RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRET DU 20 Janvier 2010
(n° 2 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/01946-AML
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Novembre 2007 par le conseil de prud'hommes de PARIS section Commerce RG n° 06/08015
APPELANT
Monsieur [F] [J]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Bruno SCARDINA, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE
SA UFIFRANCE PATRIMOINE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Alain FROGER, avocat au barreau de PARIS, toque : P 259
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Novembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Alain CHAUVET, Président
Madame Anne-Marie LEMARINIER, Conseillère
Madame Claudine ROYER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Evelyne MUDRY, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Alain CHAUVET, Président et par Evelyne MUDRY, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire..
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement du 27 novembre 2007 auquel la cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de PARIS a débouté monsieur [J] de l'intégralité de ses demandes et débouté la SAS UFIFRANCE PATRIMOINE de sa demande reconventionnelle.
Monsieur [J] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 29 février 2008.
Vu les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 17 novembre 2009, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens et arguments, aux termes desquelles monsieur [J] demande à la cour de :
- juger nulle la clause d'intégration des frais dans les commissions figurant dans le contrat de travail du 16 mai 1997.
- juger nulle et de nul effet la clause 2.3 du contrat de travail du 3 mars 2003 qui renoue avec un système d'intégration des frais dans les commissions prohibé par la Cour de cassation
- juger la prescription quinquennale inopposable au salarié trompé par l'employeur sur son droit au remboursement intégral des frais et maintenu dans l'ignorance de ses droits.
- subsidiairement, par application de l'article 2248 du Code civil, juger la prescription interrompue par la reconnaissance par l'employeur d'un droit au remboursement des frais professionnels dans l'accord d'entreprise du 28 février 2003,
- condamner la société UFIFRANCE à lui payer les sommes suivantes en remboursement des frais professionnels exposés chaque année :
-année 1997 : 7737,60 euros
- année 1998 : 11413,40 euros
- année 1999 :11284,20 euros
- année 2000 :11451,90 euros
- année 2001 :10741 euros
- année 2002 :10627,10 euros
- année 2003: 7815,13 euros
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation.
- En application des dispositions de l'article L 242 -1 du code de la sécurité sociale, exclure de toute cotisation sociale les sommes allouées en remboursement des frais.
- dire que la SAS UFIFRANCE a agi de mauvaise foi dans la mise en oeuvre de son obligation de rembourser les frais et la condamner au paiement de la somme de 25'000euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice et moral subi distinct du simple retard matériel sur le fondement de l'article 1153 du Code civil.
- déclarer nulle et de nul effet la clause 4 -4 de non-concurrence prévue au contrat de travail du 3 mars 2003.
- débouter la SAS UFIFRANCE de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner au paiement de la somme de 4 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu des conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 17 novembre 2009, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens et arguments, aux termes desquelles la SAS UFIFRANCE PATRIMOINE demande à la cour de :
A titre principal,
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrite toute demande de remboursement de frais professionnels antérieurs au 10 juillet 2001.
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable et mal fondé Monsieur [J] pour toute demande postérieure au mois de mars 2003.
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le salarié de toute demande de frais professionnels en l'absence de justificatifs pertinents pour la période du 10 juillet 2001 au 3 mars 2003.
A titre subsidiaire,
-ramener à leur juste valeur les demandes de remboursement de frais professionnels exposés par le salarié.
-soumettre toute condamnation de remboursement de frais à cotisations sociales.
Déduire des condamnations les sommes perçues par Monsieur [J] au titre des remboursements de frais professionnels, soit la somme de 3 049,58 euros.
-débouter Monsieur [J] de toute demande de dommages et intérêts pour un prétendu non remboursement de frais professionnels.
Lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur la demande d'annulation de la clause de protection de clientèle qui n'est assortie d'aucune demande indemnitaire.
-débouter le salarié de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur ce fondement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Considérant que Monsieur [F] [J] a été engagé par contrat à durée indéterminée en date du 16 mai 1997, en qualité de démarcheur itinérant, moyennant une rémunération égale au SMIC augmentée le cas échéant d'une part variable, par la SAS UFIFRANCE PATRIMOINE (ci-après SAS UFIFRANCE) qui a pour activité la commercialisation de produits d'épargne auprès d'une clientèle composée de personnes physiques ou morales.
Considérant que le contrat conclu le 16 mai 1997 prévoyait que « les traitements fixes et commissions versés couvrent tous les frais, avances et débours que le signataire pourrait être amené à exposer ».
Considérant que suite à la conclusion d'un accord d'entreprise, en date du 28 février 2003, un nouveau contrat a été signé entre les parties, le 3 mars 2003, moyennant une rémunération comportant une partie fixe et une partie variable selon les modalités ci-après:
" Article 2-2 : la partie fixe, appelée également traitement de base, est constituée d'un salaire égal au SMIC majorée de la somme brute de 230 euros correspondant au remboursement forfaitaire des frais professionnels ;
Article 2-3 : les versements au titre de la partie variable (commissions) incluront une indemnité de 10 % correspondant à un complément de remboursement forfaitaire des frais professionnels ."
Sur la demande de remboursement des frais professionnels
Considérant en application des dispositions de l'article L3211 -1 du code du travail, que les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération due, que les clauses ayant pour finalité de faire supporter au salarié partie de ses frais professionnels ne sont valables que si elles prévoient le versement au salarié d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire et d'un montant tel que la rémunération proprement dite du travail reste au moins égale au SMIC.
Considérant que la clause du contrat de travail conclu le 16 mai 1997 prévoyant alors que le salarié est rémunéré sur la base du SMIC, l'intégration des frais dans les commissions , est illicite en ce qu'elle ne garantit pas un remboursement intégral des frais professionnels exposés et comporte le risque, pour les mois où ces frais seraient particulièrement élevés, de réduire la rémunération à un montant inférieur au SMIC de sorte que la demande de M. [J], auquel il ne peut être reproché de n'avoir pas conservé les justificatifs des frais exposés, est fondée en son principe.
Considérant qu'il ressort des dispositions du contrat de travail conclu le 3 mars 2003 lequel est l'application individuelle de l'accord d'entreprise du 28 février 2003, que si les frais professionnels dépassent le montant forfaitaire de 230 euros, le surplus s'imputera sur le salaire ; que la rémunération étant le SMIC, il s'en infère que la rémunération réellement perçue par le salarié lui sera nécessairement inférieure.
Considérant que compte-tenu des exigences contractuelles, qui fixent à 16 rendez-vous par semaine travaillée, les 11,5 euros par jour (230/20) d'indemnisation des frais engagés pour l'exercice de son activité professionnelle par le salarié, pour ses trajets, repas, péages, parkings, qu'offre le remboursement forfaitaire est manifestement insuffisant, ainsi que cela ressort des pièces produites telles que les agendas prévisionnels, les bordereaux de visites, le récapitulatifs des déplacements. Qu'il s'ensuit qu'une partie des frais professionnels est en réalité supportée par Monsieur [J], entamant ainsi son salaire pour le ramener en dessous du SMIC.
Considérant que cette clause est également illicite au regard de l'article L3211 -1 précité, et pas davantage que la précédente elle ne peut être opposée au salarié.
Considérant que la société UFIFRANCE qui a inséré les clauses litigieuses dans le contrat
de travail de Monsieur [J], les sachant illicites, puisqu'elles ont déjà été sanctionnées dans le passé, notamment par la cour de cassation dans un arrêt du 24 octobre 2001, dans la cause duquel l'intimée était partie, il se déduit de ces éléments que la mauvaise foi de la société UFIFRANCE est établie.
Considérant que cette société, pour tenter de se soustraire à ses obligations, est donc aujourd'hui mal venue de reprocher à Monsieur [J] une prétendue insuffisance de preuve s'agissant des frais professionnels dont il réclame le paiement alors que la clause litigieuse illicite qu'elle lui a imposée, le dispensait par nature de produire tout justificatif ; qu'en tout état de cause, les pièces précitées attestent de l'activité de Monsieur [J], tenu de se déplacer quotidiennement pour démarcher des clients qu'ils rencontraient non à l'agence mais à leur domicile, ce qui l'obligeait à exposer des frais de déplacement, de téléphone mais aussi à se restaurer hors de son domicile.
Qu'en outre, aucun élément produit aux débats ne permet d'établir que les frais détaillés par le salarié n'ont pas été engagés dans l'intérêt de l'entreprise.
Considérant toutefois, qu'en application des dispositions combinées de l'article L. 3245 -1 du code du travail et de l'article 2277 du Code civil se prescrivent par cinq ans les actions en paiement des salaires de même que celles tendant au remboursement de frais professionnels qui sont liés à l'exécution d'un travail salarié.
Considérant que M. [J] qui ne justifie d'aucun acte interruptif de prescription entrant dans les prévisions de l'article 2244 du Code civil en deçà de la date de saisine de la juridiction prud'homale, doit être déclaré irrecevable en son action tendant au remboursement de frais antérieurs au10 juillet 2001.
Considérant que compte-tenu des pièces produites aux débats, la cour a les éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 16 000 euros, déduction faite de l'indemnité forfaitaire de 230 euros payée depuis mars 2003 et toutes causes confondues , la somme que devra lui rembourser la société UFIFRANCE, sans que celle-ci puisse valablement lui opposer un quelconque abattement fiscal et social dont il aurait pu bénéficier.
Considérant que l'article L242-1 du code de la sécurité sociale dispose que les sommes versées en contrepartie ou à l'occasion du travail sont soumises à cotisations à l'exclusion des sommes afférentes aux frais professionnels ; qu'il s'ensuit que les sommes allouées au salarié au titre du remboursement de ses frais professionnels doivent être exclues de l'assiette des cotisations.
Considérant que le jugement du conseil de prud'hommes de Paris sera infirmé en ces termes.
Sur l'application de l'article 1153 du code civil
Monsieur [J] demande des dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et matériel causés par le non remboursement des frais professionnels. La société UFIFRANCE conclut en contestant que l'intimé ait subi un préjudice distinct du simple retard dans le paiements de ces frais. Elle se prévaut, en outre, de sa bonne foi.
Considérant qu'il résulte des pièces produites aux débats, que Monsieur [J] qui, sur son salaire égal au SMIC, a supporté des frais professionnels d'un montant non négligeable, que la société UFIFRANCE savait, de surcroît, lui devoir, a subi un préjudice distinct de celui engendré par le simple retard dans le remboursement des sommes dues.
Que compte tenu des éléments versés aux débats, la cour est en mesure d'évaluer le préjudice subi par Monsieur [J] de ce chef à la somme de 10 000 euros.
Que le jugement déféré sera également infirmé de ce chef.
Sur la clause de protection de clientèle
Considérant que le contrat de travail en date du 3 mars 2003 comporte une clause dite de 'protection de clientèle" qui énonce qu' " Après son départ de la société, le signataire s'interdit d'entrer en relation, directement ou indirectement, et selon quelque procédé que ce soit, avec les clients de la société dont il a eu la charge, et pour lesquels il aura perçu une commission de production directe et des gratifications durant les douze mois précédant son départ en vue de leur proposer une formule de placement, pendant une durée de vingt quatre mois, à compter de sa date de sortie des effectifs."
Considérant que la clause par laquelle l'employeur impose à son salarié, en cas de départ de la société, de se priver de l'accès à une catégorie déterminée de clientèle, et vient limiter la liberté du travail, ne peut s'analyser qu'en une clause de non concurrence.
Considérant que la clause litigieuse qui ne prévoit pas pour le salarié de contre-partie financière alors qu'elle restreint le champ de sa recherche d'emploi est irrégulière et donc inopposable à Monsieur [J] et ce, indépendamment du fait qu'elle ait était introduite comme en l'espèce, par un accord d'entreprise .
Considérant que la SAS UFIFRANCE PATRIMOINE qui succombe supportera les dépens
et indemnisera Monsieur [F] [J] des frais exposés dans l'instance à hauteur de la somme de 1500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirmant le jugement et statuant à nouveau :
Condamne la SA UFIFRANCE PATRIMOINE à payer à Monsieur [F] [J] les sommes de :
- 16 000 euros au titre des frais professionnels, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation,
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1153 du code civil,
Rejette le surplus des demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SA UFIFRANCE PATRIMOINE à payer à Monsieur [J] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,