Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre - Section B
ARRET DU 20 JUIN 2008
(no 256 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 06/09417
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Mai 2006 rendu par la 2ème Chambre/2ème section du Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 04/09962
APPELANTE
La SA COFINFO venant aux droits et obligations de la société KENTUCKY suite à une dissolution sans liquidation décidée le 23/11/2003
dont le siège social est situé 23 Boulevard Poissonnière-75002 PARIS
représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour
assistée de Me Pierre CARCELERO, avocat au Barreau de NANTERRE, plaidant pour le Cabinet CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE, toque : NAN701
INTIME
MONSIEUR LE DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX DE PARIS EST
ayant ses bureaux 17 Place de l'Argonne-75938 PARIS CEDEX 19
agissant sous l'autorité de Monsieur le Directeur Général des Impôts, 92 Allée de Bercy-75012 PARIS
représentée par la SCP Pascale NABOUDET-VOGEL - Caroline HATET-SAUVAL, avoués à la Cour,
et à l'audience, par Mme Christine DREYFUS-ARIZA, inspectrice dûment mandatée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, le rapport préalablement entendu, l'affaire a été débattue le 18 avril 2008, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Marguerite-Marie MARION et Anne-Marie GABER Conseillères chargées du rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Jacques BICHARD, Président
Marguerite-Marie MARION, Conseillère
Anne-Marie GABER, Conseillère
Greffière lors des débats : Régine TALABOULMA
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civil
- signé par Jacques BICHARD, Président
et par Régine TALABOULMA, greffière
*******
Vu le jugement contradictoire du 4 mai 2006, par lequel le tribunal de grande instance de Paris a débouté la SAS KENTUCKY de ses demandes, tendant à obtenir la décharge d'impositions mises à sa charge pour non respect de l'engagement de revente d'un bien immobilier acquis sous le régime de faveur accordé aux marchand de biens, à raison d'un événement de force majeure ,
Vu l'appel interjeté le 24 mai 2006 par la société COFINFO venant aux droits de la société KENTUCKY,
Vu les dernières conclusions du 10 mai 2007, par lesquelles la société COFINFO venant aux droits et obligations de la société KENTUCKY,
•faisant essentiellement valoir que :
-cette société n'était pas en mesure, en raison d'événements constitutifs d'un cas de force majeure de revendre l'immeuble par elle acquis,
-les impositions mises à sa charge du fait de l'absence de revente doivent être annulées, à tout le moins en ce qu'elles la privent du bénéfice des dispositions de la loi de finance pour 1995 ayant prévu un dispositif de taxation atténuée (article 1840 G quinquies II ancien du Code général des impôts),
•demande à la Cour d'infirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise, de déclarer nul et de nul effet l'avis de mise en recouvrement émis à son encontre, de prononcer la décharge des impositions y afférentes, et de condamner la Direction générale des impôts au paiement de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
Vu les conclusions du 20 décembre 2006, par lesquelles Monsieur le Directeur des services fiscaux de Paris Est,
•faisant en particulier valoir que :
-l'administration ne pouvait que constater la déchéance du régime de faveur de l'article 1115 du Code général des impôts faute de revente au 31 décembre 1998,
-les conditions caractérisant la force majeure ne sont pas réunies,
-le fait que la société aurait éventuellement pu bénéficier d'une imposition atténuée, en cas de revente avant le 31 décembre 2001, n'a pas d'incidence sur la solution du litige,
•sollicite le rejet des demandes, y compris celle au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, et la confirmation du jugement entrepris,
Vu l'ordonnance de clôture du 7 mars 2008,
SUR CE,
Il sera rappelé que la société KENTUCKY a acquis, en qualité de marchand de biens, le 12 août 1997 un immeuble situé à Paris 11ème, pour partie loué ou occupé, en prenant l'engagement de le revendre dans le délai alors imparti au vendeur, lui-même marchand de biens, soit avant le 31 décembre 1998.
Le 28 août 2002 l'administration fiscale lui a notifié un redressement, compte tenu de l'absence de revente au 1er janvier 2002.
La société KENTUCKY a, par observations du 2 octobre 2002, invoqué à titre principal l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de revendre le bien dans le délai imparti du fait de l'occupation illicite de squatters et du manquement de la puissance publique à prêter son concours pour faire cesser cette atteinte au droit de propriété.
L'administration a retenu, le 27 novembre 2002, que rien n'empêchait la société de revendre le bien occupé même à perte dans le délai imparti.
La position de l'administration a été maintenue, ensuite de nouvelles observations du redevable le 24 décembre 2002, et l'imposition supplémentaire a été mise en recouvrement le 28 mars 2003 pour un montant de 115.1777euros, dont 81.211 euros de droits.
La société KENTUCKY a déposé une réclamation le 2 septembre 2003, qui a été rejetée le 6 avril 2004 par l'administration, laquelle a en particulier relevé :
-concernant le non respect de l'engagement de revente pris dans l'acte d'acquisition, que l'occupation illicite invoquée a débuté près d'un an après l'expiration le 31 décembre 1998 du délai imparti pour revendre,
-concernant la période d'aménagement de la déchéance du régime de faveur, que les diligences accomplies pour obtenir la libération de lieux sont intervenues après le 31 décembre 2001, date d'expiration du délai imparti pour bénéficier d'un régime d'imposition atténué.
Le tribunal de grande instance ensuite saisi le 11 juin 2004 par la société KENTUCKY ayant rejeté l'intégralité de ses demandes, la société COFINFO, venant aux droits et obligations de cette société, a interjeté appel de la décision rendue.
La société appelante ne conteste pas sérieusement qu'il lui incombait de revendre le bien avant le 31 décembre 1998 et que la revente n'est pas intervenue dans le délai imparti à compter de la date d'acquisition, n'invoquant en fait pour cette période aucun empêchement constitutif d'un événement de force majeure, l'occupation illicite de l'immeuble acquis par elle invoquée étant postérieure au 31 décembre 1998.
Elle critique cependant la décision entreprise en ce qu'elle n'aurait apprécié l'intervention d'un événement de force majeure que pour cette période alors que la loi de finance rectificative pour 1995 prévoit un dispositif de taxation atténuée si les biens sont revendus entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2001.
Il convient toutefois d'observer que la revente du bien pendant la période d'aménagement du régime de faveur n'aurait pas d'incidence sur la déchéance de ce régime, mais aurait simplement pour effet de réduire le montant des impositions dont la perception a été différée.
Dans ces conditions, les premiers juges ont exactement retenu que l'aménagement en cause n'a pas pour effet de proroger le délai revente, qui s'imposait à la société KENTUCKY et expirait le 31 décembre 1998, et décidé que, faute de revente avant cette date, la société KENTUCKY était déchue du régime de faveur.
La société COFINFO aux droits et obligations de la société KENTUCKY prétend néanmoins avoir été dans l'impossibilité de bénéficier des dispositions dérogatoires prévues en cas de revente avant le 31 décembre 2001, qui lui auraient permis de ne pas être pleinement redevable des droits d'enregistrement exigibles en l'absence de revente.
A cet égard, elle soutient qu'elle a été privée, entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2001 (période d'aménagement de la déchéance du régime de faveur) de la faculté de revendre le bien acquis du fait d'une occupation illégale des lieux et de l'attitude des autorités de l'Etat, constitutif d'un événement de force majeure.
S'il n'est pas contesté que des locaux dépendant du bien acquis ont été occupés dès le mois de novembre 1999 par des squatters, il n'est pas sans intérêt de relever qu'une telle situation survenue plus de 2 ans après l'acquisition d'un immeuble pour partie vacant ne saurait revêtir un réel caractère d'imprévisibilité pour un professionnel de l'immobilier.
Certes ce professionnel a alors obtenu en référé dès le 22 mars 2000 une ordonnance d'expulsion et il n'est pas dénié qu'il a vainement requis le concours de la force publique les 23 août 2000 et 17 janvier 2001.
La société KENTUCKY n'a cependant entrepris aucune autre démarche pour tenter de mettre fin à l'occupation illicite avant le 31 décembre 2001, soit pendant près d'un an, et le juge des référés du tribunal administratif de Paris a pu estimer le 1er juin 2002 que ce n'est qu'à cette date que la société a cru devoir demander qu'injonction soit faite au préfet de police de lui prêter le concours de la force publique, se plaçant ainsi dans une situation lui interdisant de revendiquer l'urgence d'une telle mesure.
Par ailleurs, la société KENTUCKY a manifesté son intention d'aliéner le 4 avril 2001 et la Mairie de Paris a notifié dès le 1er juin 2001 son intention de préempter pour un prix de 12.000.000 de francs en l'état de l'occupation des lieux, ou de faire fixer la valeur du bien par la juridiction compétente en matière d'expropriation si la société maintenait son prix de 25.000.000 francs.
Si l'offre de préemption a été faite pour un prix inférieur de plus de 50% à la valeur proposée il n'est pas pour autant établi qu'elle était nécessairement inacceptable alors qu'il convient de relever que l'immeuble avait été acquis en 1997 moyennant le prix de 5.100.000 francs, qu'aucun élément ne permet d'apprécier sa valeur réelle en 2001, et que la décision entreprise a indiqué (sans que ce point soit contesté en appel) que «le Tribunal de Grande Instance de Paris a fixé l'indemnité de préemption à 13.300.000 francs, prix refusé par la venderesse».
En réalité, la société KENTUCKY, qui a cru devoir refuser l'offre comme insuffisante, n'établit pas qu'elle a pris toutes les mesures permettant d'empêcher que cette offre tienne compte d'une occupation illicite des lieux ( même si la Mairie n'est pas forcément dans la même situation qu'un particulier), ni que le montant offert serait constitutif d'une difficulté insurmontable de revente ou d'une violation de son droit de propriété.
Dès lors, même si l'offre pouvait s'avérer peu avantageuse pour la société KENTUCKY, les premiers juges ont justement estimé qu'il n'était pas justifié d'une impossibilité absolue de revendre le bien occupé pendant la période d'aménagement de la déchéance du régime de faveur.
En définitive, la société appelante, qui admet que le bien acquis sous le régime des marchands de biens, prévu par l'article 1115 du Code général des impôts, n'était pas revendu au 1er janvier 2002 , ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'irrésistibilité d'une situation qui l'aurait empêchée de revendre ce bien dans le délai imparti, ou, à tout le moins, de bénéficier d'une atténuation des droits dus (faute d'une telle revente) en application des dispositions alors en vigueur de l'article 1840 G quinquies II du même code.
La décision entreprise sera, en conséquence, confirmée en toutes ses dispositions.
Les conditions d'application de l'article 700 du Code de procédure civile ne sont pas réunies au profit de la société appelante.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes de la société COFINFO venant aux droits et obligations de la société KENTUCKY ;
Condamne la société COFINFO aux dépens et autorise la SCP NABOUDET HATET, avoué, à les recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,