RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 27 Mai 2010
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/10777 -MAC
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Mai 2008 par le conseil de prud'hommes de Paris - section encadrement - RG n° 07/04608
APPELANT
1° - Monsieur [B] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Laurent MOREUIL, avocat au barreau de PARIS, toque : P.444
INTIMEE
2° - SA GROUPE Express ROULARTA venant aux droits de la SA Groupe Express Expansion
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Annie MOREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : R 78
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Avril 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
Greffier : Mme Danièle PAVARD, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Irène LEBE, Conseillère, par suite d'un empêchement de la présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier présent lors du prononcé,
à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Groupe Express Expansion, créée en 1955 est désormais dénommée 'société groupe Express Roularta'et a pour activité l'édition, la publication et l'exploitation des périodiques dont le journal l'Express.
En septembre 2006, dans un contexte d'érosion des ventes de périodiques et de recul de son chiffre d'affaires, la société Groupe Express Expansion a été rachetée par le groupe de presses belges, Roularta.
Mme [Y] avait été engagée par la société Groupe Express Expansion à compter du 18 août 1988 en qualité d'assistant technique, statut employé. Elle a connu plusieurs promotions. À compter du janvier 2002, elle a travaillé pour la société Groupe Express Expansion en qualité de chef de groupe, statut cadre, classée 'cadre de responsabilité', catégorie 13.
En 2005, Mme [Y] est l'un des deux chefs de groupe de l'équipe commerciale des annonces classées de l'Express dédié à l'offre d'emploi. Elle encadre aussi une équipe de trois personnes en charge de la régie du marché de la formation pour les magazines l'Express, l'Expansion et l'Entreprise.
Le 19 décembre 2005, une lettre de détachement au sein du pôle emploi de Publiprint est adressée à Mme [Y]. Il est mentionné que son lieu de travail se situerait désormais [Adresse 5], les autres conditions de son contrat de travail restant inchangées. Mme [Y] a accepté cette modification du contrat de travail.
Début janvier 2007, est annoncé un renforcement du partenariat du Groupe Express Expansion avec la société Publiprint. Un support unique dédié à l'emploi nommé 'porteur commun d'offres d'emploi' serait créé et diffusé à la fois avec le Figaro le lundi et avec l'Express le jeudi. En conséquence, les rubriques emploi existant jusqu'alors dans les journaux l'Express et le Figaro devraient être supprimées.
Le 11 janvier 2007, après l'annonce de ce projet par la directrice des annonces classées de l'Express, M. [C], directeur des annonces classées de la société Publiprint a reçu individuellement chaque membre de l'équipe des annonces classées de l'Express. Il a été annoncé à Mme [Y] que son poste de chef de groupe des annonces classées de l'Express serait supprimé, qu'elle pourrait occuper le poste de directrice de l'un des deux pôles 'agences' prévus, son supérieur hiérarchique devenant alors M. [P] [C], devenant lui-même le directeur opérationnel de la société créée pour commercialiser le porteur commun.
Mme [Y] a alors formulé diverses interrogations quant au contenu du poste, au portefeuille de son pôle, à son statut (son employeur, la reprise de son ancienneté, la convention applicable).
Parallèlement, Mme [Y] a formulé une contre-proposition aux fins de voir créé un seul pôle au lieu de deux, dont elle demandait à prendre la direction.
Le 29 janvier 2007, la société Publiprint lui formule par lettre recommandée avec accusé de réception la proposition d'occuper le poste de directrice de l'un des deux pôles.
Le 5 février 2007, M. [N], président de la société Publiprint puis Mme [Z], directrice des ressources humaines de la société Groupe Express Expansion apportent verbalement à Mme [Y] les réponses aux questions posées.
Le 6 février 2007, Mme [Y] a refusé le poste proposé.
Le 6 mars 2007, Mme [Y] est convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 9 mars 2007.
Le 22 mars 2007, la société Groupe Express Expansion notifie à Mme [Y] son licenciement. Mme [Y] reçoit cette lettre le 26 mars 2007. Elle en conteste les termes par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 mars 2007.
Contestant le motif personnel de son licenciement, Mme [Y] saisit le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir condamner la société Groupe Express Expansion à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à concurrence de 122.664 €.
Par un jugement du 15 mai 2008, le conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, a condamné la société groupe expansion Express-Roularta à verser à Mme [Y] les sommes suivantes :
- 25.000 € au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [Y] a interjeté appel de ce jugement.
Dans des conclusions soutenues oralement à l'audience, Mme [Y] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et y ajoutant de condamner la société Groupe Express Expansion à lui payer une somme de 122.664 € à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société groupe Express Roularta, venant aux droits de la société Groupe Express Expansion a formé un appel incident.
Aux termes de ses conclusions reprises oralement lors des débats, le groupe Express Roularta demande à la cour d'infirmer le jugement rendu, de débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses prétentions, de la condamner à durée d'inactivité de 2 millions au titre de l'article 74 de procédure civile.
À titre subsidiaire, le groupe Express Roularta propose que la moyenne mensuelle des salaires de Mme [Y] sur les 12 derniers mois d'emploi, incluant ses primes, soit retenue pour la somme de 5.099,75 euros.
Il est renvoyé au jugement, aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.
MOTIFS :
En application des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forment sa conviction au vu des éléments fournis par les parties...si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 22 mars 2007qui circonscrit le litige est ainsi rédigée :
«depuis janvier 2006, vous êtes détachée auprès de ZEFIR Carrières, entité de Publiprint et y exercez les fonctions de chef de groupe sous la responsabilité de la directrice adjointe des offres d'emploi de l'Express et sous l'autorité du directeur M. [C].
Je vous rappelle que ZEFIR Carrières est le regroupement des équipes commerciales emploi de Publiprint, régie du Figaro et de l'Express.
Les deux groupes ont décidé d'accentuer leurs synergies en ne réalisant plus qu'un seul cahier Emploi Réussir paraissant simultanément dans l'Express et dans le Figaro..... Une simplification des structures a été décidée, votre poste de direction adjointe des offres d'emploi de l'Express évoluant vers la direction du pôle agence, M. [C] prenant la responsabilité directe de toutes les équipes d'emplois de ZEFIR Carrières.
Dans ce cadre, il a choisi de confirmer votre place pour mission dans le dispositif commercial : vous deveniez directrice du pôle agence reportant directement au directeur de ZEFIR Carrières, M. [P] [C]. Il est clair que ce poste se situe dans la droite ligne de vos responsabilités actuelles de chaque groupe responsable d'un pôle agence.
[A] [N], président de Publiprint et la direction du Groupe Express Expansion nous ont confirmé l'intérêt de cette évolution rendue nécessaire par la décision de publier Réussir dans le Figaro et l'Express.
Par courrier électronique du 6 février 2007 et au cours de nombreuses conversations avec le signataire de la présente, vous avez refusé le poste que M. [C] vous a proposé au motif que celui-ci ne correspondait pas à une promotion à vos yeux.
Votre attitude nous a beaucoup surpris. Vous exigez une augmentation de salaire.... et une extension supplémentaire de responsabilités pour devenir en quelque sorte le numéro deux de ZEFIR Carrières....
Il est parfaitement clair que votre travail s'exerçait dans les mêmes conditions, c'est-à-dire sans aucune modification de votre employeur, avec la poursuite de votre détachement auprès de la même société ZEFIR Carrières, avec un salaire identique et dans le même lieu de travail. Aucune condition de votre contrat de travail ne s'en trouve modifiée...».
Mme [Y] soutient que la proposition de modification du poste formulée par un tiers, imprécise, susceptible d'emporter d'éventuelles modifications de son contrat de travail pouvait légitimement être refusée, que par conséquent le licenciement prononcé au motif qu'elle a refusé le poste proposé est dénué de cause réelle et sérieuse.
Le groupe Express Roularta estime que la proposition formulée par M. [C], en concertation avec lui, correspondait à une modification des modalités de travail de Mme [Y] et en aucun cas à une modification des éléments de son contrat de travail, qu'elle ne pouvait en conséquence refuser ce réaménagement de ses fonctions, que ce refus caractérise une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il résulte de l'ensemble des éléments produits par les deux parties que fin 2006 début 2007 L'Express et le Figaro ont décidé de lancer ensemble un nouveau cahier qui devait remplacer les pages consacrées aux petites annonces dans les deux journaux. Ce cahier devait être commercialisé par une équipe composée de salariés des deux sociétés. Mme [Y] avait déjà fait l'objet d'un détachement dûment accepté par elle, au sein du pôle emploi de la société Publiprint depuis le 19 décembre 2005. Dans le cadre de la restructuration envisagée, et de la fusion des équipes, il est établi qu'une proposition a été formulée à Mme [Y] pour un poste de direction du pôle agence, par et sous la responsabilité de M. [C], directeur délégué de Publiprint et futur directeur de la société ZEFIR Carrières créée en avril 2007 soit postérieurement au licenciement de Mme [Y].
C'est de façon parfaitement légitime, que Mme [Y] a formulé diverses questions quant au contenu du poste, au portefeuille de son pôle, à son statut pour appréhender la réalité de modifications éventuelles essentielles de son contrat de travail.
Il est Expressément admis par Mme [Y] que le 5 février 2007, elle a reçu de M. [A] [N], responsable de Publiprint, d'une part et de Mme [Z] directrice des ressources humaines Express Expansion, son employeur, d'autre part les réponses aux diverses questions ainsi posées.
Elle a notamment été informée de ce qu'elle continuerait à dépendre du même employeur, soit le Groupe Express Expansion, qu'elle percevrait une rémunération identique, qu'elle exercerait des responsabilités comparables, sa proposition d'élargissement de son périmètre de responsabilités n'ayant pas été acceptée, et ce, sur le même lieu de travail.
Par un courriel du 6 février 2007 adressé à M. [N] et à M. [C] et en copie à Mme [Z], Mme [Y] a écrit 'étant donné le contenu du poste de directrice d'un pôle agence que vous me proposez (portefeuille, équipe, responsabilité...), votre refus d'en élargir le périmètre et donc de répondre à mon souhait d'évolution professionnelle, j'ai pris la décision de refuser ce poste'.
Vous pouvez compter sur ma totale discrétion concernant les informations auxquelles j'ai pu avoir accès sur le projet Réussir. Je continuerai à occuper mon poste actuel dans le souci constant des intérêts de la rubrique'.
Dans une lettre du 30 mars 2007, Mme [Y] a expressément indiqué 'j'ai donc pu prendre ma décision en connaissance de cause et j'ai refusé la proposition de modification de contrat de travail de Publiprint'.
C'est à bon droit que le groupe Express Roularta soutient que le poste proposé à Mme [Y] correspondait en réalité à un changement des modalités d'exercice de son activité professionnelle et non à une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail comme elle le prétend.
En effet, le poste proposé par M. [C] directeur délégué de Publiprint auprès de laquelle Mme [Y] avait été détachée, avec son accord, en concertation avec la directrice des ressources humaines du groupe expansion Express, employeur de Mme [Y], correspondait à un simple changement des modalités d'exercice de son activité professionnelle puisque le poste était de même qualification, comportait des responsabilités comparables, que la rémunération était maintenue.
Mme [Y] a Expressément refusé ce poste dans la mesure où il ne prenait pas en compte sa propre demande tendant à le voir évoluer.
Dans ces conditions, le refus de la salariée du simple changement de ses conditions de travail n'était pas justifié et donnait une cause réelle et sérieuse à son licenciement.
Le jugement entrepris sera infirmé.
Sur la demande de dommages-intérêts :
Mme [Y] demande à la cour de considérer que le comportement fautif de la société Groupe Express Expansion lui a causé un préjudice moral, professionnel, et financier considérable.
Elle fait valoir que postérieurement à ce licenciement intervenu après 18 ans d'ancienneté au sein du groupe, elle n'a, à ce jour, trouvé aucun emploi correspondant à sa qualification en dépit de recherches très actives.
L'examen des différentes pièces produites aux débats montrent que la proposition faite à Mme [Y] s'est inscrite dans un contexte difficile puisqu'à la faveur de la fusion des équipes commerciales des deux journaux Express-Figaro, les divers salariés ont connu une période d'incertitude, sur leur devenir au sein du groupe.
Il est avéré que le 25 janvier 2007, au cours de la réunion du comité d'entreprise, la directrice des ressources humaines avait précisé que les salariés ne seraient pas transférés chez Publiprint et continueraient de travailler pour le Groupe Express Expansion au sein d'un GIE à créer, lequel n'a été créé que postérieurement au licenciement de Mme [Y].
Les réponses aux questions légitimes qu'elle a posées sur le périmètre de ses missions et des modifications éventuelles des éléments essentiels de son contrat de travail ont été apportées à Mme [Y] par son employeur le 5 février 2007 soit quelques jours après la formulation de la proposition du 29 janvier 2007.
Dans ces conditions aucune faute ne peut être reprochée à l'employeur. Mme [Y] sera déboutée de sa demande.
Sur la demande d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 code de procédure civile :
L'équité impose de débouter les parties de leurs demandes respectives d'indemnités en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant contradictoirement et publiquement,
Infirme le jugement,
Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne Mme [Y] aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,