RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 10 décembre 2009
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/00602
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Décembre 2007 par le conseil de prud'hommes de Paris - section encadrement - RG n° 04/10257
APPELANTE
SNCF
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Pascale BOYAJEAN-PERROT, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1486
INTIMEE
Madame [O] [X]
[Adresse 4]
[Localité 5]
comparant en personne, assistée de Me Joao VIEGAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1778
PARTIE INTERVENANTE :
LA HAUTE AUTORITE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'EGALITE (HALDE)
[Adresse 1]
[Localité 6], représentée par Me Sabrina BOESCH, avocat au barreau de PARIS, toque : C2363 substitué par Me Régis MELIODON, avocat au barreau de PARIS, toque : K070
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 octobre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseiller
Madame Isabelle BROGLY, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Francine ROBIN, lors des débats
MINISTERE PUBLIC :
représenté lors des débats par Patrick HENRIOT, avocat général, qui a fait connaître son avis,
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, président et par Francine ROBIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel régulièrement formé le 10 janvier 2008 par la SOCIÉTÉ NATIONALE des CHEMINS de FER FRANÇAIS (SNCF) contre un jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS en date du 7 décembre 2007 ayant statué sur le litige qui l'oppose à son ancienne employée, [O] [X].
Vu l'appel régulièrement formé le 14 janvier 2008 par [O] [X] contre le même jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS du 7 décembre 2007 ayant statué sur le litige qui l'oppose à son ancien employeur, la SNCF.
Vu le jugement déféré ayant :
- condamné la SOCIÉTÉ NATIONALE des CHEMINS de FER FRANÇAIS (SNCF) à payer à [O] [X] les sommes de :
15'000 € à titre de dommages et intérêts,
1 800 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- débouté [O] [X] de toutes ses autres demandes,
- condamné la SNCF aux dépens.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
La SNCF, appelante principale, poursuit :
- l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il porte condamnation à paiement,
- le débouté de [O] [X] de l'ensemble de ses demandes,
- sa condamnation à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
[O] [X], appelante intimée, conclut :
- à la réformation du jugement déféré,
au titre de la rupture du contrat de travail,
- à la nullité de sa mise à la retraite d'office à compter du 19 avril 2005 comme discriminatoire,
- à sa réintégration dans l'entreprise avec effet rétroactif,
- à la condamnation de la SNCF à lui payer les sommes de :
74'722,19 € à titre d'indemnité représentant la différence entre les salaires dus et la pension versée,
subsidiairement :
195'803,48 € à titre d'indemnité en réparation de son préjudice financier,
15'000 € en réparation de son préjudice moral,
au titre de l'exécution du contrat de travail,
- à l'annulation des décisions de l'employeur refusant de la noter et de l'inscrire sur les listes et les tableaux d'avancement ainsi que des mentions apposées illégalement,
- à son reclassement à la qualification G premier niveau (position de rémunération 26) au
1er avril 2003,
- à la condamnation de la SNCF à lui payer la somme de :
31'584 € en réparation du préjudice financier et moral subi jusqu'à sa réintégration,
subsidiairement :
83'500 € au même titre, si la réintégration n'est pas ordonnée,
en tout état de cause,
- à la publication de la décision à intervenir dans 3 périodiques aux frais de l'employeur, dans la limite de 3 900 € hors taxes par publication,
- à la condamnation de la SNCF au paiement :
des intérêts légaux,
de 2 290 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
des dépens éventuels.
La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE), intervenante volontaire se limitant aux conditions de mise à la retraite de [O] [X], a conclu à l'existence d'une discrimination en raison de l'âge de la salariée.
Vu les observations du Ministère Public développées à l'audience du 29 octobre 2009.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SNCF a engagé [O] [X] en qualité d'auxiliaire, le 2 juillet 1973.
La salariée a été admise au cadre permanent, le 1er janvier 1976, et en conséquence, a été soumise au statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel.
Le 1er janvier 1992, elle a été placée sur la qualification E, qualification du collège
'maîtrise ', niveau 2, position de rémunération 19.
Le 1er avril 1993, elle a obtenu la position de rémunération 20 et le 1er avril 1995, la position de rémunération 21.
Le 1er avril 1997, elle a accédé à la qualification F, qualification du collège 'cadre', niveau 1, position de rémunération 22.
Le 1er avril 2001, elle a bénéficié de la position de rémunération 23.
Le 10 janvier 2005, le Directeur des Gares lui a notifié sa mise à la retraite dans les termes suivants :
' Je vous rappelle que vous atteindrez votre cinquante-cinquième anniversaire à la date du mardi 19 avril 2005.
Par conséquent, et conformément à la réglementation en vigueur, je vous indique que votre mise à la retraite sera prononcée à cette date ; votre dernier jour de présence effective dans l'entreprise sera donc le lundi 18 avril 2005.'
Le 26 janvier 2005, [O] [X] a sollicité le bénéfice de l'article 11 du statut permettant la poursuite de son activité professionnelle entre 55 et 60 ans et demandé que la décision de sa mise à la retraite soit reconsidérée.
Le refus de ses demandes et la confirmation de sa mise à la retraite à compter du 19 avril 2005 lui ont été notifiés le 1er mars 2005.
Le 31 mars 2005, elle a saisi le Premier Ministre d'une demande d'abrogation des dispositions autorisant la SNCF à la mettre d'office à la retraite et, en particulier, de l'article 2 du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954.
Le 17 juin 2005, elle a saisi le conseil d'État d'un recours en annulation de la décision implicite de rejet du Premier Ministre après avoir, le 28 juillet 2004, saisi le conseil de prud'hommes de PARIS d'une demande en nullité de sa mise à la retraite d'office pour discrimination contraire à l'article L. 122-45 du Code du travail et de demandes subséquentes de réintégration, de reconstitution de carrière et de paiement de dommages.
Par arrêt du 19 mai 2006, le conseil d'État a rejeté sa requête, estimant que la possibilité ouverte à la SNCF de mettre d'office à la retraite tout agent remplissant les conditions d'âge et de durée de services valables définies par le règlement de retraites, ne constitue pas une discrimination interdite par l'article L. 122-45 du Code du travail.
La SNCF soutient :
- que [O] [X], entrée à la SNCF en qualité d'auxiliaire, embauchée au cadre permanent au collège exécution et terminant sa carrière dans le collège cadre, a bénéficié d'un déroulement de carrière honorable et conforme au statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel,
- que, depuis le 1er janvier 1992, les agents sont placés sur des qualifications allant de A à H, elles-mêmes comportant deux niveaux, 1 et 2, à l'exception de la qualification A qui n'a qu'un seul niveau, chaque niveau présentant plusieurs positions de rémunération,
- que les changements de qualification, de niveau et de position de rémunération s'opèrent selon l'aptitude de l'agent, les notes d'aptitude, les listes d'aptitude et les listes de classement sur la position de rémunération supérieure de chaque niveau d'une qualification étant arrêtées par le notateur lors de la réunion de la commission de notation, composée du notateur, d'assesseurs ou adjoints et de représentants du personnel ou délégués de commission,
- que [O] [X] a été notée au cours d'entretiens annuels par le supérieur hiérarchique (N + 2) de son supérieur hiérarchique direct (N + 1) et par ce dernier,
- que, le 9 décembre 2003, le notateur N + 2 n'a pas souscrit à l'évaluation faite le notateur
N + 1,
- que le poste de 'chargée de mission' qu'elle a occupé du 1er juin 2000 au 18 avril 2005, date de sa mise à la retraite, était 'calibré ' à la qualification F,
- que l'obtention d'une qualification supérieure n'est possible que lorsque l'agent a les aptitudes professionnelles nécessaires pour obtenir un poste supérieur et qu'il y a une vacance de postes de qualification supérieure,
- que [O] [X] a répondu aux exigences de son poste F sans que cela lui confère pour autant l'octroi de la qualification supérieure G, alors même que l'observation de son notateur N + 1 lors de l'entretien annuel du 9 décembre 2003 concernant la qualification G n'était qu'un souhait de sa part, dans l'hypothèse d'une évolution de poste susceptible d'être proposée,
- que la salariée n'a fait l'objet d'aucune discrimination concernant son déroulement de carrière, le simple fait qu'elle n'ait pas bénéficié d'une promotion dans la période précédant sa mise à la retraite ne saurait suffire à établir une quelconque discrimination liée à son âge,
- que lors de sa mise à la retraite, le 19 avril 2005, le règlement des retraites des agents de la SNCF, homologué par le ministre des transports, prévoyait que les agents âgés de 50 ans pour les mécaniciens et de 55 ans pour les sédentaires, ayant comptabilisé 25 années de services, pouvaient bénéficier d'une pension de retraite normale,
- que par ailleurs, l'article 2 du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 portant règlement d'administration publique pour l'application aux agents de la SNCF du décret du 9 août 1953 relatif au régime des retraites des personnels de l'État et des services publics, disposait que l'admission à la retraite pour ancienneté des agents pouvait être prononcée d'office lorsque que se trouvait remplie la double condition d'âge et d'ancienneté de services prévue par la réglementation, c'est-à-dire par le règlement des retraites pris en application de la loi du
21 juillet 1909 modifiée par la loi du 28 décembre 1911,
- que le conseil d'État, dans son arrêt du 19 mai 2006 qui a autorité de la chose jugée, après avoir reconnu la validité du décret du 9 janvier 1954, a considéré que 'la possibilité ouverte à la SNCF par les dispositions litigieuses de mettre d'office à la retraite tout agent qui remplit les conditions d'âge et de durée de services valables définies par ce règlement de retraites ne constitue pas une discrimination interdite par l'article L. 122-45" du Code du travail,
- que [O] [X], née le [Date naissance 2] 1950, avait lors de son départ à la retraite 55 ans et comptabilisait plus de 25 ans de service à la SNCF (31 ans et 2,5 mois),
- que l'application qui lui a été faite des dispositions réglementaires relatives à sa mise à la retraite n'a pas de caractère discriminatoire puisqu'il n'y a pas eu de disparité de traitement entre elle et d'autres agents,
- qu'elle ne peut tirer aucun argument de l'abrogation, depuis le 1er juillet 2008, des dispositions relatives à la mise à la retraite par les décrets du 15 janvier et du 30 juin 2008, ni du fait que la SNCF ait décidé de suspendre toute nouvelle notification de mise à la retraite d'office quelques mois avant l'entrée en vigueur au 1er juillet 2008, du décret du 30 juin 2008,
- qu'à la date de sa cessation de fonctions, l'ancien règlement des retraites était en vigueur,
- que la SNCF n'a fait qu'appliquer cette réglementation.
[O] [X] fait valoir :
- qu'en 2001, elle a atteint la position de rémunération 23, la plus élevée pour le niveau 1 de la qualification F à laquelle elle était parvenue,
- qu'à partir de l'année 2000, elle a commencé à émettre des voeux dans le sens d'une promotion à la qualification supérieure G,
- que son supérieur hiérarchique a émis des avis favorables à la promotion souhaitée,
- que cependant, les responsables de sa Direction ont, au cours de cette période, systématiquement fait obstacle à ce qu'elle soit proposée pour le niveau supérieur, l'empêchant ainsi de bénéficier d'une promotion,
- qu'au début de l'année 2004, ils ont en effet indiqué par écrit qu'elle tenait 'son dernier poste avant la retraite en 2005",
- que ses recours internes dirigés contre les décisions refusant de la proposer pour la notation en vue de l'inscription sur la liste d'avancement ayant été rejetés, elle a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS, le 26 juillet 2004 aux fins d'annulation desdites décisions,
- qu'ayant accédé à la qualification F au 1er avril 1997 et occupant, depuis 2002, un emploi correspondant à des responsabilités de niveau G, elle remplissait toutes les conditions pour être promue à ce niveau, étant précisé que la durée moyenne d'accession à cette qualification, à compétence reconnue, est inférieure à 6 années,
- que le refus des responsables de la Direction des Gares de la proposer à la notation en vue de son inscription sur la liste d'aptitude n'a rien à voir avec les appréciations portées sur son travail ou sur ses qualifications et aptitudes pour un poste supérieur mais est uniquement motivé par son âge et par la décision prise par la SNCF de la mettre d'office à la retraite à l'âge de 55 ans,
- qu'elle doit donc être reclassée à la qualification G niveau 1 position de rémunération 26 à partir du 1er avril 2003, soit 6 ans après sa promotion à la qualification F,
- que lors de son entretien individuel d'évaluation du 26 octobre 2004, elle a demandé, outre son avancement, à être maintenue en fonctions au-delà de l'âge de 55 ans et jusqu'à l'âge limite de 60 ans fixé par les règles statutaires de la SNCF,
- que pour tenir compte de l'arrêt du conseil d'État rendu le 19 mai 2006, elle ne fonde pas ses demandes sur l'illégalité de l'article 2 du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 mais sur l'illégalité des mesures individuelles la concernant,
- que depuis le jugement du conseil de prud'hommes du 7 décembre 2007 dont il a été relevé appel, le décret n° 2008-47 du 15 janvier 2008 relatif au régime spécial de retraite des personnels de la SNCF, entré en vigueur le 1er juillet 2008, a eu pour effet d'abroger les dispositions du règlement des retraites du personnel permettant la mise d'office à la retraite à l'âge de 55 ans,
- que la mesure individuelle la concernant de mise d'office à la retraite est discriminatoire comme constituant une inégalité de traitement par rapport aux autres salariés n'ayant pas atteint l'âge de 55 ans et dont le contrat de travail n'est pas mis en cause,
- que ces différences de traitement ne sont justifiées par aucun objectif légitime,
- que la SNCF n'obéit à aucun motif raisonnable en procédant de façon arbitraire à la mise d'office à la retraite de certains salariés ayant atteint l'âge de 55 ans et en procédant différemment pour d'autres salariés se trouvant dans une situation comparable,
- que sa mise à la retraite d'office constitue une mesure individuelle défavorable reposant sur une différence de traitement en raison de l'âge, mesure contraire aux dispositions de l'article L. 1133-1 du Code du travail et de l'article 6 de la Directive européenne 2000/78/CE,
- que cette décision doit être frappée de nullité et entraîner sa réintégration dans l'entreprise avec effet rétroactif ainsi que la réparation intégrale de son préjudice.
La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE), se limitant aux conditions de mises à la retraite de [O] [X], expose :
- qu'elle a considéré, par sa délibération n° 2008-261 du 24 novembre 2008, que cette mise à la retraite constituait une mesure discriminatoire,
- que la directive communautaire 2000/78/CE du 27 novembre 2000 pourtant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et du travail est applicable à un régime de mise à la retraite,
- que le collège de la HALDE a demandé, par délibération du 27 septembre 2007, à la SNCF et au gouvernement de présenter les motifs justifiant le dispositif de mise à la retraite d'office propre aux agents de cette entreprise ainsi que l'objectif que celle-ci visait en décidant la mise à la retraite de [O] [X],
- que par courrier du 24 juin 2008, le ministre du travail et des relations sociales a répondu que l'entreprise s'était engagée à suspendre toute nouvelle notification de mise à la retraite d'office à compter du 24 octobre 2007 et à mettre un terme définitif à toute application de la clause de mise à la retraite d'office dès le 1er juillet 2008 pour tout agent de moins de 60 ans,
- que la SNCF n'a pas justifié la conformité des dispositions statutaires appliquées aux dispositions communautaires, ni la cessation du contrat de travail liée à l'âge de la salariée,
- que la mise à la retraite de celle-ci constitue une discrimination en raison de son âge.
Le Procureur général près la cour d'appel de PARIS a développé ses observations rappelant :
- que le principe de non-discrimination en fonction de l'âge doit être considéré comme un principe général du droit communautaire,
- que l'article 6, paragraphe 1, de la directive communautaire 2000/78/CE permet cependant aux Etats membres de prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires,
- que l'article L. 1133-1 du Code du travail est la transposition en droit interne de cette disposition communautaire,
- que la conformité au droit communautaire des dispositions générales et impersonnelles de l'article 2 du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 offrant à la SNCF la faculté de prononcer d'office l'admission à la retraite consacrée par l'arrêt du conseil d'État du 19 mai 2006 ne permet pas pour autant de préjuger de la même conformité de toute mesure individuelle susceptible d'être prise sur le fondement de ce texte,
- que l'hypothèse d'un usage abusif de la faculté ouverte à la SNCF de prononcer une mise à la retraite d'office ne peut être écartée a priori en dépit des dispositions réglementaires qui l'autorisent expressément,
- qu'il appartient au juge saisi d'une demande tendant à voir sanctionner une discrimination fondée sur l'âge de rechercher si la mesure critiquée est susceptible d'être justifiée, au cas
particulier, au regard des conditions fixées par l'article L. 1133-1 du Code du travail et de sanctionner l'usage abusif, dans un but discriminatoire, du droit de prononcer une mise à la retraite d'office,
- que l'importance aujourd'hui accordée au principe de non discrimination, importance renforcée par le caractère strictement limitatif des dérogations qui peuvent y être apportées en matière d'âge, conduit à considérer que toute mesure de mise à la retraite prise sur le fondement du décret de 1954 sans que les justifications exigées par l'article L. 1133-1 soient réunies au cas particulier caractériserait l'abus de prononcer une telle mesure,
- que dès lors, bien que la mesure soit prévue et autorisée par le décret de 1954, la cour d'appel sera amenée à déterminer si la mise à la retraite de [O] [X] n'est pas constitutive d'un abus de droit, ce qui revient à rechercher si, comme mesure individuelle, cette mise à la retraite est susceptible d'être objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et si elle constitue un moyen approprié et nécessaire pour réaliser cet objectif,
- que la généralité des motifs invoqués pour la SNCF n'est pas susceptible d'expliquer la nécessité de la mesure individuelle,
- que d'autre part, l'objectif d'adaptation ou de réduction des charges de salaire est insusceptible de caractériser, selon la cour de justice des communautés européennes (arrêt du 5 mars 2009 C-388/07), le motif légitime justifiant qu'il soit dérogé au principe de non-discrimination,
- qu'enfin, le fait que [O] [X] avait saisi le conseil de prud'hommes de demandes tendant à faire sanctionner une discrimination dans son déroulement de carrière, le 26 juillet 2004, soit avant même que l'entreprise ne lui notifie sa mise à la retraite d'office, le
10 janvier 2005, conduit à s'interroger sur la réalité du motif ayant déterminé l'employeur à décider sa mise à la retraite.
SUR CE
- Sur la rupture du contrat de travail
Sur les demandes tendant à la nullité de la mise d'office à la retraite de la salariée, à sa réintégration dans l'entreprise et à la réparation de ses préjudices
Le règlement de retraites de la SNCF fixe à 60 ans l'âge limite de maintien en service.
La décision de mettre à la retraite d'office [O] [X] a été prise par application de l'article 2 du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 permettant à la SNCF de prononcer d'office l'admission à la retraite pour ancienneté des agents remplissant la double condition d'âge et d'ancienneté de services prévue par l'article 7 du règlement des retraites de la SNCF, soit à 55 ans pour les agents sédentaires ayant comptabilisé 25 années de services et pouvant bénéficier d'une pension de retraite normale.
Si les dispositions réglementaires appliquées ne constituent pas en elles-mêmes une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du Code du travail ainsi que l'a jugé le conseil d'État dans son arrêt du 19 mai 2006, il convient de vérifier que leur application au cas de l'espèce répond aux conditions exigées par l'article L. 1133-1 du même Code, transposition en droit interne de l'article 6 de la directive européenne 2000/78/CE.
Il appartient donc à la SNCF de démontrer que la différence de traitement appliquée à [O] [X], fondée sur l'âge de 55 ans qu'elle a atteint le 18 avril 2005 par comparaison aux employés n'ayant pas encore atteint cet âge, est justifiée par un objectif légitime et que le moyen de sa mise à la retraite d'office utilisé pour réaliser cet objectif est approprié et nécessaire.
À cet égard, la SNCF n'a pas précisé l'objectif qu'elle a poursuivi en décidant la mise à la retraite d'office de [O] [X] et ne s'est pas expliquée sur le caractère approprié et nécessaire de cette mesure pour remplir son objectif.
À la demande qui lui a été précédemment faite par la HALDE, par délibération du
24 septembre 2007 puis, par courrier du 22 août 2008, de préciser l'objectif visé en l'espèce et de montrer le caractère approprié et nécessaire de la décision individuelle prise à l'égard d'une salariée qui avait manifesté sa volonté de poursuivre son activité et ne pouvait bénéficier de la pension maximale prévue par le règlement des retraites de l'entreprise, la SNCF n'a pas apporté de réponse.
Dans l'instance l'opposant à [O] [X] devant le conseil d'État, elle avait soutenu que l'objectif légitime visé était de lui permettre ' d'adapter ses effectifs à l'évolution du contexte dans lequel elle se situe ' et que la mise à la retraite d'office constituait une mesure destinée à ' apporter à l'entreprise publique une souplesse durable dans la gestion de ses effectifs, en fonction de l'évolution de son organisation et de son activité '.
La généralité du motif invoqué ne permet pas de le rattacher à la politique sociale, politique de l'emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle propre à l'entreprise et susceptible d'expliquer la mesure individuelle de mise à la retraite d'office. Par ailleurs, cet objectif général d'adaptation de la masse salariale à l'évolution du contexte et à l'évolution de l'organisation et de l'activité de l'entreprise qui est partagé par les entreprises du secteur privé dans lesquelles la mise à la retraite n'est autorisée qu'à compter de 65 ans, ne saurait caractériser le motif légitime permettant la dérogation au principe de non-discrimination.
Dans ces conditions, la mise d'office à la retraite de [O] [X] apparaît comme une mesure individuelle préjudiciable reposant sur une différence de traitement en raison de l'âge, mesure qui, par application de l'article L. 1132-4 du Code du travail, est un acte nul.
En conséquence, la salariée devra être réintégrée dans l'entreprise.
L'effet rétroactif de la réintégration permettra la réparation intégrale de son préjudice financier par le versement par l'employeur d'une indemnité égale à la différence entre la pension perçue depuis le 19 avril 2005 et la rémunération que la salariée aurait dû percevoir si elle était demeurée dans son emploi.
Dès avant la notification de sa mise à la retraite d'office, [O] [X] a manifesté son souhait de travailler jusqu'à l'âge de 60 ans. Le maintien de la mesure prise malgré sa contestation lui a causé un préjudice moral certain en réparation duquel il y a lieu de lui allouer une indemnité de 5'000 €.
- Sur l'exécution du contrat de travail
Sur les demandes tendant à l'annulation des refus de notation et d'inscription sur les listes et tableaux d'avancement, tendant au reclassement et à la réparation des préjudices
[O] [X] a accédé à la qualification F, niveau 1, position de rémunération 22, le 1er avril 1997 et a obtenu la position de rémunération 23, le 1er avril 2001.
Elle occupait le poste de délégué territorial adjoint à la Direction des Gares.
La description de ce poste qui lui a été remise le 26 novembre 2002 mentionne sous la rubrique ' PARCOURS PROFESSIONNEL REQUIS ' : ' CADRE NIVEAU G OU ÉQUIVALENCE RECONNUE '.
L'examen des entretiens individuels annuels de [O] [X] montre qu'elle a atteint ses objectifs et que ses points forts sont un excellent travail en équipe, une compétence confirmée et une réactivité dans le suivi des dossiers.
L'entretien de 2003 relève qu'elle s'est adaptée au-delà de l'exigence de la fiche de poste et qu'il est souhaitable qu'elle obtienne la qualification G requise sur cette fiche.
Par lettre du 4 mars 2003, la salariée a demandé à être retenue dans les propositions de qualification G. Le directeur de la Direction des Gares lui a répondu, le 1er avril 2003, que sa demande n'avait pu être satisfaite, ses responsables hiérarchiques estimant qu'elle n'avait pas encore acquis l'expérience nécessaire dans son poste pour accéder au deuxième niveau de sa qualification.
En 2004, elle n'a pas davantage été retenue pour accéder à une qualification supérieure.
Le 23 mars 2004, le responsable hiérarchique chargé de la remise de la fiche de restitution des orientations du comité de carrière a noté sous la rubrique ' ORIENTATIONS DE CARRIÈRE ' : ' Vous tenez votre dernier poste avant la retraite en 2005.', après avoir coché l'appréciation globale des résultats et des performances suivante : ' Vous répondez en partie aux exigences du poste '.
Il apparaît que cette appréciation contredit tant les conclusions de l'entretien individuel du 9 décembre 2003 que celles de l'entretien individuel du 26 octobre 2004 aux termes desquelles la salariée était considérée comme répondant complètement aux exigences du poste.
[O] [X] n'a bénéficié d'aucun avancement après le 1er avril 2001 alors qu'elle occupait, avec la qualification F un emploi qui requérait la qualification G.
Le désaccord, le 9 décembre 2003, du notateur N + 2 avec le notateur N + 1 sur la validation du potentiel G n'est pas motivé et n'est la conséquence d'aucune note insuffisante de la salariée.
Le motif de la stagnation de sa carrière est révélé par 'l'orientation de carrière' précisée le 23 mars 2004 lui indiquant qu'elle tenait son dernier poste avant la retraite en 2005.
Il apparaît qu'à partir de cette date, le refus de la SNCF de l'inscrire sur les listes et tableaux d'avancement procède d'une discrimination fondée sur la décision déjà prise de la mettre d'office à la retraite et donc fondée sur son âge. En conséquence, il convient d'annuler les différentes décisions de refus ainsi que la fiche de restitution des orientations du comité de carrière du 23 mars 2004 et d'ordonner la reconstitution de la carrière de la salariée sur la base d'une promotion au premier niveau de la qualification G à partir du 1er avril 2004.
La demande d'annulation de diverses mentions apposées sur le compte rendu d'entretien individuel de 2004 ne paraît pas fondée.
Le préjudice financier de [O] [X] sera réparé par les conséquences de la reconstitution de sa carrière qui comportera un rappel de salaire à compter du 1er avril 2004.
La cour dispose au dossier des éléments suffisants pour fixer la réparation du préjudice moral subi de ce fait à 2 000 €.
La décision de réintégration de la salariée rend inopportune la publication sollicitée.
- Sur les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Au vu des circonstances de la cause, il paraît inéquitable de laisser à la charge de [O] [X] les frais non taxables qu'elle a exposés en cause d'appel. Il y a lieu de lui allouer à ce titre une indemnité de 2 000 €, de rejeter la demande formée sur le même fondement par la SNCF et de confirmer l'application qui a été faite par le Conseil de prud'hommes des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il porte condamnation de la SNCF au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et au paiement des dépens.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la mise d'office à la retraite de [O] [X] à compter du 19 avril 2005 constitue une mesure individuelle discriminatoire contraire à l'article L. 1132-1 du Code du travail.
Dit que cette décision notifiée le 10 janvier 2005 est nulle et de nul effet.
Ordonne la réintégration de [O] [X] dans les effectifs de la SNCF avec effet rétroactif.
Condamne la SNCF à supporter les conséquences financières de cette réintégration et à payer à [O] [X] une indemnité de 5'000 € en réparation de son préjudice moral.
Dit que les refus de la SNCF de présenter [O] [X] sur les listes et tableaux d'avancement depuis le 23 mars 2004 procèdent d'une discrimination fondée sur l'âge.
En conséquence, annule les décisions de refus et la fiche de restitution des orientations du comité de carrière du 23 mars 2004.
Ordonne le reclassement de [O] [X] à la qualification G niveau 1 à compter du 1er avril 2004.
Condamne la SNCF à supporter les conséquences financières du reclassement et à payer à [O] [X] une indemnité de 2 000 € en réparation de son préjudice moral.
Condamne la SNCF à verser à [O] [X] une indemnité de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dit que les indemnités allouées porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.
Rejette le surplus des demandes.
Condamne la SNCF aux dépens de l'appel.
LE GREFFIER : LE PRÉSIDENT :