Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 13 AVRIL 2010
(n° 161, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/08171
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Avril 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/14957
contrat de collaboration libérale
APPELANTE
SELAS de GAULLE FLEURANCE ET ASSOCIES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour
assistée de Me de GAULLE, avocat au barreau de PARIS
SELAS de GAULLE - FLEURANCE ET ASSOCIES
INTIMEE
Madame [Z] [I] avocat au Barreau de PARIS
[Adresse 2]
demeurant [Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués à la Cour
assistée de Me Christian ORENGO, avocat au barreau de PARIS, toque : J 008
SCP KRAMER LEVIN LLP
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 février 2010, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Mme Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
La Cour,
Considérant que, le 22 février 2005, Mme [I], avocate, a conclu un contrat de collaboration libérale avec la Selas de Gaulle, Fleurance & associés moyennant une rétrocession d'honoraires mensuelle de 17.000 euros, soit 204.000 euros par an ; que, lors de l'entretien d'évaluation de fin d'année, la Selas de Gaulle, Fleurance & associés lui a proposé une augmentation de 5 % de la rétrocession d'honoraires et un complément correspondant, selon Mme [I], «à une part dérisoire du chiffres d'affaires réalisé sur sa clientèle personnelle» ; que, le 23 décembre de la même année, elle a démissionné avec effet au 1er mars 2006 ;
Considérant qu'après sa démission, Mme [I] a saisi le Tribunal de grande instance de Paris d'une demande de payement des honoraires au titre du travail qu'elle a accompli pendant la durée de sa collaboration ;
Que , par jugement du 16 avril 2008, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné la Selas de Gaulle, Fleurance & associés à payer à Mme [I] la somme de 420.000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 5.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant qu'appelante de ce jugement, la Selas de Gaulle, Fleurance & associés en poursuit l'infirmation en demandant que Mme [I] soit déboutée de toutes ses prétentions et condamnée à lui restituer la somme de 449.713,03 euros versée en vertu du jugement qui est assorti de l'exécution provisoire, outre les intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2008 ; qu'elle demande également que M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris soit autorisé à lui verser la somme de 76.689,88 euros actuellement consignée entre ses mains ;
Qu'à ces fins et après avoir rappelé qu'en vertu des textes applicables à la matière, le statut collaborateur libéral comporte nécessairement la faculté de se constituer une clientèle personnelle, que les modalités de rémunération du collaborateur sont écrites à peine de nullité et que la rémunération d'apports d'affaires est interdite, la Selas de Gaulle, Fleurance & associés soutient que, de nature purement synallagmatique, la convention de collaboration conclue avec Mme [I] doit être strictement appliquée en toutes ses stipulations dès lors que rien d'illicite n'a été conclu ; qu'en particulier, elle soutient que la convention litigieuse est conforme au règlement intérieur du barreau de Paris et qu'en fait, la manière adoptée par Mme [I] pour exercer sa profession démontre que les clients dont elle revendique a posteriori le chiffre d'affaires, étaient, non pas au nombre de sa clientèle personnelle, mais, en réalité, liés au cabinet, qui a facturé ses services, par un contrat d'entreprise ou un contrat de mandat ad litem ; qu'elle en déduit que les notions de clientèle personnelle et de rémunération y attachée retenues par Mme [I] sont extensives et erronées, tant juridiquement que techniquement et économiquement alors que la seule question posée, et à laquelle il convient de répondre par la négative, est de savoir si la Selas de Gaulle, Fleurance & associés doit reverser à Mme [I], en sus de la rétrocession de 204.000 euros par an, le chiffre d'affaires correspondant aux dossiers auxquels elle s'est consacrée au nom et pour le compte du cabinet et en dehors de tout accord en ce sens ;
Que, s'agissant de l'exécution de la convention, la Selas de Gaulle, Fleurance & associés fait valoir qu'aucun manquement ne saurait lui être reproché alors surtout que Mme [I] n'a subi aucun préjudice ;
Considérant que Mme [I], qui forme appel incident, demande que la Selas de Gaulle, Fleurance & associés soit condamnée à lui verser la somme de 558.916,43 euros et qu'elle, [Z] [I], soit autorisée à toucher des mains de M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris la somme de 64.121,95 euros, hors taxe, soit 76.689,88 euros, toutes taxes comprises, à charge pour elle de reverser la taxe sur la valeur ajoutée au Trésor Public et ce, sur diverses factures dont elle donne la liste ; qu'elle demande également à recevoir payement des factures émises par la Selas de Gaulle, Fleurance & associés sur ses clients personnels et totalisant 98.092,61 euros, hors taxe, soit 117.318,77 euros, toutes taxes comprises, à charge pour elle de reverser la taxe sur la valeur ajoutée au Trésor Public et ce, sur diverses factures dont elle donne également la liste ; qu'elle sollicite, en outre, les intérêts au taux légal sur toutes ces sommes à compter de la date de l'assignation ;
Qu'au soutien de ses prétentions, Mme [I] expose qu'elle a intégré la Selas de Gaulle, Fleurance & associés en vue d'atteindre un chiffre d'affaires de 1.000.000 euros et d'accéder au statut d'associée de sorte qu'elle n'a jamais facturé le moindre client personnel hors de la structure de la société ; qu'en fait, du mois de mars 2005 au mois de février 2006, elle a généré un chiffre d'affaires de 883.343 euros et ce, au titre de sa clientèle personnelle ;
Que, sur ce point qui est au coeur du débat, Mme [I] fait valoir qu'elle traitait elle-même les aspects essentiels des dossiers, qu'elle validait personnellement les écritures et qu'il s'agissait donc d'affaires concernant sa clientèle personnelle ; qu'elle en déduit qu'étant collaboratrice libérale depuis moins de cinq ans, la pratique instaurée entre les parties aboutissait à ne lui reverser, au titre de la rétrocession d'honoraires convenue qu'une fraction de ceux payés par sa clientèle personnelle, ce qui constituait une contribution financière en raison du développement et du traitement de sa clientèle personnelle, interdite par le règlement intérieur du barreau ; qu'elle estime donc qu'en ne lui restituant pas ses honoraires, la Selas de Gaulle, Fleurance & associés a commis une faute qui engage sa responsabilité ;
Sur ce :
Considérant qu'en vertu de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires ou juridiques, l'avocat peut exercer sa profession en qualité de collaborateur libéral d'une société d'avocats ;
Qu'aux termes de l'article 18 de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, le collaborateur libéral exerce son activité professionnelle en toute indépendance, sans lien de subordination ; qu'il peut compléter sa formation et qu'il peut se constituer une clientèle personnelle ; que le contrat de collaboration, obligatoirement écrit, précise les conditions d'exercice de l'activité et notamment les conditions dans lesquelles le collaborateur libéral peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle ;
Que, selon l'article 129 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, les conditions de la collaboration sont convenues par les parties dans le cadre qui est déterminé par le règlement intérieur du barreau en ce qui concerne notamment la durée de la collaboration, les périodes d'activité ou de congés, les modalités de la rétrocession d'honoraires et celles dans lesquelles l'avocat collaborateur peut satisfaire à sa clientèle personnelle ;
Qu'en vertu de l'article 14.3 du règlement intérieur unifié, applicable au moment de la conclusion du contrat liant les parties, sous la rubrique «clientèle personnelle», l'avocat collaborateur doit pouvoir constituer et développer une clientèle personnelle ; que ce règlement prévoit encore que, pendant les cinq premières années de la collaboration, l'avocat collaborateur libéral ne peut se voir demander de contribution financière en raison du développement et du traitement de sa clientèle personnelle ;
Considérant que, dans le cadre fixé par les dispositions législatives et réglementaires ci-avant rappelées, les parties ont conclu, le 22 février 2005, un contrat de collaboration à durée indéterminée aux termes duquel la Selas de Gaulle, Fleurance & associés a mis à la disposition de Mme [I], tant pour les besoins de sa collaboration, que pour le développement de sa clientèle personnelle, l'ensemble des moyens de la Selas ; que Mme [I] devait organiser son activité en fonction des obligations de ses propres affaires pour consacrer le temps nécessaire au traitement des dossiers qui lui étaient confiés ; que la Selas de Gaulle, Fleurance & associés versait mensuellement à Mme [I] une rétrocession d'honoraires d'un montant de 17.000 euros ; qu'à cette rétrocession, pouvait s'ajouter un complément d'honoraires ;
Considérant que cette convention synallagmatique, qui stipule les conditions de la collaboration dans le cadre qui est déterminé par le règlement intérieur en ce qui concerne notamment les modalités de la rétrocession d'honoraires et celles dans lesquelles l'avocat collaborateur peut développer sa clientèle personnelle, fait la loi des parties ;
Considérant que, si Mme [I] prétendait exercer pleinement des dispositions relatives à sa clientèle personnelle, il lui appartenait de fournir seule à cette clientèle les prestations qu'elle entendait facturer directement et de le faire sous son propre nom ;
Qu'en réalité et loin d'agir ainsi, Mme [I], forte d'une expérience en droit du travail, a, dès son arrivée, travaillé à développer le chiffre d'affaires de la Selas de Gaulle, Fleurance & associés grâce à ses compétences et à son activité en droit social et qu'en vue de parvenir à cet objectif, elle s'est présentée à ses clients sous son appartenance au cabinet De Gaulle, Fleurance & associés, tant sur ses cartes de visite que sur le papier à en-tête ou encore au moyen de la signature électronique ; qu'à ce titre, elle a utilisé, sans restriction, les moyens humains et matériels du cabinet et que, notamment, l'un au moins des associés et plusieurs collaborateurs ont participé à hauteur de 64,93 % des heures travaillées, au traitement des dossiers qui lui étaient confiés et qui étaient facturés, sous sa co-signature, par la Selas de Gaulle, Fleurance & associés ; qu'enfin, elle a reconnu, dans ses conclusions, que l'organisation de son travail «avait aussi l'avantage de [la] présenter... d'ores et déjà comme totalement intégrée au cabinet» ;
Qu'il y a lieu de relever également que, même si des clients ont été «apportés» par Mme [I], il n'en demeure pas moins que, d'une part, le versement d'une somme mensuelle de 17.000 euros n'avait pas pour but de rétribuer un tel apport, ce qui aurait été contraire aux prescription de l'article 9 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles déontologiques de la profession d'avocat, et que, d'autre part, les clients que Mme [I] considère comme étant au nombre de sa clientèle personnelle étaient, en réalité, liés à la Selas de Gaulle, Fleurance & associés par un contrat d'entreprise ou par un mandat ad litem et qu'à ce titre, les dossiers étaient traités par les avocats du cabinet qui, terminées les prestations, les facturait et versait, en vertu de la convention, une rétrocession d'honoraires à sa collaboratrice ;
Que, sur ce point et comme le souligne la Selas de Gaulle, Fleurance & associés, l'argumentation développée par Mme [I] ignore la réalité selon laquelle les prestations dont elle revendique le prix ont été livrées par le cabinet et exécutées, non seulement par Mme [I], mais également par d'autres avocats ; que la Selas de Gaulle, Fleurance & associés a, néanmoins, cessé de facturer ses prestations lorsque des clients ont manifesté le voeu de résilier le contrat les liant au cabinet pour choisir Mme [I] comme avocat à titre personnel ; que, dans l'attente de la solution de ce litige, la somme de 76.689,88 euros a été consignée entre les mains de M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris ;
Qu'il ressort de ces faits que la clientèle que Mme [I] revendique comme étant sa clientèle personnelle était, en réalité, la clientèle de la Selas de Gaulle, Fleurance & associés ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la Selas de Gaulle, Fleurance & associés a versé la rétrocession d'honoraires à laquelle elle s'était engagée et qu'il ne ressort des circonstances de la cause ni vice du consentement, ni faute qui serait imputable au cabinet à l'occasion de la conclusion ou de l'exécution du contrat ; qu'en particulier et contrairement à ce que soutient Mme [I], la facturation ne s'opérait pas sous une condition suspensive d'association et que les prétentions de la Selas de Gaulle, Fleurance & associés n'aboutissent pas à admettre un «abandon total par Mme [I] des honoraires afférents à sa clientèle» qui serait dépourvu de cause puisque, précisément, la clientèle litigieuse n'était pas sa clientèle personnelle ; qu'en revanche, admettre l'argumentation de Mme [I], qui revendique l'entier bénéfice de son activité, reviendrait à priver de cause le payement de la somme de 17.000 euros par mois qui lui a été effectivement versée pendant la durée de sa collaboration ;
Considérant qu'il suit de tout ce qui précède que le contrat de collaboration conclu le 22 février 2005, qui ne contient aucune clause illicite, faisait la loi parties et qu'il a été exécuté selon ses forme et teneur, Mme [I] ayant fourni les prestations qu'elle devait à la Selas de Gaulle, Fleurance & associés qui, de son côté, a exécuté ses obligations de bonne foi et, notamment, payé la rétrocession d'honoraires promise ; que Mme [I] n'est donc pas fondée en ses demandes ;
Que, par voie de conséquence, il convient d'infirmer le jugement frappé d'appel, de débouter Mme [I] de toutes ses demandes et d'ordonner que soit attribuée à la Selas de Gaulle, Fleurance & associés la somme de 76.689,88 euros consignée entre les mains de M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris ;
Que le présent arrêt, qui est infirmatif, constituant le titre en vertu duquel la Selas de Gaulle, Fleurance & associés est fondé à revendiquer la somme versée à Mme [I] en vertu du jugement qui est assorti de l'exécution provisoire, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution ;
Et considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, succombant en ses prétentions et supportant les dépens, Mme [I] sera déboutée de sa réclamation ; qu'en revanche, elle sera condamnée à verser à la Selas de Gaulle, Fleurance & associés les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, à la somme de 8.000 euros ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 16 avril 2008 par le Tribunal de grande instance de Paris ;
Faisant droit à nouveau :
Déboute Mme [Z] [I] de toutes les demandes qu'elle dirige contre la Selas de Gaulle, Fleurance & associés ;
Ordonne que soit remise à la Selas de Gaulle, Fleurance & associés la somme de 76.689,88 euros consignée entre les mains de M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris ;
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de restitution de la somme de 449.713,03 euros versée à Mme [I] en vertu du jugement qui est assorti de l'exécution provisoire ;
Déboute Mme [I] de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamne, par application de ce texte, à payer à la Selas de Gaulle, Fleurance & associés la somme de 8.000 euros ;
Condamne Mme [I] aux dépens de première instance et d'appel et dit que les dépens d'appel seront recouvrés par la S.C.P. Fisselier, Chiloux & Boulay, avoué de la Selas de Gaulle, Fleurance & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT