RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre B
ARRET DU 12 JUIN 2008
(no 8, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06 / 12270
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Mai 2006 par le conseil de prud'hommes de PARIS- section encadrement- RG no 05 / 03973
APPELANT
Monsieur Marc X...
...
64420 ANDOINS
comparant en personne, assisté de Me Fabrice JEANMOUGIN, avocat au barreau de HAUTS DE SEINE, toque : PN 365
INTIMÉE
S. A. S. MILTENYI BIOTEC
10 rue Mercoeur
75011 PARIS
représentée par Me Benjamine FIEDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : C443
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Avril 2008, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bruno BLANC, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Michèle BRONGNIART, Président
Monsieur Thierry PERROT, Conseiller
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Greffier : Madame Nadine LAVILLE, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Michèle BRONGNIART, président et par Mme Nadine LAVILLE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La société Miltenyi Biotec a été crée en 1989 par M. Stefan Z.... Le groupe dont le siège est en Allemagne exploite 9 filiales en Europe et aux Etats Unis, en Asie et en Australie. Elle a pour activité la culture cellulaire, l'analyse cellulaire et moléculaire et la séparation cellulaire.
M. Marc X...a été engagé le 1er septembre 1998 par la SAS MILTENYI BIOTEC en qualité de directeur commercial, coefficient 550. La rémunération de M. Marc X...comportait une partie fixe et une partie variable représentant 10 à 20 % de la rémunération globale et définie sur la base d'objectifs fixés annuellement. Le contrat de travail est soumis à la convention collective de la chimie.
A compter de septembre 2002, M. Marc X...prenait le titre de directeur. A cette occasion le coefficient indiqué sur sa fiche de paie était porté à 880. Sa dernière rémunération annuelle au 31 décembre 2004 s'établissait à 99. 996. 09 €.
M. Stefan Z...conservait dans la filiale Française le rôle et le mandat de président de la SAS.
Le 19 juillet 2005, M. Marc X...a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement et le 22 juillet 2005 il a été licencié.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
"... Cette décision repose sur un ensemble de faits traduisant une situation de blocage rendant impossible votre maintien au sein de notre société et résultant de votre attitude systématiquement hostile envers votre hiérarchie, de votre refus de vous conformer aux instructions qui vous sont soumises, instructions dont vous contestez en outre la pertinence ou même la régularité.
Parmi les très nombreux incidents qui se sont déroulés au cours de ces derniers mois, je rappellerai notamment :
- les difficultés relatives à l'inscription à votre seule initiative d'une provision comptable d'un montant de 388. 770 € au mois d'avril 2005 et correspondant au montant du litige que vous avez vous- même introduit à l'encontre de la société.
Je rappellerai ici que non content d'avoir conservé plusieurs par devers vous la citation prud'homale que vous aviez donc fait délivrée au siège de la Société, vous avez par la suite refusé de rapporter à 23. 000 € le montant de la provision conformément aux recommandations de notre avocat et de notre commissaire aux comptes, prétextant que cette reprise de provision était illégale.
- Votre refus d'informer et de rendre compte sur votre activité et sur la situation de la société française.
Je citerai ici la réunion manquée du 9 juin 2005 à laquelle vous n'avez manifestement jamais eu l'intention de vous rendre.
Je citerai également la réunion du 29 juin 2005 à Paris au cours de laquelle vous avez contesté la légitimité de ma présence et de ma visite en tant que Président de la SAS Z...Biotec et vous êtes livré à des débordements totalement inacceptables en présence de Nadine A...et de Norbert B....
Votre état d'esprit et attitude manipulatrice sont d'ailleurs parfaitement reflétés dans le courrier que vous m'avez adressé le 2 juillet dernier aux termes duquel vous tentez de déformer grossièrement la réalité des faits, me reprochant en outre " de me comporter comme un dirigeant de fait de l'entreprise depuis plusieurs mois " !
- les pressions très négatives que vous entretenez sur le personnel en diffusant au sein de celui- ci que le management de la Société basée en Allemagne emploierait des méthodes illégales et ne respecterait pas les lois locales.
En conclusion, je considère que votre obstruction systématique aux instructions qui vous sont données, votre attitude très manipulatrice tant vis- à- vis du personnel que vis- à vis de votre hiérarchie auprès de laquelle vous tentez, en dépit d'une très grande agressivité, de vous présenter comme une victime harcelée ont entraîné une détérioration irrémédiable de la relation. Les explications que vous avez bien voulues donner lors de l'entretien préalable n'ont en rien permis de modifier mon appréciation des faits.
Dans ce contexte, votre licenciement prendra donc effet dès première présentation de la présente lettre par les services postaux dont la date marquera le premier jour du préavis de trois mois que vous êtes expressément dispensé d'exécuter... "
La cour statue sur l'appel interjeté par M. Marc X...le 19 septembre 2006 du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 10 mai 2006, notifié le 5 septembre 2006 qui a :
- condamné la SAS MILTENYI BIOTEC à lui payer les sommes suivantes :
. 4155, 99 € au titre de rappel de salaire pour 2004,
. 415, 59 € au titre des congés payés y afférents,
avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la SAS MILTENYI BIOTEC de sa convocation devant le bureau de conciliation,
– rappelé qu'en application de l'article R. 516 – 37 du code du travail, ces condamnations étaient exécutoires de plein droit, dans la limite de neuf mois de salaire calculée sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,
– fixé cette moyenne à la somme de 8 333 €,
– condamné la SAS MILTENYI BIOTEC à payer à M. Marc X...la somme de 500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
– débouté M. Marc X...du surplus de ses demandes,
– condamné la SAS MILTENYI BIOTEC aux dépens,
Vu les conclusions du 18 avril 2008 au soutien de ses observations orales par lesquelles M. Marc X...demande à la cour :
– d'infirmer le jugement rendu le 10 mai 2006 par le conseil de prud'hommes de Paris,
En conséquence :
– de constater que la SAS MILTENYI BIOTEC reste débitrice des rémunérations variables pour les années 2002 à 2005 ;
– de dire qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de l'employeur depuis deux ans avant la rupture de son contrat de travail,
– de constater qu'il a effectué de nombreuses heures supplémentaires,
– de condamner la SAS MILTENYI BIOTEC à lui payer les sommes suivantes :
. 272 373 € au titre de la part variable du rappel de salaire,
. 27 237 € au titre des congés payés y afférents,
. 200 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 100 408 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral pendant plus de deux ans,
. 191 787 € au titre des heures supplémentaires effectuées,
. 19 178 € au titre des congés payés y afférents,
. 100 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 324 – 10 du code du travail,
– de condamner la SAS MILTENYI BIOTEC à lui remettre les documents relatifs à la rupture de son contrat de travail conformes à la décision à intervenir,
– de condamner la SAS MILTENYI BIOTEC à lui payer une indemnité de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 18 avril 2008 au soutien de ses observations orales par lesquelles la SAS MILTENYI BIOTEC demande à la cour :
– de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement prononcé le 22 juillet 2005 reposait sur une cause réelle et sérieuse et débouté M. Marc X...de l'ensemble de ses demandes formées au titre de la rupture du contrat de travail, du harcèlement moral allégué, des heures supplémentaires et rappels de commissions,
Statuant à nouveau :
– de constater qu'aucun paiement de commissions complémentaires n'est dû au titre de l'année 2004,
– d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le paiement de la somme de 4155, 99 € à titre de rappel sur 2004 et 415, 59 € au titre des congés payés y afférents,
– d'ordonner la restitution des sommes à la SAS MILTENYI BIOTEC,
– de débouter M. Marc X...de l'ensemble de ses demandes et en particulier relatives à des rappels de salaire, commissions et heures supplémentaires,
– de condamner M. Marc X...à lui payer une indemnité de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
SUR QUOI :
I Sur l'exécution du contrat de travail :
Sur les demandes formées au titre des rappels de salaire et commissions :
Considérant que les seuls documents contractuels qui définissent la rémunération de M. Marc X...sont d'une part le contrat de travail en date du 14 août 1998- pièce 1- (lequel prévoit que le salarié percevra une rémunération variable complémentaire correspondant à un intéressement de 10-20 % du salaire fixe en fonction des objectifs atteinte, et qui seront fixés préalablement chaque année d'un commun accord) et d'autre part l'avenant régularisé le 31 janvier 2001 (- pièce 52-54) ;
Qu'aucun document postérieur revêtu de la signature des parties n'est versé aux débats ; qu'en l'absence d'une autre convention entre les parties, conformément au contrat qui ne prévoyait que la seule modification des objectifs et non celle de la méthode de calcul, le seul accord permettant de procéder au calcul de la part variable est celui conclu le 31 janvier 2001 ;
Que sur la base des chiffres non contestés par les parties et selon la méthode de calcul retenue (cumulant le pourcentage en cas d'atteinte de l'objectif et le pourcentage additionnel en cas d'objectif dépassé) M. Marc X...est en droit de percevoir les sommes suivantes :
Année 2002
Objectif
Résultat
Dépassement
Prime
recherche
1. 392. 621
2. 602. 578
1. 209. 957
69. 061
clinique
340. 876
548. 591
207. 715
8. 327
total
77. 654
payé
17. 519
solde
60. 135
Année 2003
Objectif
Résultat
Dépassement
Prime
recherche
1. 392. 621
2. 446. 787
1. 054. 166
61. 272
clinique
340. 876
447. 794
106. 918
5. 303
total
66. 575
payé
1. 030
solde
65. 545
Année 2004
Objectif
Résultat
Dépassement
Prime
recherche
1. 392. 621
3. 113. 572
1. 720. 951
94. 611
clinique
340. 876
662. 692
321. 816
11. 750
total
106. 361
payé
3. 192
solde
103. 169
Payés après la conciliation 5. 111 € solde 98. 058
Tableau Prorata temporis à 6 mois (date mise à pied)
Année 2005
Objectif
de janvier à juin 2005
Résultat
de janvier à juin 2005
Dépassement
Prime
recherche
696. 310
1. 409. 614
713. 304
39. 947
clinique
170. 130
483. 869
313. 439
10. 451
total
50. 398
payé
1. 763
solde
48. 635
Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé :
Considérant qu'à partir de septembre 2002, M. Marc X...a pris le titre de directeur, que sa fiche de paie laisse apparaître et son nouveau titre et le nouveau coefficient de rémunération 880, soit le plus haut coefficient prévu par la convention collective ; que nonobstant le désaccord sur la partie variable de la rémunération, M. Marc X..., qui ne justifie d'aucune contestation du titre et de la fonction qui lui étaient conférées, percevait en moyenne 8333 euros bruts par mois ;
Considérant qu'en qualité de directeur de filiale, M. Marc X...relevait des dispositions de l'article L 212-15-1 applicables aux cadres de direction ; qu'en effet il exerçait des responsabilités impliquant une grande autonomie dans l'organisation de son emploi du temps, était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et bénéficiait de la rémunération la plus élevée au sein de la filiale qu'il dirigeait ;
Considérant que M. Marc X...n'était pas astreint à des horaires précis, qu'en sa qualité de directeur de filiale, il lui était loisible d'organiser son temps de travail ; qu'ainsi M. Marc X...se trouvait exclu de la réglementation en matière d'heures supplémentaires et partant de l'application des dispositions de l'article L 324-10 du code du travail relatives au travail dissimulé ;
Sur le harcèlement moral :
Considérant qu'en cas de litige relatif à l'application des articles L 122-46 et L 122-49 du code du travail, il appartient au salarié d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, que si les pièces produites par M. Marc X...établissent un climat tendu entre la SAS MILTENYI BIOTEC et son salarié, elles ne constituent pas des agissements répétés pouvant constituer un harcèlement, qu'en effet les pièces 13-14-15-30-57 produites par M. Marc X...sont inexploitables s'agissant de courriels en anglais non traduits ; que la pièce 59 peut s'analyser en une consultation juridique non susceptible de caractériser un élément de harcèlement ; que l'attestation de Madame C...- pièce 49- de quelques lignes est non circonstanciée ; qu'il en est de même en ce qui concerne l'attestation de Madame D...- pièce 7- ; que seule l'attestation de Madame A...- pièce 13- fait référence à la notion de harcèlement, mais relate en fait les litiges opposant M. Marc X...à la SAS MILTENYI BIOTEC ;
II Sur le licenciement :
Sur l'inscription d'une provision comptable de 388. 700 euros sur la seule initiative de M. Marc X...et correspondant au montant estimé du litige avec la SAS MILTENYI BIOTEC :
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. Marc X..., directeur commercial, a pris seul la décision d'inscrire dans les comptes consolidés de la société Française la provision litigieuse de 388. 770 euros correspondant aux sommes qui, selon lui, lui étaient dues par son employeur ;
Que, contrairement à ce que soutient M. Marc X..., cette décision ne relevait pas sa compétence mais de la seule responsabilité de la SAS en la personne de M. Stefan Z...son représentant légal ; que l'avenant au contrat de travail en date du 13. 9. 2002- pièce 2- est une délégation de pouvoir qui ne confère pas à M. Marc X...la possibilité d'inscrire dans les comptes de la société une telle provision ;
Que les conditions dans lesquelles cette provision a été inscrite dans les comptes 2004 a été immédiatement contestée par la SAS MILTENYI BIOTEC ; que s'il apparaît souhaitable qu'une provision soit constituée en vue d'un litige, il appartient au seul représentant légal d'en déterminer le montant ; qu'en l'espèce la provision a été inscrite dans les comptes 2004, alors que l'instance prud'homales a été engagée en avril 2005 ;
Que le Président de la société ne pouvant approuver les comptes sollicitait par voie de requête auprès du Tribunal de Commerce le report de la tenue de l'assemblée destinée à approuver les comptes de l'exercice 2004 et le dépôt des comptes au Tribunal de Commerce (pièces 43 et 45) ;
Que de surcroît, s'agissant de l'expression d'un désaccord profond avec son employeur, M. Marc X...se devait d'en informer préalablement M. Z...ou d'attirer son attention sur ce point ; que M. Marc X...ne justifie pas d'avoir attiré l'attention du siège sur les comptes de reporting qui lui étaient adressés ; qu'en particulier, M. Marc X...qui a effectué cette provision en septembre 2004 ne justifie d'aucun courriel ou courrier circonstancié accompagnant l'envoi de ces documents ; qu'ainsi le grief visé à la lettre de licenciement est bien établi constitue une méconnaissance grave du lien de subordination et, partant, une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs allégués ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il n'apparaît pas équitable que M. Marc X...conserve la charge de ses frais irrépétibles dans la mesure énoncée au dispositif du présent arrêt ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que le licenciement de M. Marc X...était fondé sur une cause réelle et sérieuse et condamné la SAS MILTENYI BIOTEC à payer à M. Marc X...la somme de 500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau :
Condamne la SAS MILTENYI BIOTEC à payer à M. Marc X..., en deniers ou quittances valables, les sommes suivantes :
. 272. 373 € à titre de rappel de salaires pour les années 2002 à 2005 ;
. 27. 237 € au titre des congés payés y afférents ;
Condamne la SAS MILTENYI BIOTEC à remettre à M Marc X...un certificat de travail, des bulletins de salaires et une attestation ASSEDIC conformes aux dispositions du présent arrêt ;
Condamne la SAS MILTENYI BIOTEC à payer à M. Marc X...la somme de 3. 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la SAS MILTENYI BIOTEC aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT