RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 12 Mai 2010
(n° 3 , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 02/44007 LL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Septembre 2002 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS RG n° 7328/99
APPELANTE
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE [Localité 3] ET DE LA RÉGION PARISIENNE (URSSAF [Localité 3])
[Adresse 9]
[Adresse 10]
[Localité 5]
représentée par Mme [G] [N] en vertu d'un pouvoir général
INTIME
Monsieur [B] [D]
[Adresse 7]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Jean-Baptiste MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J 043
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Mars 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Séverine GUICHERD, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Mademoiselle Séverine GUICHERD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par l'URSSAF de [Localité 8]-Région Parisienne d'un jugement rendu le 9 septembre 2002 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à M. [D] ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que M. [D], résidant en France, est associé du cabinet d'avocats [J], constitué sous la forme d'un partnership de droit anglais basé à [Localité 6] et regroupant des avocats exerçant tant au siège anglais que dans d'autres bureaux répartis à travers divers pays ; qu'à ce titre il a perçu une quote-part des bénéfices distribués par le partnership à [Localité 6] et s'est acquitté en France des cotisations sociales assises sur les bénéfices retirés de ses activités professionnelles à [Localité 8] ; qu'estimant que c'était l'ensemble des bénéfices, y compris ceux provenant du bureau de [Localité 6], qui devait être assujetti au paiement des cotisations personnelles d'allocations familiales du régime des non-salariés, l'URSSAF lui a réclamé un supplément de cotisations; qu'aux termes d'une mise en demeure en date du 9 octobre 1998, il lui a été demandé le paiement de la somme de 294.990F en principal au titre des années 1995, 1996 et des deux premiers trimestres de 1997; que l'intéressé a contesté devoir cette somme et a saisi la commission de recours amiable, puis la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 9 septembre 2002, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a annulé la mise en demeure et a infirmé la décision de la commission de recours amiable ;
L'URSSAF fait déposer et soutenir oralement par sa représentante des conclusions aux termes desquelles il est demandé à la Cour d'infirmer le jugement, de dire que les cotisations d'allocations familiales sont dues sur les revenus de source britannique et de condamner M. [D] au paiement de la somme de 21.680 euros au titre des cotisations du 1er trimestre 1995 au 2ème trimestre 1997 et de celle de 10.750 euros au titre des majorations. A titre subsidiaire, elle demande à la Cour de constater l'abus de droit consacré par les dispositions de l'article L 243-7-2 du code de la sécurité sociale.
Elle prétend d'abord avoir pleinement qualité à soutenir son recours, indépendamment des positions prises par les autorités de tutelle. Elle rappelle, en effet, qu'elle tient de l'article L 213-1 du code de la sécurité sociale, sa capacité et sa qualité pour agir dans l'exécution de sa mission de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. Elle précise que les lettres du directeur de la sécurité sociale et la lettre circulaire de juillet 2005 n'ont aucune valeur normative et ne font pas obstacle à la recevabilité du recours.
Ensuite, elle soutient que la mise en demeure litigieuse répond aux exigences de la loi, en informant parfaitement le cotisant de la nature, de la cause et de l'étendue de ses obligations. Elle fait remarquer que la mise en demeure indiquait la nature des cotisations réclamées ainsi que leur montant et la période de référence. Elle considère, de même, que la cause de l'obligation était connue du cotisant qui était informé, par les mentions de la mise en demeure, de l'absence ou insuffisance de versement reprochée et qui était au courant de l'origine de cette réclamation, dans la mesure où il avait antérieurement reçu une lettre d'observations du 14 mai 1998 lui révélant la cause du futur redressement. Elle prétend que l'absence de référence, dans la mise en demeure, aux précédentes observations se justifie parce que la période concernée par la mise en demeure n'est pas la même que celle examinée lors du contrôle du 14 mai 1998.
Sur le fond, elle considère qu'en application des dispositions de l'article 14bis § 2 du règlement communautaire n° 1408/71, la personne qui exerce son activité sur le territoire de plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l'Etat membre sur le territoire duquel elle réside si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire et doit verser les cotisations sur la totalité des revenus perçus. Elle estime donc que M. [D] qui exerce son activité professionnelle tant en France qu'en Grande-Bretagne devait verser en France, pays où il réside, les cotisations sociales calculées non seulement sur ses revenus français mais aussi sur ceux provenant de Grande-Bretagne, peu important sa nationalité. Elle fait observer que si le règlement 1408/71 ne fait pas obstacle à ce qu'un Etat membre choisisse de pas percevoir des cotisations sur la totalité des revenus de l'assujetti, l'Etat français n'a renoncé à inclure les revenus d'origine britannique que dans l'assiette des contributions fiscales telles que la CSG et la CRDS mais non dans celle des cotisations personnelles d'allocations familiales qui n'entrent pas dans le champ d'application de la convention franco-britannique du 22 mai 1968. Elle prétend que l'article L 131-6 du code de la sécurité sociale n'exclut pas la prise en compte des revenus perçus en Grande-Bretagne dans l'assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale et fait remarquer que la convention franco-britannique du 22 mai 1968 n'a pour objet que de déterminer le lieu d'imposition et non d'en définir l'assiette. Elle précise qu'il n'existe aucune convention excluant les revenus britanniques de l'assiette des cotisations d'allocations familiales.
Enfin, elle nie l'atteinte prétendue à la confiance légitime et à l'équité du procès que constituerait le maintien de sa position au regard de celle exprimée par l'Administration centrale, en faisant valoir que les lettres et circulaires dont se prévaut son adversaire sont dépourvus de valeur réglementaire. En revanche, elle considère que l'invocation de la convention franco-britannique sur la prévention de la double imposition dans le but de s'exonérer du paiement des cotisations sociales constitue un abus de droit au sens de l'article L 243-7-2 du code de la sécurité sociale et doit donc être déclaré inopposable à son égard.
M. [D] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions tendant à la confirmation du jugement entrepris ou à son infirmation dans les limites de son appel incident afin d'obtenir l'annulation de la mise en demeure et le débouté des demandes de l'URSSAF. En tout état de cause, il requiert le remboursement de la somme de 26.368,19 euros payée, par erreur, au titre de l'année 1996 et le paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
En premier lieu, il conteste la capacité et l'intérêt de l'URSSAF à agir comme elle le fait alors que, dans deux lettres du 8 juillet 1997 et du 15 janvier 1998, la direction de la sécurité sociale avait indiqué que les revenus de source étrangère perçus par les associés d'un partnership résidant en France n'étaient assujettis à cotisations sociales qu'à la condition de figurer dans les revenus professionnels pris en compte pour le calcul de l'impôt sur le revenu. Il se prévaut également de la position prise par le Ministère des affaires sociales, dans une lette du 17 mars 2005 et dans une instruction du 26 juillet 2005 adressée au directeur de l'ACOSS, reconnaissant l'absence d'assujettissement aux cotisations d'allocations familiales des revenus professionnels de source britannique. Compte tenu des positions adoptées par les autorités de tutelle, il estime que l'URSSAF n'agit pas dans le cadre de l'exécution de sa mission.
En deuxième lieu, il conteste la régularité de la mise en demeure du 9 octobre 1998 qui ne lui permettait pas d'avoir connaissance de la cause de l'obligation prétendue. Il précise à cet égard que la seule mention d'une absence ou d'une insuffisance de versement ne satisfait pas aux exigences d'information requises en la matière. De surcroît, cette mention ne pouvait être complétée par celles figurant dans la lettre du 14 mai 1998 qui portait sur des périodes différentes. Enfin, il ajoute que la connaissance de la cause du redressement acquise postérieurement à la mise en demeure ne permet pas d'effacer les défauts entachant cet acte. Il en déduit la nullité de la mise en demeure et l'absence de fondement des demandes en paiement de cotisations.
En troisième lieu, il soutient que le règlement 1408/71 n'implique pas l'assujettissement aux cotisations d'allocations familiales de ses revenus de source britannique dans la mesure où il n'existe, en l'espèce, aucune double activité au sens de la législation anglaise et où le dispositif communautaire invoqué par l'URSSAF ne constitue qu'un instrument de coordination et non une source d'assujettissement. En effet, selon le certificat de coutume qu'il produit, la seule détention de parts au sein d'un partnership ne constitue pas une activité professionnelle au sens du droit anglais. Au surplus, il invoque l'arrêt rendu le 3 avril 2008 par la Cour de justice des communautés européennes dans l'affaire [W], aux termes duquel le règlement litigieux est un simple instrument de coordination et n'impose pas l'assujettissement aux cotisations sociales applicables dans l'Etat de résidence de l'ensemble des revenus perçus dans les différents Etats membres de la communauté européenne. Il soutient précisément que, pour prévenir une double imposition, la convention franco-britannique du 22 juin 1968 a exclu les revenus d'origine britannique d'une imposition en France. Dans la mesure où l'assiette des revenus soumis aux cotisations de sécurité sociale des travailleurs indépendants est calquée sur l'assiette des revenus professionnels retenus pour le calcul de l'impôt sur le revenu, il estime que les bénéfices qu'il retire du bureau de [Localité 6] doivent échapper aux cotisations sociales françaises comme ils échappent aux impôts français. Enfin, il fait observer qu'en l'état des dispositions de l'article L 131-6 du code de la sécurité sociale qui prévoient l'alignement de l'assiette des cotisations sociales sur celle de l'impôt sur le revenu, il n'était pas nécessaire de conclure une convention bilatérale de renoncement pour exclure les revenus britanniques de l'assiette des cotisations d'allocations familiales.
Enfin, il s'oppose à l'application des dispositions de l'article L 243-7-2 du code de la sécurité sociale relatives à l'abus de droit dans la mesure où ce texte est entré en vigueur le 22 décembre 2007, postérieurement aux périodes contrôlées. Au surplus, il indique que l'abus de droit n'est aucunement caractérisé, en faisant remarquer que le système du partnership existe depuis 1822 et n'a pas été adopté dans le but d'échapper au paiement des cotisations. En revanche, il considère que la position prise par l'URSSAF porte atteinte à la règle de confiance légitime et au principe du procès équitable dès lors que cet organisme soutient des thèses et prétentions contraires à celles de son autorité de tutelle.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Sur quoi la Cour :
Sur la capacité et l'intérêt à agir de l'URSSAF, la confiance légitime et le procès équitable
Considérant que les URSSAF tiennent de l'article L 213-1 du code de la sécurité sociale leur capacité juridique et leur qualité à agir dans l'exécution des missions qui leur sont confiées par la loi ;
Considérant qu'il en résulte que ces organismes ont le pouvoir de prendre directement les décisions relatives au recouvrement des cotisations d'assurances sociales et de se prononcer sur les difficultés relatives à l'assiette de ces cotisations ;
Considérant qu'en l'espèce, la détermination des revenus professionnels sur lesquels sont assises les cotisations d'allocations familiales des travailleurs non salariés s'inscrit dans le cadre de la mission confiée aux URSSAF ;
Considérant qu'à cet égard, les positions prises par l'Administration centrale ou les instructions ministérielles sont dépourvues de valeur normative et ne lient pas L'URSSAF ;
Considérant que la circonstance que la direction de la sécurité sociale et le ministère chargé des affaires de sécurité sociale aient adopté, dans diverses lettres et notes d'instruction, des opinions contraires à celles de l'URSSAF de [Localité 8] au sujet de l'assujettissement des revenus étrangers perçus par des avocats associés d'un partnership ne prive pas cet organisme de son droit d'agir en recouvrement des sommes qu'il estime être dues au titre de la législation de sécurité sociale applicable ;
Considérant que, de son côté, le cotisant ne peut se plaindre de l'atteinte portée au principe de confiance légitime alors que les lettres et instructions données n'avaient pas de force obligatoire ;
Considérant que, de même, l'intéressé qui a pu exercer la voie de recours qui lui était ouverte devant les tribunaux, ne justifie pas en quoi il n'aurait pas bénéficié d'un procès équitable ;
Sur la régularité de la mise en demeure
Considérant qu'en application de l'article L 244-2 du code de la sécurité sociale, toute action ou poursuite est obligatoirement précédée par une mise en demeure adressée par lettre recommandée au travailleur indépendant ; que cette mise en demeure doit permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation ;
Considérant qu'en l'espèce, la mise en demeure adressée le 9 octobre 1998 à M. [D] précise bien la nature de la cotisation réclamée au titre des 'allocations familiales'ainsi que son montant et la période du deuxième trimestre 1998 à laquelle elle se rapporte ;
Considérant qu'en revanche, la seule mention d'une 'absence ou insuffisance de versement' ne renseigne pas suffisamment sur l'origine de la dette qui se trouve, en l'espèce, dans la soumission des bénéfices professionnels en provenance de Grande-Bretagne aux cotisations d'allocations familiales ;
Considérant qu'à cet égard, l'intéressé fait observer à juste titre que la mise en demeure ne faisait aucune référence au contrôle effectué au mois de mai 1998 à ce sujet, lequel contrôle portait d'ailleurs sur une période différente;
Considérant que la connaissance qu'il a pu acquérir, par ailleurs, sur la cause de cette obligation ne dispensait nullement l'URSSAF de respecter ses obligations d'information lors de la délivrance de la mise en demeure ;
Considérant qu'enfin, le fait que la commission de recours amiable ait été saisie d'un recours révélant de la part de son auteur une parfaite connaissance du litige l'opposant à l'URSSAF ne permet pas d'effacer les irrégularités entachant cette mise en demeure ;
Considérant que, dans ces conditions, la mise en demeure du 9 octobre 1998 qui ne comporte pas les indications nécessaires à l'information complète du cotisant n'est pas valable ;
Considérant qu'il convient dès lors de confirmer, pour le motif substitué tenant à l'irrégularité de cette mise en demeure, le jugement qui a annulé la mise en demeure litigieuse ;
Considérant qu'en revanche, M. [D] qui ne produit aucun élément justificatif sur le caractère indû de la cotisation versée en 1996 dont il demande le remboursement, sera débouté de cette prétention ;
Considérant qu'au regard de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs :
Déclare l'URSSAF de [Localité 8] recevable mais mal fondée en son appel ;
Déclare M. [D] recevable et bien fondé en son appel incident relatif à l'irrégularité de la mise en demeure ;
Confirme le jugement entrepris ayant annulé cette mise en demeure ;
Déboute M. [D] de sa demande en remboursement ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à application du droit d'appel prévu par l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ;
Le Greffier, Le Président,