé seul ses enfants ; qu'en tant que de besoin la Cour ajoutera qu'exiger de l'homme qu'il ait élevé seul un enfant - ou qu'il ait arrêté son activité professionnelle pour l'élever - conduirait à une nouvelle discrimination puisque l'objet de la preuve serait plus restrictif pour les hommes ; que serait aussi plus restrictif pour ces derniers le mode de preuve puisqu'à s'en tenir à la circulaire d'application du 30 Avril 2004 elle-même une simple déclaration sur l'honneur suffirait à la femme pour bénéficier de l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale alors que d'après la Caisse il incomberait à l'homme de prouver qu'il a élevé seul son enfant ;
Considérant qu'en conséquence la décision déférée doit être infirmée ;
Considérant que pour la liquidation de ses droits Jérôme X... sera renvoyé devant la CNAV ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce l'équité ne commande pas de faire bénéficier l'appelant des dispositions de l'article 700 du CPC ;
PAR CES MOTIFS
Déclare Jérôme X... recevable et bien fondé en son appel ;
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau :
Dit que Jérôme X... peut bénéficier de la majoration de trimestres d'assurance pour enfant prévue par l'article L351-4 du Code de la Sécurité Sociale ;
Le renvoie devant la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse pour la liquidation de ses droits ;
Dit qu'en cas de difficulté sur cette question il en sera référé à la Cour à la requête de la partie la plus diligente ;
Déboute les parties de toutes autres demandes, fins ou conclusions déclarées contraires, inutiles ou mal fondées.
Le Greffier, Le Président,