RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre A
ARRET DU 07 Octobre 2008
(no1, six pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/09146
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mai 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS, section encadrement RG no 03/12146
APPELANT
Monsieur André X...
...
33380 BIGANOS
comparant en personne, assisté de Me Marjana Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : P 080
INTIMEE
S.A. BRIT AIR
Aéroport
BP 156
29204 MORLAIX
représentée par Me Gaïd PERROT, avocat au barreau de BREST
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 Septembre 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente
Monsieur Yves GARCIN, Président
Madame Patricia RICHET, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Nadine LAVILLE, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente
- signé par Madame Charlotte DINTILHAC, président et par Madame Laura BELHASSEN, greffier présent lors du prononcé.
Exposé du litige :
Statuant sur l'appel interjeté par déclaration du 21 octobre 2005 par M. André X... à l'égard du jugement du Conseil des Prud'hommes de PARIS en date du 18 mai 2005, notifié le 05 octobre 2005, qui l'a débouté de toutes ses demandes à l'encontre de la société BRIT AIR, tendant principalement à l'annulation d'une sanction disciplinaire du 06 août 2003, et au paiement de dommages et intérêts de ce chef pour préjudice moral ;
Vu les conclusions déposées, et soutenues oralement, par M. André X... pour d'une part voir réformer le dit jugement, et donc voir annuler la sanction disciplinaire litigieuse, avec condamnation de la société BRIT AIR à lui payer désormais 31101 € de dommages et intérêts pour préjudice moral et pécuniaire, et d'autre part voir dire nul le licenciement qui lui a été notifié postérieurement le 28 avril 2006 à raison d'une limite d'âge et sans possibilité de reclassement, avec alors condamnation de la société BRIT AIR à lui payer 165850 € de dommages et intérêts et 131707 € d'indemnité contractuelle de licenciement, et subsidiairement voir dire qu'il s'est agi d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec alors condamnation de la société BRIT AIR à lui payer 131707 € d'indemnité contractuelle de licenciement, 100000 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et encore 65850 € d'indemnité spéciale pour non respect de l'obligation de reclassement, la société BRIT AIR devant en tout cas être condamnée à lui payer une somme de 3500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions déposées, et soutenues oralement, par la société BRIT AIR pour voir confirmer en tous points le jugement entrepris, et autrement pour voir débouter Mr. André X... de sa contestation de la rupture de son contrat de travail, et des demandes s'y rapportant, ce dernier devant alors être condamné à lui payer une somme de 3500 € de dommages et intérêts pour procédure abusive, comme une somme de 3500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur ce, la Cour :
Eu égard aux observations orales et conclusions des parties sus-visées ;
Sur le jugement entrepris :
Considérant qu'il est constant en fait que M. André X..., né le 11 avril 1946, a été engagé en contrat à durée indéterminée, comme pilote professionnel, par la société BRIT AIR le 07 janvier 1983 ; qu'il avait obtenu en octobre 1989 la qualification de commandant de bord ; qu'il a aussi obtenu la qualification d'instructeur de pilote d'avion de ligne en décembre 1995, la société BRIT AIR le nommant responsable de formation secteur Fokker 100 à compter du 1er avril 1999, puis commandant de bord instructeur en avril 2001 après la suppression du poste de responsable de formation, avant qu'en décembre 2002 il se voit renouvelé dans ses fonctions d'instructeur TRI secteur Fokker 100 pour 2 ans jusqu'au 08 novembre 2004 ; qu'il sera mis fin à cette fonction à cette dernière date ;
Considérant qu'il est aussi constant que c'est à l'occasion d'un vol de nuit Orly-Quimper du 28 avril 2003 qu'est survenu l'incident litigieux, Mr. André X... ayant pris la décision après le décollage de faire atterrir son appareil sur l'aéroport de Brest-Guipavas ; qu'en effet la lecture de l'enregistrement des communications entre le CRNA/O (Centre en Route de la Navigation Aérienne Ouest, dépendant de la direction générale de l'aviation civile pour le contrôle du trafic aérien) et l'équipage de ce vol, dont M. André X..., commandant de bord, permet de relever qu'elles ont débuté à 20h37'41" et que Mr. André X... a annoncé le changement de destination dans la minute suivante, juste après s'être vu fixer son altitude de vol au départ ;
Considérant que la lettre du 06 août 2003, objet initial de la réclamation de M. André X... pour saisir le Conseil des Prud'hommes, a été adressée à celui-ci à la suite d'un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire du 07 juillet 2003 ; que ce courrier : - après avoir évoqué les conséquences importantes de ce déroutement sur la bonne marche de l'entreprise et la qualité du service rendu à la clientèle, - énonce que les explications de M. André X... ne sont pas apparues de nature à justifier le bien fondé de sa décision, ni par la réglementation en vigueur, ni par les "manex" de l'entreprise, - souligne que la fonction d'instructeur de M. André X... doit l'amener à plus de rigueur dans la préparation de ses vols, notamment pour toujours disposer d'une documentation réglementaire complète et à jour ("notams") ; que ce courrier se termine en espérant que de tels faits ne se reproduiront pas, et qu'à défaut l'entreprise pourra être amenée à prendre à son égard une sanction disciplinaire ;
Considérant qu'une telle correspondance doit s'analyser, contrairement au jugement entrepris, comme une sanction disciplinaire, au sens de l'article L 1331-1 (anciennement L 122-40) du code du travail ; qu'en effet il s'agit d'un écrit qui a fait suite à un agissement du salarié, décrit comme fautif, puisque d'une part inadapté à la réglementation et aux consignes internes, d'autre part à l'origine de conséquences préjudiciables pour l'entreprise, et qui était bien de nature à pouvoir affecter ultérieurement la situation du salarié à l'annonce de ce que la reproduction des mêmes faits pourrait occasionner une sanction disciplinaire ;
Considérant alors qu'une telle sanction doit être jugée en l'espèce injustifiée ; qu'en effet, outre que n'a pas été caractérisée concrètement d'atteinte à la bonne marche de l'entreprise, non plus qu'une insatisfaction d'un des clients du vol en question, force est de constater que ni la réglementation , ni les règles internes ("manex" ou "notams") n'avaient la clarté ou le caractère impératif aujourd'hui allégué par la société BRIT AIR ; qu'ainsi d'une part il ressort de la réponse explicative du responsable du CRNA/O du 22 août 2003 à M. André X... à propos du vol litigieux que l'hypothèse du déroutement à donné lieu à des échanges avec un cadre de BRIT AIR et avec le commandement de bord sans parvenir à clarifier la situation; qu'il en ressort aussi que le CIV de BREST, en charge du suivi des vols VFR dans un espace aérien de classe G, comme en l'espèce, n'était pas en mesure de fournir des renseignements sur les risques d'abordage avec les moyens techniques dont il dispose, de sorte que les règles de l'air sur la vigilance visuelle pour la prévention des abordages s'impose pleinement aux équipages; qu'enfin il y est mentionné qu'à la suite de cet événement de nouvelles mesures ont été prises pour améliorer la compatibilité entre les vols IFR et VFR ;
Que d'autre part M. André X... a pu produire une note du 17 avril 2003, soit 10 jours avant le vol ici en cause, d'un responsable de la direction du personnel navigant de la société BRIT AIR, M. Joël Z..., faisant déjà état de la même difficulté d'atterrissage à QUIMPER, avec un exemple concret de cette date, et pronostiquant l'arrivée très rapide d'un problème de régularité dans la mesure où, en fonction des éléments météo, "certains CDB (commandants de bord) pourront estimer ne pas être en mesure d'assurer l'anti-collision de manière satisfaisante et décideront de se dérouter sur BREST" ;
Qu'il est constant par ailleurs qu'un commandant de bord en vol dispose d'une capacité d'initiative à la mesure de sa responsabilité pour le mener à bonne fin en assurant prioritairement la sécurité de ses passagers ;
Que dans ces conditions il y a bien lieu de juger que l'appréciation portée par la société BRIT AIR sur le comportement de M. André X... dans la conduite du vol concerné, pour lui en faire reproche, n'était pas justifiée eu égard aux circonstances de l'espèce; que cette sanction doit donc être annulée ;
Que de ce chef M. André X... est fondé à se plaindre d'un préjudice moral à raison de l'atteinte ainsi portée à sa réputation professionnelle après 23 années de service, telles que rappelées ci-dessus ; qu'il convient de lui allouer en juste réparation un somme de 7500 € ; qu'en revanche il n'y a lieu d'y ajouter la réparation d'un préjudice pécuniaire, M. André X... ne pouvant prétendre sur sa seule affirmation rattacher à cette sanction la fin de ses fonctions d'instructeur 15 mois plus tard, à l'issue effective d'une période d'agrément de deux ans, au 08 novembre 2004, sans qu'aucune autre motivation ne soit alléguée ;
Sur la rupture du contrat de travail :
Considérant en fait que par courrier du 26 janvier 2006 la société BRIT AIR a rappelé à M. André X... qu'il aurait 60 ans au 11 avril suivant, et que pour lui rechercher une possibilité de reclassement, l'article L 421-9 du code de l'aviation civile ne lui permettant pas de voler au-delà, elle lui demandait son curriculum vitae et ses éventuelles aspirations, en précisant que sa recherche se ferait en son sein, comme dans ses filiales et dans le groupe Air France, eu égard à sa formation, ses compétences et son expérience professionnelles ;
Que M. André X... a répondu le 02 février 2006 en rappelant ses fonctions de commandant de bord, d'instructeur pilote de ligne, d'examinateur aux jurys d'examens, et d'encadrement aux ouvertures des secteurs CRJ et F100 ; qu'il s'est déclaré prêt à examiner toute proposition de reclassement qui lui serait faite ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 avril 2006 la société BRIT AIR a notifié à M. André X... la rupture de son contrat de travail au visa de l'article L421-9 du code de l'aviation civile, puisqu'il avait atteint l'âge de 60 ans, et quelle n'avait pu trouver de possibilité de reclassement pour lui, compatible avec sa formation, ses compétences et son expérience professionnelle, ni en interne, ni dans ses filiales, ni dans le groupe Air France ;
Qu'il était précisé que M. André X... était dispensé d'exécuter son préavis de 3 mois, et qu'il percevrait par ailleurs l'indemnité PN de l'accord du 18 janvier 2006 pour une telle rupture ;
Considérant que c'est à tort que M. André X... prétend à la nullité de son licenciement en soutenant le caractère discriminatoire d'une telle mesure, dès lors que l'article L 421-9 du code de l'aviation civile serait contraire à la directive européenne no2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, au préambule de la convention no 111 de l'OIT, ainsi qu'aux articles 15 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne (2000/C 364/01) ;
Qu'en effet, alors que ces deux derniers textes, dans les articles invoqués, se bornent à définir la notion de discrimination, il est suffisant de constater que la directive No2000/78/CE du 27 novembre 2000, après avoir défini, elle aussi, à son article 2, §2, la notion de discrimination, stipule dans un article 6, intitulé "justification des différences de traitement fondées sur l'âge", la possibilité d'ordre dérogatoire pour les Etats membres de prévoir chacun de telles différences, sans discriminer, lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées dans le cadre national par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens adoptés sont appropriés et nécessaires ;
Qu'en l'espèce il n'est pas discutable que cette limite d'âge a été retenue à raison des sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant du transport aérien de passagers ; que la règle est bien de portée nationale, rendant ainsi sans pertinence la comparaison avec des réglementations d'autres Etats ; qu'elle est générale à tous les pilotes de transport aérien de personnes, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à la situation des pilotes d'autres catégories ou d'autres appareils volants ;
Que la fixation d'une telle limite d'âge est donc légitime au sens de la directive européenne sus-visée en ce qu'elle répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, de façon raisonnable et proportionnée au regard de la spécificité de l'activité et du métier concerné ;
Considérant que M. André X... n'est pas davantage fondé à soutenir que son licenciement se trouverait dépourvu de cause réelle et sérieuse à raison d'une défaillance de la société BRIT AIR à exécuter son obligation de rechercher et lui proposer un reclassement au sol ;
Qu'en effet c'est au jour d'effet du licenciement que doit s'apprécier le respect de cette obligation, dans les termes de l'article 1233-4 du code du travail ;
Que dès lors M. André X... ne peut se prévaloir d'offres formulées postérieurement, comme par exemple en décembre 2006, ou qui concernaient des emplois ne pouvant être qualifiés de même catégorie ou de catégorie équivalente, comme des emplois de mécanicien ou technicien, étant observé qu'il ne justifie pas d'avoir à aucun moment explicitement accepté d'occuper un emploi de catégorie inférieure ;
Que de même M. André X... ne caractérise pas de manquement de la société BRIT AIR à son égard à exécuter son obligation de formation au sens de l'article L 6321-1 du code du travail, celle-ci ne pouvant concerner que l'emploi qu'il occupait jusqu'à la date anniversaire de ses 60 ans, sans s'étendre à d'autres métiers relevant d'une formation initiale différente, par sa nature ou sa complexité ;
Que dans ces conditions les recherches d'emploi dont justifie la société BRIT AIR par la production aux débats des lettres adressées à cet effet, en temps utile par rapport à la date de la rupture, dans un périmètre suffisant au regard de l'ensemble du groupe auquel elle appartient, avec indication effective du profil professionnel de M. André X..., tel que confirmé au préalable par lui, doivent être tenues pour satisfaisantes au regard de l'obligation à laquelle elle se trouvait tenue;
Qu'en conséquence M. André X... doit être débouté dans toutes ses demandes indemnitaires, principales ou subsidiaires, relatives à la rupture de son contrat de travail à la date anniversaire de ses 60 ans ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce M. André X... n'a pas abusé de son droit d'agir en justice ;
Considérant que les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile sont ainsi réunies au seul profit de M. André X... à hauteur de 1500 € à la charge de la société BRIT AIR ;
Par ces motifs :
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant de nouveau :
Dit que le courrier du 06 août 2003 de la société BRIT AIR à M. André X... était de nature disciplinaire ;
En annule les effets ;
Condamne la société BRIT AIR à payer à M. André X... en réparation de son préjudice moral de ce chef la somme de 7500 € (sept mille cinq cents euros) de dommages et intérêts ;
Déboute M. André X... de toutes ses contestations et demandes du chef de la rupture de son contrat de travail par lettre du 28 avril 2006 ;
Déboute la société BRIT AIR de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;
Condamne la société BRIT AIR à payer à M. André X... la somme de 1500 € (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société BRIT AIR aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT