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07/10/2008 | FRANCE | N°07/09681

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0109, 07 octobre 2008, 07/09681


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

3ème Chambre - Section A

ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2008

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 07/09681

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Avril 2007 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG no 2006039939

APPELANTE

SA CARREFOUR

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège 26 Quai Michelet

92300 LEVALLOIS PERRET

représentée par la SCP FISSELI

ER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour

assistée de Me Didier MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : T 12

(Cabinet BREDIN-PRAT)

INTIME

M...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

3ème Chambre - Section A

ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2008

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 07/09681

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Avril 2007 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG no 2006039939

APPELANTE

SA CARREFOUR

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège 26 Quai Michelet

92300 LEVALLOIS PERRET

représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour

assistée de Me Didier MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : T 12

(Cabinet BREDIN-PRAT)

INTIME

Monsieur Daniel Y...

demeurant ...

78400 CHATOU

représenté par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assisté de Me Michel PITRON, avocat au barreau de PARIS , toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 septembre 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Chantal CABAT, Présidente

Monsieur Henri LE DAUPHIN, Conseiller

Madame Marie-Paule MORACCHINI, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Marie-Claude HOUDIN

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame CABAT, présidente, et par Madame HOUDIN, greffière.

Vu le jugement en date du 23 avril 2007 par lequel le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Carrefour S.A. (la société Carrefour) à verser à M. Daniel Y... la somme de 1.243.131 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 21 février 2006 et la somme de 1.243.131 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 février 2007,

- ordonné l'exécution provisoire à charge pour M. Y... de fournir une caution bancaire couvrant en cas d'exigibilité de son remboursement la somme de 1.243.131 euros, outre les intérêts courus sur cette somme,

- débouté M. Y... de sa demande en dommages-intérêts,

- condamné la société Carrefour à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel formé par la société Carrefour à l'encontre de cette décision ;

Vu les conclusions en date du 7 décembre 2007 par lesquelles l'appelante demande à la cour :

- de débouter M. Daniel Y... de sa demande tendant à sa condamnation à lui verser une retraite additionnelle et d'ordonner le remboursement de toutes les sommes versées en exécution du jugement déféré,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Carrefour de sa demande tendant à sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts en réparation de son prétendu préjudice moral et d'image,

- de condamner M. Y... à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 21 avril 2008 par lesquelles M. Y..., intimé et appelant incidemment, demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Carrefour à lui payer la somme de 1.243.131 euros au titre de l'annuité de retraite due pour la période du 18 février 2006 au 17 février 2007 et une autre somme de même montant au titre de la deuxième annuité de retraite,

- y ajoutant, de condamner la société Carrefour à lui payer annuellement ses annuités de retraite à hauteur de 1.243.131 euros,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à la condamnation de la société Carrefour à lui payer la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et d'image subi,

- de lui allouer la somme de 75.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sur ce :

Sur la demande de M. Y... tendant au paiement d'une pension de retraite supplémentaire :

Considérant que M. Daniel Y... a exercé les fonctions de président du conseil d'administration de la société anonyme Carrefour entre octobre 1992 et le 4 février 2005, date de prise d'effet de sa démission qui est intervenue lors de la réunion du conseil d'administration du 3 février 2005 au cours de laquelle a été adoptée, contre la volonté de M. Y..., la proposition du comité des rémunérations, des nominations et de la gouvernance d'entreprise, de passer à une structure avec directoire et conseil de surveillance ; que M. Luc A..., membre du conseil d'administration de la société Carrefour et ancien directeur de Promodès, a été nommé le même jour président du conseil d'administration de Carrefour ;

Considérant que la société Carrefour a pris le contrôle de la société Promodès au moyen de la mise en oeuvre, en 1999, d'une offre publique amicale d'échange de titres ; qu'il a ensuite a été procédé, le 30 mars 2000, à la fusion-absorption de Promodès par Carrefour ;

Considérant qu'avait été mis en place au sein de la société SISP, filiale de la société Promodès, à compter du 1er janvier 1991, un régime de retraite supplémentaire des cadres, adossé à un contrat d'assurance conclu avec la société UAP, devenue Axa, prévoyant la création d'un fonds collectif de réserve destiné à financer les rentes viagères devant être servies aux bénéficiaires et alimenté par les primes payées par la société cocontractante ; que le règlement de ce régime de retraite ouvrait à l'entreprise le bénéfice des avantages résultant des dispositions des articles 39-1o du code général des impôts et L. 137-11 du code de la sécurité sociale (déductibilité de l'impôt sur les sociétés des primes versées par l'employeur pour le paiement des prestations prévues et exonération de ces primes de la quasi totalité des charges sociales) ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. Daniel Y..., qui était devenu l'un des bénéficiaires potentiels de ce régime de retraite supplémentaire à la suite de sa nomination, le 3 juillet 2000, avec effet au 1er juillet, en qualité de gérant de la société SISP et de la décision prise par le conseil d'administration de la société Carrefour, dans sa séance du 29 juin 2000, d'en étendre les dispositions aux cadres du nouveau groupe et aux mandataires sociaux, ne peut s'en prévaloir dès lors que le droit à retraite supplémentaire en découlant est subordonné, notamment, à la présence de l'intéressé dans l'entreprise à la date de liquidation de ses droits à la retraite, qui ne peut intervenir avant l'âge de soixante ans, et que M. Y... a démissionné de tous ses mandats et fonctions au sein des entités du groupe Carrefour le 3 février 2005, à l'âge de 58 ans ;

Considérant que la société Carrefour ayant, le 18 janvier 2006, informé M. Y... qu'il ne pourrait prétendre, pour ce motif, au versement de sa "retraite surcomplémentaire" lorsque, le 18 février 2006, il atteindrait l'âge de soixante ans, ce dernier, faisant valoir que le conseil d'administration de la société Carrefour avait souscrit à son égard, le 29 août 2001, un engagement particulier de retraite additionnelle, distinct du régime de retraite supplémentaire déjà en vigueur au sein du groupe Carrefour, et que cet engagement avait été réitéré le 3 février 2005, a assigné la société Carrefour et sollicité sa condamnation au paiement de la somme principale de 1.243.131 euros au titre de l'annuité de retraite due pour la période du 18 février 2006 au 17 février 2007 et d'une autre somme de même montant au titre de la deuxième annuité ; que la société Carrefour a conclu au rejet de ces demandes, soutenant à cette fin, à titre principal, qu'il n'existe pas d'engagement spécifique de Carrefour à l'égard de Daniel Y..., distinct du régime de retraite supplémentaire ci-dessus mentionné, et, à titre subsidiaire, qu'à le supposer existant, un tel engagement, résultant de délibérations du conseil d'administration irrégulières et ne pouvant s'analyser en un simple complément de rémunération faute de répondre aux exigences requises pour recevoir une telle qualification, relevait de la procédure de contrôle des conventions réglementées ; que celle-ci n'a pas été observée et que l'engagement invoqué, ayant des conséquences dommageables pour la société, est en conséquence nul et de nul effet ;

Considérant que le premier juge ayant accueilli les prétentions de M. Y..., la société Carrefour reprend en cause d'appel l'argumentation articulée en première instance ;

Considérant que le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société Carrefour du 29 août 2001, indique, sous la mention "Rapport du comité des rémunérations" : "Dans le cadre des engagements pris par le Groupe Carrefour en matière de garantie de retraite, le conseil d'administration approuve les propositions du Comité des rémunérations concernant la situation qui en résulte pour Daniel Y... et qui est décrite en annexe" ; que l'annexe à laquelle il est ainsi renvoyé est ainsi rédigée : "Garantie de retraite. Le montant global des retraites "Groupe" qui sera attribué à Daniel Y... lorsque ce dernier aura atteint l'âge de soixante ans, qu'il soit ou non à cette date Président du Groupe Carrefour, sera égal à 40% de la rémunération globale "Groupe" qu'il aura perçue au cours de la dernière année de référence, indépendamment des pensions acquises au titre des régimes légaux et conventionnels" ;

Considérant que le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société Carrefour du 3 février 2005 énonce (p. 15) : "Les conditions matérielles pour le président et le directeur proposées par le comité des rémunérations, des nominations et de la gouvernance lors de sa réunion du 3 février 2005, telles qu'elles ressortent du compte rendu figurant en annexe 3, sont approuvées par le conseil par neuf voix et deux abstentions" ;

Considérant que le compte rendu de la réunion du comité des rémunérations de la société Y... du 3 février 2005, figurant en annexe au procès-verbal de la séance du conseil d'administration du même jour, comprend notamment, sous la rubrique "dispositions concernant le président directeur général", un paragraphe intitulé "engagement de retraite supplémentaire", où il est écrit : "Conformément aux décisions prises par le conseil d'administration lors de ses séances des 28 juin 2000, 29 août 2001 et 3 mars 2004, Daniel Y... percevra une retraite supplémentaire dès lors qu'il aura atteint l'âge de soixante ans. Le montant annuel de cette retraite supplémentaire sera égal à 40% de la rémunération de référence, c'est-à-dire le salaire brut fiscal qu'il a perçu au cours des douze mois précédant la cessation d'activité. La rémunération de référence s'établit à 3.107.829,98 euros (trois millions cent soixante sept mille huit cent vingt neuf euros (sic) et quatre vingt dix huit centimes).Une lettre de confirmation sera adressée par le directeur des ressources humaines groupe à Axa à l'effet d'effectuer, à compter du 18 février 2006, les versements au titre de la retraite supplémentaire de Daniel Y... dans les conditions décrites ci dessus" ;

Considérant que l'intimé fait pertinemment valoir qu'il résulte des termes ci-dessus reproduits des délibérations du conseil d'administration de la société Carrefour que ce dernier a entendu prendre à son égard un engagement qui, loin de s'inscrire dans le cadre et dans les limites du régime de retraite supplémentaire résultant du contrat conclu le 18 décembre 1991 entre les sociétés SISP et UAP et de ses règlements d'application successifs, revêt un caractère autonome et indépendant dudit régime de retraite en raison de ses particularités, incompatibles avec les conditions d'attribution de celui-ci auxquelles il déroge en faveur de M. Y..., peu important, sous le rapport considéré, qu'il soit indiqué, dans l'annexe au procès-verbal de la réunion du 3 février 2005, s'agissant des modalités d'exécution de l'engagement en cause, qu'une lettre de confirmation sera adressée à l'effet d'effectuer, à compter du 18 février 2006, les versements au titre de la retraite supplémentaire de M. Y... "dans les conditions décrites ci-dessus" ;

Considérant, en effet, que tandis que le règlement du régime de retraite supplémentaire mis en place par la société SISP subordonne, ainsi qu'il a été dit, l'octroi de cet avantage à la présence du bénéficiaire dans l'entreprise à la date de liquidation de ses droits à la retraite au titre des régimes légaux et conventionnels, laquelle ne peut intervenir avant soixante ans, l'engagement visant M. Y... pose comme seule condition à la perception du supplément de retraite le passage à l'âge de soixante ans, indépendamment de toute exigence de présence dans l'entreprise ou de liquidation de ses droits de base ; qu'en outre, alors que dans le régime SISP, le montant des droits s'acquiert progressivement, à raison de 3% par annuité validée, dans la limite de 40% du dernier traitement annuel, l'engagement visant M. Y... fixe son montant, sans autre condition, à 40% de la rémunération de référence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le conseil d'administration de la société Carrefour a entendu user du pouvoir propre qu'il tenait des dispositions de l'article L. 225-47 du code de commerce en allouant une rémunération à M. Y... sous la forme d'un complément de retraite ;

Considérant que pour être déterminée conformément à ces dispositions impératives, une telle rémunération doit, en premier lieu, comme le rappelle l'appelante, faire l'objet d'une délibération du conseil d'administration sur son montant et ses modalités ; qu'il ne peut être suppléé à cette exigence par la confirmation, par simple référence, d'une décision prise par les membres d'un comité, même mandatés à cette fin par le conseil d'administration ;

Considérant que le montant de la rémunération accordée à M. Y... sous forme de complément de retraite n'a pu être connu qu'après la liquidation de son assiette constituée par le salaire brut fiscal perçu par M. Y... au cours des douze mois précédant la cessation d'activité ; que cette liquidation a été faite le 3 février 2005 ; qu'ainsi, ce n'est qu'à cette date que le conseil d'administration a fixé le montant et les modalités du complément de retraite litigieux en approuvant les termes du document annexé au procès-verbal des délibérations, auquel celui-ci fait expressément référence, aucunes des délibérations antérieures mentionnées par l'intimé, y compris celle du 29 août 2001, ne satisfaisant aux exigences légales ;

Considérant, en second lieu, que si, eu égard à la date à laquelle son montant et ses modalités ont été fixés par le conseil d'administration de la société Carrefour, soit le 3 février 2005, antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article L. 225-42-1 du code de commerce, issues de la loi no 2005-842 du 26 juillet 2005, la pension de retraite additionnelle octroyée à M. Y... pouvait échapper à l'application du régime de contrôle des conventions réglementées, c'est à la condition qu'il ait eu pour contrepartie des services particuliers rendus à la société pendant l'exercice de ses fonctions par le président dès lors que l'avantage accordé est proportionné à ces services et ne constitue pas une charge excessive pour la société ;

Considérant que l'intimé soutient que ces conditions sont toutes remplies ; qu'il fait notamment valoir, pour justifier de l'existence de services particuliers rendus à l'entreprise, qu'il a été artisan du rapprochement de Carrefour avec Promodès, qu'il a géré les suites de cette fusion qui a fait du groupe français le no2 mondial de son secteur d'activités, que sur le plan boursier, entre 1992 et 1999, le cours de l'action Carrefour a été multiplié par 10, battant largement tous les indices de référence, qu'ils soient sectoriels (x 2) ou, encore, plus généraux (Cac 40 x 3,5) ; qu'il fait état d'une série d'éléments chiffrés constatés à l'issue de ses treize années de présence à la tête de Carrefour, telles la multiplication par quatre du chiffre d'affaires à fin 2004, la multiplication par 20 du parc de magasins, la multiplication par huit du résultat net du groupe entre 1992 et 2003, la très forte progression du nombre de ses collaborateurs et son implantation dans trente pays contre sept en 1992 ; qu'il ajoute que le compte-rendu des débats qui ont eu lieu lors du conseil d'administration du 3 février 2005 suffit à établir, contrairement aux allégations de l'appelante, qu'aux yeux de plusieurs administrateurs, son action à la tête de Carrefour méritait une gratification particulière ;

Considérant, certes, qu'il n'est pas discutable que, sous la présidence de M. Daniel Y..., le groupe Carrefour a changé de dimension et connu un développement considérable tant en France qu'à l'étranger, au moyen, notamment, d'opérations de croissance externe, dont la principale a été la fusion avec le groupe Promodès, approuvée le 30 mars 2000 ;

Considérant qu'il n'en demeure pas moins que lorsqu'il a quitté ses fonctions au début de l'année 2005, M. Y... avait perdu la confiance des actionnaires de référence de la société Carrefour et que l'évolution de la situation du groupe au cours de la période 2000-2004 avait été marquée par un ensemble de facteurs défavorables ; qu'il y a lieu de mentionner, à cet égard, qu'au cours de cette période, les résultats du groupe ont enregistré une progression sensiblement inférieure à celle de ses principaux concurrents mondiaux - le chiffre d'affaires et le résultat d'exploitation du groupe Carrefour progressant, respectivement, de 12,1% et 30,1% tandis que le chiffre d'affaires et le résultat d'exploitation du groupe Tesco progressaient, respectivement, de 61,9% et 67,1%, que les parts de marché de Carrefour en France se sont détériorées au profit de ses principaux concurrents français, la part de marché tous formats passant de 26,2% en 1999 à 21,1% en 2004 (pièce no 38 de l'appelante), et que le cours de l'action Carrefour est passé de 91,75 euros le 3 janvier 2000 à 39,46 euros le 2 février 2005, soit une baisse de 57%, ce qui constituait une sous-performance tant par rapport à l'indice sectoriel que par rapport au Cac 40 qui n'ont baissé respectivement que de 27% et 25% ; que ces données expliquent que la presse spécialisée, après avoir indiqué que "la perspective du départ de Daniel Y... a eu un effet immédiat sur l'action Carrefour" ait relevé que "les analystes estiment toutefois que les problèmes de fond subsistent" ("Les Echos" du 4 février 2005) ;

Considérant en définitive que si le bilan de l'action de M. Y... de 1992 à 2005 est positif, il n'est pas pour autant démontré par l'intimé que les services dont il se prévaut, qu'il a rendus dans l'exercice de son mandat de président du conseil d'administration de la société Carrefour, justifient l'allocation d'une rémunération s'ajoutant à celle qu'il a perçue au cours de la période considérée au titre de ce mandat ;

Considérant, en outre, que l'exigence de proportionnalité de l'avantage en cause et des services qu'il s'agit de rétribuer n'apparaît pas non plus satisfaite en l'espèce ; qu'il suffit de relever, sur ce point, que la rente viagère dont M. Y... demande le paiement dès l'âge de soixante ans présente un caractère insolite par rapport à la pratique des groupes figurant au Cac 40 en ce que, n'étant pas soumise à la condition de présence du bénéficiaire dans l'entreprise au moment de la liquidation des droits à la retraite au titre des régimes de base, non déduits, elle n'entre pas dans les prévisions des articles 39 du code général des impôts et L. 137-11 du code de la sécurité sociale et qu'eu égard à son montant et à la date de naissance du bénéficiaire, cet engagement, s'il était reconnu valable, nécessiterait la constitution dans les comptes de Carrefour d'une provision d'un montant, non utilement contesté, de l'ordre de cinquante millions d'euros ;

Qu'ainsi, les conditions exigées pour l'application des dispositions de l'article L. 225-47 du code de commerce n'étant pas réunies, l'engagement dont l'exécution est demandée par l'intimé, administrateur de la société Carrefour jusqu'au 4 février 2005, relève de la procédure de contrôle des conventions réglementées prévue par les articles L. 225-38 et L. 225-40 à L. 225-42 du code de commerce ;

Or considérant, d'une part, que l'obligation souscrite par la société Carrefour au profit de M. Y..., qui ne porte pas sur une opération courante et conclue à des conditions normales, n'a pas fait l'objet d'une autorisation préalable du conseil d'administration en application du premier des textes susvisés et n'a pas davantage été soumise à l'approbation de l'assemblée des actionnaires ;

Considérant, d'autre part, que cette convention produit des conséquences dommageables pour la société Carrefour, comme l'établissent les constatations précédemment faites relativement au défaut de proportionnalité du complément de rémunération litigieux ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'appelante est fondée à opposer aux demandes de M. Daniel Y... l'exception de nullité de l'obligation qu'il invoque et qu'il y a lieu de le débouter de sa demande en paiement de sommes au titre d'une pension de retraite supplémentaire, étant ici rappelé, sur la demande l'appelante tendant à ce que soit ordonné le remboursement de toutes les sommes versées par la société Carrefour au titre de l'exécution provisoire du jugement, que cette restitution, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, étant attachée de plein droit à son prononcé, il n'y a pas lieu de l'ordonner ;

Sur la demande de M. Y... en paiement de dommages-intérêts :

Considérant que M. Y... reproche à la société Carrefour d'avoir, dans l'intention de lui nuire, provoqué un scandale en rendant public de manière trompeuse le fait qu'il bénéficie d'un plan de retraite supplémentaire, les déclarations des nouveaux dirigeants, en avril 2005, qui amalgamaient l'indemnité dont était assorti son engagement de non-concurrence d'une durée de quatre ans et le montant de la provision alors constituée dans les comptes de Carrefour au titre du régime SISP, suscitant la croyance erronée, reprise par de nombreux organes de presse, qu'il avait touché, au moment où il quittait le groupe en étant sanctionné pour sa gestion, une indemnité de 38 millions d'euros ; que faisant valoir qu'il demeure encore aujourd'hui, aux yeux des journalistes et du public, l'exemple typique de l'ancien dirigeant injustement rétribué à l'occasion de son départ, l'appelant conclut à la condamnation de la société Carrefour au paiement "de la somme de 1 euro sauf à parfaire" à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que M. Y... ne rapporte pas la preuve de ses allégations selon lesquelles la société Carrefour a, dans l'intention de lui nuire, délibérément diffusé des informations trompeuses autour des conditions financières de son départ et spécialement du montant de sa "retraite-chapeau", observation étant faite, d'une part, que les pièces versées aux débats, et en particulier les mentions des documents de référence de la société Carrefour enregistrés auprès de l'Autorité des marchés financiers pour les exercices 2004 et 2005, établissent que Carrefour croyait, en avril 2005, que M. Y... bénéficiait du régime de retraite supplémentaire mis en place au sein de la SISP et, d'autre part, que Carrefour n'avait aucun intérêt à déclencher une polémique qui l'a fait apparaître comme l'auteur de pratiques abusives et qui a nui à son image tant auprès du public que de son personnel ;

Considérant, en revanche, qu'il résulte des pièces mises aux débats, parmi lesquelles le compte-rendu des débats de l'assemblée générale des actionnaires du 20 avril 2005 mentionnant les termes de la réponse de M. A..., président du conseil d'administration, à la question d'un actionnaire faisant état de ce que, selon le document de référence, le coût de la constitution de la retraite-chapeau de M. Y... avait été de 34,5 millions d'euros, que les déclarations imprécises et à certains égards ambiguës de la nouvelle direction lors de l'assemblée et de la conférence de presse ayant suivi celle-ci, caractérisant dans le contexte où elles ont été faites, une légèreté blâmable, ont contribué à accréditer la croyance erronée, largement reprise dans les médias, en la perception par M. Y..., à titre d'indemnité de départ, d'une somme de plusieurs dizaines de millions d'euros ;

Considérant que la faute ainsi retenue à l'encontre de l'appelante a causé à M. Daniel Y... un préjudice certain, qui n'a pas été effacé par la publication par la direction du groupe Carrefour, le 25 avril 2005, d'un communiqué indiquant, à la suite des "informations parfois erronées diffusées dans les médias" que "l'ancien président du groupe Carrefour, Daniel Y..., n'a pas reçu 38 millions d'euros de la part du groupe Carrefour, et dont la réparation appelle l'allocation de l'indemnité d'un euro sollicitée à ce titre ;

Et considérant qu'il convient d'accueillir partiellement la demande présentée par M. Y..., au titre de l'instance d'appel, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que celle formée par l'appelante sur le même fondement sera rejetée ;

Par ces motifs :

Infirme le jugement déféré, sauf en sa disposition relative aux dépens, et statuant à nouveau :

Condamne la société Carrefour à payer à M. Daniel Y... un euro à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de soixante mille euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. Daniel Y... du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Carrefour aux dépens d'appel, lesquels pourront être recouvrés dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

M.C HOUDIN C. CABAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0109
Numéro d'arrêt : 07/09681
Date de la décision : 07/10/2008

Références :

ARRET du 10 novembre 2009, Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 novembre 2009, 08-70.302, Publié au bulletin

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Paris, 23 avril 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-10-07;07.09681 ?
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